Comme j'ai relu les Little Nemo ces temps-ci (en attendant ce que donnera le Big Nemo annoncé par Alan Moore), j'ai vraiment envie de jouer quelque chose sur le Rêve. C'est un thème qui revient très souvent dans les jeux de rôle (dans la magie de 8th Tribe, ou comme les Dreamlands de Call of Cthulhu ou la récente campagne Dreamhounds of Paris par Robin Laws) mais il n'y en a pas tant qui l'ont vraiment mis au centre de tout le jeu.
1 Hystoire de Fou
Rêve de Dragon est un très beau jeu mais je n'ai jamais trouvé qu'il était si "onirique" que cela, malgré sa cosmogonie ou son si beau système de magie (qui me donne un peu trop l'impression d'être en train de pirater un compte informatique dans un jeu cyberpunk). C'est donc l'autre jeu de Denis Gerfaud, Hystoire de Fou (1998) - qu'il a généreusement mis gratuitement en ligne sur Rêve d'ailleurs, qui a finalement l'atmosphère la plus proche des rêves. Dans Hystoire de Fou, on joue des êtres normaux de notre monde qui sont soudain basculés en groupe dans une crise de démence dans un univers qui tient de Lewis Carroll et Philip K. Dick. Comme ils savent qu'ils sont dans une réalité hallucinatoire, ils peuvent en partie tenter de la manipuler ("incrédire" un fait en niant qu'il ait eu lieu). Ils peuvent aussi prendre le risque d'intensifier la Crise pour la modifier (en prononçant un mot leitmotiv choisi à l'avance qui les rend fous comme "scolopendre" ou "exquis"). Ils doivent tenter de décoder la cohérence cachée de ce rêve pour réussir à en sortir. Un des aspects humoristiques est que les vêtements des personnages changent sur une table aléatoire dite de la Saint Frusquin, ce qui fait qu'on peut se retrouver dans une scène soudain en tutu ou en couche-culottes. Les scénarios sont un mélange de délire et de cohérence à retrouver. L'idée de campagne signifie ici plusieurs "Crises" reliées autour du même thème mais on est quand même censé refaire un personnage nouveau au bout d'un moment. Le livret avec l'écran, Des Recettes de la Folie, introduit plus explicitement des personnages et des thèmes d'Alice au Pays des Merveilles.
2 La méthode du Docteur Chestel
L'autre grand classique sur ce thème est bien sûr La méthode du Dr Chestel (1991) de Daniel Danjean, où on joue des Soigneurs qui entrent dans l'Intracos ou Onirocosme personnel d'un patient pour le soigner (idée qui sera retrouvée aussi dans le film The Cell et bien sûr manipulée de manière non-thérapeutique mais plus mercenaire dans Inception, 2010). Il y une quantité impressionnante de scénarios gratuits et le jeu a beaucoup d'humour. De tous ces jeux, c'est peut-être la vision la plus "positive" du Songe, même si elle peut rester cauchemardesque tant que la thérapie n'a pas amélioré les choses.
3 Alices I : Wonderland
Hystoire de Fou ressemble beaucoup (en moins sombre) à Wonderland, (2005), un beau jeu gratuit écrit par Marco Chacon. Il est bien édité et très complet (en revanche, je n'aime pas les illustrations par ordinateur). Dans Wonderland, Lewis Carroll n'a pas écrit un conte mais décrit en fait ses visions d'une autre dimension immpossible à comprendre par notre Raison et notre logique si ce n'est sous forme de métaphores et de jeux de mots. Cette dimension terrifiante, le Wonderland, est en train depuis le XIXe siècle de contaminer progressivement quelques sujets de notre univers et leur folie est en fait contagieuse. On joue des personnes infectées, qui, comme Lewis Carroll, sont descendus dans cet Autre Monde au-delà du Miroir, au risque de perdre leur Raison. Plus on descend profondément sous la structure de l'Echiquier, plus on approche un chaos indicible digne d'un cauchemar lovecraftien, Abysse au-delà du Bien et du Mal. En effet, le Wonderland n'a pas une intentionnalité mais ils sont fascinés par cet univers fait de "logique" qui leur échappe tout autant. Là où cela commence à un peu moins me plaire est le côté X-Files ou Delta Green. Les gouvernements terriens commencent à comprendre qu'il se passe quelque chose mais ne savent pas trop comment lutter contre cette infection extra-dimensionnelle qu'ils cachent au public. Des complotistes en revanche ont remarqué qu'il y a des fous étranges et contagieux. Les PJ doivent réussir à explorer assez Les Merveilles sans succomber aux créatures qui y vivent et un des problèmes est qu'à chaque fois qu'ils entrent dans le Pays du Merveille, un double irrationnel d'eux, leur "Ombre" reste dans le monde réel et risque de les discréditer en faisant à peu près dans le monde réel le même genre de choses qu'ils font dans ce monde onirique. Une autre complexité est que le Pays des Merveilles est lui-même déchiré entre des puissances qui gouvernent les Lois de l'Irrationnel et des puissance de "Déconstruction" qui veulent refaire les métaphores qui tissent les sous-bassements de cet univers.
