jeudi 30 avril 2009

A Virus by Any Other Name




  • Un ministre de la Santé israélien demande qu'on ne dise plus "Grippe porcine" pour ne pas choquer les juifs et les musulmans.




    Ce n'est pourtant pas comme si la Grippe mexicaine changeait en Porc.



    Ou alors il faut prendre du Moly, pas du tamiflu.

  • L'Egypte ordonne d'exécuter tous les 300 000 porcs du pays, malgré les protestations des Chrétiens Coptes, qui sont quasiment les seuls à les élever.

    One Islamic militant Web site carried comments Wednesday saying swine flu was God's revenge against "infidels."

    In Egypt, pigs are raised and consumed mainly by the Christian minority, which some estimates put at 10 percent of the population. Health Ministry spokesman Abdel-Rahman Shaheen estimated there are between 300,000-350,000 pigs in Egypt.


    Cela vise particulièrement comme porcs-émissaires les "zabbaleens".

  • Un médecin précise que qu'il ne faut plus dire que le virus A/H1N1 entre humains serait la "Grippe porcine", puisqu'on sait maintenant que c'est distinct. Il demande aussi "Grippe nord-américaine" au lieu de "Grippe Mexicaine" pour ne pas viser seulement le Mexique.

  • Par ailleurs, en anglais, pourquoi dit-on "swine flu" et pas "pig flu" ? "Swine" est le terme plus "zoologique", comme "porc" par rapport à "cochon" ?

  • Tlazolteotl était la Déesse du vice, de la pourriture, des épidémies, mais aussi (sans doute de manière propitiatoire) de la purification, des bains et des sages-femmes.

    Oh, et chacun sait que l'Eternel ton Dieu est en fait un Totem Porc-Palourde.

  • Ceci ne ferait probablement sourire personne et j'ai renoncé à en faire trois cases :

  • mercredi 29 avril 2009

    Uchronies I : La rupture du 19 mai



    Le 19 mai 1974, VGE n'a gagné qu'avec 50,81%, une avance de 400 000 voix seulement. François Mitterrand aurait donc très bien pu gagner les élections de 1974 (il aurait peut-être fallu que les Gaullistes ayant voté Chaban en veuillent un peu plus à Chirac/VGE et qu'ils aient moins peur du Programme commun) mais qu'est-ce que cela aurait changé ?

  • Législatives

    Mitterrand doit dissoudre l'Assemblée nationale qui a été élue aux élections législatives de mars 1973 (où la majorité UDR + Républicains Indépendants sortante a 311 sièges sur 488).

    Même en supposant une démobilisation de droite et un réflexe "légitimiste", la Marée rose doit être moins importante en 1974 que celle de 1981 (où les Français avaient eu trois ans depuis les Législatives de 1978).

    Autre différence avec 1981 : Georges Marchais a soutenu Mitterrand aux Présidentielles et le PCF a encore été légèrement devant le PS aux législatives de 1973 avec 21,3% contre 18,9 au premier tour (même si le PS gagne un peu plus de sièges). Ce n'est qu'en 1981 que le déclin s'était accéléré (16,1% contre 36%).

    Le PCF aurait été donc plus fort qu'après le "10 mai". Ils doivent avoir au moins 75 députés au lieu de 44 en 1981. Ceux qui s'opposeraient à lui dans le Gouvernement doivent être relativement faibles, peut-être autour d'Alain Savary ?

  • Programme Commun

    Le Programme Commun PS-PCF de 1972 devait être légèrement plus marxisant que celui de 1981 (le maire de Mulhouse SFIO "social-démocrate" Émile Muller, ancêtre de notre Bockel, a quitté le PS pour protester contre le Programme commun et il eut un score de 0,7% aux Présidentielles de 1974 avant de rejoindre la majorité giscardienne dans notre réalité). Michel Rocard et Jacques Delors n'avaient pas encore rallié le PS et ils auraient été encore plus minoritaires dans ce scénario de victoire du Programme commun. Il y aurait eu sans doute plus de ministres communistes, voire des Molletistes (Guy Mollet, maire d'Arras, ne meurt qu'en 1975).

    François Mitterrand avait 58 ans (seulement 4 ans de plus que Badinguet aujourd'hui), ce qui aurait pu changer des détails dans sa personnalité, des années avant son cancer et sa "rigidification" que nous associons aux années 1990. Je ne pense pas en revanche que la naissance de Mazarine huit mois après aurait été traitée différemment (le roman de Françoise Giroud sur elle ne sortit qu'en 1983).

    Alain Savary, 56 ans, pourrait faire un Premier Ministre, mais j'imagine que Gaston Defferre (ou Mauroy, déjà) aurait eu plus de chances (ils sont alliés au Congrès de Grenoble de 1973).

    Pierre Mendès France a 67 ans mais il est malade et Mitterrand n'aurait peut-être pas envie de nommer son vieux rival, bien plus hostile au Présidentialisme.

    Un peu plus de nationalisations étaient prévues avec le groupe Dassault et Roussel-Uclaf (en 1982, l'Etat ne prit que des participations).

    Mitterrand aurait autorisé l'avortement et mis la majorité à 18 ans, comme le fit VGE. En revanche, le Service national aurait été ramené à 6 mois.

  • Réformes

    Une différence importante est qu'on peut se demander si Mitterrand aurait aboli la Peine capitale dès 1974 comme il le fit avec l'avocat Badinter en 1981. A ma connaissance, le Programme commun n'en disait rien (contrairement aux 110 propositions). Et Badinter n'est pas encore dans son entourage.

    Le Programme Commun avait des aspects plus importants de révision constitutionnelle parlementaire, avec quinquennat (mais c'était aussi la 45e proposition de 1981 que bafoua Mitterrand en se représentant en 88) et diminution du rôle du Président, notamment contre la dissolution (Contrat de Législature). Il y avait une proposition de transformation du Conseil constitutionnel en Cour Suprême mais cela était peut-être tout aussi concret que l'idée de saisine du Conseil par les particuliers dont Mitterrand parlait sans cesse sans jamais l'appliquer.

    La France serait restée dans l'Otan (le texte demande la dissolution simultanée de l'Otan et du Pacte de Varsovie) mais il était prévu qu'elle renonce à la Force de frappe. Il y aurait eu aussi quelques tensions avec l'Espagne franquiste finissante.

  • Bilan

    Après 5 ans, auraient eu lieu les législatives de 1979 et peut-être aussi les Présidentielles, si Mitterrand avait tenu le Programme sur le Quinquennat.

    On peut supposer que l'alliance avec le PCF aurait volé en éclat quand même.

    Mitterrand aurait peut-être eu plus de mal à mettre en place le projet de SME dans la CEE et l'Ecu que créa VGE, même si on imaginait que le PCF ne le gêne pas.

    Il est plausible que la Gauche aurait été battue aux élections de 1979 en raison de la Crise économique et la division PS-PCF inévitable.

    J'imagine que VGE, 53 ans, battu de peu cinq avant aurait déjà pu revenir et que Chirac aurait été un peu trop jeune à 47 ans (leur célèbre rivalité n'aurait peut-être pas eu encore le temps d'éclater d'ailleurs, avec une droite plus divisée avec une UDR-RPR sans l'UDF présidentielle).

    Une grande différence est que le retour de la Droite aurait coïncidé avec la victoire de Thatcher et Reagan, ce qui aurait mis la France synchrone avec les révolutions conservatrices, VGE ou Chirac auraient alors mis dès 1979 certaines des réformes de dénationalisations de 1986.

    Le problème aurait été plus intéressant si le Quinquennat n'était pas appliqué, en cas de Cohabitation entre Mitterrand et le Premier ministre pour 1979-1981.
  • mardi 28 avril 2009

    L'Œuf et le Trèfle en Lobe



    Le prolifique et polymathe auteur de science-fiction Isaac Asimov, qui a publié environ 500 livres en 72 ans (dont, certes, un grand nombre d'anthologies ou sélections), aurait la particularité bibliographique d'avoir écrit dans toutes les catégories de la Classification Dewey sauf en Philosophie. C'est curieux quand on sait que cet ancien chimiste athée a aussi publié des livres sur la religion et qu'après tout la Fiction spéculative semble s'approcher plus d'un questionnement philosophique que ses deux livres sur le lexique qui entrent vaguement en linguistique.

    Ce petit article "I'm Looking Over a Four-Leaf Clover" (Fantasy & Science Fiction Magazine, Sept 1966, repris dans Science, Numbers, and I, 1968 et Asimov On Science, 1989) semble assez spéculatif pour un texte de vulgarisation sur la physique théorique des années 60.

    Il dit que la cosmologie peut proposer un modèle sur la question métaphysique "Pourquoi y a-t-il Quelque chose plutôt que Rien" en utilisant le Big Bang et une sorte d'Eternel Retour ne reposant que sur des principes généraux de symétrie.

    Je ne sais absolument pas jusqu'où il est métaphorique mais en gros l'univers serait une oscillation entre un Œuf Cosmique, l'expansion et la contraction.

    Dans cet atome primordial, il y aurait équilibre entre les particules subatomiques de propriétés opposées qui se neutraliseraient. Asimov ne mentionne comme particules élémentaires que les baryons + antibaryons (protons + antiprotons, neutrons + antineutrons), les leptons (électrons + positrons, neutrinos + anti-neutrinos) et certains bosons (photons). Il écrit avant que le modèle standard ne se stabilise dans les années 70 sur les divers bosons de gauge, boson de Higgs et gluons.

    Là où cela décolle dans la spéculation est qu'Asimov suppose que les anti-particules "remontent le temps" (l'orientation du temps alors ne dépendant en fait que des propriétés de la matière ou de l'anti-matière).

    Il pose que le Principe de conservation et un Principe cosmogonique d'une origine équilibrée peuvent conduire à un Œuf de photons (de "photonium") où se rencontrent ce qu'il appelle un "cosmon" (les neutrons de notre matière qui suivent notre ligne du temps) et un "anticosmon" (les antineutrons avec un temps symétrique).

    In other words the cosmon moves forward in time when it is expanding, and backward when it is contracting. The anticosmon (behaving symmetrically) moves backward in time when it is expanding, and forward in time when it is contracting. Each does this over and over again.

