dimanche 25 décembre 2022

Les ventes JDR de SF : Traveller, Star Trek

D'après GeekNative, voici les suppléments ou jeux de rôle de science fiction les plus vendus en 2022 sur DriveThru, le site de jdr en ligne: 

  1. Tales of the RED: Street Stories (Cyberpunk) by R. Talsorian Games Inc.
  2. Ironsworn: Starforged by Shawn Tomkin
  3. Savage Worlds Super Powers Companion by Pinnacle Entertainment
  4. Shadowrun: Sixth World Companio by Catalyst Game Labs
  5. Robot Handbook (Traveller) by Mongoose
  6. D100 Space (Book 1, Solo) by Martin Knight
  7. High Guard Update 2022 (Traveller) by Mongoose
  8. Field Catalogue (Traveller) by Mongoose
  9. Mercenary (Traveller) by Mongoose
  10. Trinity Continuum: Prometheus Unbound by Onyx Path Publishing
  11. The Spinward Extents (Traveller) by Mongoose
  12. Star Trek Adventures Player’s Guide – PDF by Modiphius
  13. Dune – Adventures in the Imperium: Sand and Dust (PDF) by Modiphius
  14. Star Trek Adventures Utopia Planitia Starfleet Sourcebook PDF by Modiphius
  15. Star Trek Adventures Gamemaster’s Guide – PDF by Modiphius
  16. BattleTech: Tamar Rising by Catalyst Game Labs
  17. Rifts® Coalition Manhunters™ Sourcebook by Palladium Books
  18. Shadowrun: Emerald City by Catalyst Game Labs
  19. Aliens of Charted Space Vol. 3 (Traveller) by Mongoose
  20. Doctors and Daleks 5e: Player’s Guide by Cubicle 7 Entertainment Ltd.

On remarque à quel point le Traveller de Mongoose continue d'être dynamique après tant d'années et qu'il est suivi par des jeux sous licence de Modiphius (Star Trek et Dune). On trouve aussi deux jeux en solo : StarForged (2e) et d100 Space (6e), ce qui semble être une nouvelle tendance depuis quelques temps. 

J'ignore pourquoi le classement n'a quasiment que des compagnies britanniques (Mongoose, Modiphius ou irlandaise dans le cas de Cubicle 7). Les Américains n'aiment plus autant la SF ? 

samedi 24 décembre 2022

Avent 24 Finir

Le fait que les jeux de rôle puissent être "sans fin" ou "sans condition de victoire" est à la fois une potentialité merveilleuse de l'Infini (et c'est un des aspects sublimes propres à ce type de jeu) et un défaut d'inachèvement ou d'insatisfaction permanente qui rend le jeu dévorant ou obsédant. 

Certes, la plupart des jeux de rôle ont des fins de campagne possible et donc une "victoire". La première édition de D&D présupposait sans doute que le personnage prendrait un jour sa retraite à "haut niveau" (c'est-à-dire le 10e à l'origine), comme un vieux Roi Conan d'Aquilonie, un peu désabusé sur son trône serti de joyaux. Le destin du PJ était de finir en PNJ pour d'autres campagnes futures où vos nouveaux PJ pouvaient croiser leurs incarnations passées. 

Mais certaines éditions de D&D (comme la boite Immortals après le 36e Niveau) ouvraient au contraire le but infini de devenir un dieu. Les PJ devenus Immortels commençaient à nouveau comme des Immortels débutants et tout recommençait. Ils devaient alors suivre une nouvelle progression interne aux Immortels depuis "Initiés"  jusqu'à Temporels / Célestes / Empyréels / Eternels et enfin Hiérarques à l'intérieur d'une des cinq sphères (Matière, Energie, Temps, Pensée et Entropie. Je présume que dans la réalité aucun joueur au monde n'a jamais accompli réellement cette progression sans sauter des étapes. 

Les premiers jeux de rôle pensaient plutôt à des fictions de feuilletons sans fin mais ce n'est qu'ensuite qu'on a pensé à reprendre des structures de récit plus traditionnel avec un vrai "arc narratif", un début et un dénouement, un épilogue qui donnerait une impression d'accomplissement. 

Pendragon trouvait sa réalisation dans la procréation dans la dynastie : c'est le successeur qui marquait le succès. Mais c'était donc le début d'un nouveau PJ. 

L'Ultime Epreuve (1983), le premier jeu de rôle français, avait une fin annoncée : les PJ vivaient leur aventure pour pouvoir affronter ensuite le Portail et rejoindre les dieux de l'Equilibre dans leur lutte contre les dieux de l'Entropie. Mais le jeu n'avait pas vraiment réfléchi à ce dénouement et je crains que beaucoup de joueurs devaient presque s'en désintéresser comme si c'était plus un décès qu'un triomphe. 

Fiasco (2009), jeu sans MJ, est aussi clairement centré sur une fin de jeu puisqu'on joue une expérience et non une progression. Ce thread sur Twitter mentionne d'autres jeux indépendants construits sur un terme, comme Agon (où le Héros doit réussir à la fin à mettre fin à son périple et revenir d'exil) ou Ten Candles (jeu d'horreur où on éteint progressivement les bougies de manière irréversible, les personnages mourront et leur feuille de PJ sera même brûlée au feu de la bougie...). 

vendredi 23 décembre 2022

Avent 23 Alea

J'aime le d100, peut-être simplement parce qu'un pourcentage apparaît inconsciemment plus scientifique qu'un score sur 20 ? 

