Après plus de 18 ans de tensions violentes (et plusieurs décennies de procédures), la justice indienne est arrivée à un verdict sur le conflit d'Ayodhyā, qui va diviser la zone en trois, deux pour deux groupes d'Hindous, une pour les Musulmans.
La petite ville d'Ayodhyā, la "Cité Invincible" en sanskrit, dans l'Uttar Pradesh, est l'un des principaux sites sacrés des Hindous puisqu'il s'agirait de l'antique cité royale du héros divin Rāma (aussi appelé simplement "Shri Ram" ou "Seigneur Ram", 7e Avatār de Viṣṇu, héros de l'épopée le Rāmāyaṇa). Les Hindous ont pu dire que Rāma était adoré sur le site depuis l'Antiquité et qu'il y avait un temple sur son lieu de naissance, le Ram Janmabhoomi (les archéologues semblent bien avoir confirmé qu'il ne s'agissait pas d'une légende ou reconstruction traditionnelle).
Mais le conflit naît à la conquête musulmane. En 1527, le Sultant moghol Babur (1483—1531) a vaincu les seigneurs hindous sur place et il fait construire la Babri Masjid, la Mosquée de Babur aussi appelée la Masjid-i Janmasthan (Mosquée du Lieu de Naissance) sur le site de l'ancien Ram Janmabhoomi.
Mais curieusement, les données historiques deviennent contradictoires et il semblerait que malgré les persécutions de certains Sultans, les Hindous aient pu continuer au fil des siècles à adorer Rāma sur le site des Collines de Ramkot, malgré la Mosquée de Babur. Au XIXe siècle, les Britanniques avaient déjà divisé les cours du Temple/Mosquée en une partie intérieure pour les Musulmans et une cour extérieure pour les Hindous.
A partir de l'indépendance de l'Inde en 1948, les Hindous ont aussitôt pu réclamer plus ouvertement le site. Ils ont commencé à installer de facto un nouveau temple en fermant la Mosquée et en dressant de nouvelles Idoles du dieu Rāma (la ville ayant une large majorité d'Hindous). Le Premier ministre Nehru tenta de faire retirer les idoles mais les autorités locales refusèrent. Des associations musulmanes tentent dès les années 1960 de restaurer l'usage du culte musulman dans l'ancienne Mosquée.
En 1992, la crise éclate quand les militants des Partis nationalistes hindous comme le B.J.P. mais aussi le Viśva Hindu Pariṣad (V.H.P. dont le projet du temple de Rama est l'un des articles fondateurs) et les shivaïstes d'extrême droite du Shiv Senā, viennent finalement détruire la Mosquée de Babur pour restaurer le Temple.
Ce n'est en fait pas vraiment à Ayodhyā qu'il y aura le plus de victimes mais plutôt dans le reste de l'Inde quand la nouvelle commence à créer des émeutes, manifestations et contre-manifestations entre les Musulmans et les Hindous (plusieurs centaines de morts). Des Musulmans mettent le feu à un train qui ramenait des militants ayant participé à la destruction de la Mosquée et cela entraîne un cycle de représailles.
Depuis 1992, plusieurs membres du BJP ont été poursuivis pour avoir incité à cette attaque illégale contre la Mosquée de Babur mais la situation de facto a peu évolué. La Cour suprême indienne a renoncé à se prononcer sur plusieurs propositions musulmanes et hindoues. Les commissions d'enquête ont tellement craint de nouvelles guerres religieuses qu'elles ont dissimulé leurs conclusions en huis-clos. Les découvertes archéologiques ont conforté la thèse hindoue d'une structure hindoue recouverte sous la Babri Masjid mais les Musulmans ont aussitôt critiqué ces études. En 2005, cinq terroristes musulmans (venus, semble-t-il, de groupes de la Province du Cachemire) ont à leur tour tenté de faire sauter le nouveau Temple provisoire de Ram Janmabhoomi mais furent tués par la police avant d'avoir atteint leur objectif.
La Haute-Cour d'Allahabad (d'ailleurs présidée en ce moment par un Juge catholique, mais il n'a pas dirigé ces débats) a publié une décision de 8000 pages sur tous les problèmes juridiques sur les droits de propriété sur ce terrain si contesté.
Mais la décision du partage semble plutôt satisfaire les Hindous, en entérinant le fait que le nouveau Temple de 1992 continue une tradition antérieure et que la Mosquée de Babur de 1528 avait de toute manière conservé contrairement à la tradition musulmane un culte d'idoles. La cour intérieure aura maintenant aussi officiellement le culte de Ram.
Les Musulmans et le Parti du Congrès ont été plus circonspects. Les Musulmans font appel vers la Cour Suprême (tout comme certains Hindous) mais le Parti du Congrès semble au moins se réjouir que le verdict n'a pas relancé d'émeutes, ce qui serait un signe que l'Inde se remet en partie de cette crise.
On compare un peu abusivement la situation avec celle de Jerusalem. Le site de la Cité sacrée d'Ayodhyā est vraiment fondamental pour les Hindous vishnouïstes alors que la Babri Masjid du XVIe siècle ne pourrait pas prétendre jouer le même rôle pour les Musulmans indiens que la Masjid Qubbat As-Sakhrah (Dôme du Rocher) d'al-Aqsa, l'un des plus hauts lieux saints de l'Islam depuis ses origines au VIIe siècle.
Le problème politique est donc de réussir à amadouer la large majorité hindoue qui estime que le Temple de l'un de ses principaux dieux avait sa place légitime sur son lieu présumé de naissance, tout en condamnant l'instrumentalisation politique par le BJP (et le VHP).