    Instead of an oscillating Universe, we have an oscillating double-Universe, the two oscillations being exactly in phase, and both Universes coming together to form a combined cosmic egg of photonium.


    Il règle ainsi l'existence de la charge électrique mais il lui reste encore un excédent d'énergie. Pour respecter son Principe cosmogonique d'une origine neutre ou équilibrée (qui a fonctionné pour la matière baryonique), il ajoute donc par stipulation une "anti-énergie", ce qui lui donne une quadruple oscillation, exigée seulement par des principes de symétrie sur des propriétés connnues.

    Il appelle ce modèle avec symétrie matière/antimatière le "Trèfle à Quatre Feuille", ce qui donne cette jolie fin, où il semble dialoguer avec les antinomies cosmologiques de la Dialectique transcendantale sur le temps et l'éternité (dont il avait déjà traité dans son roman sur le voyage dans le temps dix ans avant, The End of Eternity, 1955, où un univers au temps "paradoxal" se retrouve immergé dans un multivers).


    Quand le cosmon, l'anticosmon, le cosmon-négatif, et l'anticosmon-négatifs convergent tous les quatre, ils produisent - Rien.

    Au commencement, il n'y a Rien.
    A la fin, il n'y a Rien.

    Mais si nous commençons par Rien, pourquoi ne reste-t-il pas rien ? Pourquoi le devrait-il ? Nous pouvons dire que "0 + 0" et "+1 + (- 1)" sont des manières équivalentes de dire le "zero" ; et pourquoi l'une devrait-elle être plus "naturelle" " que l'autre ? La situation peut glisser du Rien au Quatre-Feuille sans difficulté, parce que rien d'essentiel n'a été changé par cette transition.

    - Mais pourquoi le passage devrait-il advenir à un moment plutôt qu'à un autre ? Le seul fait qu'il advient à un moment particulier signifie que quelque chose lui a fait effectuer ce passage.

    - Vraiment ? Que voulez-vous dire par temps ? Le temps et l'espace existent seulement en liaison avec l'expansion et la contraction des feuilles du Quatre-Feuilles. Quand les feuilles n'existent pas, le temps et l'espace non plus.

    Au commencement, il n'y a Rien - pas même le temps ou l'espace.

    Le Quatre-Feuille n'advient en aucun temps particulier et dans aucun lieu particulier. Quand il existe, le temps et l'espace existent dans un cycle d'expansion et de contraction qui prend 80 milliards d'ans. Il y a alors un intervalle intemporel et sans espace et encore une expansion et une contraction. Puisqu'il n'y a rien que nous puissions faire avec un intervalle intemporel et sans espace, nous pouvons l'éliminer et considérer que les cycles de l'expansion et de contraction se suivent immédiatement les uns après les autres. Nous avons alors un quadruple-Univers en oscillation, un Quatre-Feuille.

    Et qui prétend qu'il ne doit y en avoir qu'un ? Il n'y a aucune limite, aucune frontière, aucune extrémité, aucun bord au néant. Il peut donc y avoir un nombre infini de quatre-feuilles en oscillation, séparés par quelque chose qui n'est ni temps ni espace.

    Le relativisme conservateur



    Un des clichés du conservatisme est souvent qu'il lutte contre les tendances relativistes de la modernité. C'est toujours une manière habile d'habiller de philosophie des opinions dogmatiques.

    Pharyngula relève cette jolie contradiction du programme du Parti Républicain de l'Oklahoma, d'autant plus drôle dans sa juxtaposition (partie Education, art. 4 et 5).

    4. While the objective study of philosophy and religion can be beneficial, public schools should not be endorsing any specific religion or philosophy. We believe that students and teachers should enjoy the right of free exercise of religion.

    5. We support posting the Ten Commandments and our Nation's motto, “In God We Trust,” in all public schools in recognition of our religious heritage.


    Certes, (4) signifie qu'ils veulent la liberté de religion à condition que ce soit une des formes de christianisme (c'est ce qu'ils entendent par "non-spécifique"), tout en prétendant parfois "judéo-christianisme" (et tant pis pour les Républicains qui auraient le mauvais goût de vouloir être bouddhistes, comme une partie de ceux d'origine vietnamienne). L'égalité, à condition que cela ne soit pas pour tous.

    Ce qui me fait toujours le plus rire à chaque fois que les Républicains conservateurs insistent tant sur le symbole des 10 Commandements est le niveau dément de mauvaise foi ou de dissonnance cognitive puisqu'ils nient en fait ces 10 Commandements qu'ils ne connaissent même pas (2e commandement dans l'ordre juif, ils acceptent les statues, et 4e commandement, ils travaillent le samedi). Leur pratique même contredit leur prétendue norme, réduite à un "héritage" culturel, d'autant plus valorisé qu'il est inconnu, vidé et obsolète.

    Le plus drôle serait d'exiger des statues sur ces 10 Commandements qui les prohibent, en un double bind. Leur idolâtrie de leur "référence" en est en même temps une profanation, comme souvent dans des formes étranges de retour radical aux fondements, le désir de Loi comme transgression.

    lundi 27 avril 2009

    Vanka (1886) de Tchékhov


    Ванька est une célèbre et très courte nouvelle de Tchékhov écrite dans sa jeunesse de médecin en 1886, pour un périodique comme un "conte de Noël".
    Certains la jugent un peu "facile", "kitsch" ou "mélodramatique" dans un pathétique à la Andersen, mais je l'aime beaucoup par l'économie de la chute, comme s'il voulait montrer ironiquement qu'il pouvait aller plus loin que Dickens.


    Vanka Joukov, un gamin de neuf ans, en apprentissage depuis trois mois chez le cordonnier Akiakhine, ne s’est pas couché de la nuit de Noël. Il a attendu le moment où son patron et les ouvriers iraient à l’office du matin, a pris dans l’armoire une bouteille d’encre, un porte-plume à la plume rouillée et, après avoir étalé devant lui une feuille de papier froissée, s’est mis à écrire. Avant de tracer la première lettre, il a jeté des regards apeurés sur les portes et les fenêtres, regardé en coulisse l’icône sombre des deux cötés de laquelle partent des rayons chargés de formes à chaussures et poussé un soupir convulsif. La feuille de papier est sur le banc, lui-même est à genoux devant.

    - Mon cher grand-papa Constantin Makaritch ! écrit-il. Je t’envoie une lettre. Je te souhaite un bon Noël et que le bon Dieu t’accorde tout ce que tu souhaites. Je n’ai plus de père ni de maman, il ne me reste plus que toi.

    Il tourne les yeux vers la fenêtre obscure où se reflète la lueur de la chandelle et se représente, comme s’il le voyait, son grand-père Constantin, veilleur de nuit chez M-M. Jivarev. C’est un petit vieux maigriot, mais extrêmement alerte et ingambe, âgé de soixante-cinq ans, la figure toujours souriante et les yeux embués d’alcool. Le jour, il dort dans la cuisine des domestiques ou plaisante avec les cuisinières, la nuit, emmitouflé dans une ample touloupe, il fait le tour de la propriété en tambourinant sur une planche. Derrière lui, la tête basse, suivent la vieille chienne Katchanka et le petit Vioune, au poil noir et au corps allongé comme celui d’une belette. C’est un chien extrêmement respectueux et caressant, il a le regard aussi suave pour les étrangers que pour les siens, mais il ne jouit d’aucun crédit. Sous ses dehors déférents et doux, il cache une perfidie de jésuite. Il n’a pas son pareil pour s’approcher de vous à pas de loup au bon moment et vous happer la jambe, se faufiler dans la resserre aux provisons ou voler une poule à un paysan. On lui a bien souvent caressé les reins de belle manière, deux fois on l’a pendu, chaque semaine quelqu’un le laisse à demi mort de coups, mais il en revient toujours.

    À cette heure sûrement, le grand-père est devant la porte cochère, il cligne des yeux en regardant les fenêtres rouges de lumière de l’église du village et raconte des balivernes à la femme du portier en battant la semelle de ses bottes de feutre. Il a attaché sa planche a sa ceinture. Il se tape dans les mains, se recroqueville de froid et, avec un petit rire de vieux, pince la femme de chambre ou la cuisinière.

    - On s’offre une prise ? dit-il en tendant la tabatière aux femmes.

    Les femmes prisent et éternuent. Le grand-père entre dans un transport de joie indescriptible, rit à gorge déployée et crie :

    - Essuie toi, ça a gelé.

    Ils font aussi priser les chiens. Kachtanka éternue, secoue son museau et, vexée, s’éloigne. Vioune, en chien bien élevé, s’abstient d’éternuer et remue la queue. Il fait un temps magnifique. L’air est calme, limpide et frais. Il fait nuit noire, on distingue cependant tout le village avec ses toits blancs et ses spirales de fumée qui montent des cheminées, les arbres que le givre argente, les tas de neige. Tout le ciel est semé d’étoiles qui scintillent joyeusement et la Voie lactée se dessine aussi nettement que si on l’avait lavée et passée à la neige pour la fête.

    Vanka pousse un soupir, trempe sa plume et continue :

    - Hier j’ai reçu une râclée. Mon patron m’a traîné dehors par les cheveux et m’a battu à coups de tire-pied parce que je berçais le gosse et que je me suis endormi sans le faire exprès. Et puis cette semaine, la patronne m’avait dit de nettoyer un hareng, moi j’avais commencé par la queue, alors elle a pris le hareng et elle me l’a fourré plusieurs fois de suite sur la gueule. Les ouvriers se moquent de moi, ils m’envoient au débit chercher de la vodka et me disent de voler les cornichons du patron, puis le patron me tape dessus avec tout ce qui lui tombe sous la main. Et on ne me donne rien à manger. Le matin du pain, à midi du gruau, et le soir encore du pain, le thé et la soupe aux choux, c’est les patrons qui se les tassent. Je couche dans la pièce d’entrée, et quand le gosse pleure, je dors pas du tout, je le berce. Cher grand-papa, fais-moi une grâce du bon Dieu, sors-moi d’ici, emmène-moi à la maison, au village. J’y tiens plus… Je te salue jusqu’à terre et prierai éternellement Dieu pour toi, emmène-moi d’ici ou bien je mourrai…

    Vanka se mord les lèvres, se frotte les yeux de son poing noir et laisse échapper un sanglot.

