jeudi 30 septembre 2010

Verdict à Ayodhyā


Après plus de 18 ans de tensions violentes (et plusieurs décennies de procédures), la justice indienne est arrivée à un verdict sur le conflit d'Ayodhyā, qui va diviser la zone en trois, deux pour deux groupes d'Hindous, une pour les Musulmans.

La petite ville d'Ayodhyā, la "Cité Invincible" en sanskrit, dans l'Uttar Pradesh, est l'un des principaux sites sacrés des Hindous puisqu'il s'agirait de l'antique cité royale du héros divin Rāma (aussi appelé simplement "Shri Ram" ou "Seigneur Ram", 7e Avatār de Viṣṇu, héros de l'épopée le Rāmāyaṇa). Les Hindous ont pu dire que Rāma était adoré sur le site depuis l'Antiquité et qu'il y avait un temple sur son lieu de naissance, le Ram Janmabhoomi (les archéologues semblent bien avoir confirmé qu'il ne s'agissait pas d'une légende ou reconstruction traditionnelle).

Mais le conflit naît à la conquête musulmane. En 1527, le Sultant moghol Babur (1483—1531) a vaincu les seigneurs hindous sur place et il fait construire la Babri Masjid, la Mosquée de Babur aussi appelée la Masjid-i Janmasthan (Mosquée du Lieu de Naissance) sur le site de l'ancien Ram Janmabhoomi.

Mais curieusement, les données historiques deviennent contradictoires et il semblerait que malgré les persécutions de certains Sultans, les Hindous aient pu continuer au fil des siècles à adorer Rāma sur le site des Collines de Ramkot, malgré la Mosquée de Babur. Au XIXe siècle, les Britanniques avaient déjà divisé les cours du Temple/Mosquée en une partie intérieure pour les Musulmans et une cour extérieure pour les Hindous.

A partir de l'indépendance de l'Inde en 1948, les Hindous ont aussitôt pu réclamer plus ouvertement le site. Ils ont commencé à installer de facto un nouveau temple en fermant la Mosquée et en dressant de nouvelles Idoles du dieu Rāma (la ville ayant une large majorité d'Hindous). Le Premier ministre Nehru tenta de faire retirer les idoles mais les autorités locales refusèrent. Des associations musulmanes tentent dès les années 1960 de restaurer l'usage du culte musulman dans l'ancienne Mosquée.

En 1992, la crise éclate quand les militants des Partis nationalistes hindous comme le B.J.P. mais aussi le Viśva Hindu Pariṣad (V.H.P. dont le projet du temple de Rama est l'un des articles fondateurs) et les shivaïstes d'extrême droite du Shiv Senā, viennent finalement détruire la Mosquée de Babur pour restaurer le Temple.

Ce n'est en fait pas vraiment à Ayodhyā qu'il y aura le plus de victimes mais plutôt dans le reste de l'Inde quand la nouvelle commence à créer des émeutes, manifestations et contre-manifestations entre les Musulmans et les Hindous (plusieurs centaines de morts). Des Musulmans mettent le feu à un train qui ramenait des militants ayant participé à la destruction de la Mosquée et cela entraîne un cycle de représailles.

Depuis 1992, plusieurs membres du BJP ont été poursuivis pour avoir incité à cette attaque illégale contre la Mosquée de Babur mais la situation de facto a peu évolué. La Cour suprême indienne a renoncé à se prononcer sur plusieurs propositions musulmanes et hindoues. Les commissions d'enquête ont tellement craint de nouvelles guerres religieuses qu'elles ont dissimulé leurs conclusions en huis-clos. Les découvertes archéologiques ont conforté la thèse hindoue d'une structure hindoue recouverte sous la Babri Masjid mais les Musulmans ont aussitôt critiqué ces études. En 2005, cinq terroristes musulmans (venus, semble-t-il, de groupes de la Province du Cachemire) ont à leur tour tenté de faire sauter le nouveau Temple provisoire de Ram Janmabhoomi mais furent tués par la police avant d'avoir atteint leur objectif.

La Haute-Cour d'Allahabad (d'ailleurs présidée en ce moment par un Juge catholique, mais il n'a pas dirigé ces débats) a publié une décision de 8000 pages sur tous les problèmes juridiques sur les droits de propriété sur ce terrain si contesté.

Mais la décision du partage semble plutôt satisfaire les Hindous, en entérinant le fait que le nouveau Temple de 1992 continue une tradition antérieure et que la Mosquée de Babur de 1528 avait de toute manière conservé contrairement à la tradition musulmane un culte d'idoles. La cour intérieure aura maintenant aussi officiellement le culte de Ram.

Les Musulmans et le Parti du Congrès ont été plus circonspects. Les Musulmans font appel vers la Cour Suprême (tout comme certains Hindous) mais le Parti du Congrès semble au moins se réjouir que le verdict n'a pas relancé d'émeutes, ce qui serait un signe que l'Inde se remet en partie de cette crise.

On compare un peu abusivement la situation avec celle de Jerusalem. Le site de la Cité sacrée d'Ayodhyā est vraiment fondamental pour les Hindous vishnouïstes alors que la Babri Masjid du XVIe siècle ne pourrait pas prétendre jouer le même rôle pour les Musulmans indiens que la Masjid Qubbat As-Sakhrah (Dôme du Rocher) d'al-Aqsa, l'un des plus hauts lieux saints de l'Islam depuis ses origines au VIIe siècle.

Le problème politique est donc de réussir à amadouer la large majorité hindoue qui estime que le Temple de l'un de ses principaux dieux avait sa place légitime sur son lieu présumé de naissance, tout en condamnant l'instrumentalisation politique par le BJP (et le VHP).

  • Par ailleurs, je pense que Mme Penchard ne sera pas la mieux placée pour éviter des divisions entre les citoyens de divers archipels.
  • mercredi 29 septembre 2010

    [JDR] le Tarot de Blade of Arcana



    J'avais énuméré l'an dernier plusieurs jeux de Tarots fantastiques mais j'avais notamment oublié le jeu de rôle fantastique japonais Blade of Arcana (ブレイド・オブ・アルカナ).

    L'originalité est que toute la cosmologie du monde et même ses règles sont inspirées des 22 Lames du Tarot. On tire même trois cartes spéciales à la création du personnage (le passé, le présent et le futur) pour savoir ce qui détermine le personnage.

    Les 22 Lames sont les mêmes même si elles ont reçu un nom latin légèrement différent et qu'elles sont à chaque fois associées à une classe de personnage :
    • 0 Ventus (les âmes, les voyageurs et les troubadours, le Fou ou Mat)
    • 1 Effectus (les forces de la nature, le Magicien ou Bateleur)
    • 2 Creata (la vie artificielle, la Papesse)
    • 3 Mater (l'Eglise, l'Impératrice)
    • 4 Corona (la Noblesse, l'Empereur)
    • 5 Finis (l'Immortalité, le Pape)
    • 6 Eros (l'amour, métempsychose, animaux, les Dragons, les Amants)
    • 7 Adamas (les Chevaliers et Gardiens, le Chariot)
    • 8 Ardor (les Guerriers et Mercenaires, la Force)
    • 9 Phantasma (le Verbe et les Illusions, l'Ermite)
    • 10 Axis (la Magie, la Roue de la Fortune)
    • 11 Lex (le Chasseur de primes, la Justice)
    • 12 Aqua (la famille et la recherche des sources, le Pendu)
    • 13 Gladius (les assassins, la Mort)
    • 14 Angelus (l'Innocence, la Tempérance)
    • 15 Diabolus (les démonistes, le Diable)
    • 16 "Furcifer" (les Elfes, les Wolfens, les traîtres, la Tour ou Maison-Dieu)
    • 17 Stella (le Héros ou le Guide, l'Etoile)
    • 18 Luna (les espions et les voleurs, la Lune)
    • 19 Dextra (les ingénieurs et alchimistes, le Soleil)
    • 20 Ignis (les archers, le Jugement)
    • 21 Orbis (la magie antique, le Monde)

    Elles sont toutes assez claires, sauf peut-être la 16e, フルキフェル (furukiferu, Lucifer ?), où je ne comprends pas bien le rapport entre elfes et félons.

    Blade of Arcana ressemble un peu à l'Europe médiévale mais il y a des différences amusantes, notamment le fait que le Messie (la fille de la Mère du Salut, Mater, 3e Arcane, aussi appelée en japonais "Martel") s'est incarnée en femme et que donc l'équivalent de l'Eglise catholique à Ostie est dirigée par une Papesse, avec une hiérarchie de prêtresses célibataires. Elle fut capturée et tuée par des flèches à 33 ans. Le Livre de la Vérité transmet son enseignement.

    C'est alors que commencèrent à apparaître les Gravés, qui portent chacun trois Stigmates liés aux Lames des Arcanes et à la "Chaîne des Ténèbres" qui a éclipsé la Déesse créatrice. Ces avatars des Arcanes sont à la fois des apôtres et des martyrs car ils portent des péchés qui peuvent les submerger.