Mais de fait, c'est le d20 qui l'emporte (que ce soit en jets où il faut faire haut, dérivés de D&D3, ou dans les jeux où il faut faire bas avec des marges de réussite comme Bushido ou Légendes, ou ceux où il faut faire blackjack comme Pendragon , HeroWars/HeroQuest ou Fading Suns) dès qu'on doit faire des opérations sur le résultat et la mauvaise réputation de Rolemaster vient au moins en partie du fait de cumuler d100 et addition alors que le système Basic de Chaosium a tenté de se passer de marges de réussite par des seuils simples (comme réussite critique à 5% du score initial). L'édition récente de Call of Cthulhu a fait le même choix que Pathfinder d'un second jet de confirmation pour les échecs critiques. 

Il y a à ma connaissance peu de jeux qui ont utilisé la différence entre dizaines et unités des deux d10. Unknown Armies de Greg Stolze et John Tynes utilisait un système Blackjack (il faut faire plus que l'adversaire dans les jets en opposition) et la qualité de la réussite était égale à l'addition de la dizaine et l'unité, sachant qu'un double était une réussite critique. Les magiciens ont le droit d'inverser dizaines et unités mais uniquement dans certaines actions qui relèvent de leurs spécialités. 

Dans le système Revolution d100 d'Alephtar Games (voir cette critique détaillée chez ElRuneBlog), dépenser des points de destin permet de décaler les dizaines ou les unités du résultat du d100. 

Je me souviens que John Wick avait discuté un système d1000 pour Warhamster (le jeu de rôle imaginaire auquel jouent les personnages du comic Dork Tower de Kovalic) où le troisième d10 servait en fait pour des facteurs comme la zone touchée mais où les joueurs pouvaient toujours librement choisir quel dé était la dizaine ou l'unité. Mais Kovalic n'a pas suivi ce système dans sa propre version de Warhamster, il me semble. 

Appendice sur Eranon

J'ai parlé l'autre jour du jeu Chronicles of Ramlar (2006) et de son univers d'Eranon et un autre souvenir me vient. Je ne veux pas trop défendre ce cadre de jeu, qui est extrêmement générique mais il y a quelques petites trouvailles quand même en dehors de ses Nains-Bibliothécaires. Une des principales créatrices était Alana Abbott et elle a aussi écrit trois romans dans cet univers mais je ne suis pas allé jusqu'à les lire. 

facsimile Tolkien

La mythologie est presque entièrement un plagiat de l'Ainulindalë et Valaquenta du Silmarilion, à part le petit détail que Gabrun ( = Melkor/Morgoth) était originellement motivé par son désir de plaire à Ramlar (= Eru Iluvatar) et non pas seulement par l'arrogance et l'hubris. Il a une compagne, Pilith (l'Ange de la Nuit) et plusieurs dieux maléfiques pour enfants. Un secret du monde est que Gabrun ne répond plus. Il s'est "endormi" parce que Pilith a voulu se débarrasser de lui pour prendre sa place comme le Mal finit par s'autodévorer. Les fidèles de Gabrun ignorent que leur église est désormais contrôlée par la Déesse de la Nuit qui a trahi son époux. Mais je ne suis pas certain que cela créerait un schisme intéressant entre le Mal et les Ténèbres. 

L'histoire est étrangement peu développée avec un seul long événement interminable, la longue Guerre contre les Elfes des Ténèbres, qui ont dévasté tout le continent pendant des siècles, ce qui explique que le monde soit recouvert de villes en ruines. Ce sont donc les Elfes des Ténèbres (Druegarn) et non pas leur serviteurs orcs qui sont les hordes préférées de Gabrun & Pilith, avec quelques peuples humains comme les Nuriniens des cités sombres du Désert.  

Tolkien en miroir

Finalement la longue guerre est enfin arrivée à son terme quand un grand sorcier Elfe des Ténèbres, Istolil Hune, a changé de camp pour sauver les Peuples Libres. Cet Istolil Hune est donc un Saruman inversé (le Mage du Bien est un renégat qui servait Morgoth, ou bien un Gandalf qui serait aussi un ancien Nazgul repenti). Ou plus simplement en termes de Forgotten Realms c'est un Elminster (l'Archimage) qui est superposé avec Drizzt Do'Urden (l'Elfe Noir racheté). Hune est toujours aujourd'hui le protecteur de la Cité d'Aurod avec les Chevaliers-Griffons. 

Mais en dehors de cela, le monde est resté très manichéen avec de nobles humains d'Aurod (Cité des réfugiés qui se sont opposés au Sombre Ennemi), les gentils halflings amateurs de musique, les gentils elfes, les gentils nains et de l'autre côté les sombres peuples fidèles à Gabrun & Pilith qui semblent presque entièrement sans rédemption. Le monde commet d'ailleurs la grande erreur de ne pas avoir assez d'antagonistes en dehors de ceux-ci et de l'Archiliche qui dirige l'Université de Soulbane. 

Nemesis

Il y a une seule espèce qui ne soit pas tolkiénienne (en dehors des Nains-bibliothécaires), les Spirinari, qui ressemblent à de grands elfes-shamans qui parlent aux esprits et dont la spécialité est de sculpter des ossements de spectres indestructibles. Leur cadre de vie est utopique mais aussi complètement isolationniste. La légère inflexion au manichéisme de ce monde est que ces Spirinari sont décrits comme si "purs" et "parfaits" qu'ils sont incapables de pardonner aux Elfes sombres et de croire à l'innocence de l'un d'entre eux, même Istolil Hune, qui a pourtant sauvé la civilisation. Les Spirinari, malgré toute leur bonté et leur sens de la justice, ont donc juré de commettre un génocide complet contre tout le peuple des Elfes sombres car ils n'arrivent pas à concevoir l'idée de progrès, de réhabilitation ou même d'exception. Mais hélas, cette nuance est un peu perdue comme ces exceptions semblent si rares. 