4 Alices II : A Red and Pleasant Land
Zak Smith a fait sa propre version du récit de Lewis Carroll pour tout D&D-like, avec A Red & Pleasant Land. Une des idées drôles est qu'une Alice y est une Classe de personnage avec ses propres capacités. C'est une sorte de Pays des Merveilles un peu "gothique", la Voïvodie, où la Reine de Coeur est une vampire qui décapite pour éviter d'avoir d'autres vampires adversaires. Cela regorge d'idées et concepts, c'est assez joli mais c'est encore trop sombre pour moi, comme le Wonderland de Chacon.
Brand (dont je découvre seulement après dix ans d'existence le blog) vient d'avoir des Designer's notes sous forme de 5 thèses de l'auteur. Dans la dernière de ces notes, Zak S. glisse vers un autre sujet pour s'en prendre à certains auteurs indies et notamment ses ennemis de forums trop "politiquement corrects" - même si je ne pense pas que Fred Hicks, le developpeur de Fate, qui se contente de reprendre une thèse féministe assez standard, ait fait partie des pires Haters refoulés et conservateurs qui ont insulté Zak et son entourage).
5 Alice inversée : Don't Rest Your Head
Par coïncidence, cet autre jeu, Don't Rest Your Head (2006) est justement de Fred Hicks. C'est aussi un jeu d'horreur, comme presque tous les jeux dans cette liste et le Rêve est définitivement l'ennemi. On joue des insomniaques qui découvrent que si on se force à cesser de rêver pendant assez de temps, on prend conscience de la vraie réalité cauchemardesque qui est cachée à la majorité (les jeux adorent ce thème gnostique). Comme dans Hystoire de Fou, on peut choisir d'avoir certains effets mais cela entraîne une hausse de sa Folie et la Folie est donc un prix à payer.
6 Little Nemo
Il est clair qu'un mécanisme d'Hystoire de Fou comme les tables aléatoires de La Saint Frusquin iraient très bien dans l'atmosphère onirique en général.
Deux petites différences qu'on pourrait creuser pour simuler une atmosphère plus proche de Little Nemo serait :
(1) les PJ s'attribuent des petites phobies, compulsions et névroses et ensuite le Monde du Songe s'adapte en miroir au profil individuel, comme si c'était plus comme des Intracosmes de La méthode du Docteur Chestel qui seraient associés. Les adversaires vont être plus reliés à leur propre névrose alors que dans Hystoire de fou, l'écriture de scénarios préalables présuppose nécessairement plus les personnages autour du thème.
Mais cela risque de poser des problèmes pour le MJ qui devra développer un contexte commun à partir de toutes ces idiosyncrasies. Et cela pourrait risquer d'avoir encore moins de durée de vie.
(2) Le but serait l'inverse d'Hystoire de Fou ou Wonderland, d'essayer de rester dans le Rêve (tout en gardant un peu d'autonomie) alors que celui-ci devient de plus en plus instable (effet Flip).
Pour que les joueurs voient le Réveil comme un échec récurrent, leur "puissance" de modifier le Rêve augmente graduellement dans le Rêve (ils créent des Merveilles) alors qu'ils doivent recommencer de zéro dans leurs effets quand ils ont été "expulsés" et que le Rêve recommence le lendemain. Le pire adversaire n'est donc plus le Cauchemar mais au contraire la Chute récurrente où le Rêve s'interrompt. Le Docteur Pill avec son Opium est en ce cas une aide à rester dans le Rêve (un peu le contraire du jeu Don't Rest Your Head où les personnages passent leur temps à être hypnophobes et à se bourrer de café et d'amphétamines).
Theatre: A Very Wooster Holiday
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*Happy Christmas, Jeeves* by Heidi McElrath and Nathan Kessler-Jeffrey,
directed by Karen Lund, based on the stories of PG Wodehouse Taproot
Theatre Com...
Il y a 3 heures
6 commentaires:
N'omettez pas Lacuna de Sorensen dans lequel on joue des sortes d'agents smith en mission sanitaire dans la psyché de criminels sur fond de conspiration intra-onirique à développer soi-même.
Ah, merci, je vais regarder cela. Il y a cette review en anglais et celle-ci sur Narrativiste.
La biblio de La Méthode du Docteur Chestel cite avec d'autres nouvelles Eye in the Sky (1957) de Philip K. Dick, où ils sont plongés dans l'intracosme d'un individu.
Brian Stableford cite dans son encyclopédie Science Fact & Science Fiction d'autres exemples (entrée Psychology) comme Peter Philips, "Dreams Are Sacred" (1948) (voir aussi cette chronique de Langford) ou Roger Graham, "The Mental Assassins" (1950). Bien avant The Cell, il y avait déjà eu Dreamscape (1984).
L'appel de Cthulhu n'avait il pas un suppléments "Dreamlands"?
Il faudrait faire un JdR Olivier Rameau où le but serait de ne pas se réveiller. Goodtime
Mentionné dans la deuxième phrase ! :)
Il y a aussi un jeu de rôle sur la série Dream Park de Larry Niven mais c'est sur une réalité virtuelle, pas sur un rêve au sens propre.
Oui, là, le réveil est vraiment le risque d'un exil hors de Rêverose si on est jugé trop ennuyeux. C'est un peu comme cela dans Changeling: The Dreaming où on joue un être fée incarné et qui doit lutter contre la Banalité pour rester inspiré et imaginatif.
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