    D'après le peu que j'ai pu lire, le territoire du jeu, l'Haiderland (Haiderurando, qui a l'air d'être l'Allemagne, mais avec des parties bien plus exotiques qui irait de l'Afrique à l'Irlande) est maintenant divisé en deux interprétations comme en plein XVI-XVIIe, catholique autour du pouvoir d'Ostie et réformée (qui acceptent le mariage des Prêtresses). Il y a aussi des races non-humaines, Elfes, Nains, Wolfen et Zarumu (hommes-saumons ?).

  • Par ailleurs, je pense que Mme Penchard devrait aller tirer les cartes vers une autre destinée.
  • Marx trop Mancunien : Un Récit de Deux Cités




    Dans son analyse de ce qui est vivant et ce qui est mort chez Karl Marx, l'économiste de Berkeley Brad DeLong aime faire des oppositions régionales : Marx a commencé comme philosophe rhénan trop hégélien (1844), il est devenu activiste parisien (vers 1848) puis il a fini en économiste britannique en Post-Ricardien (les travaux économiques à partir des années 1860-1870, sauf quelques séquelles hégéliennes fétichistes dans la prose). En somme, il lui aurait manqué d'être devenu assez anglais.

    Mais DeLong fait un scénario What If encore plus détaillé : une partie des erreurs de Marx selon lui sur le capitalisme ou la paupérisation du prolétariat viendraient des conditions particulières urbaines de Manchester dans le Nord-Ouest (où se trouvait l'usine d'Engels) par opposition au vrai centre de la Révolution industrielle à Birmingham (West-Midland).

    The British interests of the German partnership of Ermen and Engels were not in London or in Birmingham but instead in Manchester. Engels's 1845 Condition of the Working Class in England, cribbed for section 1 of the Manifesto, was about the condition of the working class in Manchester.

    Yet as Asa Briggs (1963) stressed most strongly, Manchester was not typical of England.

    Briggs quotes Tocqueville's descriptions of Manchester as a city with "a few great capitalists, thousands of poor workmen and little middle class" compared to Birmingham with "few large industries, many small industrialists... workers work in their own houses or in little workshops in company with the master himself... the working people of Birmingham seem more healthy, better off, more orderly and more moral than those of Manchester..."

    Briggs speculated that Engels's book would have been very different indeed had Ermen and Engels's interests been elsewhere than Manchester: "his conception of ‘class’ and his theories of the role of class in history might have been very different.... Marx might have been not a communist but a currency reformer..." (p. 116)

    C'est peut-être une plaisanterie du Baron Briggs. Même si Marx connaissait ces différences sociales et industrielles, n'aurait-il pas simplement dit que la pluvieuse "Cottonopolis" était le "dévoilement" de Birmingham tant qu'il n'assistait pas à un processus où le développement moins violent de Birmingham aurait pu influencer celui de Manchester ?

    Will Thorne (1857-1946) fut un socialiste de Birmingham qui finit certes assez conservateur comme de nombreux socialistes après la Grande Guerre mais il a cité sa jeunesse misérable à Birmingham comme un facteur de son engagement (ce fut d'ailleurs Eleanor Marx, l'une des filles de Karl, qui l'aida à apprendre à lire).

  • Par ailleurs, je pense que Mme Penchard retrouverait peut-être d'autres théories plus équitables si elle devait changer de contexte.
  • Divide et impera



    Dans la catégorie "funny because it is obvious" (la scène fut écrite en 1980, 7 ans après l'entrée du Royaume-Uni dans le "Marché commun").



  • Par ailleurs, je pense que Mme Penchard diviserait trop pour mieux régner.
  • [comics] DC Double Entendre



    Cela fait longtemps que les comic-books mainstream ne sont plus pour enfants mais dirigés vers des adultes qui ont une nostalgie régressive de leur enfance. Même les dessins animés visent clairement un public plus "adolescent" dans l'innuendo (et c'était une ancienne tradition depuis Tex Avery). Dans cet épisode de Batman: The Brave and the Bold ("The Mask of Matches Malone"), écrit par Gail Simone, qui est passé le week-end dernier sur le Cartoon Network, Bruce Wayne est devenu amnésique et a créé une nouvelle identité et un empire criminel. Les "Birds of Prey" Black Canary et la Chasseresse (qui, rappelons-le, était la fille du premier Batman sur Terre-2) avec Catwoman font intrusion dans son repaire et se mettent à chanter un air aux insinuations assez directes sur la sexualité des héros DC (Green Arrow ne tire pas droit, Flash est trop rapide et Aquaman est un poisson froid).



  • Par ailleurs, je pense que Mme Penchard devrait partir chercher d'autres proies.
  • mardi 28 septembre 2010

    Marionnette en politique



    Qui pourrait ne pas être jaloux de la marionnette rouge Elmo, même si son seul gimmick est qu'il parle de lui à la 3e personne ?

    Non seulement il est devenu depuis 25 ans la plus célèbre des marionnettes de Sesame Street et a maintenant eclipsé les autres aux Etats-Unis (il n'existait pas dans la version française de 1978-1982 qui n'utilisait que Toccata - Big Bird -, Mordicus - Oscar the Grouch - et Macaron - the Cookie Monster) mais il a de toute évidence séduit Katy Perry (qui me semble mieux imiter Bettie Page que beaucoup d'autres imitatrices récentes, même si elle fait aussi bien sûr penser à Zooey Deschanel).

    Enfin Elmo est le seul être fictif (de fourrure) à avoir eu droit à une audition devant le Congrès. Il était appelé en 2002 par un représentant républicain de Californie (connu pour son ultra-conservatisme et sa perspicacité limitée) pour témoigner sur l'utilité de l'éducation musicale (c'était peut-être le seul moyen de convaincre George W. Bush de regarder C-Span).

    Ce précédent d'Elmo suffit à rappeler que ces auditions ne sont depuis longtemps plus que des spectacles télévisés et plus vraiment des rituels sacrés de la délibération démocratique. On comprend donc bien que les Républicains et Fox News prétendent refuser le témoignage sarcastique de Stephen Colbert la semaine dernière sur la question des travailleurs immigrés clandestins dans l'agriculture (tout en conservant son personnage de conservateur, il préconisait, en tant que militant catholique "social", de légaliser au moins certains de ces travailleurs illégaux pour éviter leur exploitation).

  • Par ailleurs, je pense que Mme Penchard devrait avoir plus de temps pour témoigner sur l'équité des distributions de fonds entre les différents DOM-TOM.
  • lundi 27 septembre 2010

    Nocturnes de Kazuo Ishiguro




    "Come Rain or Come Shine", d'Harold Arlen (1946), chanté par Ray Charles (1959)

    Bien que nous soyons pressés, impatients et peu concentrés, nous ne lisons pas assez de nouvelles. J'ignore pourquoi. Peut-être sommes-nous insatisfaits d'investir du temps autour du contexte fictif si on a pu l'épuiser en une seule lecture ? Les éditeurs redoutent même le genre, qui se vend mal (en moyenne 25% de ce qu'un auteur réussit à attirer d'habitude), et ils déguisent parfois les recueils pour que le lecteur occasionnel ne les identifient pas trop facilement (c'est un problème pour la science-fiction, littérature d'idées particulièrement adaptée à la nouvelle).

    Nocturnes (sous-titré : "Cinq Histoires de Musique et de Tombée de la nuit") est le premier recueil de nouvelles du grand romancier britannique Kazuo Ishiguro mais il pourrait presque former un court roman choral (220 pages) avec cinq récits à la première personne et une diversité de narrateurs (toujours des hommes, et parfois peu fiables car ils en laissent transparaître plus qu'ils ne disent). L'idée d'une unité thématique d'un texte littéraire autour de la Musique pourrait paraître presque trop construite, trop intellectualisante (les arts exagérant peut-être leurs limites dès qu'ils tentent de simuler d'autres arts) et Ishiguro, qui est lui-même joueur de guitare et qui a chanté en chorale, les a composés pour qu'ils se répondent et fondent une harmonie douce-amère de regrets et d'attentes, mais sans lourdeur malgré les échos et les reprises de thèmes et de personnages.

    Il avait déjà tenté une expérience musicale dans le scénario de cinéma The Saddest Music in the World (2003), qui fut largement modifié par le réalisateur. Dans une interview, il dit qu'il n'y a pas de roman, simplement un "album" :
    "I don't like these musical analogies, because it sounds wildly pretentious. Maybe it's better to say it's more like an album, and you don't sometimes want a track released as a single."

    Le premier morceau, "Crooner", se déroule autour d'un guitariste d'origine polonaise, Janeck, à Venise, alors qu'un ancien chanteur veut faire une sérénade pour son épouse, élégie tendre sur le passage du temps et sur l'amour où une joyeuse tristesse peut cohabiter avec des affections contradictoires. L'immigré polonais a été assez désynchronisé par l'Europe de l'Est pour mieux saisir le charme désuet du Crooner et pour ne pas entièrement comprendre un rythme accéléré qui semble presque déshumaniser.