Jargon

Un défaut est parfois un jargon dont l'utilité n'est pas évidente. Par exemple, les prêtres sont divisés en "merthwargs" et "sevars" mais cela revient assez exactement respectivement aux vieilles classes de Druides (+Rangers) et Clercs (+Paladins, curieusement, le jeu de rôle Les Ombres d'Esteren avait aussi ce mot "demorthen" qui revenait au druide aussi). Le jargon peut créer de l'atmosphère mais il se justifie mieux quand le concept ne paraît pas traduisible directement. Mais on les retient assez vite. 

Les dragons ont été classés en 7 catégories qui n'ont rien de faciles à retenir : les  Albesherak (dragons hybrides ratés sans ailes), Cyantheer (petits dragons maléfiques), Magentura (grands dragons maléfiques), Tethsharin (dragons isolationnistes agressifs), Gethnarsus (grands dragons neutres), Lerinia (dragons bénéfiques), Rezthanin (dragons encore plus bienveillants). Un détail intéressant est que les Cyantheer sont des "coucous" qui mettent leurs oeufs dans les nids des Lerinia pour les parasiter et pour tuer leur portée. En revanche, la quête qui consiste à rassembler les 7 statues des 7 catégories de dragons pour créer le 8e dragon, le plus terrible, fait un peu trop jeu vidéo. 

jeudi 22 décembre 2022

Avent 22 Feuille de Personnage

J'aime beaucoup les feuilles de personnages de Shaan. Il est rare que l'ordre même des caractéristiques deviennent ainsi la représentation schématique d'une vision du monde. 



mercredi 21 décembre 2022

Avent 21 Exotisme

Il existe de nombreux univers fictifs aux principes tellement différents de la réalité qu'on doit apprendre de nouvelles lois de la nature. 

L'exemple extrême doit être Mechanical Dream, où il n'y a aucun humain et où il faut assimiler toutes les bases nouvelles de cet univers, y compris l'écoulement du temps ou l'alimentation qui est un des plus gros problèmes quotidiens pour la plupart des êtres. World Tree aussi n'avait pas d'humains et certaines des données étaient assez opposées à la science réelle (comme la biologie : il n'y avait pas de sang ou d'anatomie interne complexe, les êtres vivants étaient littéralement animés par une force vitale qui se dissipait comme un gaz quand les individus meurent). Il y a aussi quelques mondes creux (comme l'intérieur de Mystara ou le monde-prison de Providence) et sphères de Dyson. La Cité de Sigil dans Planescape est un tore au sommet d'un cône de taille infinie. 

Les deux continents du jeu de rôle Reign (2007) de Greg Stolze, Heluso et Milonda, étaient un couple de Géants flottants à demi émergés où chaque île était des morceaux des membres qui sortaient des eaux (Stolze disait avoir eu l'idée dans son bain). Le soleil est immobile mais varie seulement en luminosité (mais on n'est pas à l'intérieur d'un monde creux). Cela cause donc des zones obscures à perpétuité. L'Empire vivait sur un Pont continental tellement immense que des pays entiers étaient couverts sous l'ombre du Pont. Une des étrangetés était la gravité relative à ces deux corps : la gravité est différente en mer et sur le sol, elle n'est pas toujours perpendiculaire au sol car elle va vers le centre des os les plus proches du Géant et non pas toujours vers le bas comme certains membres étaient inclinés. Quand un navire s'approche d'une côte, il peut voir la cité du port aplatie sur la surface de la côte comme s'il voyait une grande carte étalée devant lui. 

mardi 20 décembre 2022

Avent 20 Cartes

 Je ne sais pas quelle est la carte la plus belle de pays imaginaire que j'ai jamais vue. Je penche soit pour celles de Bearded Devil (dont j'avais parlé l'an dernier) ou alors celles d'Artesia

Matsya

Comme le savent tous ceux qui ont déjà subi mon calendrier de l'Avent de ce Noël 2022, la qualité d'une oeuvre est proportionnelle au nombre de raies manta. Je n'ai vu qu'un seul animal qui ressemblait à une raie manta dans Avatar 2: The Way of Water, mais cela rend aussitôt l'oeuvre supérieure au premier (dont j'avais parlé il y a 13 ans). 

Plus sérieusement, l'eau est filmée d'une manière plus organique que toute la faune et la flore du premier film. Cela reste trop long et prévisible mais on peut préférer ce pastiche de Moby Dick et toute sa publicité pour GreenPeace à Dance with the Dragons du premier. Les références du nouveau deviennent plus polynésiennes dans la Mer mais on y retrouve tous les mélanges de plusieurs visions de l'Autre non-occcidental, et notamment de l'Inde en même temps que les Amérindiens ou l'Afrique. 


Dans le premier volet, un petit groupe d'humains (une scientifique et un soldat paralysé) étaient incarnés dans des "avatars" (bleus comme Vishnou) pour mieux infiltrer les Na'vis de Pandora mais ils n'étaient pas des Na'vis parfaits. Ils devenaient si proches des indigènes que le soldat finissait en leader charismatique de la révolte contre la colonisation humaine (venue chercher "l'Unobtainium"... si), avec l'aide de Eywa, l'Arbre de Vie qui met en connexion toute la biosphère de Pandora en une hypothèse Gaïa. 

Le temps a passé et le héros a eu trois enfants hybrides avec une Na'vi et la scientifique a eu un enfant avatar dont l'identité reste mystérieuse et qui serait une supershaman qui pourrait se connecter sur Eywa par WiFi sans passer par le cable USB qu'utilisent les autres formes de vie de cette planète. Et des soldats humains décédés dans le premier film reviennent de la mort downloadés dans de nouveaux avatars hybrides ("pour expier leurs péchés" : ces avatars sont condamnés dans une réincarnation sans fin où Pandora est leur Purgatoire alors que c'est l'Eden pour le héros). 

