Casus Belli (vol. 1) n°24, février 1985, 55 pages, 15 Fr.
Le film Dune de David Lynch était sorti en fin 1984 aux USA et en février 1985 en France et c'était donc l'actualité toute fraîche pour ce Casus Belli n°24. La couverture avec Kyle McLachlan (Paul Muab'dib) et Francesca Annis (Dame Jessica) en distille de Fremen est réalisée par Jean-Charles ("Juan") Rodriguez et c'est sa compagne de l'époque Sylvie Rodriguez qui écrit l'article sur le jeu de plateau à l'intérieur. JC Rodriguez est aujourd'hui plus connu comme créateur de jeu que comme illustrateur mais c'était déjà lui qui avait dessiné l'écran du Gardien des Arcanes de l'Appel de Cthulhu chez Jeux Descartes l'année d'avant.
Il y a une publicité pour la traduction des Quêtes sans Fin Donjons & Dragons écrits par Rose Estes chez TSR aux éditions Solar. C'était Solar qui avait publié la première version française de D&D sans l'autorisation de TSR en 1982 et TSR les avait forcés à la retirer. Ils avaient dû finir par se réconcilier. Je crois que ces Quêtes sans fin n'eurent jamais en France le succès des LDVELH publiés par Gallimard et ils visaient un public plus jeune, sans aucune règle, fiche de personnage ou dé, uniquement des choix narratifs. Les illustrations étaient plus consensuelles que les dessins d'horreur des livres-jeux britanniques. Mais on pouvait aussi les trouver moins intimidants que les vrais Fighting Fantasy (créés en 1982) parce qu'on pouvait les finir assez vite sans trop tricher. J'aimais plutôt le fait que le personnage soit un "pré-tiré" et ait déjà un nom et un passé. Mais c'est un avis très minoritaire en Europe : presque tout le monde trouvait les Endless Quests infantiles et même condescendants. Aux USA, la série dominante sur ce marché des livres-jeux était depuis 1976 les petits Choose Your Own Adventure (sans règle ou dé non plus, 184 ouvrages !). TSR sortit 36 Endless Quests de 1982 à 1987 (avec même des essais dans les univers de Conan, Tarzan, Star Frontiers, Gamma World ou Top Secret) et les Editions Solar en traduisirent 16. Ce n'est qu'en 1985 que TSR tenta aussi une autre série de 18 livres-jeux avec des règles inspirées d'AD&D (dont un par Steve Perrin, Spawn of Dragonspear, 1988).
Dans la section Ludotique, il y a une recension par Michel Serrat du Casse (1984, Ludia, pour Apple II - cette compagnie Ludia n'est pas la même compagnie que la Ludia actuelle qui n'a été fondée qu'en 2007). C'est un jeu narratif par Olivier Tubach qui dirige cette section (et qui reçut aussi un prix selon Jeux & Stratégie n°33). Une innovation de syntaxe était que le programme devait comprendre des phrases complètes et pas seulement des instructions simples. O. Tubach fit un autre jeu en 1985, Opium.
Il y a aussi un loooooong programme Basic (p. 26-30) pour créer son personnage AD&D qui comprend les classes de l'Archer (Dragon n°45, janvier 1981) et du Barbare (mais pas le Barde ?). Y a-t-il vraiment des gens qui ont recopié à la main un truc aussi long ? Je pense encore parfois à ce petit "crapougnat" dessiné par Didier Guiserix qui ponctuait les 63350 lignes de code.
La section JdR commence p. 31 (en dehors de ce programme informatique).
Devine qui vient dîner ce soir : Un Trou monstrueux (pour une fois pour Basic D&D, illustré par Pierre-Olivier Vincent), une nouvelle "race" par Didier Guiserix, les Gopneldauns (hybride nain-gnome-hobbit-gobelinoïde-elfe-humain qui a la résistance à la magie des nains, une taille humaine et des capacités de voleurs plutôt moins intelligent mais plus fort, qui fut ensuite incorporé dans Laelith et existe toujours dans la dernière version actuelle) et le Frigidion (un Elémentaire de Froid par D. Gerfaud).
Sylvie & JC Rodriguez font encore un mini-jeu de SF avec une carte en encart, Peur sur Irka, où 5 cités sous dôme s'affrontent. Chaque cité a 5 zones externes, 2 zones internes et un réacteur central et on gagne en détruisant le réacteur central ennemi sans se faire détruire le sien. Le jeu utilise un jeu de cartes à jouer normales mais les combinaisons donnent des attaques et capacités spéciales.
D. Gerfaud fait une recension très positive de MERP et c'est drôle de voir comme le consensus actuel est que le jeu représentait trop mal l'atmosphère de Tolkien par rapport à The One Ring (ou Tiers-Âge) alors que les joueurs de l'époque n'étaient pas effrayés par cette donjonisation des Terres du Milieu. Martin Latallo dit même un peu plus bas que la magie "ne détone pas par rapport à Tolkien".
Puis Gerfaud continue sa "solo-quête" avec la suite de La Nuit de Wormezza 2 : Le musée (p. 40-43, 65 entrées).