    Le second mouvement, "Come Rain or Come Shine" reprend le thème sous un air bien plus humoristique et même une farce qui ferait presque penser à du Wodehouse (un incident insignifiant qui enfle subjectivement en une catastrophe irréversible avant de se désamorcer). Le narrateur, Anglais de retour d'expatriation, qui semble assez complaisant, doit essayer de communiquer avec la femme de son ami sans avoir le droit de parler de leur passion commune pour la musique, comme c'est le seul domaine de complicité où il pourrait éclipser son ami. Et la chanson titre résume bien la tonalité nocturne d'Ishiguro :

    We were especially pleased when we found a recording - like Ray Charles singing 'Come Rain or Come Shine'- where the words themselves were happy, but the interpretation was pure heartbreak.

    "Malvern Hills" a un troisième couple vieillissant de chanteurs suisses face à un jeune chanteur britannique. Le site y est plus important puisqu'il s'agit des collines en s'approchant du Pays de Galles qui joue un rôle dans l'univers du compositeur Edward Elgar. L'humour reste présent mais les thèmes des potentialités et des petits déchirements quotidens ont une mélancolie plus discrète que dans les autres textes.



    "Nocturne" reprend l'épouse divorcée du premier récit et un musicien de jazz qui ne réussit pas à percer, comme dans le troisième récit. La rencontre grinçante après une opération de chirurgie esthétique les confronte dans l'hésitation entre les apparences superficielles sous les bandages et les émotions tues sous la musique. Il s'est fait opérer parce que sa femme l'a quitté et qu'il espère que ce changement pourrait lui permettre enfin d'atteindre son potentiel ou du moins la renommée. Elle se fait opérer parce qu'elle craint de n'avoir que cela pour vivre dans un monde où elle n'est plus que l'ombre des célébrités qu'elle a connues. C'est sans doute le texte le plus cruel et le portrait des ambitions américaines semble plus violent que les petits chagrins européens.

    L'histoire de conclusion, "Cellists" revient sans doute à Venise et peut-être au même narrateur que dans le premier texte. Le violoncelliste hongrois Tibor a l'impression de vraiment développer son art au contact d'une étrange touriste américaine qui se présente comme son mentor. Mais cette musique de succès virtuels doit aussi concilier avec le retour à une réalité prosaïque. Ici aussi, le Rideau de Fer tombé semble être une métaphore pour la coexistence de plusieurs temporalités en Europe.

    Le ton d'Ishiguro refuse en fait d'être directement esthétisant. Les narrateurs et les personnages ont une conversation très simple et sans fioritures, même s'il leur arrive de devenir plus émus en parlant de musique que de leurs propres sentiments personnels. L'unité des occasions perdues, du vieillissement et des rêves déçus finit par affecter le lecteur bien qu'il soit conscient de ce jeu.

    Et il est particulièrement poignant qu'un romancier aussi "accompli", qui a déjà écrit des chefs d'oeuvre et qui disait qu'il était inquiet car les chefs d'oeuvre s'écrivent avant 40 ans et qu'il n'a plus qu'une poignée de livres en lui, puisse avoir une empathie aussi profonde vis-à-vis de la fragilité d'une vie, de toutes ces petites morts et ces espérances avortées. Comme il le dit dans l'entretien, "Qu'est-ce que la vie après le potentiel ?"

  • On peut aussi voir sur le site du Guardian une adaptation animée des résonnances du recueil.

    Par ailleurs, je crois que Mme Penchard peut réaliser son potentiel dans d'autres domaines sans doute, s'il n'est pas trop tard.
  • dimanche 26 septembre 2010

    Prolixité et Nihilisme



    Le député travailliste britannique Gerald Kaufman avait appelé le programme très à gauche de 1983 de son Parti la plus longue lettre de suicide de l'Histoire (700 pages).

    A présent, la plaisanterie est dépassée par Mitchell Heisman qui s'est tiré une balle dans la tête le samedi 18 septembre dernier (jour de Yom Kippour) après avoir installé un site web contenant une lettre de 1900 pages (506,947 mots). Il avait préparé ce site, Suicidenote.info depuis au moins 2 ans d'après le WhoIs.

    Le texte de l'ancien licencié en psychologie qui travaillait dans des librairies de Boston est consacré à l'idée que la vie humaine n'aurait non seulement aucune signification mais qu'elle serait absolument dénué de valeur. Il y a d'autres thèmes dont on voit assez mal la continuité à part comme une sorte de parodie d'une Généalogie nietzschéenne (même si l'idée de nihilisme nietzschéen paraît déjà une lecture très partielle). Il explique ainsi que la démocratie libérale anglo-saxonne ne serait pas née seulement de principes formels d'égalité ni même du "ressentiment" du peuple mais en fait d'une lutte ethnique entre roturiers anglo-saxons et aristocratie normande (explication walter-scottienne - dont le vrai but était sans doute d'expliquer l'identité culturelle écossaise aux Anglais - qui n'est que l'inverse de la théorie d'Augustin Thierry ou d'Eugène Sue pour la France). Le style hésite entre des délires paradoxaux et un humour macâbre (notamment l'obsession presque antisémite qui ressemble à une paranoïa d'haine de soi).

    Les explications les plus évidentes et les plus banales (il a rationalisé son désarroi en une théorie hégésiaque générale), voire une interprétation psychanalytique simple, sont plutôt confirmés par les quelques échanges avec sa mère.

    Il dit que son message sera censuré comme dangereux et il présente cela comme une preuve même que ses thèses seraient des vérités craintes ou refoulées. On peut en douter (il y a déjà de nombreux documents bien plus nocifs pour des adolescents déprimés et je ne pense pas que le texte puisse causer directement d'autres rationalisations de sa propre mélancolie). En revanche, j'imagine que le site disparaîtra un jour de lui-même dans l'oubli, faute de financement.

    Même si le texte évoque tous ces "rants" interminables nés de trop ou trop peu de philosophie dans la paranoïa, il est quand même moins directement toxique dans son ressentiment auto-destructeur que le nietzschéisme criminel de Leopold & Loeb (qui tuent un enfant pour se montrer qu'ils sont des Surhommes au-dessus des valeurs du troupeau) ou que le Manifeste d'Unabomber (qui passe plus de temps à attaquer le féminisme parce qu'il avait été accusé de harcèlement sexuel qu'à défendre sa critique anarcho-primitiviste de la Technique).

    [JDR] Drachenland



    Via le figuriniste Gloranthan Army, je découvre un monde steampunk français Drachenland, une uchronie faite pour le wargame et qui a développé son propre Wiki avec de nombreux contributeurs.

    Il y a sur le marché de nombreux mondes steampunk.
    Dans Space 1889 (1988), le Royaume-Uni et les autres puissances impériales de 1889 colonisent les planètes du système solaire, notamment Mars et Vénus.
    Dans Castle Falkenstein (1994), le steampunk uchronique était mélangé avec de la fantasy. Le Second Empire de Napoléon III était allié à la Bavière et avait réussi à battre l'Empire prussien en 1870 avec l'aide des Nains en Suisse et d'Elfes allemands.
    Dans For Faerie, Queen & Country (1993), l'Angleterre victorienne comportait une minorité d'e créatures féériques (Victoriana, 2003, est encore plus fantastique avec des races D&D plus courantes).
    Mais Drachenland ressemble plus au nouveau jeu français Aventures dans le Monde Intérieur (2009) sur l'exploration du Centre de la Terre (ne pas confondre avec le jeu américain Hollow Earth Expedition, qui se déroule plus tard, à l'époque Pulps).

    Dans Drachenland (qui sur ce point inverse donc l'uchronie de Château Falkenstein), la guerre de 1870 a été une défaite encore plus écrasante pour la France. Les Bonapartistes et Royalistes orléanistes se sont retirés en Algérie (avec une alliance assez étrange entre l'émir Abd el-Kader, revenu d'exil, et le Duc d'Aumale). La IIIe République n'occupe qu'une partie du territoire français et le Pape, qui a été complètement évincé de Rome en 1870, a profité de la situation pour séparer un Etat ecclesiastique d'Avignon (avec le soutien des Légitimistes, j'imagine ?). Dans les années 1880, le Reich allemand commence à coloniser l'intérieur de la Terre où ils découvrent des Mondes Perdus (genre important de la littérature victorienne et pulp), des Atlantes et bien sûr de nombreux Dinosaures (d'où le nom de Drachenland, "Pays des Dragons"). Les autres pays et des compagnies privées rivalisent avec l'Allemagne. Il y a de nombreux autres petites déviations plus ou moins vraisemblables (dont une République sécessioniste de Samourais contre l'Empire Meiji, et même des Amazones).

    Comme dans Space 1889 ou Leviathan, les nations ont désormais des Vaisseaux et forteresses volantes à l'étherite (cavorite) qui peuvent faire penser à Robur le Conquérant (1886). L'avantage de ce genre de Steampunk sur Terre par rapport à Space 1889 (qui se déroule sur Mars) est qu'il y a plus de continuité entre l'Europe familière et le monde sauvage à explorer.