Une théorie des fans veut que Pandora ne soit pas que ce qu'elle laisse apparaître, pas seulement le Mythe du Bon Sauvage qui vivait en équilibre avec la Nature contre la Machine. Pour justifier l'improbable évolution des formes de vie qui sont toujours si curieusement bien adaptées entre elles sur Pandora, on pense qu'il y a dû y avoir des Grands Anciens très développés qui auraient conçu le réseau informatique trans-règne Eywa et les Na'vis pour faire de Pandora un Eden. Il serait alors assez ironique d'inverser toute la critique de la technologie : on aurait une technologie encore dépendante de la rareté capitaliste pour les Humains et une nanotechnologique organique tellement avancée qu'elle se fait passer pour une spiritualité technophobe. (En passant, cette théorie de fan est en revanche assez proche des secrets réels pour le jeu de Hard SF Blue Planet si ce n'est que les Humains sont déjà en partie adapté au milieu de Poseidon). 

Ici, la théorie change un peu en version biologique et on pourrait appeler la nouvelle interprétation "Les Globules Bleus". On apprend que de grands animaux marins, dragons-cétacés (les Tulkuns), sont l'espèce la plus intelligente de la planète et qu'ils sont d'un pacifisme absolu, ce qui fait que seuls les petits Na'vis, plus primitifs et prédateurs, peuvent servir à Pandora de protecteurs immunitaires contre les envahisseurs et pour garder l'agressivité que les Tulkuns trop sages ont abandonnée. 

Ou alors on peut s'amuser à y voir une polémique de l'Hindouisme martial des Na'vis (comme dans le Bhagavad-Gita) contre le Jainisme radical des Tulkuns : les Brahmanes ont besoin des Kshatriya, le Moi libéré de son attachement a encore besoin d'être protégé par le Moi empêtré dans les ardeurs guerrières de la colère, le pur intellect présuppose encore la passion. 

Le jeu de rôle Blue Planet ressemblait énormément à ce second volet. Les Humains viennent notamment sur Poseidon pour piller des produits qui peuvent lutter contre le vieillissement, le "Long John". Sur Pandora, les Humains viennent piller l'ambre des baleines Tulkuns pour obtenir une drogue contre le vieillissement, l'Amrita (ce qui continue de filer les allusions à l'Hindouisme). D'ailleurs, 15 ans avant Blue Planet, dans Traveller Adventure 9 Nomads of the World-Ocean (1983), les corporations massacrent d'immenses Ver des Océans Daghadasi pour obtenir un produit pharmaceutique, le PDPT-Beta qui permet de lutter contre le cancer (et le supplément insistait déjà sur le fait qu'on tuait une créature de milliers de tonnes pour n'en tirer que des traces du précieux élixir - alors que l'Epice dans Dune ne tue pas les Vers des Sables). Je ne me souviens plus si la bd Aquablue avait une telle ressource rare pour justifier la colonisation. Je crains que le renom d'Avatar ne nuise à beaucoup de campagnes de jeu de rôle qui vont sembler rétroactivement être trop similaires. 

La scène où un des hybrides Na'vi-Avatar entre dans la gueule du monstre pour se connecter à ses souvenirs doit encore être un effet de la théorie jungienne de Joseph Campbell sur l'itinéraire du Héros, où il est censé s'enfoncer dans les ténèbres de son inconscient (ce que Campbell avait appelé "Le Ventre de la Baleine"). On peut aussi y voir une allusion à l'avatar Matsya ("le Poisson") : Manu le Premier Homme préserve toute la vie et les Veda du Déluge grâce à ce premier avatar de Vishnu (avatar qui fut d'abord celui de Brahma le créateur). Ils doivent s'accrocher à la corne de ce poisson pour survivre aux eaux du cataclysme. Ici, les Tulkuns bodhisattvas seront sauvés aussi par le Tulkun immature resté plus proche des avatars guerriers de Vishnu. 

lundi 19 décembre 2022

Avent 19 Bibliophilie

 Ron Edwards dit dans son article Les crevecoeurs de la fantasy que même dans le jeu de rôle le plus oubliable on peut trouver des petites pépites originales et merveilleuses. En 2006 fut publié Chronicles of Ramlar, un univers créé par John Prescott. A l'époque, le jeu avait paru trop générique et fut un échec. Le système gardait encore classes et niveaux (mais les créateurs écrivaient comme s'ils croyaient avoir inventé la localisation des coups et les points de vie par zone) et le monde ressemblait à un cadre de D&D assez classique. 

Pourtant, il y avait quelques idées assez fascinantes, comme "Le Livre". 


Le Livre est une montagne-bibliothèque emplie d'encyclopédies gravées dans la pierre et les parchemins. Sa localisation est secrète. Elle a été creusée depuis des siècles par un peuple de Nains nommés les Hethmarkn qui ont inventé les Runes et qui croient que leur destinée sur Eranon (le monde) est de tout conserver grâce à leurs Runes. Ils sont les gardiens du Livre depuis leur création et considèrent qu'ils doivent continuer à l'écrire. Leurs Veilleurs (Linquasi) sillonnent le monde pour rapporter au Livre tout ce qu'ils ont vu. Ils ont normalement un statut de neutralité qui leur permet d'assister aux batailles comme observateurs historiques mais les caravanes d'Historiens ont aussi des guerriers pour protéger leurs précieux textes qui doivent être rapportés au Livre. 