    - Je te moudrai ton tabac, continue-t-il, je prierai pour toi, et s’il y a quelque chose qui ne va pas, tu me battras comme plâtre. Et si tu crois que je ne trouvrerai pas de place, je demanderai à l’intendant, pour l’amour de Dieu, de me faire nettoyer ses bottes, ou bien j’irai faire le berger à la place de Fédia. Mon cher grand-père, j’y tiens plus, c’est la mort, ni plus ni moins. Je me serais sauvé du village à pied, mais j’ai pas de bottes, j’ai peur de me geler les pieds. Quand je serai grand, en échange, je te nourrirai et je ne te laisserai pas faire de tort par personne, et quand tu mourras, je prierai pour le repos de ton âme comme pour ma maman Pélaguéïa.

    - Pour ce qui est de Moscou, c’est une grande ville. C’est tout des maisons de maîtres et il y beaucoup de chevaux, mais pas de moutons et les chiens ne sont pas méchants. Ici, les enfants ne vont pas de maison en maison avec un étoile et on ne laisse personne chanter dans le choeur, et une fois j’ai vu dans un magasin, à la vitrine, qu’on vend des hameçons tout montés sur le fil, il y en a pour toutes espèces de poisson, ils coûtent très cher, y en a même un qui peut porter un silure de trente livres. Et puis, j’ai vu des magasins où il y a toute espèce de fusils, du genre de ceux des maîtres, que je te parie que chacun vaut dans les cent roubles… Et dans les boucheries, il y a aussi des coqs de bruyère, des gélinottes, des lièvres, mais là où on les a tués, ça les garçons ne le disent pas.

    - Cher grand-père, quand il y aura l’arbre de Noël chez les maïtres avec des bonbons dessus, prends-moi une noix dorée et mets-la de côté dans le coffre vert. Demande-le à Mlle Olga, dis-lui que c’est pour Vanka.

    Vanka pousse un soupir convulsif et son regard s’arrête de nouveau sur la fenêtre. Il se rappelle que c’était toujours son grand-père qui allait dans la forêt couper le sapin de Noël des maïtres et qu’il emmenait son petit-fils avec lui. C’était le bon temps ! Grand-père soupirait, la terre gelée soupirait, et de les regarder, Vanka soupirait à son tour. D’ordinaire, avant de scier le sapin, le grand-père fumait une pipe, mettait un bon moment à prendre une prise, se moquait de Vanka, transi de froid… Les jeunes sapins, couverts de givre, demeuraient immobiles, se demandant lequel d’entre eux allait mourir. Sorti d’on ne sait où, un lièvre filait comme une flèche à travers les ras de neige. Le grand-père ne pouvait s’empêcher de crier.

    - Attrape-le, attrape-le… attrape-le ! Ah, bon dieu de lapereau.

    Le sapin une fois coupé, le grand-père le traînait chez les maîtres où on se mettait à le décorer… C’était surtout Mlle Olga, la préférée de Vanka, qui s’en occupait. Quand la maman de Vanka, Pélaguéïa, était encore de ce monde et servait comme femme de chambre chez les maîtres, Olga gavait Vanka de sucres d’orge; par découragement, elle lui avait appris à lire, à écire, à compter jusqu’à cent et même à danser le quadrille. Mais à la mort de Pélaguéïa, on avait expédié l’orphelin Vanka à l’office près de son grand-père et de là à Moscou, chez le cordonnier Aliakhine.

    - Viens, cher grand-père, continue Vanka, je t’en supplie au nom du Christ, emmêne-moi d’ici. Aie pitié de moi, malheureux orphelin, c’est que tout le monde me bat et j’ai horriblement faim et je m’ennuie tellement que ça ne peut pas se dire, je fais que pleurer. L’autre jour, le patron m’a donné un de ces coups sur la tête que je suis tombé par terre et que j’ai eu du mal à revenir à moi. J’ai une vie d’enfer, pire qu’un chien… Dis encore bonjour de ma part à Aliona, à Iégor le borgne et au cocher, et ne prête mon accordéon à personne.
    Je reste ton petit-fils,
    Ivan Joukov,
    cher grand-père, viens.


    Vanka plia sa feuille de papier en quatre et la mit dans une enveloppe qu’il avait achetée la veille pour un kopek… Il réfléchit un instant, trempa sa plume dans l’encre et écrivit l’adresse :

    Grand-père, au village.


    Puis il se gratte la tête, réfléchit et ajoute : - Constantin Makaritch -

    Content d’avoir pu faire sa lettre sans être dérangé, il met sa casquette et, sans même jeter sa pelisse sur ses épaules, se précipite dehors en bras de chemise…

    Les garçons bouchers, à qui il avait demandé la veille, lui avaient dit qu’on jette les lettres dans les boîtes aux lettres, puis qu’on les lève et qu’on les distribue dans le monde entier avec des voitures qui tintent. Vanka court à la boîte la plus proche et glisse dans la fente la précieuse lettre….

    Une heure après, bercé de douces espérances, il dort à poings fermés… Il voit un poêle en rêve. Sur le bord, jambes pendantes, pieds nus, son grand-père lit la lettre aux cuisinières… Vouine tournicote autour, la queue frétillante…

    La Cerisaie




    La Cerisaie d'Anton Tchekhov se joue encore au Théâtre de la Colline jusqu'au dimanche 10 mai prochain. Voir la longue critique de Jean-Pierre Thibaudat.

    Ce sera le "Chant du Cygne" et dernière mise en scène d'Alain Françon puisqu'il devra prendre sa retraite à 65 ans après treize ans à la tête de la Colline.

    J'avais déjà écrit le bien que je pensais de son adaptation d'Ivanov (1887), de son Platonov + Le Chant du Cygne (1880), et, brièvement, sur Les Trois Sœurs, 1901 (et j'avais mentionné la version scénique de la correspondance de 1901-1904 avec sa femme, l'actrice Olga Knipper).

    Anton Pavlovitch n'a que la quarantaine lorsqu'il écrit ce qui sera sa dernière pièce.

    Il la rédige avec difficulté dans sa propre cerisaie, dans la station balnéaire de Yalta en Crimée de 1901 à 1903, juste après le succès des Trois Sœurs.

    Six mois après la première de La Cerisaie, l'ancien médecin Tchekhov est emporté par la tuberculose dans la Forêt Noire. C'est donc à la fois le testament d'Anton Pavlovitch et l'ultime hommage que lui rendra Alain Françon à la Colline.

    Tchekhov y voyait la plus comique de ses pièces, il défendait ses gags et il fut en conflit avec Stanislavski qui la voulait beaucoup plus noire. Même si on nous apprend à nous défier de l'intention de l'auteur, Françon, tout en étudiant soigneusement les carnets de Stanislavski et en reprenant en partie son décor originel, par exemple pour la botte de foin de l'Acte II, a plutôt penché pour le dramaturge sur ce point. Ce décor impressionnant dans sa spectralité est d'ailleurs l'une des réussites de ce spectacle.

    "Ces gens dansent sur un volcan" (Alexeï Souvorine)



    La Cerisaie est une pièce d'autant plus sombre qu'elle déjoue le drame et qu'en un sens, il ne se passe rien. C'est une pièce nerveuse et drôle, mais tout se dénoue dans la déception des attentes.

    Une aristocrate ruinée revient pour sauver son dernier domaine, elle le perdra et il ne restera plus que le travail pour ses proches et une fuite en avant pour elle, en attendant que la ruine ne la rattrape.

    Pas de suicides et de grande déchirure comme dans La Mouette, rien que de petits deuils chuchotés, une fausse insouciance, pleine de déni et de regrets. Seulement la peine banale d'une vie qui continue, dans une espérance un peu naïve ou vague, les chagrins enfantins des maîtres et des serviteurs qui semblent se résigner à quelques minces illusions devant l'entropie.

    Lioubov Ranievskaïa est jouée par Dominique Valadié, compagne de Françon comme Olga Knipper, qui créa le rôle, était la compagne de Tchékhov. Lioubov est cette femme "dissolue", qui voudrait encore jouer à la femme passionnée alors qu'elle sait que son amant lui a dévoré tout ce qu'il lui restait. Elle est plus touchante qu'irritante, contrairement à la jeune veuve un peu plus idéalisée Anna Petrovna dans Platonov. Elle a parfois une certaine finesse et tente malgré son indolence d'agir avec une générosité (notamment vis-à-vis de l'ancien précepteur de son fils défunt) qui ne se limite pas à sa prodigalité.

    Le vrai personnage central est Iermolaï Lopakhine (Jérôme Kircher qui réhausse vraiment toutes les ambiguïtés), l'ancien fils de moujik (le Servage fut aboli quarante ans avant par Alexandre II). Dans certaines mises en scène, il peut devenir une sorte d'arriviste avare ou parvenu matérialiste, plein de ressentiment et d'envie contre ses anciens maîtres, le Capitalisme détruisant l'oisive Culture aristocratique. Ici, au contraire (conformément à une indication scénique de Tchékhov qui le voyait aussi comme un "homme comme il faut"), Lopakhine a plus de contradictions, à la fois plein d'affection sincère pour Lioubov - il semble bien chercher à l'aider en vain - et enivré par cette victoire sur ses origines et sur les maîtres de ses ancêtres. Lopakhine va transformer le domaine en lieu de villégiature et ce nouveau rapport du tourisme au monde est celui où le divertissement même est saisi par l'industrie.

    Хозяин и работник

    Tchékhov avait dit à son ami Souvorine qu'il en avait assez du cliché du "serf loyal" mais il a fait ici sa propre Dialectique du Maître et de l'Esclave. D'un côté, Lopakhine, le Serf qui par son travail va racheter les terres des Seigneurs selon la loi inexorable des saturnales ; de l'autre le vieux Firs (Jean-Paul Roussillon, très touchant), le Serf qui voit l'Emancipation de 1861 comme une "catastrophe" et qui a un rapport de tendresse paternelle vis-à-vis de l'irresponsable Leonid Gaev (Didier Sandre), le frère de Lioubov, лишний человек complètement aliéné et infantilisé par son domestique.



    La jeune fille de Lioubov, Ania, et la gouvernante et fille adoptive, Varia (Julie Pilod), ressemblent plus à la figure des femmes qui se tournent vers le Travail, notamment les Trois Soeurs ou Sonia Alexandrovna à la fin de L'Oncle Vania.