    Autisme et Intuition



    Une critique des "expériences de pensée" préferées des philosophes analytiques, comme la parabole des Trolleys (sacrifieriez vous un innocent pour en sauver trois ?) :
    Anglo-American-style philosophers are forever accused of suffering from a severe, Aspergers-like condition, causing them to be incapable of apprehending anything but the model train sets in their basements. (I’m told David Lewis had elaborate model train sets.)

    But it seems to me the criticism is more effective if made more mildly: the problem is not that Anglo-American, analytic-style philosophers (call them what you like) are severely autistic but that they are mildly whimsical. This style of example-mongering complements a characteristic style of seminar room cleverness. There’s an intellectual ethos that goes with this social ethos; and, if you ask me, there’s a lot to be said for it. But the concern is that it’s going to clog the so-called ‘intuition pump’.

    People aren’t reporting their ‘intuitions’. Period. Rather, they are telling you what they would say, once you’ve set the mood for a good, seminar-style go-round. The examples are supposed to take you out of the seminar room, imaginatively. But plausibly they do the opposite – are really designed to do the opposite. They export the socially and intellectually distinctive seminar room atmosphere to a whole, slightly off-kilter world.

    L'explication institutionnelle (une déformation professionnelle créée par les pratiques dans le champ même de la classe) est assez convaincante mais il y a quand même des différences.

    Les Trolleys sont ridicules mais ils ont été conçus dans ce but : quand Philippa Foot créa l'argument, ce n'était pas pour en faire toute une industrie d'articles mais simplement (comme chez Bernard Williams) comme une reductio de l'Utilitarisme, voire du cognitivisme éthique en général (et en un sens, c'est peut-être à cause de la brillante Judith Jarvis Thomson que le problème a vraiment eu son retentissement quand elle a voulu en accroître la complexité).

    A l'inverse, il y a des arguments qui ont l'air ridicules mais qui peuvent en fait renvoyer à des problèmes qui ne sont pas que "scolastiques", même si nos "intuitions", comme on dit, sont confuses, contradictoires et peu fiables pour les examiner.

    Par ailleurs, j'ai l'intuition que Mme Penchard aurait été thrown under the bus depuis longtemps si le gouvernement y avait vu un intérêt.

    Add. Sexe et Intuitions philosophiques : l'étude "méta-sceptique" de Stephen Stich sur les intuitions montrerait des écarts entre les réponses des hommes et des femmes. Cela n'implique pas nécessairement un système spontané par Genre mais il y a parfois des différences (les réponses ont l'air à première lecture plus "dualistes" et plus "compatibilistes" chez les femmes, je crois).

    vendredi 24 septembre 2010

    Légitimité



    Michel Godet, économiste et prospectiviste lié au gouvernement (même s'il joue souvent l'opposant qui trouve qu'ils ne "réforment" pas assez vite), est invité hier sur "C dans l'air" et prend son air excédé, indigné pour dire que dans une démocratie, des manifestations de syndicats ne peuvent pas contrecarrer la légitimité du pouvoir élu et que le gouvernement fait après tout ce qu'il avait annoncé, qu'il a été élu à une forte majorité et que l'opposition n'a donc qu'à se taire (il ajoute que les syndicats ne sont pas représentatifs et que ce ne sont que des fonctionnaires parasites).

    Le gouvernement avait en effet une légitimité démocratique sur certaines mesures qui viennent justement en partie de Godet (il défend les cadeaux sur les heures supplémentaires depuis 2002), puisque la majorité les avait clairement annoncées.

    Mais quoi qu'on pense sur le fond de la possibilité de conserver la retraite à 60 ans sans décôte, dans ce cas précis, même Godet doit savoir qu'il n'y a aucune légitimité. Rarement un gouvernement s'était si précisément engagé à ne pas faire la mesure qu'il entreprend.

    Tout le monde connaît cette vidéo, désolé d'enfoncer des portes ouvertes, mais peut-être que M. Godet l'a oubliée ?



    En passant, un engagement - peut-être aussi crédible : je vais essayer de ne plus rien écrire sur ce gouvernement s'il s'agit encore de rappeler de telles évidences banales. Bon, sauf s'ils nomment Balkany à la justice - ou Penchard à la Cour des Comptes.

    Par ailleurs, je pense que même si on veut plus de parité Mme la Ministre des DOM-TOM pourrait être une autre femme sans être nécessairement elle-même une "ultra-marine" aussi partiale (de même qu'on ne nomme plus des Généraux à la Défense ou un Woerth au Financement de la Majorité).

    mardi 21 septembre 2010

    Le Moi à sa fenêtre



    Une recension claire et caustique du dernier livre du Heideggeriano-catho Vincent Carraud, L'invention du Moi, PUF, 210 (thèse : seul Blaise Pascal aurait pensé ce Moi introuvable au-delà de la réduction métaphysique à une substance, personne avant et personne après).

    J'ai de l'admiration pour le critique audacieux (qui n'est pas anonyme, lui contrairement à certains tristes sires sur l'Internet) quand on connaît la puissance institutionnelle et le sens de l'humilité de l'auteur. Les passages sur Heidegger sont peut-être un peu trop allusifs.

    Et comme le critique, j'ai du mal à comprendre ce type d'histoire philosophique érudite qui repose sur une téléologie heideggerienne avec l'Histoire de l'Oubli de l'Être comme Ontothéologie. La stratégie fut développée en France par Jean-Luc Marion sur Descartes, et permet de faire de l'exégèse scolaire tout en prétendant parler du destin de la métaphysique même. Il suffit de déceler des Evénements dans l'Histoire de l'Être (ici, l'invention du Moi) et la glose devient Dévoilement oraculaire. Mais je suis quand même curieux de comprendre le débat entre Balibar (qui datait - comme les Anglo-Saxons - la vraie invention de la Conscience de John Locke) ou De Libéra (chez qui il y avait aussi une tendance historiciste à ne faire apparaître de nombreux concepts qu'on croit bien-connus seulement de couches récentes de la sédimentation).

    Par ailleurs, je pense que Mme Penchard devrait cesser d'arraisonner l'Être de l'étant-Outre-Mer d'une manière inauthentique sous une maîtrise technique de la disponibilité-sous-la-main.

    vendredi 17 septembre 2010

    Unhinged



    Art Goldhammer (correspondant en France depuis 40 ans) est ébahi et sort de sa réserve :

    The idea that Sarkozy would simply have invented an exchange with Merkel and that he would have invoked her "total and entire" support without having cleared it with her beggars belief.

    A president who behaves in this way permanently discredits himself.

    Plummeting in polls, attacked for human rights violations, chastised by the Pope, sued by Le Monde, and now slapped in the face by Merkel, Sarkozy seems to be coming unhinged, prepared to say anything and do anything to retain his increasingly tenuous hold on power.

    Mais cela fait longtemps qu'il devrait s'être discrédité de manière permanente. Mais on s'habitue tous vite à oublier.

    How long before an open revolt breaks out in his own party?

    Pas avec le parti de Godillots qu'est l'UMP, sauf si Fillon était congédié et qu'il commençait à devenir un Recours.

    Par ailleurs, je pense que congédier Mme Penchard n'aurait pas ce risque.

    Plus bête encore que les Tea Parties ?



    Cela paraît difficile à croire, je sais. Qu'est-ce qui pourrait être plus sot qu'un mouvement d'ignorants racistes qui prétendent lutter au nom des idéaux de la Révolution américains en se laissant lobotomiser par quelques grandes compagnies ?

    Mais vous souvenez-vous de mon idole Tunku Varadarajan ?

    M. Varadarajan est la justification à lui seul de tout le Blogging, mais comme modèle négatif, car si le Wall Street Journal pouvait publier ses âneries incroyables, n'importe qui devrait aussi abuser de son droit d'expression.

    Varadarajan, ancien juriste d'Oxford, est une de ces raretés dans le monde politique depuis le XVIIIe siècle ou bien depuis la fin des régimes fascistes, il est clairement un Burkien britannique à l'ancienne qui croit à la Supériorité héréditaire d'une Classe dirigeante.

    Je ne connais personne qui ait vraiment, sérieusement défendu cette idée par des arguments (*) depuis que même l'aristocrate Platon s'en est moqué (la Vertu ne se transmet pas par le sang mais par l'éducation, c'est un point sur lequel il reste socratique).

    Et le plus drôle est que notre Tory Varadarajan réfutait aussitôt sa propre théorie en citant comme preuve de ses principes le génie inné et l'élégance naturelle de George W. Bush. J'adore Tunku Varadarajan.

    C'est pourquoi quand une partie de la blogosphère se félicite que cet Archi-Conservateur critique le Tea Party, je m'étonne qu'ils ne comprennent pas son point de départ :

    "[The Tea] party has succeeded in handing American democracy back to the floundering Democrats....