Ils ne doivent pas être confondus avec le peuple nain des Kasmarkn, nettement moins contemplatifs, et qui eux gardent dans leurs montagnes l'Université de Poteau Runique (Runespar), qui enseigne la magie runique. Cet univers d'Eranon est d'ailleurs assez caractérisé par des conflits entre Universités et pas seulement entre cités. Aurod, la Cité des Chevaliers-Griffons (qui a l'air d'être en gros à Eranon l'équivalent de Gondor), a aussi sa propre Bibliothèque, plus accessible que le Livre, et la sinistre "Fléau des Âmes", l'Université de Nécromancie dans les Montagnes de la Folie, est l'équivalent de Mordor dans ce monde (même les Historiens Hethmarkn s'interdisent d'y aller car leurs agents y devenaient des zombies). Mais même l'Université de Nécromancie a aidé les mortels contre les Elfes des Ténèbres pendant la Grande Guerre Noire. 

Si vous connaissez les Thriddles de Jorune (tout aussi obsédés par la connaissance et qui ont aussi une Montagne-Bibliothèque), les Nains Historiens d'Eranon ne paraissent pas si originaux mais cela change quand même le cliché des Nains forgerons. Je pense souvent à ce livre quand je veux imaginer des Nains qui ne soient pas trop proches des Khuzduls de Tolkien ou même des Mostali de Glorantha. 

La fin de TricTrac

Triste nouvelle pour le plus grand site de jeu de société en France. Monsieur Phal, le fondateur, qui avait quitté TricTrac, fait une vidéo pour expliquer quelques aspects de l'évolution du site. 

dimanche 18 décembre 2022

Avent 18 Tourbillons

Il y avait plusieurs raisons pour apprécier Maelstrom (1984) d'Alexander Scott dont les règles très développées sur l'herboristerie avec un herbier qui semblait presque trop réaliste dans ses détails. Mais l'élément le plus frappant qui donnait son nom au jeu était le système de magie. 

Le jeu était pseudo-historique dans l'Angleterre tudor ou élizabethaine mais une différence majeure était l'ajout optionnel d'une étrange magie, très libre mais sans lien avec de l'occultisme classique. De mémoire, le mage demandait un effet et le MJ devait estimer le degré d'impossibilité. Mais quand un effet devenait trop improbable, l'art magique invoquait une sorte de force chaotique pour annuler les Lois de la physique et au minimum altérer les probabilités (un peu comme la Magie du Chaos de la Sorcière rouge dans les comics Marvel). 

L'ennui était que plus on utilisait cette magie, plus le "Tourbillon" qui donnait son nom au jeu grossissait et menaçait l'ordre naturel de la région. La Magie avait donc une sorte de "météo" où les mages créaient des dépressions. Les Mages devaient donc éviter de rester au même endroit, non pas seulement pour ne pas attirer l'attention sur eux mais aussi pour ne pas rendre tout l'environnement de plus en plus contre-nature. Le thème du jeu était le voyage picaresque et les mages avaient intérêt à rester des vagabonds (un peu comme les créatures vivantes de Promethean: The Created qui déclenchent des hystéries de haine s'ils ne passent pas leur temps à fuir). 

C'était un peu l'inverse de Mage: The Ascension où la réalité réagit pour empêcher les transgressions : ici, le Mage doit plus craindre qu'il ait eu trop d'hubris en ayant disloqué les jointures de la réalité. C'était aussi l'inverse de jeux où les sorciers semblent plutôt drainer la force magique autour d'eux au lieu de l'agiter (comme la "Radiance" dans Glantri qui va finir par évacuer la magie à force de s'en servir). 

C'est un coût de la magie assez ingénieux dans son danger : non pas seulement votre énergie comme dans les autres jeux mais la cohérence même de la réalité. Cela pourrait vite devenir un cercle vicieux : plus la magie commence à détruire la stabilité, plus elle devient facile à utiliser et puissante. Les autres mages doivent donc passer leur vie à se détruire mutuellement par souci d'auto-préservation et on pouvait même décider de réserver la magie à des antagonistes PNJ. Il est bien dit que l'Inquisition condamne en réalité des innocents dans le jeu (puisque l'auteur ne voulait pas du tout incorporer de mythologie chrétienne ou d'hermétisme) mais s'ils trouvaient de vrais Mages, ils auraient de bonnes raisons de les condamner. 

Maelstrom existe toujours chez Arion Games sous format pdf avec quelques suppléments. Il y a même eu une extension pour jouer à Rome en 50 au lieu de l'Hertfordshire en 1550. Il ne faut pas le confondre avec un autre jeu de rôle homonyme, Maelstrom Storytelling (1997). 

samedi 17 décembre 2022

Avent 17 Rire

Hélas, il est difficile de rester sérieux dans les jeux sérieux d'atmosphère (et c'est pourquoi j'évite un peu les jeux d'horreur où je crains d'être un de ces joueurs pénibles casseurs d'ambiance). 

Mais à l'inverse, les jeux faits pour être directement humoristiques ont parfois du mal à maintenir cette pression pour faire des blagues. Toon me paraît vite difficile mais je crois que Paranoia marche mieux sur le moyen terme. 

Dans le jeu de rôle The Laundry écrit par Gareth Ryder-Hanrahan, je me souviens de l'explication la plus amusante de la partie de jeu de rôle pour remplacer les exemples stéréotypés habituels :

Player: I open the door into the next room.
GM: You see an orc armed with a battleaxe guarding a chest. 

 Player: I enter into a frank and meaningful dialogue with the orc, validating his right to guard chests but not pigeon-holing him into a stereotype, in the hopes of restructuring the traditional adventurer/monster antagonistic relationship into something more positive and mutually beneficial.

