Other Suns (FGU, 1983) de Niall C. Shapero n'est pas officiellement un jeu Basic System mais il fut bien conçu à l'origine comme une sorte de "RuneQuest dans l'Espace" (même si les règles ont été rendues un peu plus complexes). Shapero le proposa, dit-on, à Chaosium, qui le refusa (peut-être parce qu'ils préparaient déjà la license de Ringworld ?) et il fut finalement édité par Scott Bizar de FGU. FGU était pourtant déjà connu pour son Space Opera et concurrençait donc son propre jeu, mais ces premiers temps du jeu de rôle n'avaient pas vraiment de stratégie de ligne éditoriale.
Niall Shapero a dit avoir développé l'univers d'Other Suns à partir de ses propres écrits dans les années 60-70 mais aussi de l'univers des romans de CoDominium de Jerry Pournelle et Larry Niven. Dans cette continuité, les deux ennemis de la Guerre froide, l'URSS et les USA, ont fini par fusionner en une dictature militaire américano-soviétique à la fin de la Guerre froide et Shapero y a repris aussi le nom Alderson pour sa compagnie de construction de vaisseaux. Il y a donc souvent des références à des noms russes, ce qui est assez rafraichissant par rapport à l'américano-centrisme habituel.
Mais autant Pournelle ou le jeu Space Opera avaient un anti-communisme explicite (les règles de Space Opera précisent que tout monde communiste sera nécessairement pauvre et dictatorial), autant Other Suns semble bien plus ouvert à la possibilité que d'autres formes de gouvernement pourraient fonctionner quelque part dans l'univers. Il y a notamment une colonie humaine, Bakunin, qui est anarchiste.
Mais la grande originalité de cet univers est qu'Other Suns est l'un des très rares univers de SF qui ne soit pas humano-centrique. Les Humains n'y sont qu'une race mineure, vassale des Altani dans l'Hégémonie L'Doran. Ces Altani ressemblent à des "Vulpidés", des Renards bipèdes anthropomorphes.
Shapero avait en effet aussi rejoint vers cette période la culture de fans de comics zoomorphiques qu'on appelle souvent des "Furries". Le ghetto des Furries a acquis une sorte de stigmate chez les autres fans parce qu'ils ont souvent clairement un fétichisme érotique sur les dessins de mammifères vaguement anthropomorphiques (cela explique, même tongue in cheek, la désapprobation chez Maliszewski). Le jeu a donc inclus non seulement les Altanis créés par Shapero mais d'autres races aussi "furries" d'autres artistes et fans de ces premiers forums. Other Suns n'est pas à proprement parler un "jeu furry" (comme le sont par exemple Albedo, Shard ou World Tree), c'est un jeu "avec des furries" puisqu'on peut aussi jouer des humains.
Les Humains sont sous la tutelle des Altani. Les Altani sont une race intéressante et détaillée. Shapero a même décrit plusieurs sous-cultures et leurs valeurs, pour éviter l'impression si courante de "monoculture" extraterrestre. Les L'Drey sont un autre peuple cousin des Altani mais qui vivent comme Nomades dans leurs vaisseaux spatiaux, car ils avaient fui leur monde en raison des persécutions anciennes contre les télépathes. Tous ces Vulpidés ont peut-être le défaut de paraître un peu trop parfaits, plus beaux, plus intelligents que les Humains. Ils ont des pouvoirs psi alors que les Humains n'en ont pas. Ils feraient presque penser aux "Elfes" dans certains jeux fantastiques. Pour imaginer l'univers d'Other Suns en termes de Traveller, c'est un peu comme si l'Imperium était dirigé par des Vargr qui auraient une culture plus proche des Zhodanis.