    Confirming the truth that primaries are but a sweaty, vulgar contest in which ideological bully boys stomp to the forefront, Republican die-hards have voted for 'purity,' an elusive concept at the best of times, but in this context a vote for suicide."

    On a retenu surtout la fin, qu'il critiquait le critère de Pureté idéologique, comme un pragmatique ou comme le monstrueux Karl Rove.

    Mais quand on connaît l'animal, il critique surtout la vulgarité basiste des Primaires. Il doit y avoir quelque chose d'obscène à la simple idée que Nos Maîtres Naturels doivent passer par ce processus désordonné et brutal. Ce qui le choque n'est pas la stupidité des Tea Parties ni même un populisme raciste tant qu'il est bien encadré par le GOP, mais que ces masses plébéiennes osent ensuite se hausser au-dessus de leur position de simples serfs de leurs Supérieurs et s'en prendre aux Gentilhommes qui sont là pour les employer.

  • (*) Une exception notable serait par exemple Joseph de Maistre, ancêtre de notre Xavier de Maistre. Cela explique pourquoi Eric Woerth dans son si judicieux discours de remise de Légion d'Honneur disait que ce Chevalier si Honorable alliait ou réconciliait "les qualités de l'Ancien Régime à celles du monde moderne" (il devait penser à l'alliance de l'oligarchie népotiste et des eaux glacées de l'affairisme).

    Par ailleurs, je pense que Mme Penchard peut certes mériter ce genre de Légion d'Honneur quand on voit où elle en est mais plus de rester dans le gouvernement.

    Add. Oh, je vois que le libertarien Glenn Greenwald et même le fascisant Buchanan avaient déjà une analyse du snobisme dans la critique du Tea Party chez certains Républicains.
  • jeudi 16 septembre 2010

    Ouf




    Le Chef de l'Etat nous réconforte : son administration a tenté depuis cet été de prendre tous les nomades comme boucs-émissaires, qu'ils soient Rroms ou de nationalité française.

    Nous voilà complètement rassurés.

    Par ailleurs, je suis d'avis que Mme Penchard mériterait largement de ne pas être protégée par la crainte de recommencer les Juppettes.

    Add. Pardon pour toutes ces photos, je joue trop avec Du Bruit au Signal.

    Primaire



    J'ai beau toujours supposer le pire sur notre Président actuel, si on m'avait dit en 2007 que trois ans après la France serait au ban des nations et plus honnie que l'Italie de Berlusconi ou l'Autriche du temps du gouvernement de Wolfgang Schlüssel, j'aurais eu du mal à le croire. Un journaliste faisait remarquer que la procédure qui va être lancée contre la France avait été proposée à l'origine par Jacques Chirac en partie contre les idées politiques de Haider en Autriche.

    On ne saurait reprocher à ce gouvernement sa timidité. Quand ils s'attaquent au "droit-de-l'hommisme" comme ils disent, ils le font de manière décomplexée en s'attaquant directement à l'Article I sur les principes fondamentaux.

    Certes, la chrétienne-démocrate Viviane Reding (Parti populaire européen, le même que l'UMP) a commis une faute de goût en glissant de la Déportation vers le souvenir d'Hitler. Il y a certes eu pire depuis 1945 sur le territoire européen, du moins hors des frontières de l'Union, et Sarkozy n'est pas encore au niveau d'un nettoyage ethnique des Balkans.

    Mais l'indignation de Reding paraît quand même moins ridicule et puérile que notre Chef de l'Etat répondant avec son élégance coutumière "Vous n'avez qu'à les prendre au Luxembourg si vous les aimez tant, ces Roms".

    On se demande parfois si, en dehors de sa rouerie de manoeuvres et intrigues pour flatter l'électorat lepeniste, cet individu est capable de dépasser le niveau d'une cour de récréation. L'idée que la Commissaire européenne aux Droits de l'Homme ne représente pas le pays d'où elle vient mais une fonction européenne lui échappe manifestement.

    Par ailleurs, je crois que Mme Penchard n'a pas plus sa place au gouvernement que M. Woerth, même si elle est bien adaptée dans un gouvernement de l'arbitraire et du favoritisme.

    Add. (Via PHNK) Pierre Lellouche est tellement abruti qu'on ne peut qu'obéir à la loi de Godwin là :

    "La France est un grand pays souverain. On n'est pas à l'école. Nous appliquons notre loi", a-t-il martelé en réponse à des questions sur les réactions européennes. "Je n'ai pas l'intention d'être traité, au nom de la France, comme un petit garçon", a-t-il ajouté.

    Oui, oui, on reconnaît Joseph Goebbels : "Messieurs, "Charbonnier est Maître chez soi". Nous sommes un État souverain. (...) Nous faisons ce que nous voulons de nos socialistes, de nos pacifistes et de nos Juifs, et nous n’avons à subir de contrôle ni de l’Humanité, ni de la SDN ! " - Kouchner, dans une autre vie, et les partisans du droit d'ingérence citent à l'envi cet épisode célèbre.

    Lellouche est vraiment d'une sottise qui donne le vertige. Il aurait pu retourner certaines critiques Godwinesques sans tomber lui-même dans du Goebbels, c'est un peu le B.A.BA de la diplomatie (et je ne parle même pas de ses remarques simplement fausses contre la Commission européenne ou de l'insulte grotesque de sub-post-gaullisme quand il dit que la France est un "Grand Pays" qui n'est donc pas soumis aux mêmes principes juridiques universels que les "Petits Pays").

    Nommer un Néo-Con imcompétent à un poste diplomatique finit toujours par se voir. S'il continue ainsi, il va dégénérer en John Bolton.

    mercredi 15 septembre 2010

    Sortie



    Luttant contre l'usure de l'habitude qui finit par affadir les plus beaux textes pour tout enseignant, je demande - pour la trentième fois peut-être - à une élève de résumer le texte et la signification de l'Allégorie de la Caverne qu'ils avaient à lire.

    - Les hommes vivent dans une Caverne.

    - Oui.

    - Un homme en sort.

    - Oui.

    - Il se rend compte alors que le monde réel est plein de souffrances alors qu'il vivait dans le confort. La signification de l'Allégorie est donc qu'il doit quitter son innocence pour affronter les malheurs du monde.

    Cela ne m'étonne pas tellement qu'elle n'ait pas vraiment lu ou compris la fin.

    Mais c'est plus curieux qu'elle superpose à Socrate la vie du Bouddha Siddhārtha Gautama.

    lundi 13 septembre 2010

    Défiance & Délires



    Cela peut paraître parodique mais j'ai quand même l'impression que cette conférence de catholiques traditionalistes américains (certes, non-officiels) contre l'Héliocentrisme est vraiment du premier degré (après tout, il y a même encore quelques partisans de la Terre Plate). Si c'est en fait une parodie (j'ai eu un doute en voyant qu'ils commercialisaient des bavoirs publicitaires), elle est surprenante de longueur (et la fin fait allusion à des complots de sociétés secrètes - oui, les Franc-Maçons - qui voudraient nous détourner de la vérité du Géocentrisme). La Conférence n'est pas organisée par la respectable Université catholique de Notre-Dame, Indiana, mais on voit que ces catholiques ultras voudraient prétendre le contraire. L'auteur de la Conférence, Robert Sungenis, est aussi connu comme un anti-sémite traditionaliste, proche de négationnistes dans le genre de Mel Gibson.

    En un sens, l'argument anti-galiléen plus élaboré (instrumentaliste ou pragmatique) de Pierre Duhem (et qu'on retrouve d'ailleurs dans cette discussion sur Slashdot) n'a fait qu'installer la possibilité de ce genre de choses. On commence par dire que le Cardinal Bellarmin avait raison de séparer modèle abstrait et réalité (l'héliocentrisme comme simple fiction commode pour "sauver les apparences") puis on n'a plus qu'à nier que ce modèle soit même si commode.

    Une société moderne a un tel écart entre les croyances manifestes dites du sens commun et les croyances de seconde main sur les théories scientifiques qu'on perd les garde-fous. C'est une crise de confiance où le conspirationnisme et un certain usage particulier du scepticisme vont alimenter un dogmatisme tranquille : pourquoi chercher à discuter des faits ou des arguments s'il suffit de dire que les faits auxquels je n'ai pas envie de croire doivent forcément être des complots cachés.

    Et on en arrive à ce monde assez pénible où Newt Gingrich, ancien leader des Républicains en 1994 et qui espère même le redevenir l'an prochain, peut dire que Barack Obama ne peut penser comme un Américain car il pense comme un Luo anti-colonialiste. Un monde tordu par les bobards de Fox (cette affiche le résume bien). Un monde où des sophistes charlatans comme le contrebandier en racisme larvé Dinesh D'Souza (celui qui avait dit que la torture à Abu Ghraib était de la faute de la libéralisation occidentale des moeurs) écrivent des articles bien rémunérés dans la presse économique lue par les élites où il explique qu'Obama accepte des taxes sur les émissions carbone parce qu'il veut infliger une punition à l'Occident colonisateur...

