jeudi 19 mars 2015

[JDR] En relisant... Casus Belli 21

Casus Belli n°21, août 1984, 15 F, 55 pages.

Ah, cette couverture. Elle est signée "de Lartigue" et je présume qu'il s'agit bien du jeune Hubert de Lartigue, qui n'a à cette époque que 21 ans et vient à peine de commencer ses études de graphisme. Il a déjà fait des couvertures professionnelles pour des romans de sf mais son style évoluera énormément quand il réalisera des couvertures françaises de Runequest (1987) ou Cyberpunk (1990). Il fera aussi les couvertures de Casus Belli n°75 (1993) et n°108 (1997).

On y voit une équipe traditionnelle de PJ faisant leur feu de camp dans une épave d'avion. Cela reprend bien sûr un code casusien du mélange de wargames et jeux de rôle, et des allusions aux titres divers sur la couverture (comme la couverture du n°10, avec son tank et son dragon, ou celle du n°20 où les aventuriers fuyaient les orcs et semblaient croiser des Grognards à Friedland). Mais en un sens (et malgré quelques défauts dans les silhouettes des personnages), je trouve la métaphore plus puissante tant elle évoque bien l'idée que le jeu de rôle a quelque chose d'un Culte du Cargo, comme le disait Ron Edwards. Dans une société hautement technologique dont la plupart d'entre nous ne comprend plus vraiment le fonctionnement de notre environnement, le jeu de rôle est un loisir quasi-rituel de basse technologie (feuille, crayon, dé ou cartes à jouer) où on simule des veillées et un lien social traditionnel (c'est d'ailleurs pourquoi certains comme moi ne se reconnaissent pas dans le jeu en ligne). Les intervenants doivent improviser et interpréter en formalisant une activité imaginaire, ce qui est contradictoire et concrétise dans le jeu la naissance même des mythes où l'imaginaire joue à se prendre au sérieux. L'ironie de cette image est qu'on peut imaginer que les aventuriers doivent prendre l'épave pour un ossement de quelque léviathan de métal et que le spectateur-joueur à distance voit ce que les personnages dans le cadre du jeu ne comprennent pas. Il se peut aussi (mais je pense à une simple coïncidence) que l'image convienne particulièrement au mélange d'époques et de technologies dans un des scénarios qu'on verra par la suite, Le Dandy.

Il y a environ 20 pages de wargames (dont un jeu en encart, 1914).

James Bond 007, L'opération du tonnerre. Michel Serrat fait part de son enthousiasme pour le nouveau jeu de Victory Games. Ce jeu à "licence" par Gerard Klug fut en effet important dans l'histoire du jeu. Ce fut, je crois, le premier jeu de rôle à utiliser des "points d'Héroïsme" pour que les joueurs puissent avoir un moyen de mieux assurer des succès héroïques indépendamment des probabilités normales. Cette petite innovation de règles (qui fut reprise aussi dans Marvel Superheroes de Jeff Grubb et bien d'autres jeux) commençait à quitter le modèle simulationniste vers l'idée "narrativiste" de représentation du récit et de ses clichés.

La Nuit d'Esus par Jean-Marc Montel (un des co-créateurs de Légendes, actuel directeur de l'ENSG) est un scénario d'introduction pour Légendes celtiques (le premier pour ce jeu). Gwenda, une guerrière-magicienne pleine de ressentiment, qui fut sacrifiée il y a 20 ans au dieu Esus revient se venger. C'est une traque simple qui doit être surtout faite pour expliquer les compétences aux joueurs. Un défaut est qu'il n'y a pas de vrai dilemme moral : on a eu raison de sacrifier cette magicienne et en plus les responsables sont déjà presque tous morts, il n'y a pas de vrai secret à trouver pour l'exorciser. La moitié de la place est prise par la fiche complète de la PNJ (elle a 02/20 en "Raconter des histoires drôles"). Je me demande si nous n'avons pas joué à ce scénario (Légendes était, avec Mega et L'Ultime épreuve, les jeux les plus pratiqués autour de moi à cette époque, pas du tout D&D) mais il ne m'a pas laissé de souvenirs.

Devine qui vient dîner ce soir. L'Arène des oppositions crée un double adversaire, la Pièce cannibale se cache dans les trésors pour attaquer et le Murouissant transmet les bruits dans un seul sens.
Les notes de Zormilius (écrites par Denis Gerfaud, dessinées par Bernard Verlhac, alias le regretté Tignous) continuent avec le Nénuphar des sables et les Chorélithes (pierres dansantes).

Nouvelles du Front a une annonce sur les Grandeurs Nature. On annonce la traduction à venir de Call of Cthulhu et la sortie prévue de Légendes des Mille et Une Nuits, ainsi que des Chroniques de Lynaïs (règles avancées de L'Ultime Epreuve) et La Compagnie des Glaces (dont on dit que les règles s'inspireraient de James Bond 007).