Les autres races principales sont les Ata'a (qui ressembleraient à un mélange entre un centaure et une otarie - voir cet exemple de personnage), les Bjora (de très grands Ursidés), les Dakti (la race la plus inclassable qui selon les stades de ses métamorphoses ressemble à un saurien, un crabe ou une libellule), les H'reli (Félidés anthropomorphes), les Korli (des sortes d'écureuils géants), les Sanchenzi (des Lions anthropomorphes - plus "furry" que les Aslans), les Skiltaires (qui ressemblent à des Mustelidés, des belettes télépathiques) et enfin les Urquoi (de grands sauriens). Des suppléments non-publiés (là) mentionnent une autre race terrienne manipulée génétiquement, les Khromatai, qui sont aussi des Mustelidés mélangés avec d'autres mammifères terriens au lieu d'être une "évolution parallèle".
L'Empire terrien issu de la dictature américano-soviétique a été détruit dans une grande guerre entre les Terriens et l'Hégémonie L'Doran. La Terre a été détruite et les Humains du jeu descendent au XXVIe siècle de mondes souvent persécutés par l'Empire terrien (certaines planètes utilisées par le Goulag du Complexe Militaire américano-soviétique) et qui ont plutôt pris l'Hégémonie L'Doran comme des Libérateurs. La nouvelle Commonalité de l'Homme est un ensemble de colonies humaines (comme New London ou New Jerusalem, la capitale) à l'intérieur de l'Hégémonie et ils ont été influencés par la tradition des Dissidents russophones qui étaient devenus la principale opposition au gouvernement terrien (d'où la présence des anarchistes sur la planète Bakounine). Chaque planète a trois scores sociopolitiques : le degré de Statisme (avec 18 Etat quasi-totalitaire et 0 anarchie), le degré de Rationalisme (avec 18 archipositivisme scientiste et 0 mysticisme obscurantiste) et enfin la sévérité des lois sur les armes (A seule l'Armée peut porter des armes dangereuses, B il y a une liberté du port d'armes, C c'est la Somalie ou l'état de nature). Les Altani qui dirigent l'Hégémonie sont plutôt S18/R17A (des communistes progressistes) alors qu'en moyenne les mondes humains sont plutôt S9R15B (libéralisme de l'Etat comme Mal nécessaire mais assez confiants dans la science). L'Hégémonie L'Doran est tellement avancée scientifiquement qu'elle commence même à explorer le Voyage dans le Temps (livre I, p. 46) mais cela changerait l'optique du jeu.
Curieusement, il y a une carte de la planète New London (au dos du deuxième livret Starships & World-Building) mais aucune carte stellaire des positions ou distances de ces mondes dans la Communalité Humaine. Etant donné la vitesse des vaisseaux d'Other Suns (plusieurs douzaines d'années-lumière en une heure), les mondes peuvent être assez éloignés.
Le système de jeu est assez proche du Basic habituel : des caractéristiques de base à peu près sur 20 pour un Humain et des compétences en Pourcentages à partir des caractéristiques.
On reconnaît bien les origines du système de RuneQuest. Au lieu des 7 caractéristiques habituelles sur 3d6 ou 2d6+6 (Force, Intelligence, Pouvoir, Constitution, Dextérité, Charisme, Taille), Other Suns a divisé Pouvoir en trois : Volonté, Force d'attaque télépathique et Force de Résistance télépathique (les Humains ont peu de chances d'avoir des pouvoirs psis, ils tirent la Force d'attaque avec 1d6-5 cela concerne plutôt les autres races), et le jeu a distingué Constitution et Endurance (tiré avec 4d10). La Taille est aussi assez différente : on crée d'abord la Longueur (pour un Humain mâle 110 + 6d20, donc une moyenne de 173 cm - les jeux de SF étaient souvent métriques dans les années 70-80, contrairement à GURPS) et une Carrure de 3d6, ce qui permet ensuite de dériver une Taille = Longueur/10 + Carrure/3 - 1 (donc entre 12 et 28, ce qui n'est plus la même échelle que RQ qui est entre 8 et 18 pour un Humain).