GM: Roll 1d20 against your Charisma skill. 

Player: I succeed. 

 GM: The orc is moved by your rhetoric. Casting his battle-axe aside, he sits down on the chest and invites you to join him in a brain-storming session about ways to revitalize the decaying subterranean infrastructure and society of the dungeon, perhaps with a – 

 Player: While he is distracted, I stab him with my sword.

vendredi 16 décembre 2022

Avent 16 Renouvellement

Commencements & Cataclysmes

Les vieux joueurs des années 1970 devaient aimer le post-apo parce que c'était aussi très immédiatement angoissant dans le contexte, bien plus que tout les mythes à tentacules. Le genre m'a attiré mais je n'ai jamais testé en réalité, ce qui risque de rendre ma volonté de fantasmer dessus encore plus abstraite que d'habitude. J'aime le spectre d'un genre sans le pratiquer mais je suis souvent déçu quand cela redevient du Western. 

Révolution & Renaissances

Un des attraits est l'idée de révolution. Le mot "révolution" voulait dire "retour", comme en astronomie, et dans toute notre vision moderne la révolution implique de recréer ou refonder un nouvel Ordre des choses, que ce soit comme simple restauration ou plus profondément comme retour aux racines pour permettre d'agir aux origines. Hannah Arendt cherche toujours des fondateurs et pour elle, toute la tradition politique pré-moderne est inscrite dans l'idée de "commencement" - la pluralité humaine n'existe que pour qu'il y ait des commencements et pas seulement des cycles. Elle prétend que c'est Machiavel qui aurait fait évoluer la révolution en ce sens moderne d'essence de toute politique, de recommencement nécessaire de la politique (le problème précis était alors de savoir comment recréer une Italie nouvelle alors que Rome n'était plus en Rome, comment liquider le Moyen-Âge tout en sachant que l'Antiquité était définitivement morte et que la Renaissance se berçait donc d'illusions en croyant invoquer ces spectres). 

Ruines & Regrets

Il y a plusieurs types de "post-apo". Le genre est souvent dans la mélancolie, dans le regret de l'échec de la civilisation, dans le sublime des Ruines. On pleure alors devant la contingence de notre civilisation. Ou alors ce n'est pas de la mélancolie mais du "cynisme" au sens originel des normes naturelles contre les conventions sociales. Le post-apocalyptique plaît souvent aux Américains pour des raisons anti-politiques, comme un retour à un état de nature ou un redéploiement du mythe de la Frontière hors la loi comme dans le Western. On doit alors sauver de petits groupes d'individus post-politiques face à des hordes. 

Effondrement & Espérance

Pourtant, il y a une dimension politique dans l'idée de refondation optimiste, de recréer de l'espérance et de nouveaux liens après l'effondrement des systèmes qui ont échoué. Ce n'est pas qu'une restauration au même (sauf peut-être dans The Morrow Project, où on joue des humains pré-collapse endormis pour accélérer la reconstruction et la restauration). L'avantage du post-apo sur des "révolutions" ordinaires est que la table rase a déjà eu lieu et que le Ravage n'est pas ici un moyen discutable qui pourrait échapper à tout contrôle mais un état de fait antérieur, une condition de départ pour voir ensuite comment on peut développer cette bifurcation, ce pas de côté vers des possibilités inouïes. 

Révélation & Rédemption

Le jeu de fantasy post-apo Krystar avait mis de l'espérance surtout grâce à la magie et un substitut de religion où la Terre cherchait à se guérir. La métaphore devient alors plus médicale que politique, ce qui risque de limiter les débats (sans parler des jeux d'horreur post-apo comme Vermine où le thème de la survie devient les formes de parasitisme alors que la Terre a réagi contre la dévastation du capitalocène). 

Le magnifique jeu québécois Tribe 8 aussi parlait de la religion mais une des idées géniales était que les survivants de la "Huitième Tribu" devaient chercher à créer un nouvel ordre qui s'oppose à la fois aux forces immenses de désespoir et aux formes de contrôle et d'aliénation (les 7 tribus avec les 7 Déesses) qui étaient censées protéger les autres survivants face à la folie destructrice. L'esthétique SM-gothique rendait cela un peu trop désespéré mais c'était aussi un jeu d'horreur (le problème des démons, comme des zombies, est que ce ne sont pas des adversaires avec qui on a beaucoup envie de négocier). Malgré le thème de départ de jouer la confédération des marginaux, les auteurs semblaient un peu hésiter à refaire dépendre cette nouvelle tribu simplement d'autres Déesses nouvelles en concurrence. Cela pouvait affaiblir l'idée d'une révolte contre ces nouvelles structures théocratiques de survie. 

Je ne connais pas assez le genre pour savoir si un jeu réussit à remettre cet optimisme de manière plus politique sans utiliser une telle téléologie et une dea ex machina. Les clans, factions et communautés ne semblent souvent être que des agrégats de tendances en rapports de force. 

Mutants & Marginaux

Les choix politiques peuvent parfois se réduire un peu à une opposition entre humains et mutants, entre la continuité et des formes marginales. Et le plaisir principal des premiers jeux post-apo Gamma World venait des transformations où on reconnaissait les métamorphoses de notre environnement tout en jouant des personnages eux aussi en métamorphose. 