    Par ailleurs, je crois que Mme Penchard pourrait changer de référentiel et démissionner.

    dimanche 12 septembre 2010

    Joyeux anniversaire, Louis C.K.



    Il a aujourd'hui 43 ans et j'espère que son anniversaire se passera mieux que celui de l'an dernier qu'il a raconté à la radio.

    Ce sketch de Louis C.K. avec sa fille Lewis (dont la série grinçante Louie commence à devenir le nouveau Curb Your Enthusiasm) reprend celui déjà cité sur la Question métaphysique "Pourquoi quelque chose plutôt que rien ?" mais il arrive à une conclusion plus rapidement en liant étrangement une économie de services avec la non-existence de Dieu.

    Re: Monde du jeu 2010



    Cf. 2003, 2004, 2005, 2006, 2007 (1) & (2) et 2008, 2009.

    Le salon semblait avoir plus de succès encore que les années précédentes, mais surtout grâce aux jeux de plateau (ce qui permet un public plus large, moins geek et même nettement plus mixte que les autres années). Le jeu de rôle paraît stable (il y avait même des meneuses de jeu de Changeling et de Star Trek), la mode du Poker semble avoir presque disparu après l'engouement d'il y a quelques années (pas trace de Mahjong non plus). 

    Les jeux de figurines étaient nettement moins présents et en fait je le regrettais un peu parce que les démos sont souvent assez jolies pour un Salon de ce type. Il n'y avait pas Rackham, mais Hazgaard qui va relancer une seconde fois le jeu d'escarmouche Cadwallon (cité dans le même univers que le wargame d'escarmouche Confrontations). A part cela, je crois n'avoir vu qu'Ex Illis ou Mortebrume.

    J'ai vu peu de nouveautés jeu de rôle. L'événement principal semblait être Les Ombres d'Esteren, un jeu français médiéval-fantastique plus orienté sur l'horreur. Le cadre semble être un monde qui pourrait ressembler à la Bretagne du Haut-Moyen Âge. La magie est relativement discrète (pas de races inhumaines, mais il y a quand même de la magie publiquement visible) mais d'étranges créatures inquiétantes se cachent entre les villes. D'après la description incluse dans Jeu de Rôle Magazine n°11, le but est que l'univers paraisse suffisamment "banal" et sobre pour que l'horreur puisse à nouveau choquer plus par contraste (alors que plus personne ne remarque un monstre dans un jeu de high fantasy).

    Casus Belli n°2 de la nouvelle version s'est adapté aux vagues actuelles du jeu de rôle. La première version était centrée sur Jeux Descartes avec D&D, l'Appel de Cthulu et Warhammer. La version 2 était publiée par Multisim et flirtait avec les jeux en réseau. La version 3 semble plus attirée par les jeux de rôle français indépendants mais le jeu de rôle a encore plus de diversité que par le passé. Le thème est l'exploration de la "Bête Intérieure" dans les personnages. Il y a des scénarios génériques "fantastique contemporain" ("Trinité Noire", par yno, le créateur de Patient 13), médieval-fantastique générique, du post-apocalyptique (pour WarsaW qui se déroule dans un immense No Man's Land polonais où la Première Guerre mondiale continue de durer depuis un demi-siècle entre l'URSS et l'Empire allemand) et du cyberpunk (du Shadowrun par Emmnanuel Gharbi, le créateur d'Exil).

    Un autre magazine présent était le numéro 0 de di6dent avec justement un dossier sur la Presse et le jeu de rôle et quelques scénarios (dont Hellywood et Yggdrasil).

    Puisqu'on parle de jeux français "indépendants", un des nouveaux jeux de John Doe en boutique est Deadline, une campagne se déroulant dans un futur proche où l'Humanité a appris la date précise de son extinction à venir (par un rayonnement qui va arriver sur Terre). Il y avait aussi une nouvelle édition de Mahamoth, jeu fantastique du prolifique Grümph où les personnages vivent dans une flotte de vaisseaux, la Horde, qui a regressé vers une civilisation plus barbare (un peu comme le premier jeu de rôle de SF, Metamorphosis Alpha mais avec un côté Galactica).

    Je suis passé devant le stand de la FFJDR et un grand philosophe barbu (le rôliste est très barbu aussi d'ailleurs) disait que Philosophie Magazine préparait un dossier ou quelque chose sur le jeu de rôle. Ai réussi in extremis à vaincre mon narcissisme en ne me jetant pas sur lui pour lui supplier d'y collaborer. Me suis rappelé ensuite avec plus de Sagesse que je n'aurais probablement rien d'intéressant à y écrire (de vieux articles sur les propriétés saillantes pertinentes dans la simulation ou contre certaines systématisations de Caillois n'ont aucun intérêt).

    7e Cercle, qui est devenu un des principaux fers de lance de tout le jeu de rôle français, semble un peu ralentir leur cadence depuis les sorties de l'an dernier, Devâstra, Yggdrasil, et Sables rouges, jeu de SF un peu inclassable (western med-fan martien). On m'a expliqué que la gamme Qin : Shaolin & Wudang (donc XVIIIe siècle) était un peu en attente (supplément sur la ville de Guǎngzhōu) parce que les joueurs de Qin n'avaient pas encore eu le temps de finir la première campagne au IIIe siècle avant JC. Un nouveau jeu était Z-Corps où on tue des zombies et le thème m'a immédiatement fait fuir comme j'aime les zombies encore moins que les vampires, si c'est possible.

    Le GROG a remis ses trophées. Il y a eu environ 500 électeurs et les jeux reçus premiers avaient souvent seulement entre 35 et 100 voix. En gros, l'Appel de Cthulhu a presque tout raflé (et aucune version de D&D n'a rien eu, ce qui montre l'écart entre les ventes et les goûts des amateurs) : meilleur système, meilleurs scénarios, meilleure gamme et meilleur jeu de rôle de tous les temps.  Patient 13, petit jeu indépendant paru chez John Doe gagne le prix de l'originalité.

    Chez Matagot, la nouvelle édition de Te Deum Pour un Massacre, le jeu de rôle de Jean-Philippe Jaworski sur la Saint-Barthelemy est peut-être l'un des plus beaux jeux de rôle que j'ai jamais vus. Cette version 2 devient une sorte de Bible ou Pleiade, une oeuvre de luxe assez rare dans notre loisir. Le thème est un peu pointu (jouer seulement au milieu du XVIe siècle dans un univers historique sans ajout de magie) mais il y a déjà de nombreuses campagnes (il faut que j'écrive une recension des Deux Reines, sur Mary Stuart et Elizabeth).

    Du côté des jeux de société, j'ai été très attiré par Cyclades toujours chez Matagot (ci-contre), jeu de conquêtes d'îles grecques avec de superbes pions de trirèmes ou de Monstres mythologiques dignes des plus beaux jeux de FFG. Heureusement, ils étaient en rupture de stock ou j'aurais craqué tout en sachant que je n'y aurais joué qu'une seule fois comme d'habitude.

    Parmi les jeux plus récents, la nouvelle édition française du A la carte, le jeu culinaire où des chefs rivalisent pour réaliser des recettes avant les autres, m'a paru très jolie avec ses faux ingrédients ou fausses plaques de cuisine qui fait presque penser à une vraie dinette.

    Comme d'habitude, il y avait de nombreux costumes de Grandeurs-Nature et j'ai retrouvé par hasard sous un heaume en bassinet du XIVe-XVe siècle un de mes anciens camarades et joueurs (maintenant professeur d'algorithmique - pour les happy few, il s'agit de Kostang le Troll dans notre campagne de Runequest à Refuge en Kethaela).

    On le voit ci-dessous à droite tenant une épée sans bouclier alors qu'il se bat dans une reconstitution d'escrime médiévale en armes réelles. Il m'a expliqué que le poids de l'armure était tel qu'il jugeait maintenant que l'Armure lourde devrait être une Compétence à part dans les jeux médiévaux (c'est en partie le cas dans Rolemaster dans mon souvenir). Ici, le duel était censé se dérouler dans l'univers des Ombres d'Esteren mais je ne crois pas que le public ait pu saisir les allusions.

    vendredi 10 septembre 2010

    Monde du jeu 2010



    Comme tous les ans, je compte aller demain au Salon du Monde du Jeu (il y avait une conférence sur le scénario de jdr comme texte littéraire aujourd'hui).

    Je n'ai pas encore vu des annonces particulièrement nouvelles (à part la parution du #2 du magazine Casus Belli, vol. 3).

    A 16h30, le Guide du Rôliste Galactique (GROG), à l'occasion de ses 10 ans, remettra ses prix (Trophées du Public : Meilleur Système, Meilleur Univers, Meilleurs Scénarios/Campagnes, Meilleure Gamme, Meilleur Jeu d'Initiation, Palme de l'originalité et Palme du Meilleur Jeu).