    Ania a un début d'aventure avec l'éternel étudiant Petya Trofimov (Pierre-Félix Gravière), parfois ridicule dans son idéalisme ("Je suis au-dessus de l'amour") et qui semble parfois un peu de mauvaise foi dans son éloge de l'ère nouvelle où le Travail va remplacer ces fêtes galantes (même si son verdict où la beauté de la Cerisaie se paye des Âmes Mortes du domaine semble vraiment le point de vue de Tchekhov lui-même). Mais dès qu'il se pose en donneur de leçons, on voit poindre une double ironie où il touche juste mais tombe aussi sous ses propres critiques.

    Le personnage le plus comique est la gouvernante allemande Charlotta (Irina Dalle), qui a une posture de Charlie Chaplin, mais je dois dire qu'elle m'a vite épuisé, peut-être parce que je ne suis pas vraiment sensible à tout l'humour du pantomime. Une meilleure trouvaille verbale me semble le grave parasite Semione Epikhodov (Clément Bresson), qui est accablé de guigne et essaye de jouer au philosophe.

    Dans l'Acte II, en une très belle métaphore invisible, Françon fait tirer Epikhodov au pistolet (je ne crois pas que ce soit dans le texte, dans mon édition, Epikhodov menace seulement de s'en servir un jour). Peut-être est-ce une allusion au principe dit du Pistolet de Tchékhov (ne jamais introduire un révolver dans un acte sans le faire tirer avant la fin de la pièce), symbole de toute construction narrative ici déçue ou avortée puisqu'il tire prématurément et sans autres effets.

    Il paraît d'après Thibaudat que c'est l'acteur Jean-Paul Rousillon (né en 1931) qui avait demandé à Alain Françon de remonter la Cerisaie pour pouvoir jouer le rôle du vieil octagénaire Firs et ses célèbres murmures inaudibles. Les adieux émouvants du vieux serviteur à la fin de la pièce, seul début de mort apaisée, coïncident donc avec d'autres conclusions, alors que les derniers Cerisiers tombent dehors sous la hache, les adieux au passé, aux jeux et aux domaines de l'enfance.

    dimanche 26 avril 2009

    Trader traditore



    Perle de copie :

    Il est possible de faire de l'argent avec de l'argent (le travail des traideurs).


    Il y a des traiteurs qui sont des alchimistes.

    samedi 25 avril 2009

    Les Super-Amarantes Mutantes contre Monsanto !



    Je ne sais pas si cet article sur les Super-Mauvaises Herbes résistant aux herbicides de Monsanto est sérieux (je trouve curieusement peu de sources en anglais pour confirmer l'histoire) mais la présentation dramatique de l'Evolution en Mouvement est réussie.

    Aujourd’hui, ce sont plus de cinq Etats du sud des Etats-Unis, la Géorgie, la Caroline du Sud, la Caroline du Nord, l’Arkansas, le Tennessee et le Missouri, qui subissent la fronde des "super mauvaises herbes", ou "superweeds", affirment les médias locaux.

    Comment cela a-t-il pu se produire ? Selon les universitaires, les agriculteurs d’outre-Atlantique ont abusé de la formule magique Roundup Ready, une combinaison aussi révolutionnaire que controversée qui lie l’herbicide Roundup et des semences. Semences dans lesquelles on a introduit un gène qui leur permettent de résister à cet herbicide.


    Cela va plaire aux "Oblomoffs".

    Cf. aussi l'article sur Futura (avec illustrations d'amarantes) :


    Le programme du gouvernement américain de recherches statistiques sur les pesticides et les risques associés aux produits chimiques sur des cultures comme le coton, le maïs, le soja et le blé est passé à la trappe, au grand dam des scientifiques.

    « Je ne serais pas surpris que Monsanto ait mené une campagne de lobby discrète pour mettre fin au programme », accusait alors Bill Freese, du Centre pour la Sécurité alimentaire des Etats-Unis (USDA), marquant publiquement son mécontentement.

    Alinguisme





    Le Président s'adresse aux lycéens dans leur langue :

    "la vérité, vous devez pas être bilingues,
    la vérité, c'est être trilingues"


    De la part de quelqu'un qui se dit américanophile sans faire l'effort d'apprendre l'anglais et qui massacre aussi sa propre langue maternelle dans l'énoncé, c'est en effet un sage conseil.

    Add. : Après avoir enduré la vidéo, je dois amender la retranscription : "La vérité, vous savez, je le dis pour les jeunes, vous devez pas être bilingues, la vérité, c'est que c'est trilingues aujourd'hui, parce que dans les autres pays européens, c'est bien ce qui se passe".

    wēijī (危機) ≠ [机]


    (Cliquez pour élargir)



    Comme dirait Brisset, dans "crise", il y a "cri".

    Sur le cliché "Crise = Danger + Opportunité", cf. l'explication du sinologue Victor Mair, la nuance par Gary Feng et la généalogie de ce topos par Benjamin Zimmer.

    vendredi 24 avril 2009

    La loi de Murphy et la douche



    (Hypothétique)

    • (1) Pourquoi est-ce toujours lorsque je décide de prendre une douche tard dans la matinée qu'on apporte une lettre recommandée ?

    • (Corollaire) Pourquoi est-ce toujours lorsque je décide de prendre une douche tard dans la matinée que les huissiers arrivent pour saisir le restant de ce que je devais alors qu'ils viennent déjà de bloquer mon compte en banque, en me demandant d'entrer alors qu'ils voient bien, avec une certaine hilarité quand même réprimée, que je suis nu sous le peignoir et que mes cheveux sont en train de dégouliner en formant une flaque dans le hall d'entrée ?

    Starlettisation



    Mme R. Dati a tenu des propos ridicules qui semblaient montrer de l'amateurisme et du mépris pour le Parlement européen, mais cela semble bien dépendre d'un contexte. De même, Fillon défendait avant-hier la phrase "Évidemment, si l'on ne veut pas voir cela, je vous remercie d'être venu, il y a de la lumière, c'est chauffé" parce qu'elle renvoyait sans doute à un contexte particulier du discours, à la salle même où était Badinguet. La désinvolture sarkozienne est cette "réactivité" pragmatique au contexte, qui détonne tant dès qu'elle devient publique.

    Mais pour ce qui est de la décrédibilisation des candidats vers le Parlement de Strasbourg, cela fait longtemps que la plupart des partis politiques y envoient les mauvais, les punis ou les retraités, et le Parlement "fédéral" est donc vu comme un exil sans intérêt (on comprend que Rama Yade ait résisté). Même quand il y a quelques stars en tête de liste, ils le quittent vite.

    Mais comme d'habitude, Berlusconi va encore plus loin dans le ridicule que son ami neuilléen avec un cours de formation accélérée pour les candidates du Pôle des Libertés, choisies uniquement pour leur valeur télégénique :

    Le alunne sono belle donne, tutte amiche del capo: questi i due criteri fondamentali che le accomunano. Poi, ovvio, vengono dalla televisione. Tra le aspiranti eurodeputate c’è Eleonora Giaggioli, che viene dalla terza edizione della fiction Elisa di Rivombros; Camilla Ferranti, dalla decima edizione di Incantesimo; Angela Sozio, la rossa boccolosa partecipante alla terza edizione del Grande Fratello già fotografata mentre studiava politica nei giardini di Arcore.

    E poi ancora Barbara Matera, concorrente di Miss Italia e annunciatrice. Devono essersi convinte dopo aver visto la veloce scalata al governo della loro collega Mara Carfagna, ora Ministro delle Pari Opportunità, che partiva con un curriculum televisivo decisamente più sguarnito del loro.

    Oppure si saranno ispirate al passato glorioso di star nostrane, pioniere della politica al femminile di Silvio: Iva Zanicchi, Carlucci o Gardini. Deve averle convinte lui, affabulatore seduttivo delle sue donne e della scena politica italiana. Esportatore delle reti televisive in Parlamento, organizzatore di casting per le elezioni.


    On attend le jour où il y nommera un étalon avec écurie de marbre et mangeoire en ivoire.

    jeudi 23 avril 2009

    Catharsis et Pharmakos



    Toute la planète s'est émue d'un télécrochet à la manipulation très efficace sur Susan Boyle (vue plus de 40 millions de fois !). Il y a une musique faisant monter un suspense autour du personnage, on nous présente une femme de province, presque quinquagénaire et d'apparence négligée, on l'humilie publiquement puis elle chante avec un don naturel étonnant le rôle de la pauvre Fantine (la Mère de Cosette) dans les Misérables et tous se mettent à pleurer en disant qu'elle était un "joyau caché", l'ange sous la laideur, tel le Silène socratique, et que nous avons tous été injustes avec elle, alors qu'elle comble en fait notre désir qu'elle contredise toutes les attentes. On sait qu'on est manipulé mais on se laisse manipuler, comme dans n'importe quelle fiction, bien que l'audition soit "réelle".

    Comme le dit Ilona Simons, la mise en scène est très classique.


    There's a Shakespearean purging here. We see an auditorium full of shallow people reject someone ugly. Then, we see her perform well. Then we, by way of independent judgment, embrace her. We feel proud of ourselves.

    But let it be known that this is exactly the sort of purging--like eating the Eucharist or pledging routine apologies--that allows us to return to former patterns.

    The set up (the ugly loser, the powerful man's false judgment, the ethical correction) was a way for superficial T.V. or for Simon Cowell to feel a little less guilty about himself.


    Northrop Frye décrivait dans Anatomy of Criticism la fonction du pharmakos littéraire comme bouc-émissaire, soit dans la simple dérision dans le mode comique, soit au contraire pour porter notre compassion (les modèles dramatiques les plus réussis étant le romantique Quasimodo ou bien par exemple le phénomène de foire Joseph Merrick).

    Mais après la purge de compassion et notre ressentiment contre ceux qui le persécutent, nous rejetons quand même le bouc-émissaire, tout en étant fiers avec complaisance de ne pas le faire. Nous l'apprécions d'autant plus que nous le repoussons inconsciemment, tout en se félicitant de lui avoir ouvert les bras.

    mercredi 22 avril 2009

    Comics de mars-avril 2009



    Juste de brèves capsules sans illustrations (les dernières étaient de février). Mes recommandations de ce bimestre seraient surtout Top 10 (Wildstorm), Black Panther (Marvel) et Iron Man (Marvel), ainsi que les séries écrites par D. Abnett & A. Lanning (dits "DnA"), Guardians, Nova et War of Kings. Green Lantern Corps (DC) va peut-être aussi être pas mal dans les épisodes à venir.