Mais jouer des parias marginalisés peut simplifier le débat politique. Le drame individuel est plus facile à jouer dans nos fictions mais il y a des "playbooks" d'Apocalypse World qui peuvent indiquer des directions qui ne sont pas que des drames d'oppositions individuelles. La lignée des jeux dits "Belonging Outside Belonging" (qui avaient évolué à partir d'Apocalypse World) est en partie fondée sur l'idée de co-créer des jeux sur des communautés "marginalisées" mais en utilisant un mode de narration sans MJ. 

jeudi 15 décembre 2022

Avent 15 Pinocchio

 Une des choses que j'aime beaucoup dans Tranchons & Traquons (par Kobayashi & Le Grümph) est qu'une des espèces jouables est la Marionnette. On est un être animé et on peut alors même se détacher en plusieurs morceaux, s'enlever un bras pour l'envoyer en mission par exemple. Ce n'est pas un effet déséquilibrant mais cela installe aussitôt dans une ambiance de conte de fées. Et tout personnage de jeu de rôle est toujours un peu au bout de quelques fils. 


(En passant, je viens de voir que John Grumph traduit The Shire en "Le Baillage" au lieu du Comté dans son jeu tolkienoïde et c'est très astucieux). 

mercredi 14 décembre 2022

Avent 14 Chants d'innocence

William Blake fut peut-être le premier écrivain à créer consciemment et explicitement sa propre mythologie personnelle juste avant le début du XIXe siècle quand l'histoire et la philologie allaient saisir plus objectivement les mythes anciens. 

Il y a eu à ma connaissance au moins 3 utilisations de cette mythologie en jeu de rôle : 

Dans le jeu de voyage dimensionnel Lords of Création (1984) de Tom Moldvay, l'univers mythopoiétique de Blake est une des dimensions, "Ulro", avec sa carte et ses lois magiques. 

Dans le supplément The Mystic World (2004) de Dean Shomshak (qui est aussi co-auteur de Yazata, décidément), l'auteur se sert de William Blake pour remplacer la mythologie pseudo-lovecraftienne utilisée dans les comics de Dr Strange (et y ajoute un peu de Promethea). 

Récemment, dans le scénario Fearful Symmetries (2022) de Steve Dempsey pour Trail of Cthulhu, Blake est à nouveau utilisé pour remplacer les conventions lovecraftiennes. Dempsey est aussi un des co-auteurs de Dreamhounds of Paris sur les poètes surréalistes. 

mardi 13 décembre 2022

Avent 13 Zeppelins

Hite's Law
"All Change Points, from Xerxes to the last presidential election, 
create worlds with clean, efficient Zeppelin traffic. 
Changing history may produce Zeppelins as an inevitable 
by-product,  much as bombarding uranium produces gamma rays. 
Often, the quickest way to tell if you are in an Alternate History 
is to look up, rather than at a newspaper or encyclopedia." 
— Kenneth Hite, "An Alternate-Historical Alphabet," 
Suppressed Transmission, 2000

Il y a une seule chose que j'aime presque autant que les raies manta, ce sont les aéronefs dirigeables. 
Et d'ailleurs, les Zeppelins ont un peu de cette grâce des raies mais dans un autre élément. Les raies sont des ailes de dragons flottant comme des suaires et les Luftschiffe planent silencieusement comme des châteaux nébuleux tout aussi irréels. Et je ne crois pas trop à une interprétation freudienne (qui s'appliquerait à la rigueur mieux pour les fusées). 

Ce sentiment onirique explique peut-être pourquoi le Zeppelin est devenu le symbole cliché de toutes les Uchronies et Univers parallèles. Peut-être que le fait que cette technologie étrange ait fonctionné et ait eu ensuite une telle éclipse apparaît comme une manifestation de la contingence des événements, d'une irruption de l'imaginaire dans le réel ou d'un étrange décalage. Même la technologie, censée être plus objective dans son progrès irréversible, montrerait alors le hasard des modes dans l'évolution et la survie de ses lignages. 

Je sais qu'il y a eu des zeppelins dans des scénarios de Cthulhu. Il y a aussi le jeu Lady Blackbird où les PJ commencent en fuyant en aéronefs. La Cité d'Eidolon sur le Shadow World, les Domaines célestes de Jorune, les Magiocraties de Halruaa, Sundered Skies, Swashbucklers of the Seven Skies, Eberron, les Trolls de Earthdawn ou beaucoup d'autres mondes de fantasy ont des vaisseaux volants. Je ne connais pas assez les jeux vidéo pour dire quelle influence doit venir des nombreux Hikūtei (飛空艇) de Final Fantasy VI-VII

Dans Space 1889, les Martiens ont des aéronefs construits en "liftwood" (que je propose de traduire "anoxyle" pour l'instant). Je ne me souviens plus très bien où il y a des Zeppelins dans Castle Falkenstein mais les années 1870 sont peut-être un peu tôt. 

lundi 12 décembre 2022

Avent 12 Esprit de Corps

 Une des idées que j'aimais beaucoup dans le jeu Prophecy (jeu de rôle de 2000 par Julien Blondel et d'autres créateurs français) est que l'équipe des personnages pouvait aussi développer collectivement des capacités collectives du groupe (comme l'égrégore ou le wyter de la tribu dans Glorantha). On retrouve la même idée dans d'autres jeux comme le Shaani dans Shaan et je crois que la Fellowship a aussi ses caractéristiques dans The One Ring

Au lieu d'un esprit commun des différents corps, il y a aussi l'inverse dans Everyone is John ou dans le Cabinet des Murmures où les différents PJ occupent littéralement le même corps. 

La compagnie des étoiles

Dans Prophecy, les personnages peuvent avoir des motivations individuelles opposées : certains peuvent être plutôt alignés du côté de la société traditionnelle des Dragons ou d'autres plus proches des Humanistes qui veulent remplacer la Magie par la Technique. Mais en plus de ces buts personnels, la "Compagnie" des PJ est composée d'Inspirés par un Astre, une étoile qui les a choisis et leur assigne une Destinée commune, ce qui permet d'unifier un groupe malgré toutes leurs différences. Les PJs devront ensuite choisir dans quelle mesure ils acceptent leur Destinée, ses avantages mais aussi ses contraintes. 