    Alan Moore brûle les derniers ponts avec l'industrie du comic-book



    La nouvelle interview du scénariste Alan Moore est assez distrayante en entrant dans les détails de ses confrontrations récentes avec DC Comics à propos de Watchmen (mais il avait déjà résumé la substance dans une brève interview sur Wired).

    En gros, et si j'ai bien compris les discussions (mais le droit, et le droit de la popriété intellectuelle, me sont complètement inconnus), Moore ne possède pas les droits de Watchmen mais il a bien un certain droit moral sur les personnages. DC peut distribuer, rééditer le comic et en vendre les droits au cinéma sans consulter Moore (sinon, le film ou le jeu vidéo n'exiseraient pas). Mais si DC décidait d'utiliser les personnages du comic pour publier des Suites ou des Prequels, ils risqueraient un procès d'Alan Moore qui ne veut en entendre parler à aucun prix. De toute évidence, le fait qu'on ne voie pas ces produits implique qu'ils le craignent vraiment ou qu'ils ont un doute sur la manière dont un procès se déroulerait.

    Alan Moore a quitté DC Comics en partie parce qu'il jugeait que DC ne lui accordait pas une part honnête des royalties sur Watchmen. A présent, DC lui a proposé de posséder les droits du comic originel en échange d'un engagement qu'il ne s'opposerait pas à ce que DC puisse utiliser les personnages dans des Suites / Prequels ou produits dérivés.

    Alan Moore avait déjà réussi à faire interdire des figurines dans les années 80 - n'importe qui qui a lu Watchmen se rend compte à quel point de tels jouets auraient été ironiquement de mauvais goût puisque la scène où Ozymandias commercialise cyniquement des figurines de lui est une métaphore de son utilitarisme.

    [En revanche, Alan Moore avait autorisé à l'époque des suppléments de jeu de rôle (pour le DC Heroes de Mayfair Games) pas mauvais, écrits par Ray Winninger, dont un scénario original qui se déroule pendant la Convention démocrate de Chicago en 1968, qu'on voit aussi dans les romans Wild Cards). Mais la bd de Moore Big Numbers a vite critiqué l'escapisme immature du jeu de rôle avec une allusion à un jeu simulationniste Real Life (où la majorité des personnages ne dépendent que du hasard de leur naissance et de leur Classe socio-professionnelle et non de leurs actions). ]

    L'interview paraît très amer lorsque Alan Moore dit qu'il ne veut plus entendre même mentionner le nom de Watchmen et qu'il considère que le film ne peut que nuire à son oeuvre prévue pour son medium graphique séquentiel. Il a refusé tout royalty sur le film et a donc laissé entièrement sa part au dessinateur Dave Gibbons (tout comme il a laissé sa part des rentrées cinéma de V For Vendetta à l'artiste David Lloyd), mais il avoue qu'il en veut aux deux dessinateurs (1) d'avoir accepté ce marché ; (2) de ne pas l'avoir remercié d'avoir obtenu ainsi 100% des royalties des films. Il dit "ne plus parler à ses deux amis" désormais pour ces raisons (et parce que Gibbons aurait tenté de le convaincre de signer un accord avec DC)...

    J'allais presque ironiser sur certains passages de l'interview où il semble toujours présenter Warner/DC comme une sombre corporation qui tenterait de le manipuler par des subterfuges tortueux en proposant du travail à ses amis ou au contraire en refusant du travail à ses amis.

    Mais les commentaires des fans à l'interview sont souvent incroyablement ridicules ("Comment OSE-t-il nous empêcher d'avoir une série Rorschach ou des petites poupées Dr Manhattan ??") et les réactions exagérées ne font qu'appuyer sur le vide créatif des comics ("Comment OSE-t-il dire que les comics US mainstream feraient mieux de tenter de créer de nouveaux personnages plus intéressants au lieu de traire sans cesse une oeuvre publiée il y a 25 ans et qui était censée former un tout fermé sur lui-même ?"). L'idée même d'intégrité artistique a l'air de paraître un caprice de diva exotique aux yeux de la plupart.

    Et la goutte d'eau est ce twitter crétin du plus mauvais dessinateur qui a déjà tant abimé les comics, Rob Liefeld :

    Been saying Alan Moore is a certifiable nut job for years. He continues to prove it over and over again.

    L'erreur de Moore a plutôt été de tenter de transformer Supreme, ce plagiat médiocre et sans imagination de Superman par Liefeld, en un hommage charmant à tout ce que Liefeld ne pourra jamais comprendre (ce qui était en fait une métaphore sur des possibilités du genre superhéros qui ne seraient peut-être pas complètement épuisées par la satire post-moderne de Watchmen).

    La tentative de Supreme était d'autant plus gênante puisque Liefeld gâchait tous les scénarios que Moore pouvait lui fournir en étant complètement incapable de les illustrer (non seulement incapable dans un temps raisonnable mais même incapable artistiquement ou intellectuellement - heureusement, Moore imposa vite d'autres dessinateurs plus compétents comme Chris Sprouse).

    Les suites se feront quand même, avec le scénariste Grant Morrison, l'ombre dégradée du reflet d'Alan Moore, qui peut singer de vagues messages anarcho-mystiques ou reprendre une prétention artistique mais sans arriver à la subtilité de l'original (bien que Morrison ait sans doute une érudition geek plus poussée et donc plus d'attachement au Genre superhéroïque que Moore).

    La ruse de Morrison a été de créer une nouvelle Terre parallèle (la nouvelle Terre-4) avec des analogues des personnages de Watchmen, qui étaient eux-mêmes à l'origine des analogues sur un autre monde (Terre-W ?) des personnages de Charlton Comics sur la Terre 4 originelle (et Morrison, qui est certes malin, promettait des histoires qui soient elles-mêmes des hommages auto-référentiels à la structure si formaliste de Watchmen).

    Je n'ai aucune envie de lire d'autres auteurs sur Rorschach ou Nite-Owl mais malgré les appels au boycott de Moore, je voudrais quand même voir comment Morrison serait éventuellement stimulé par l'émulation avec le chef d'oeuvre intitial de l'Invasion Britannique dans les comics. Cela risque d'être un désastre mais après tout l'oeuvre originelle ne serait pas affectée.

    Par ailleurs, je crois que Mme Penchard POW BANG.

    jeudi 9 septembre 2010

    Die Sprache spricht



    Je ne comprenais pas la thèse dite "("post-")structuraliste" des années 60 sur la mort de la "Fonction" "Auteur" (en dehors des banalités sur le caractère insondable des intentions pour l'interprétation, même TVTropes en parle comme d'un cliché).

    Mais enfin, cette production de textes uniquement par des sélections Google qui sondent les associations syntaxiques les plus fréquentes pour compléter les mots réalise enfin directement cette abolition théorique (contrairement au postmodernism generator qui supposait encore les auteurs du programme alors qu'ici Google ne suppose vraiment que les myriades de "singes à leur clavier". Le texte n'émerge qu'à partir des questions les plus usuelles et les plus anonymes.

    L'ennui est que cela peut vite tourner en rond. J'ai tapé seulement la lettre "I" et j'ai obtenu ce texte qui part en boucle :

    In the case of these two types of information that is not appropriate for all users of the catalogue should also be noted that there is anything you would not believe how much I loved them all and I'ma let you finish but Beyonce had one of these days I'll bet your life on the road today and they are nothing but another form of therapy for these patients is not known whether these are the only ones who can not afford to pay for their own users and groups to their Friends / Favorites list yet, so I'ma keep popping up in their own right and do not want to be related to their particular field or industry in which they are attached to their respective owners and are strictly for viewing and printing of these books are nothing but another form of therapy for these patients, etc.

    De même, en commençant avec "A" et en gardant toujours la première sélection on revient au précédent et à cette histoire de "thérapie pour ces patients", avec un début ironique sur le copyright de l'Auteur absent :

    All rights reserved • Designated trademarks and brands are the property of their respective owners and are strictly for viewing and printing of these books are nothing but another form of therapy for these patients

    GoogleScribe ne risque donc pas vraiment de vous aider à faire NaNoWriMo (à moins d'introduire un outil de sélection un peu plus aléatoire qui éviterait ces boucles).

    Par ailleurs, je crois que Madame de Stael and then they will become more apparent from the following detailed description of these properties are not well understood and agree to Linkedin Profile Tips For Thailand, the Philippines and the United States and Canada and their territories and total client assets of approximately 1 to 4 of them are on the same day as their flight arrival must make their own decisions about their healthcare and their hardships and their families in their homes and their lives are nothing but another form of therapy

    mercredi 8 septembre 2010

    Rall & Bors en Afghanistan



    Le dessinateur Ted Rall a défendu depuis 2001 des positions résolument anti-guerre, voire pacifistes (y compris en Afghanistan) et cela l'a conduit à quelques bandes qu'il a lui-même regrettées (comme ce dessin de 2004 où il se moquait de Pat Tillman avant qu'on apprenne à quel point ce soldat avait commencé à avoir des doutes sur l'interventionnisme bushien avant de se faire tuer).