  • Multivers DC

    • Green Latern #39
      La guerre contre The Blackest Night commence alors que le scénario introduit un peu rapidement les nouvelles "couleurs" de Lanternes. Hal Jordan est désormais membre de la Lanterne bleue et de la Lanterne verte en même temps (représentant que l'espérance n'est rien sans la volonté) et Carol Ferris a été recrutée chez les Star Sapphires. Les Contrôleurs entrent dans le système Véga (carte du système) et on apprend une nouvelle explication pour laquelle ce système était interdit aux Lanternes : c'est le repaire de la Lanterne orange, celle de la Cupidité (l'explication traditionnelle était que les Gardiens de l'Univers culpabilisaient d'y avoir créé par manipulations génétiques l'étrange race des Psions). La Balafrée, la Gardienne corrompue, commence à intervenir plus directement. Il y a quelque chose d'un peu prévisible dans cette progression dramatique fatale, comme souvent chez Geoff Johns quand on voit les ficelles.

    • Green Lantern Corps #35
      Les Lanternes rouges envahissent Oa et délivrent les prisonniers (leurs ennemis, les Lanternes jaunes de Sinestro), alors que les autres Lanternes jaunes dirigés par Mongul ont conquis Daxam, la planète de "Sodam" qui l'avait fuie pour sa xénophobie. Sur Korugar, Soranik Natu retrouve son père, Sinestro. Le dessinateur Gleason me plaît moins que Reis sur l'autre titre mais l'histoire de Tomasi me paraît globalement plus intéressante que celle de Johns (en dehors de la parabole un peu lourde sur la xénophobie des Daxamites).

    • Justice Society of America #25
      La concentration de tous les pires défauts de Geoff Johns comme scénariste. Une histoire alambiquée et obscure de magie où le problème aussi bien que sa résolution n'ont aucun sens. Isis ressuscitée, Billy Batson et sa soeur Mary sont corrompus par la magie de Black Adam et comme il ne sait pas comment finir, le vieux Shazam revient encore une fois et reprend les pouvoirs de tout le monde. Johns utilise aussi son procédé presque routinier de "récurrence" d'un thème. De même qu'il a transformé les Green Lanterns en sept couleurs, il ajoute aux Sept Péchés capitaux gardés par Shazam Sept Vertus, idée qui paraît complètement inutile mais typique de sa manière d'extrapoler en généralisant.

    • Justice League of America #31
      La Ligue est en plein désarroi. Batman et Martian Manhunter sont tous les deux décédés pendant la "Crise Finale", Hawkgirl et le Flash ont quitté l'équipe. L'autorité de Black Canary est donc remise en cause et Hal Jordan, qui fait sécession avec certains membres, lui reproche l'inactivité de l'équipe depuis le #1 en disant que la Ligue n'a fait que réagir à des problèmes "personnels" au lieu d'agir concrètement (ce qui sonne un peu plus comme un reproche du scénariste actuel Dwayne McDuffie contre son prédécesseur Brad Meltzer...). Il est un peu décevant de voir DC après seulement trois ans nous refaire le coup de la dissolution de l'équipe, qu'ils rejoue périodiquement pour "relancer le concept". Le dessinateur Shane Davis imite bien le style du dessinateur habituel Ed Benes (ce qui, pour moi, serait plutôt un défaut).

    • R.E.B.E.L.S #3
      Un bon exemple d'une fausse bonne idée : Brainiac 2 (armé de messages renvoyés du futur de son arrière-petit fils Brainiac 5) retrouve au XXIe siècle une ancêtre de la Légionnaire Dawnstar (qui vivait au XXXIe siècle avec Wildfire). Il lui donne les mêmes pouvoirs qu'à Wildfire en transformant son corps en anti-matière sans lui demander son avis et elle s'appelle comme par hasard Wildstar. C'est stupide puisque cela fait de l'avenir une simple reconstitution confuse ou répétition rétroactive. Pendant ce temps, les Omega-Men luttent contre les androïdes de Brainiac 2 qui sont passés sous le contrôle de Starro. Je n'aime pas tellement les dessins, et l'idée de refaire la Légion au lieu de chercher plus subtilement à recréer une atmosphère proche est plutôt décevante.

    • Strange Adventures #1-2 / 8
      Les Rannites se sont réinstallés sur le monde de Starman et Adam Strange enquête sur la disparition d'étoiles (qui s'accompagne de la disparition de tout souvenir collectif de leur existence). Sur le monde artificiel de Hardcore Station, Comet lutte contre le démon Synnar qui possède le corps du Weird. Jim Starlin continue de développer sa mythologie personnelle (Hardcore et Weird étant ses créations) mais la greffe de son univers mystico-sf me paraît aussi ratée sur l'univers DC que la tentative depuis 30 ans de faire tenir le Fourth World de Jack Kirby. L'univers de sf DC me semblait avoir un optimisme technologique lié à l'Âge d'argent et cela semble bien compromis dans ces interminables métaphores sur la Religion comme pouvoir politico-économique et le "Choc des Civilisations" (Starlin met même des sous-titres au cas où on n'aurait pas compris l'allusion aux USA et au monde musulman, renvoyés dos à dos comme deux fétichismes, la "Cupidité" et le "Fanatisme").

    • Wonder Woman #30
      La guerre ultra-violente contre Génocide me lasse vraiment mais une autre intrigue pourrait être plus intéressante : Zeus après avoir créé son île de héros tous mâles comme pendant à celle des Amazones fait renaître un héros qui serait l'homologue de Wonder Woman. Héraclès a déjà été trop utilisé dans la mythologie de cette bd en tant qu'amant d'Hippolyta et il s'agit ici d'Achille, personnage qui pourrait un peu renouveler la tension (si l'auteur est aussi lettrée qu'Eric Shanower, elle saura, j'espère, qu'Achille a aussi été amoureux d'une Amazone, Penthésilée).


  • Indépendants

    • Age of Bronze #28 (Betrayal #9)
      La première bataille devant Troie se poursuit après la mort de Kyknos, tué par Achille. Cette première offensive grecque est un succès et les Troyens paniquent, malgré les efforts de Hector et Sarpedon (fils d'Europe, mais je ne sais qui est son père dans la version évhémériste et démythologisée d'Eric Shanower) pour les rallier. Un premier fils de la Maison de Priam tombe, un certain "Telestes". Palamède, le plus intelligent du camp grec, dispose les nefs noires des Grecs, se préparant à un siège long, et on voit monter la jalousie d'Agamemnon contre le fils de Nauplios, le roi d'Eubée. Sur la Porte Scée, Cressida, haïe des autres femmes en tant que fille du traître Calchas, affiche son amour pour Troïlos (la version de Shanower incorporant la pièce de Shakespeare en plus des textes anciens, ce qui va donner une relation où Cressida sera une nouvelle Desdémone).

      On commence à s'approcher de la période de l'Iliade et les scènes de batailles risquent de devenir un peu répétitives. En armures, les nombreux personnages se ressemblent encore plus.

    • Ex Machina Special #4/4
      Une histoire bien construite du point de vue formel sur les questions morales de la responsabilité et l'environnement, mais la structure ne rend pas l'histoire très intéressante pour autant. Vaughan est un des meilleurs scénaristes mais il se laisse parfois trop guider par des idées sans que les personnages aient beaucoup de chair. C'est un comic très autoréférentiel puisqu'on lit sur papier non-recyclé que le maire devrait intervenir contre les comics sur papier non-recyclé (et si vous le lisez en le téléchargeant, cela reste ironique puisqu'il y a un débat sur "la mort du medium imprimé").

    • Rex Mundi #17
      Julien survit au Graal comme on pouvait s'y attendre mais il y a enfin un retournement intéressant puisqu'on apprend qu'en fait il n'est pas l'Elu, contrairement à ce qu'on croit depuis le début et même qu'il n'y a pas d'Elu et que de nombreux humains peuvent être guéris par ce Graal dès qu'ils ont le gène adéquat (un Peuple élu à la place du Messie, en quelque sorte). On revient donc à une sorte d'explication pseudo-scientifique au lieu du cliché mystique de l'Elu, ce qui est un peu rafraichissant après tous les tropes qui ressemblaient tant à Da Vinci Code (même si l'auteur s'en défend en disant que c'est Brown qui a plagié les mêmes sources que lui). L'histoire se conclut un peu vite et Julien ressuscite la plupart des victimes massacrées dans les derniers épisodes, ce qui paraît être une facilité.

    • Savage Dragon #148 (Free Comic Book Day)
      Dragon, qui a réintégré la police de Chicago, a enfin une pause dans ses nombreux problèmes (il est devenu veuf et sa petite amie l'a laissé tomber en blamant son incapacité au travail du deuil). Il rencontre le vieux superhéros de l'Âge d'Or, Daredevil (créé en septembre 1940). En passant, j'ignorais qu'il y avait eu en fait deux versions de ce personnage : dans ses premières apparitions, Daredevil est muet après un choc traumatisme bien pire que Batman : il a vu ses parents se faire tuer et il a été ensuite torturé par les bandits qui voulaient lui faire avouer où était l'invention de son père. Est-ce là l'origine de la cécité du Daredevil de Marvel ? J'avais toujours cru que cela venait plutôt du héros des pulp's The Bat. Dans les numéros suivants, l'origine du Daredevil originel changea (il a été élevé par des Aborigènes d'Australie) et il parle sans problème. Cela explique l'histoire incompréhensible dans Project Superpowers avec deux Daredevils différents.
      Ces versions de Daredevil sont désormais dans le domaine public mais les éditeurs n'osent pas utiliser son nom de peur d'un procès de Marvel qui créa en 1964 le Daredevil actuel, sans doute inspiré par le premier (chez AC Comics il est donc Red Devil et chez Dynamite il est Death-Defying Devil). Le personnage de l'Âge d'Or a même un lien lointain avec Watchmen puisqu'il fut le modèle pour le héros de Charlton Comics Thunderbolt, qui inspira Ozymandias.