Et nous arrivons à l'article le plus célèbre de ce numéro : 13 jeux d'Heroïc Fantasy au banc d'essai par Martin Latallo (p. 44-46).
Les "13 jeux" (en fait 14 si on distingue Basic D&D et AD&D) sont Basic D&D, AD&D, Chivalry & Sorcery, Runequest, Légendes celtiques, Middle-Earth Role-Playing, L'Ultime épreuve + Chroniques de Lynaïs, Swordbearer, Dragonquest, Man,Myth&Magic, Rolemaster, Tunnels & Trolls, Powers & Perils et enfin Stormbringer. La critique est sévère contre D&D ou surtout AD&D (jugé complètement dépassé) mais aussi contre le premier jeu français L'Ultime épreuve, ce qui va sans doute expliquer les réactions indignées et insultantes de JP Pécau (de Jeux Actuels) dans Casus Belli n°25 (Imaginos en a parlé).
A l'époque, c'était pour moi une bouffée d'air frais. Casus Belli, comme la majorité des rôlistes, semblait trouver évident que D&D était LA référence en heroic fantasy - et cela restera globalement vrai par la suite, même si les joueurs français vont avoir ensuite une relation particulière avec Warhammer. Vous vous souvenez des premiers articles de CB 3 en 1981 qui disaient de ne jamais altérer la forme "parfaite" de D&D par ses "plagiats" (les autres jeux de rôle) ? Certes, il y avait déjà eu des voix très critiques contre le vieux Donj, par exemple dans l'article de Gerfaud dans CB n°16 opposant Runequest et D&D. C'était quand même rafraîchissant de voir un article si clairement pro-MERP ou pro-Stormbringer. Cela n'empêchera pas Latallo d'écrire ensuite pour AD&D dans Info-Jeux. Un rare élément où je le trouve un peu dur avec le Fondateur imparfait est lorsqu'il dit que les dessins de D&D étaient tous laids. Il devait plutôt penser aux dessins d'Original D&D ?
Les Droits de réponses de F.M. Froideval & JP Pécau dans le numéro suivant (p. 7-8) sont violents et ont une mauvaise foi très pénible. Ils l'accusent de ne pas savoir de quoi il parle, ce qui est ridicule. Ils déforment aussi ses propos. Par exemple, Latallo disait que les scénarios de L'Ultime épreuve étaient plutôt ennuyeux mais avaient au moins de la place pour la réflexion et Pécau réinterprète que le critique doit donc détester la réflexion et qu'il doit être un crétin brutal. Ce genre de raccourci m'a empêché de lire toutes les BD uchroniques de Pécau par la suite (mais je n'ai pas eu besoin de me forcer pour ne pas être très intéressé par les BD de Froideval).
Froideval, le fondateur de Casus qui était parti travailler pour TSR, utilise un argument qui me fait toujours rire 40 ans après : D&D ne peut pas être mauvais puisque c'est le jeu leader :
N'est-il pas en effet caractéristique que les 2 jeux que vous avez le plus éreintés possèdent 6 millions d'afficionados dans le , monde ! Vous dites que la quantité ne fait pas la qualité ! En ce cas précis, vous avez tort, 6 millions de personnes ne peuvent pas se tromper.
Froideval reproche au critique d'être trop biaisé contre D&D et ensuite de trouver trop de défauts dans tous les jeux (ce qui se contredit et conduirait plutôt à penser que ces critiques étaient assez impartiales). Je serais encore plus sévère que lui contre MM&M qui, malgré son thème antique pseudo-historique si fascinant, est un jeu raté.
Ils ont reproché à Latallo de ne pas penser assez aux joueurs débutants qui chercheraient leur premier jeu et de mentionner de nombreux jeux qui étaient déjà très difficiles à trouver à l'époque (comme C&S, Swordbearer, Dragonquest ou MM&M). Je crois qu'un but de l'article était plus "encyclopédique" à la GROG qu'une introduction simplement à l'actualité mais Latallo concédait dans l'article que Basic D&D ou L'Ultime épreuve sont bons pour des débutants. La rédaction dans le n°25 dit que certaines des parties de l'article étaient en fait rédigées depuis assez longtemps, ce qui expliquait un décalage (Latallo ne parlait pas de la nouvelle version Avalon Hill de RQ IIIe édition parue l'année précédente mais encore de la version de Chaosium). Latallo dit même qu'il regrette de ne pas avoir trouvé d'autres jeux encore plus oubliés comme Arduin ou Ysgarth pour en parler !
Scénario pour MEGA : "Planète Fatale" (p. 47-50) par un nouvel arrivant, le regretté Pierre Lejoyeux (1961-2018), qui devint ensuite un des meilleurs auteurs francophones de scénarios, notamment pour Mega ou pour Rêve de Dragon (voir le portrait de lui dans Casus Belli (vol. 4) n°26, 2018). Les Megas sont envoyés après que deux équipes ont déjà disparu sur Ikra, une planète de niveau médiévale qui semble être un monde à la D&D avec des Elfes & des Nains. Non, cette planète Ikra n'a aucun rapport avec la planète Irka post-apocalyptique du jeu de l'encart et c'est juste une coïncidence... Je n'ai jamais joué ce scénario mais il a l'air assez difficile. Il n'y avait plus eu de scénario Mega depuis "Le Dandy" dans le n°21.