    Mais Rall connaît bien l'Asie centrale qu'il a visitée plusieurs fois depuis les années 90. Il était même allé en Afghanistan en novembre 2001 dans la période de la guerre sans être vraiment "embedded". Il vient d'y retourner pendant ce mois d'août 2010 (voir son journal, qui est assez émouvant, notamment quand il essaye de retrouver le fixer qui lui avait permis de quitter le pays en 2001). Et curieusement, il a partiellement changé d'avis. En 2001, presque tout le monde soutenait la Guerre d'Afghanistan et il était dans la minorité qui y était opposée et à présent presque tout le monde ne parle plus que de bourbier ingagnable et, bien qu'il soit opposé aux bombardements et aux drones de l'OTAN, il a l'air de craindre que le départ des Américains soit devenu un nouveau danger (ce qui est curieusement plutôt l'argument des derniers néo-conservateurs aujourd'hui). Il évoque aussi quelques progrès dans l'infrastructure malgré l'échec global de l'aide occidentale.

    Il y a aussi un relatif scoop journalistique contre la blogosphère conspirationniste : Rall - peu suspect d'être vendu à l'oligarchie du pétrole - affirme que le fameux "Trans-Afghan Pipeline" que certains comme Michael Moore présentait comme la vraie cause de la Guerre d'Afghanistan n'existe toujours paspour l'instant, malgré les 9 ans d'occupation américaine. De toute évidence, la guere continuelle et les sabotages ont continué à le garder virtuel.

    Je n'aime pas beaucoup le dessin de Ted Rall mais il était accompagné par le très doué Matt Bors (qui a déjà rapporté au moins ce dessin sombre où les Afghans illettrés semblent mieux informés que beaucoup d'Américains sur leur Président ("Americans CAN read but CHOOSE not to?").

    Par ailleurs, je crois que Mme Penchard est un risque si jamais elle dit qu'elle ferait en sorte que tout l'argent aille aux Tadjiks et pas aux Pachtounes

    mardi 7 septembre 2010

    La gravité des gargouilles



    Un mouvement d'extrême droite, les Jeunes Identitaires de Lyon, s'indigne contre une nouvelle gargouille sur la cathédrale Saint Jean. Le tailleur de pierres Emmanuel Fourchet avait en effet sculpté le chef de chantier musulman, M. Ahmed Benzizine (qui a travaillé sur la rénovation d'églises depuis des décennies), avec son accord, et la statue a la mention "Allah Akbar". Les Identitaires parlent de blasphème alors que l'Archevêché du Primat des Gaules évoque simplement une vieille coutume satirique et profane des "Grotesques" dans la construction des Cathédrales. C'est d'ailleurs un aspect étrange du catholicisme que cette capacité à intégrer et absorber dans ses temples cette sorte d'efflorescence parodique dans ses marges, avec des diables obscènes ou des satyres. On s'attendrait plutôt à ce que soit certains Musulmans, de tradition plus iconoclaste, qui se disent choqués que la formule soit ainsi citée sur une gargouille - mais les maçons ont volontairement évité le nom du Prophète.

    Je suppose que ces Identitaires doivent aussi craindre le péril du Seigneur Sith sur la Cathédrale de Washington. Sans doute un complot de Darth Sidious pour profaner un lieu sacré.

    Par ailleurs, je crois que Mme Penchard devrait prendre sa retraite sans attendre 37 annuités et demi.

    vendredi 3 septembre 2010

    Pillages & Pyramides




    Source


    "La "compétitivité internationale" nous contraint à faire stagner
    les revenus de la majorité et à faire exploser ceux des 1%"

    Cet été, John Quiggin avait déjà étudié l'explosion des fortunes des "1% les plus riches" dans les sociétés industrialisées depuis 30 ans (et le fait qu'ils échappaient de plus en plus à une fiscalité redistributrice). Mais il fait aujourd'hui une extrapolation plus provocatrice en comparant les chiffres américains et européens (via Piketty). Il ajoute (en parodiant ironiquement par exemple les "arguments" si bizarres de Peter Sloterdijk en faveur d'une aristocratie post-fiscale) que dans les deux cas, malgré la structure plus inégalitaire aux USA, des proportions comparables du Produit national brut vont vers ce qui dirige effectivement l'économie du pays, que ce soit le Gouvernement, ou bien l'aristocratie des 1%.

    Kevin Drum dit justement que les baisses d'impôts de Bush pour les les plus riches seront sans doute renouvelées même si elles sont coûteuses, inutiles (même avec la situation de récession), contradictoires avec le discours rabâché sur les déficits et de plus impopulaires chez la majorité des Américains. L'ennui est que si elles sont peu populaires chez les déciles les moins avantagés, elles le sont tellement chez les 1% que les deux Partis politiques les écouteront (le Parti démocrate n'étant que légèrement moins partial que le Parti républicain dans ses attentions vis-à-vis de l'oligarchie).

    This is the shape of American politics. If your income is low — and probably a fair number of the 56% who want Bush's tax cuts for the rich repealed are low-income voters — politicians simply don't care. If you're middle class they care a little more. But if you're rich, then they really, really care. And it's safe to say that most high earners are opposed to repealing tax cuts on high earners. That goes for all Republicans and a growing number of Democrats too. So what seems like a no-brainer isn't as simple as it looks. Economically it makes sense to repeal Bush's tax cuts for the rich, and a majority of American citizens are in favor of it. Unfortunately for them, they belong to the wrong majority. They're not rich themselves, and increasingly in America, that means their votes just don't count.

    Par ailleurs, je pense que Mme Penchard devrait songer à déserter vers une île déserte sans trop de moustiques.

    jeudi 2 septembre 2010

    Au bord de l'eau, vol. 2



    Après 29 mois d'attente depuis le volume 1 (mars 2008), revoici l'adaptation en bande-dessinée du roman Au bord de l'eau, avec un scénario de l'hyperprolifique Jean-David Morvan (avec son vieux comparse Yann Le Gal) et le dessinateur chinois Wang Peng.

    Le premier volume avait surtout mis en place Shǐ Jìn, le Dragon Bleu (au corps tatoué sur la couverture), jeune paysan formé par le Maître d'armes impérial Wang Jin, victime des persécutions de l'immonde Maréchal Gāo Qiú, sous le règne de l'Empereur Huizong (début du XIIe siècle).

    Le Dragon Bleu commence par protéger le village contre les bandits Zhu Wu "le Génial Tacticien", Chen Da "Tigre Sauteur de Ravins" et Yang Chun "Serpent à Taches blanches" mais il en vient ensuite à défendre les bandits face aux troupes du commandant de la sous-préfecture de Huàyīn (dans le Shǎnxī). Shǐ Jìn le Dragon Bleu partage l'hostilité des brigands vis-à-vis du pouvoir mais refuse encore pour l'instant de les rejoindre dans leur vie de rapines.

    Ce second volume des Bandits des Berges va se concentrer sur un autre personnage , le truculent Lu Da (plus tard connu sous le nouveau nom choisi par le moine Zhao Lu Zhisheng Sagesse Profonde, aussi dit "Le Bonze tatoué").

    Lu Zhisheng est un colosse barbu intempérant aux appétits gargantuesques mais il va traverser de multiples vies contradictoires. L'officier "contrôleur" devient hors-la-loi par accident en tentant de lutter contre une injustice (il n'en sera pas du tout récompensé) et il tente ensuite de devenir moine, même s'il continue à préférer l'usage d'un imposant bourdon de moine (pelle en croissant de Lune ou pelle de Shaolin) à la domination de ses désirs.

    Cet épisode change un peu du style moralisant du premier volume grâce à ce personnage de "brute au grand coeur" alcoolique, plus cynique que le valeureux Shǐ Jìn. On peut se demander combien de volumes aura la bande-dessinée. L'adaptation prend la version relativement "courte" (celle de Shī Nàiān du XIVe siècle en 70 chapitres, sans la suite par Luó Guànzhōng où les bandits s'amendent) mais on n'a encore introduit que deux bandits parmi les 108 et il faudra attendre avant que tous ces divers personnages ne convergent. Le chef de toute cette bande des 36 Etoiles Sòng Jiāng, le "Hérault de Justice", n'apparaîtra sans doute pas avant le volume 4 ou 5, après Lín Chōng "la Tête de Léopard" et Yáng Zhì "le Fauve-à-face-bleue".

    Le nombre important de personnages est toujours l'une des grandes difficultés des romans chinois (Robert Van Gulik disait qu'il se forçait à en réduire la quantité dans ses aventure du juge Ti) mais ici la bd pourrait bien se débrouiller pour que chaque personnage reste identifiable, quel que soit le choix d'un style très réaliste (un style plus abstrait ou bien cartoony pourrait paradoxalement rendre plus facile la distinction par quelques signes conventionnels : ici, on a besoin des dialogues pour se rendre compte que le même personnage peut se métamorphoser en se rasant la barbe).

    Par ailleurs, je crois que Mme Penchard devrait s'exiler loin du bord de l'eau où git le germe de la dengue.