    • Top 10 (Season 2) #4 & Special #1
      Après les imitations de drame policier, l'hommage aux drames juridiques, très réussi. Shock-headed Pete (qui représente depuis le début le flic capable de bavure) perd le contrôle et détruit son collègue robot Joe Pi. On a ensuite un saut dans le temps où il vit désormais avec l'androïde "Girl Two" (alias Sung Li), qui a quitté la police et est devenue une avocate dans le genre d'Ally McBeal. Irmageddon (qui, elle aussi, a craqué) doit avoir un entretien avec le Docteur Gautama, un psychologue qui a l'air d'être aussi un bodhisattva qui récuse toute la pop psychology de manière très réjouissante. Sans doute l'un des meilleurs comic-book en ce moment.


  • Marvel

    • Mighty Avengers #23
      Des trois titres Avengers actuels (sans compter Secret Avengers), c'est le plus "traditionnel" puisque l'équipe reformée fait un peu un retour aux sources, avec des membres d'origines dirigés par Hank Pym (qui a pris le nom de son ex-femme défunte, Wasp). Cette première histoire les confronte au Grand Ancien Chthon, dont les pouvoirs chaotiques sont liés à ceux de la Sorcière Rouge, mais il y a un retournement ironique puisque même cette équipe est en fait manipulée en secret par son plus vieil ennemi depuis Avengers #1 (1963), le dieu Loki.

    • New Avengers #51
      Avec le titre de Bendis, on a un autre style, plus "contemporain" et à la narration toujours assez "décompressée". Doctor Strange cherche celui qui doit lui succéder et il semble que ce soit Wiccan des Jeunes Vengeurs (qui serait en fait la réincarnation du fils de la Sorcière rouge et de la Vision). Spider-Man rejoint aussi l'équipe et leur divulgue à nouveau son identité (puisque tout souvenir de son secret avait été effacé par Mephisto dans Brand New Day).

    • Dark Avengers #3
      L'équipe officielle des Vengeurs de Norman Osborn doit être l'un des seuls comic-books où quasiment tous les personnages, alliés comme ennemis, sont tous des criminels non-repentis et/ou des psychopathes. Osborn y apparaît, cela dit, un peu plus intelligent et intéressant, entre deux crises de folie. Il manipule le schizophrène Sentry en faisant opérer une sorte de "transfert" original : tu peux te fier à moi qui puis comprendre ta folie comme je suis aussi fou que toi et que je contrôle mes "Voix". Le discours cathartique entre fous remplace ainsi l'idée d'une parole thérapeutique rationnelle.

    • Black Panther (vol. 5) #3
      T'challa, tué par le Docteur Doom, est officiellement décédé et on commence à suivre son voyage dans l'Au-delà. Son épouse, la reine Ororo lance aussi des rituels pour aider à sa résurrection. Le Wakanda commence donc le rituel pour intrôniser la nouvelle Panthère noire, sa soeur Shuri. Un des grands avantages de ce changement est qu'on évite un peu de l'arrogance omnipotente de T'challa qui était devenu depuis le volume 3 de Christopher Priest une sorte d'homme parfait inhumain dans le genre de Reed Richards. Mais on se doute que dans une douzaine d'épisodes, T'challa aura ressuscité et reprendra son titre.
      Une autre bonne idée de Hudlin est de jouer sur le Totemisme, qui est après tout le fondement de toute la série. Il peut être ennuyeux de voir la Panthère lutter encore une fois contre le Totem-Gorille ou le Totem-Lion mais Morlun, le Mangeur d'esprits totémiques, s'impose dans ce titre bien plus que contre le "Totem-Araignée" dans Spider-Man.

    • Captain Britain and MI:13 #12
      Lady Jacqueline Falsworth-Crichton, alias Spitfire, la superhéroïne centenaire, a basculé dans le vampirisme transmis par le Baron Blood. Le Prince des Vampires Vlad Dracula lance son attaque avec sa fille Lilith contre Blade et l'équipe britannique. Vlad nous signale aimablement au passage au cas où on ne l'avait pas saisi que le Vampirisme est une métaphore pour la lutte des classes et l'aristocratie britannique vivant comme "prédateurs" sur la société anglaise.

    • Eternals (vol. 4) #9
      Cet épisode final de la série révèle que tout ce qui arrivait avait pour but de faire passer un seuil à Tiamut le Céleste qui Rêve. On a donc un retournement romantique du thème luciférien ou prométhéen : il était décrit depuis le début de cette bd comme l'Ange Rebelle (et il avait été puni pour avoir voulu éradiquer l'espèce humaine) et il devient ici l'Ange sauveur de l'Humanité dont le Maître des Célestes (le "Fulcrum") voulait qu'il s'oppose à lui pour le faire passer au "Libre-Arbitre". Ce thème gnostique ou plutôt william-blakien était déjà annoncé dans la mini-série écrite par Neil Gaiman mais c'est donc une inversion de l'idée originelle des Eternels. Les Célestes de la mythologie kirbyenne sont plutôt des êtres lovecraftiens incompréhensibles et amoraux (ce qui était très bien vu dans la série Earth-X où ils n'incarnent qu'une forme de vie cherchant à se reproduire et ne manipulant les autres formes de vie que comme des "anti-corps" contre Galactus). Ce mélange entre deux traditions aussi opposées que le Monothéisme gnostique et l'Athéisme lovecraftien me paraît finalement de mauvais goût et décevant. Une des définitions de l'univers Marvel est justement cet arrière-fond lovecraftien athée et donc l'absence d'une téléologie ou d'une axiologie objective (par opposition à l'univers DC qui garde souvent une référence transcendante "morale" depuis le Spectre).

    • Exiles #1
      Jeff Parker est l'un des meilleurs scénaristes actuels chez Marvel (voir son excellent Agents of Atlas), mais j'ai des doutes sur les limites de la formule d'Exiles. On réunit des versions alternatives de superhéros Marvel et on les envoie à chaque épisode dans une nouvelle Terre parallèle lutter contre d'autres versions alternatives. Cela devient vite répétitif et vain comme un songe, si on n'a pas l'impression d'une histoire un peu suivie qui ait une attache à la Terre "principale" normale de la continuité fictive (la Terre dite "616"). La nouvelle équipe est dirigée par Morph (qui est l'un des personnages les plus drôles en imitation du Plastic Man de DC) et compte des versions de Blink, Beast (Terre-763), Black Panther (Terre-1119), Forge (Terre-2814), Polaris (Terre-8149) et Scarlet Witch (Terre-8823). Il y a donc deux époux d'Ororo (Forge et peut-être Black Panther s'il était une version de T'challa) et deux filles de Magneto (Lorna et Wanda).

    • Guardians of the Galaxy #12
      L'histoire poursuit en fait de vieilles intrigues lancées par Mark Gruenwald dans sa série trop négligée Quasar au début des années 90 : Quasar (Wendell Vaughn) revient, récupère ses bracelets quantiques (voir Nova, infra) et Phyla-Vell devient l'Avatar de la Mort en échange de la résurrection de Heather, fille de Drax et maîtresse de Phyla. Drax le Destructeur, Phyla-Vell de l'Entropie et Dragon-de-Lune (qui est une sorte de dieu cthulhuoïde de plus) font une trinité d'anti-héros assez originaux pour l'équipe des Gardiens (qui compte déjà l'assassin Gamorra, le Messie artificiel Adam Warlock et l'Androgyne mystique Starhawk, qui est en fait le fils de Quasar et Kismet/Her/Paragon dans le futur alternatif de Terre-691, lié avec sa femme-soeur Aleta).

    • Invincible Iron Man #12
      Les choses vont mal pour Stark puisque ses deux alliées, Maria Hill et Pepper Potts (alias Iron Woman) sont capturées (un peu stupidement) par les hommes de Norman Osborn. Un détail m'a fait rire dans cet épisode : de toute évidence, il y a aussi un effondrement du Dollar dans la Terre-616 comme Osborn précise à ses assassins qu'ils seront payés en Euros.

    • Ms. Marvel #37
      Le ton de ce titre a énormément changé depuis quelques numéros puisque c'est devenu plutôt une atmosphère de thriller d'espionnage sombre. Carol Danvers échoue dans son plan de vengeance contre Ghazi Rashid et je regrette parfois que le scénariste semble inconsciemment toujours l'enfermer dans une spirale de l'échec. C'est un titre qui ne cesse de se demander pourquoi il ne se vend pas mieux, mais la faire toujours échouer ne risque pas d'améliorer les choses. Moonstone, des Dark Avengers, remplace officiellement Carol mais il se peut qu'on voit bientôt un retour de son identité de Binary ?

    • Nova #22
      Robert Ryder a pris la place de son frère Richard dans le Nova Corps reformé par le Worldmind mais Richard reçoit du fantôme de Quasar (voir Guardians of the Galaxy) les bracelets quantiques, ce qui en fait le nouveau successeur au titre après Wendell Vaughn et Phyla-Vell.

    • Amazing Spider-Man #588
      La conclusion de la relance du titre après 43 numéros au rythme "trimensuel" depuis janvier 2008 (donc l'équivalent de trois ans normaux concentrés en un an). Le feuilleton a été dans l'ensemble réussi autour de l'intrigue des Elections Municipales de New York, de la série de crimes accusant Spider-Man et du retour de la famille Osborn. L'identité de Jackpot, en fait une inconnue, a été ratée (rappelant l'idée originelle de Steve Ditko qui a quitté le titre dans les années 60 contre Stan Lee, parce qu'il voulait que le Green Goblin soit en fait sans aucune relation avec Peter Parker) mais celle de Master Menace a été au contraire une vraie surprise. L'effet principal de toutes ces histoires est de remettre le centre autour de Peter Parker et Harry Osborn (alors que les fans du film ont déjà vu Harry avoir sa rédemption et mourir dans Spider-Man III). Personnellement, je trouve la scientifique Carlie Cooper bien plus intéressante que Mary-Jane Watson comme petite amie mais on sait bien qu'elle tombera dans l'oubli comme Debra Whitman et que le retour de MJ est inévitable en raison de l'inertie des comic-books.