La Menace de Hirato [la table des matières dit par erreur "Hitaro"] de Martin Latallo est un scénario pour le Japon médiéval prévu à la fois pour Land of the Rising Sun (la variante japonaise de Chivalry & Sorcery créée par la célèbre Lee Gold) et pour Bushido (Latallo avait fait le dossier et le scénario pour le n°15 et il avait écrit le scénario du numéro 20 qui était aussi pour deux systèmes, Call of Cthulhu et Daredevils, je me souviens que j'admirais entre autres cette faculté de "bilinguisme" ludique et le fait qu'on pouvait déceler parfois certaines forces respectives de chaque système selon les différences). Dans la province de Shinano, les aventuriers vont explorer un seul village, ses bandits et ses spectres. La criminalité est un vrai problème puisque sur 300 habitants, il y a 30 Yakuzas.

Le Dandy, scénario de Didier Guiserix pour MEGA. Il ne fait que 5 pages denses (p. 45-49) mais c'est simplement la base à développer soi-même d'une mini-campagne révolutionnaire par rapport à ce que Casus Belli avait fait jusqu'à présent en 1984, et cela domine de loin tout ce numéro. Ce scénario transformait MEGA vers un jeu encore plus ouvert, mélange de mission et d'un quasi-"bac à sable" cosmique. Je me souviens encore de mon choc il y a plus de 30 ans quand je me suis dit "ah, bon, on peut faire cela dans un jeu de rôle ? on peut tout faire ??"

Les Messagers Galactiques sont en effet envoyés au début dans l'inconnu, parce que des territoires entiers de Terres parallèles disparaissent vers une autre dimension de poche. Ils vont découvrir un univers-mosaïque formé par ce "Dandy", un aristocrate qui s'ennuie et qui a décidé de jouer au dieu en fabriquant son fief personnel, le monde de Shamazantha.

Les territoires hétéroclites, et dont certains se désagrègent déjà depuis quelques années, comprennent un morceau de mangrove tropicale peuplée de pygmées africains, des morceaux celtiques médiévaux-fantastiques avec de la magie, d'Angleterre du début XXe, de Provence du milieu du XXe siècle et plus récemment de Suède du fin XXe,


La subtilité du Dandy est qu'il peut transférer son esprit comme les Méga et qu'il le fait tout le temps dans les corps de divers PNJ. Le trouver ou le capturer n'est donc pas évident et c'est aux joueurs de trouver une solution.

J'imagine que l'inspiration devait être à la fois Sur les Terres Truquées de Valérian & Laureline et La saga des Hommes-Dieux de Philip José Farmer, qui donnera en 1994 un autre jeu de rôle à part entière chez Jeux Descartes, Thoan. Il y a aussi une influence du Monde du Fleuve du même Philip José Farmer dans certains PNJ comme le fait que Manfred von Richthofen est un héros historique qui vient lutter ici contre le Dandy. L'importance historique de ce scénario paraît indiscutable et j'imagine que certains futurs chefs d'oeuvre ("Des ombres sur la lande" de Pierre Lejoyeux, le scénario de Méga II dans une Terre parallèle où des Zoulous dotés de cavorite sont en train de conquérir l'Angleterre du XIXe siècle) sont aussi des hommages au Dandy de Didier Guiserix.

Je viens de voir qu'il existe même un jeu de société réalisé par un fan de MEGA qui a pris cette carte comme plateau de jeu.

Le Vieil Ami d'André Foussat est un module AD&D, niveau 1-3. La vieille sorcière Effraie engage les aventuriers pour aller sauver son ami, un illusionniste, contre une bande d'Orcs. Ce scénario d'introduction est traditionnel (peut-être pour contrebalancer le côté expérimental du Dandy) mais il réutilise pour une fois l'Auberge de la Mort subite introduite dans le scénario parodique de Guiserix du n°12 et l'Arène d'Oppositions introduite dans ce numéro.

8 commentaires:

Fabien Lyraud a dit…

Il me semblait que la couverture de Runequest c'était Alain Gasner et pas Hubert de Lartigues.

Phersv a dit…

Je crois vraiment qu'Alain Gassner a réalisé les couvertures de Stormbringer (et des illustrations intérieures pour RQ) mais que les couvertures de RQ étaient de Lartigue.

Imaginos a dit…

OUAIS ! C'est reparti ! :-)

Je confirme que c'est bien Lartigue qui faisait les couvs de RQ version Oriflam. Et que Gassner a fait les couvs de certains suppléments Storm.

Nicolas Dessaux a dit…

De mémoire c'est le premier casus que j'ai acheté.

賈尼 a dit…

J'avais masterisé Le Dandy en one-shot à mon club de jeux... Ça avait eu un tel succès que j'avais été obligé de remettre ça pour un autre groupe de joueurs !

Imaginos a dit…

En one-shot ? ? ?
Je serais curieux de voir ce que ça donne.
Je l'ai fait jouer une seule fois, ça a tenu plusieurs séances, et j'aurais plutôt tendance à le développer en une campagne plus longue qu'à le raccourcir.
Donc si tu as un retour d'expérience plus détaillé, ça m'intéresse, car j'aime beaucoup ce scénario... :-)

賈尼 a dit…

En one-shot dans le sens où ce n'était pas dans le cadre d'une campagne Méga régulière. Je pense que ça avait duré deux séances de jeu. Mais tu sais, c'était il y a environ 30 ans....

Imaginos a dit…

> Mais tu sais, c'était il y a environ 30 ans....

Certes, mais tu aurais pu avoir des notes. ;-)