Les Points de vie, au lieu d'être simplement la moyenne de Constitution et Taille sont une opération qui combine Constitution/3 -3, Taille*2/3, Endurance/4 - 5 et Volonté/8 - 1. Les Points de vie sont ensuite répartis dans les différentes zones du corps, comme Other Suns a gardé de Runequest la localisation des coups.
Comme souvent dans les jeux inspirés par Basic, les bonus apportés par les caractéristiques aux compétences sont un peu trop compliqués à calculer sans un logiciel, avec des moyennes et des soustractions inutilement lourdes (mais au moins les bonus peuvent être plus élevés que dans Runequest où le bonus se borne souvent à +5% ou +10%).
L'Expérience préalable pour déterminer les scores des compétences est relativement simple mais assez spécialisée. On choisit un Domaine d'études et on ne sera compétent que dans ce domaine (et même que dans un sous-domaine spécialisé). Il y a les Scientifiques (Biologie, Chimie, Informatique, Mathématiques, Physiques, Planétologie, Linguistique, Sapientologie), les Colons, les Commerciaux, les Criminels, les Ingénieurs, les Espions, les Juristes, les Gardiens de l'ordre, les Officiers (spécialisés en Contact, Communications, Sécurité, Armement), les Soldats, les Arts Martiaux, les Médecins et les Experts en Survie. Comme l'ambiance du jeu est plus proche du socialisme de Star Trek que de l'individualisme de Star Wars, on est un peu poussé à choisir une carrière d'Officiers militaires de l'Hégémonie "bienveillante et éclairée". Le livre décrit même 263 niveaux de hiérarchie militaire dans l'Armée de l'Hégémonie. Les joueurs rejoindront probablement le Star Arm (équivalent de "Star Fleet") mais il y a aussi une branche "paratemporelle" chargée d'étudier les Voyages dans le Temps.
Comme il y a une localisation des coups, il faut acheter des Armures pour chaque zone. Comme dans Traveller, une tenue synthétique peut avoir des effets très différents entre un simple coup massif et un rayon laser.
Dans la technologie d'Other Suns, les Vaisseaux sont parmi les plus rapides des jeux de rôle (à part ceux de Core Command qui doivent franchir des galaxies entières). Les Vaisseaux de Traveller ne vont souvent qu'à environ 3-20 années-lumière (1-6 parsecs) par semaine. Les plus gros Vaisseaux de Star*Drive peuvent atteindre 50 années-lumière par semaine. Les Vaisseaux de Space Opera vont à 15-30 années-lumière par jour (donc autour de 1 année-lumière/heure). Un petit chasseur dans Empire Galactique peut aller jusqu'à 50 années-lumière par heure et l'astronef le plus rapide, le Scattership d'Other Suns va jusqu'à 60 années-lumière heure (ce qui veut dire qu'il ferait la distance Terre-Proxima du Centaure en... 4 minutes).
Conclusion
Malgré tous ces Aliens peu réalistes zoomorphiques, l'univers d'Other Suns a le charme pittoresque d'une création qui n'est pas si générique, même si cela reste très peu développé, comme le seul supplément, Alderson Shipyards, fut un guide de 15 Vaisseaux supplémentaires. L'idée d'un univers où les Terriens sont une race mineure d'exilés sous un Etat extraterrestre me paraît assez inaccoutumée et ce décalage est rafraichissant, même si ces Vulpidés sont un peu trop parfaits.
Le système est (en dehors de quelques calculs dans la création de personnage) relativement simple, surtout si on est habitué à ce système d100. Il faudrait sans doute réviser un peu la création pour que les personnages soient un peu moins spécialisés et incompétents (RuneQuest avait d'ailleurs le même problème). Les règles de localisation des coups ralentissent un peu les combats mais peuvent être amusantes avec certains ETs à l'anatomie compliquée (comme ces Daktis au corps de libéllule). Il est plus jouable que Space Opera, même s'il n'a peut-être pas toute la souplesse de Traveller.