    • War of Kings #2/6
      Un épisode politique intéressant où les Inhumains, qui viennent de prendre le contrôle de l'Empire Kree, mènent une campagne pour gagner la popularité de leurs nouveaux sujets, ce qui ne va pas vraiment de soi quand on connaît le racisme kree et le fait que les Inhumains avaient été créés génétiquement comme une race de soldats pour les Kree (c'est donc un peu comme les Janissaires qui prennent le contrôle du Sultan). Les auteurs anglais DnA font en passant une allusion à Lady Di, comme Crystal devient la "Princesse du Peuple" pour faire accepter la dynastie inhumaine à la population. La seconde bonne idée est les nouvelles Sentinelles Kree, améliorées avec des pouvoirs tirés directement de Black Bolt. La contre-offensive contre l'Imperium Shi'ar commence, mais Lilandra a été capturée par Vulcan, ce qui va conduire, j'imagine, à une révolte d'une partie de la Garde Impériale.
  • mardi 21 avril 2009

    L'avenir et l'illusion



    Il faut parfois se méfier de Wikipedia, je viens de voir que l'entrée L'Avenir d'une illusion de Freud commençait par dire depuis sa création en 2005 que Freud "hésitait entre mélancolie et confiance en Dieu", ce qui est complètement absurde.

    Je n'ai pas osé virer toute la phrase mais j'ai corrigé en "confiance dans la raison". On peut faire de nombreux reproches au livre de 1927 mais certainement pas d'hésiter dans son côté Aufklärer - même si Freud conclut plaisamment en disant qu'il ne suit que le Dieu λόγος (au sens de la rationalité et non pas d'un νοῦς transcendant ou d'une médiation divine).

    Comme je traverse une phase d'exploration de la psychanalyse, voilà un bref résumé de ce court texte, relativement peu "technique", l'entrée Wikipedia étant déjà bien développée mais parfois un peu obscure. En revanche, je ferai peu attention à la distinction entre mon commentaire et ce qu'il dit explicitement.

    L'Avenir d'une illusion (1927) a dix chapitres.

  • I Freud distingue deux sens principaux à la culture humaine :
    (1) l'ensemble des moyens pour dominer la nature et satisfaire nos besoins ;
    (2) les dispositifs pour régler les rapports humains et la répartition des ressources.

    Il y a un progrès clair dans le premier sens (scientifique/technique) de la culture mais pas nettement dans le second sens (économique/politique/moral) où la majorité des individus ressentent la société et la civilisation comme des contraintes d'une minorité qui les gouvernent.

    Or cette répression des passions et la contrainte au travail sont nécessaires, mais tous ne sont pas capables de la comprendre. Il faut donc réussir à concilier l'individu avec la culture, et il n'est pas certain que l'hostilité contre la culture puisse être réduite seulement par l'éducation.

    Freud dit par allusion qu'il refuse de se prononcer sur "l'expérience" tentée depuis dix ans en URSS ("quelque part entre l'Europe et l'Asie") mais il semble bien qu'une minorité capable de réprimer ses pulsions restera nécessaire face à la masse (il n'utilise pas l'expression de "sublimation" des pulsions sexuelles, qui sera plutôt étudiée dans Malaise dans la culture deux ans après).

  • II : Il faut passer de l'économie à la psychologie individuelle. Les contraintes primitives de la culture sont des interdits qui sont de plus en plus intégrés. Ce sont principalement le cannibalisme, l'inceste et le meurtre (en commençant par le parricide, cf. Totem et Tabou, 1913 qui imagine une explication "paléontologique" ou "phylogénétique" derrière ces interdits).

    L'intériorisation de ces interdits est le développement du surmoi. L'individu névrosé est hostile à la culture et aux interdits qu'il a mal intériorisés.

    Cependant, si elle réprime des pulsions, elle offre aussi des satisfactions de substitution. C'est notamment la fierté narcissique des idéaux d'une culture (par exemple, la fierté nationale) et l'art - satisfaction esthétique que Freud semble réduire ici à un cas particulier de la fierté narcissique alors qu'il reviendra sur l'hypothèse (un peu vague) de la sublimation dans Malaise dans la culture).

  • III Ce qui vient compenser l'hostilité à la culture, et donc aux autres hommes, est la conscience du conflit avec la nature et ses dangers.

    L'expérience fondamentale est l'état de détresse (ou "désemparement", Hilflosigkeit, état d'impuissance, la traduction actuelle invente le mot "désaide") face à la nature.

    L'état de détresse du nourrisson pour subvenir à ses besoins (et notamment face à la mère) est la cause de sentiments d'angoisse, qui trouvent leur solution dans un désir d'un père. [On remarquera à quel point la mère est vite escamotée dans le scénario explicatif.]

    L'homme va donc humaniser la nature en projetant des pères et des dieux pour chaque passion, puis dans un "progrès" du monothéisme un Père unique et omniprésent pour chaque individu.

  • IV A partir de cette section, Freud passe de la "psychogenèse" assez feuerbachienne, voire positiviste, à un "dialogue" avec un interlocuteur fictif qui serait en partie son ami et collègue, le Pasteur Oskar Pfister.

    Le problème théorique qui se pose dans la psychanalyse est de savoir s'il y a évolution entre cette théorie générale fondée sur cette expérience de l'état de détresse et la théorie plus précise, 14 ans avant, dans Totem et Tabou, qui reposait plutôt sur l'Oedipe et le "complexe paternel" (parricide puis identification avec le Père pour expliquer les interdits alimentaires contradictoires du totémisme qui demandaient à la fois de ne jamais manger le Totem en tant qu'ancêtre et de le sacrifier rituellement de manière périodique).

    Freud répond que cela complète mais ne contredit pas son scénario précédent qui portait sur le Totémisme primitif (et les interdits du cannibalisme ou de l'inceste) et non pas sur la religion en général.

  • V Puis le dialogue devient plus philosophique sur la question de la rationalité des croyances. Des croyances non-confirmées empiriquement peuvent être raisonnables (par exemple ds croyances historiques ou par ouï-dire) mais dans le cas des croyances religieuses, elles seraient en fait plus fragiles si la culture n'impose pas de contraintes pour éviter de les soumettre au doute.

    La religion n'aura donc que deux voies face à la raison, soit le fidéisme (en refusant toute explication rationnelle), soit une solution philosophique de la fiction comme idéal régulateur pratique (interprétation presque pragmatique du kantisme, Hans Vaihinger, Philosophie des Als Ob, 1911).

  • VI Mais en réalité, les religions ne tirent pas leur force de leur statut de croyances mais du fait qu'elles expriment un Désir (tout comme les rêves selon L'Interprétation des rêves, 1900).

    Ce sont des illusions, et non pas des erreurs (croyances fausses). Une personne qui se fait des illusions peut même réussir parfois à la rendre réelle ou la satisfaire. Certaines illusions en revanche sont tellement invalidées par la réalité qu'elles relèvent en fait d'idées délirantes, complètement opposées à tout discours rationnel.

    (En passant, Freud mentionne la croyance en la "supériorité culturelle indo-germanique" comme un exemple d'illusion)

    La croyance en un Ordre moral du monde est irréfutable et il y aurait même un avantage à ce que cela soit vrai. Mais c'est justement parce que cela nous avantagerait qu'on peut supposer que c'est du wishful thinking et qu'il y a peu de raison de penser que nos ancêtres plus ignorants aient eu accès mieux que nous à une connaissance à ce sujet.

  • VII Freud répond à l'objection morale que l'abandon de la religion aurait des effets pratiques destructeurs en poussant à ne plus craindre de châtiments.

    Il n'y a pas de risque moral pour les individus capables de discipline morale (le seul risque que Freud admet est pour l'image de la psychanalyse comme discipline scientifique qu'il faut distinguer d'une "vision du monde" que veut soutenir Freud).

    Nous ne croyons plus dans la religion et même la philosophie qui prétend donner une version purifiée de Dieu dans le déisme est de mauvaise foi et a en fait abandonné toute la force psychologique du Dieu personnel.

  • VIII La religion est (en gros) équivalente pour une culture à une névrose obsessionnelle (Zwangsneurose, la nouvelle traduction dit "névrose de contrainte") pour un individu.

    Le développement mûr de l'humanité consistera à passer de ce refoulement inconscient au travail rationnel, progressivement jusqu'aux masses.

  • IX Freud affirme donc son espoir dans un progrès à venir. Le fait que la perte de ce Père soit douloureuse n'est pas un argument. De même que l'enfant doit grandir en affrontant ses névroses et la réalité, de même l'humanité devra aussi s'affranchir de la religion.

  • X La dernière question du dialogue est celle (mi-nietzschéenne, mi-pieuse) que le pasteur Pfister publia réellement dans un article critique appelé "L'Illusion d'un Avenir" : N'y a-t-il pas aussi une illusion rationaliste ou scientiste, symétrique de ce qui est analysé comme illusion de la religion ?

    Freud répond que le risque est possible mais que ce serait alors une illusion corrigible et non pas une idée délirante.

    Il fait alors une sorte de Profession de foi envers la Raison (le "Dieu λόγος en conflit avec l'Ἀνάγκη de la nature").

    La différence entre l'illusion religieuse et l'illusion de la science est donc que nous pouvons admettre que ces illusions rassurantes ou infantiles soient fausses. Le point commun est l'espérance de moins de conflits humains et de moins de souffrance, mais pour le religieux, cette espérance porte pour tous les humains dans un au-delà fictif alors que pour l'incroyant, elle se retreint à des humains futurs dans un avenir possible.

    [C'est sans doute ce passage assez atypique qui déplut ensuite à Freud qui parla de l'infantilisme de ce texte, alors qu'il évolua vers une vision plus pessimiste et misanthrope par la suite.]

    Freud conclut "La science n'est pas une illusion mais ce serait une illusion de croire que nous pourrions recevoir d'ailleurs ce qu'elle ne peut nous donner."
  • Musiques de films générationnels



    J'ai écouté (distraitement) Adieu, De Gaulle, De Gaulle (un film sur la fuite à Baden Baden de 68, qui a au moins l'intérêt de rappeler à quel point Alain Peyrefitte était vraiment un opportuniste) et un aspect de la réalisation est l'accompagnement musical, qui me semble avoir été exclusivement anglo-saxon (par exemple, je crois qu'il y avait José Feliciano, mais je n'ai pas tout identifié). C'était un peu curieux pour représenter l'inconscient des manifestants maoïstes ou anarchistes ou bien parfois même en entrant dans le point de vue gaulliste.