Scénario pour AD&D : "L'Île du Diable" par Marc Laperlier (Niveau 1-3). Je n'ai pas trouvé assez d'indices pour confirmer si ce Donj est censé se situer dans l'archipel de Rope de Casus Belli n°23. Cela a l'air d'être un cadre scandinave assez générique.
Excusez-moi pour la longueur.
Add. Ce mois-là, Dragon Magazine en était à son n°94 (avec un article sur les chevaliers solamniques de Dragonlance), White Dwarf en était à son n°62, Different Worlds à son n°38 (avec le culte d'Uleria) et Imagine Magazine au n°23.
Merci pour ce compte-rendu de lecture critique et historique. C'est toujours raffraichissant (et pas long ^_^)
RépondreSupprimerTu as fait l'impasse sur la partie wargame !
RépondreSupprimerJ'avais zappé l'existence d'un supplément pour Dragonroar...
> Y a-t-il vraiment des gens qui ont recopié à la main un truc aussi long ?
Oui. :-)
Mais il me semble que ça ne marchait pas très bien : je m'étais ptêt planté quelque part en route...
Et y avait pas 63350 lignes, heureusement ! C'est juste que la dernière était la n° 63350.
Y avait pas le barde, sans doute pasque le barde ne commençait pas "barde", mais devait être guerrier, puis voleur, et enfin druide.
> Je n'ai jamais joué ce scénario mais il a l'air assez difficile.
Je l'ai fait jouer mais je n'en ai plus de souvenirs, mais je n'ai pas l'impression qu'il ait posé de problèmes.
Peut-être étais-je un MJ trop facilitateur à l'époque...
Ceci dit, en ressortant mon exemplaire je vois que j'avais pas mal annoté la première page, j'avais ptêt modifié des trucs pour qu'il soit plus jouable (j'ai la flemme de me relire).
> Cela a l'air d'être un cadre scandinave assez générique.
Marrant, je ne l'ai pas relu depuis quelques décennies donc mes souvenirs sont ptêt complètement erronés, mais j'avais eu à l'époque l'impression d'une ambiance bretonne / celtique.
Tu as fait l'impasse sur la partie wargame !
RépondreSupprimerOui, cela fait longtemps dans la série que je ne fais quasiment que la partie jeu de rôle (en dehors de ludotique). Je ne trouve rien à en dire à part citer l'article. Pourtant, c'est vrai qu'il est fascinant ce long rapport sur la campagne de Crète pour Amirauté ! Et Hervé Hatt semblait être une encyclopédie en bouquins de polémologie marine.
Y avait pas le barde, sans doute pasque le barde ne commençait pas "barde", mais devait être guerrier, puis voleur, et enfin druide.
Ah, oui, j'avais complètement oublié cela, ce n'était pas une "classe" à part entière.
Je l'ai fait jouer mais je n'en ai plus de souvenirs, mais je n'ai pas l'impression qu'il ait posé de problèmes.
Si les deux autres équipes de Mega se sont déjà faits massacrer, cela va être difficile d'imaginer que les PJ ne tirent pas à vue sur tous leurs ennemis sans assez avoir l'idée de parlementer.
Marrant, je ne l'ai pas relu depuis quelques décennies donc mes souvenirs sont ptêt complètement erronés, mais j'avais eu à l'époque l'impression d'une ambiance bretonne / celtique.
Je dis cela parce qu'il doit y avoir un PNJ nommé Leif, si je me souviens bien.
Pascalou :
RépondreSupprimerC'est toujours raffraichissant (et pas long ^_^)
Merci ! Je vais peut-être quand même couper le prochain en plusieurs messages, si cela ne nuit pas trop à la lisibilité en continue sous le sujet casusbelli.
Je rejoins Monsieur Pascalou,
RépondreSupprimerJ'ai trouvé le post très intéressant.
Cela mélange tellement de chose comme les souvenirs (j'allais dire nostalgie mais je me serais fait taper sur les doigts par Alan Moore), une relecture intelligente d'un loisir qui a été un fondement pour moi faite avec une grande érudition (absolument pas pontifiante).
En fait tu enrichi énormément cette relecture par de grandes précisions (comme pour les quêtes dans fin Donjons& Dragons) ou du recul comme sur l'article de Martin Latallo. C'est vivifiant.
Je suis très content que tu ais repris ces relectures des vieux casus.
Il y a eu au moins un autre supplément pour Dragonroar : The Ballad of Skiirn La'Ana.
RépondreSupprimerA en juger par ce prix de £120, il ne doit pas être facile à trouver.
RépondreSupprimerProbablement.
RépondreSupprimerMais comme ce n'est pas une gamme que je collectionne, je n'ai aucune idée de sa fréquence sur le marché de l'occase, ni des tarifs habituels.