    On peut imaginer soit (1) que la musique française médiocre de type yéyé n'aurait pas assez de gravité, (2) que la musique française de meilleure qualité ne serait pas assez associée à 68, (3) que le réalisateur est inconsciemment déterminé par d'autres films "générationnels", qu'ils soient américains ou non, où certaines chansons américaines un peu élégiaques (California Dreamin' par exemple) représentent mieux la nostalgie des années 60.

    Mais dans le cas d'un film un peu politique (même si le vrai thème semble être l'angoisse personnelle de De Gaulle face à la déréliction), cela donne un écart curieux où on a l'impression que le réalisateur américanise rétroactivement le passé gaulliste, en une période un peu moins globalisée. La jeunesse de l'époque, à en juger par le succès de certaines adaptations ou traductions directes, devait encore assez peu connaître les originaux.

    lundi 20 avril 2009

    Insécurité



    Tout le monde a déjà dû copier cette image mais il se peut que ce soit à nouveau hors-contexte (et Gordon Brown avait le même complexe d'infériorité).

    Pendant ce temps, "l'Affaire des excuses" continue de rebondir stupidement.

    (1) Badinguet fait une phrase idiote en petit comité avec son procédé misologue habituel ("moi, ch'uis p't'être pas très malin, maiiis...") en parlant de Zapatero (mais en fait il visait Jospin). On oublie qu'il s'est aussi ridiculisé dans la forfanterie en cherchant à se faire passer pour le héros du G20 qui aurait tout appris à Obama et à Merkel (il aurait partiellement raison sur le fait que le gouvernement Merkel avait mis très longtemps à admettre l'importance de la Crise mais dans les mois qui précédaient). Bien sûr, il dément mais personne ne croit une seconde au démenti.

    (2) Royal s'embourbe dans une excuse inutile qui agace tout le monde mais qui ne mérite pas qu'on revienne dessus, encore moins que pour les propos de départ.

    (3) Lefebvre - dont il faut admirer la capacité à rester dans son rôle de type haïssable et méprisant - demande son internement médical.
    Jack Lang dit qu'il présente des excuses à l'Espagne pour les excuses de Royal et que les propos n'ont jamais été tenus (alors qu'ils viennent encore une fois d'être confirmés par un autre vendu, Kouchner).

    (4) Pujadas (le présentateur de France 2) demande - au nom de qui ? - à Royal pourquoi elle ne demande pas pardon au Président de la République.

    (5) Royal lui demande si, si elle disait que "Pujadas n'est peut-être pas très intelligent mais il présente bien le journal", il le prendrait pour un compliment. En fait, on prendrait surtout la seconde proposition pour une erreur de jugement, mais j'imagine qu'on entendra dès demain que Royal a affirmé que Pujadas était un crétin (thèse soutenable mais qui n'a rien à voir avec l'hypothèse qu'elle considérait).

    Ein Tier, das einen Herrn nöthig hat



    Kant dit dans l'Idée pour une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique (1784) que l'homme est "un animal qui a besoin d'un maître (au sens littéral de seigneur)", mais il ajoute que ce maître étant lui-même un homme, il a donc aussi besoin d'un seigneur (car la nature humaine est "un bois tordu") et ainsi de suite. La conclusion télélogique est bien que quelle que soit la justesse d'une telle banalité augustinienne ou hobbesienne, il faudrait bien se fier au développement de l'autonomie sans devoir dire qu'il faudrait "attendre que les hommes soient prêts à être libres".

    John Pomfret raconte que la star internationale de Hong Kong Jackie Chan a déclaré samedi que la Chine avait peut-être trop de liberté maintenant et que cela conduisait au chaos : "Les Chinois ont besoin d'être contrôlés", ce qui fut applaudi par le public (on entend exactement les mêmes propos de poutiniens en Russie).

    Le correspondant en Chine propose deux interprétations : l'une charitable, que Jackie Chan voulait flatter le pouvoir pour des raisons commerciales ou pour éviter la censure, l'autre, que Chan, qui a bien savouré les bienfaits du capitalisme, est sincère et qu'il exprime vraiment un sentiment des Chinois les plus favorisés qui sont heureux du régime actuel tant qu'il garde sous contrôle les plus pauvres. Ce serait alors un vrai message politique reflétant l'Oligarchie au pouvoir.



    Sans rapport (car la Chine est la Californie en comparaison), mais Foreign Policy a un reportage avec photos en Corée du Nord qui donne des images très rares de l'Etat-prison. Il y aurait 22 millions d'habitants mais on voit ces rues désertes en plein jour et ces magasins éteints où une vendeuse doit s'habiller chaudement à la caisse en attendant le rare touriste étranger (ce qui est aussi raconté par Guy Delisle dans sa bd, Pyongyang).

    Un débat sur les hausses d'impôt pour les plus riches



    The Economist a organisé un Débat sur la thèse que les riches devraient payer plus d'impôt.

  • Pro: Thomas Piketty défend la proposition et propose au lieu du bouclier fiscal à 50% un impôt de 80% sur ceux qui touchent plus d'un million d'euros par an (en gros 0,2% de la population, cela ne concernerait donc pas 99,8% des gens).

    Il a trois arguments. (1) L'argument politique est que les inégalités se sont creusés et ont de plus avantagé les plus riches : les 1% les plus riches passant de 10% du PIB vers 1979 à 23% aujourd'hui, ce qui revenait aux taux de 1928. Or l'indignation sur ces inégalités croissantes pourraient avoir des effets plus gênants contre l'économie (par exemple par le protectionnisme) qu'un impôt plus progressif. (2) L'argument économique est que dans le cas des très hauts salaires des dirigeants d'entreprise, il n'y aurait pas d'effets de distorsion du marché ou d'effets sur la productivité d'ensemble. (3) L'argument historique est qu'un tel taux de 80% ne ferait que revenir à des taux de la période de Roosevelt, et même à tout le taux moyen de FDR jusqu'à Reagan, sans que cela gêne la croissance économique du capitalisme.

  • Contra Chris Edwards (économiste auprès du Cato Institute, fondation libertarienne) répond que le quintile supérieur paye déjà proportionnellement plus (il est pour un taux unique pour tous...) et qu'au contraire l'Etat disposerait de plus d'argent s'il baissait encore plus les impôts sur les tranches supérieures qui augmenteraient alors leur production et auraient moins de raisons pour faire de l'évasion fiscal. Toute hausse d'impôt coûterait en fait plus cher qu'elle ne rapporterait en baissant la productivité. La majorité des contribuables sont des parasites sur ce quintile plus producteur saigné par l'Etat. Augmenter les impôts augmenterait les programmes gouvernementaux inefficaces et corrompus et gênerait la croissance. Il finit en citant l'exemple canadien qui a pu réduire les impôts et la dette en même temps.

  • Pro Piketty répond que les faits ne confirment pas la théorie qu'une hausse d'impôt sur la tranche supérieure ferait baisser ainsi la croissance. Les gains des PDG les plus favorisés (par exemple les PDG d'AIG) bénéficient d'externalités et non pas de leurs apports réels à la production. Le but de la hausse d'impôt sur les 1% n'est pas d'augmenter les revenus fiscaux mais de limiter cette défaillance du marché et une inégalité croissante.

  • Contra Le Libertarien répond qu'il n'y a pas eu de transfert des revenus puisque les plus riches ont créé plus de richesses, par exemple Steve Jobs d'Apple. (1) Argument politique : Si leurs revenus ont augmenté après les baisses d'impôts, c'est qu'ils étaient trop imposés avant. Il serait injuste de faire ainsi des exceptions pour les plus riches. (2) Argument économique : Les salaires et compensations des PDG sont en partie dépendants du Marché aussi. (3) Argument historique Les taux élévés d'imposition pouvaient exister avant la Crise de 73, à l'époque des cours d'échange stables et avant l'explosion des mouvements de capitaux qui a mis en concurrence les systèmes fiscaux et a donc conduit nécessairement à cette baisse d'impôt.

  • Pro Enfin, Piketty répond qu'il veut défendre l'économie de marché par ce taux d'imposition (à la place d'une intervention directe du gouvernement). il reconnaît que l'évasion fiscale et la mise en concurrence des systèmes crée des externalités. Cela peut se règler au niveau fédéral des USA ou de l'UE, en faisant aussi pression sur les "paradis" fiscaux.

  • Contra Edwards conclut que Piketty est un dangereux extrémiste mais qu'il a l'Histoire contre lui et que les impôts continueront de baisser. Johnny Halliday prouve que des impôts trop élevés conduisent à une fuite des cerveaux. La hausse toucherait des entrepreneurs comme Bill Gates et briderait leur créativité en nuisant au cercle vertueux des investissements. La conclusion est morale : Piketty serait trop abstrait et ne connaîtrait pas assez les vrais entrepreneurs.


  • Le vote final du débat fut finalement presque à 50/50% avec une victoire mince pour Piketty.

    Un des éléments du débat que je n'ai pas compris est celui sur "l'élasticité" des gains du Capital. Edwards disait qu'elle était près de 1, Piketty qu'elle était nettement en deça de 0,5, mais je ne comprenais pas bien l'enjeu.

    Edwards a les passages les plus involontairement drôles (Johnny Halliday comme preuve de la fuite des cerveaux, il fallait oser). Je suis bien sûr biaisé en faveur de Piketty en raison de mes préjugés sociaux-démocrates - surtout qu'il est contre-intuitif de voir le Libertarien parler d'extrémisme alors que ses propres propositions d'un taux unique, Flat Tax, n'existe quasiment qu'à la droite la plus ploutocratique du Parti républicain. Il est dommage que Piketty ne réponde pas toujours à tous les arguments d'Edwards (mais d'un autre côté l'usage qu'Edwards fait de Saez me paraît hors-sujet).

    On ne peut pas s'empêcher en lisant Edwards de penser à la célèbre citation H.L. Mencken (lui-même d'ailleurs un anti-rooseveltien primaire) sur le fait que l'économie, la "Dismal Science", est une "science serve", comme la théologie, car "L'économie politique touche les employeurs des professeurs là où ils vivent".

    Quand Edwards dit que le phénomène le plus marquant de ces trente dernières années est la violence fiscale contre les plus riches même quand leurs revenus explosent, on n'a plus de doute qu'on est dans l'idéologie pure.