On tire d'abord au dé l'Envergure de l'étoile pour savoir le nombre total d'Inspirés dans le monde (entre 1 et plusieurs centaines - il y a de bonnes chances que les PJ ne soient donc pas la seule "Compagnie" de cette Etoile). Puis on tire (ou on choisit) les 6 motivations de l'étoile : les vertus (comme tolérance ou imagination), les mauvais penchants (comme précipitation ou fanatisme), les activités idéales (créer, partager...), les interdits (mentir, reculer...), le type d'épreuve pour accomplir sa destinée (dilemme moral, solitude...) et enfin l'accomplissement final de sa destinée (sacrifice, rébellion, illumination, pouvoir, malédiction...).  

L'Etoile a une caractéristique "éclat" qui variera selon les actes des membres de la compagnie. L'éclat a un Niveau de 1 à 10 qui donne des pouvoirs aux membres, de la simple Télépathie entre membres au pouvoir de Résurrection

On choisit aussi trois rôles dans la Compagnie : le Guide, l'Archiviste et la Main du Destin. Le Guide est le leader et peut demander de l'aide à l'étoile une fois par jour. L'Archiviste doit noter les modifications d'éclat mais a en contrepartie une mémoire parfaite sur toutes les informations que peut connaître le Compagnie. La Main du Destin reçoit des bonus en Chance grâce à l'étoile. 

Je vois plusieurs avantages à ce genre de système : pousser à la coopération et pouvoir éventuellement justifier par un lien mental de Compagnie comment les personnages séparés peuvent continuer à partager ce que savent en réalité les différents joueurs. 

Je trouvais bizarre que les vieilles éditions de D&D assignent un rôle de Porte-Parole de l'équipe (encore que Sodalitas rende cela plus intéressant avec son tour de parole obligatoire pour pousser tout le monde à participer) mais ici ce rôle formalisé de Guide de la Compagnie prend un sens nouveau dans le monde en tant que délégué des membres dans leur relation à leur bonne étoile.  

dimanche 11 décembre 2022

Avent 11 Tératogenèse

Dans le premier jeu de rôle que j'ai compris, Mega (1e édition, 1984), il y avait ce tableau p. 30 de génération aléatoire des créatures magiques. Je crois que c'était surtout pour donner des idées aux MJ et donc pour les PNJ, mais c'était aussi décrit comme un pouvoir magique standard d'Invocation de Créatures qui exigeait qu'on passe par ces jets de dés qui pouvaient faire apparaître aussi bien un petit moustique translucide crachant des plumes (le plus probable) ou bien un reptile de 30 m crachant du magma. Cela était réservé aux personnages avec plus de 17 en Volonté et chaque point au-dessus de 17 permettait de retrancher ou ajouter 1 aux 4d6 sur les tableaux pour mieux choisir ce qu'on a fait apparaître. L'Invocateur devait ensuite dépenser 1 point de Volonté par tour de combat où il utilisait sa Créature. 


J'aimais tellement ce tableau que j'ai été très déçu qu'il disparaisse des éditions suivantes (mieux testées ou moins chaotiques). Dans mon canon personnel, tout agent MeGa envoyé dans une dimension fortement magique apprend toujours ce sort d'Invocation bien sûr (sans doute assez gourmand en points de Force et/ou Volonté) et doit avoir même le moyen de se transférer dans son amphibien recouvert de poils urticants et crachant de la glue. 

Dessin par Bernard Verlhac, dit Tignous (1957-2015)
Mega, Jeux & Stratégies Hors-Série 1984 p. 31


samedi 10 décembre 2022

Avent 10 Zarathustra

Salle du trône du Roi Darius vers -510 à Suse (Louvre de Lens)


Cela peut paraître de mauvais goût de parler d'Iran fictive au moment où tant d'Iraniens et Iraniennes s'exposent à la mort dans la lutte contre la tyrannie, mais ce monde persan demeure une des cultures qui n'a pas été si explorée dans les jeux de rôle. 

Une rare exception au moins était le supplément de 67 pages (dont 30 pages de scénario) pour le jeu Scion Yazata: The Persian Gods par Siavash Mojarrad et Dean Shomshak (et je suppose qu'on ne pourra pas les accuser "d'appropriation culturelle"). Dans cette extension, on joue des enfants ou émanations de divinités de la mythologie zoroastrienne mais dans le monde contemporain (un bref survol). 

Comme pour les Valar de Tolkien, les Yazata ont été progressivement réduits à l'état d'Anges du dieu Ahura Mazda et même des concepts de plus en plus abstraits et moraux dans l'évolution du zoroastrisme et du mazdéisme mais semblent bien avoir été des divinités indo-européennes à l'origine. Il y a dix Yazata dans le supplément depuis que le Dieu suprême Ahura Mazda ne peut plus être contacté 

Mithra, dieu de la Justice, chef des Yazata

Anahita, déesse de l'eau et de la vie.

Ard /Ashi Vanuhi, déesse de la chance

Haoma / Hom, dieu de la santé

Mah / Maonghah, déesse de la Lune

Sraosha / Sorush, dieu de l'obéissance religieuse

Tishtrya / Tiri, dieu de la pluie.

Vahram / Behram, dieu de la victoire.

Vayu, dieu du Vent et des tempêtes.

Zām / Zamnad, déesse de la Terre.

Oui, il n'y a pas Rashnu, le Juge des Morts, par exemple (il devait faire trop doublon avec Mithra). 
On s'attend à un jeu assez "manichéen" (c'est le cas de le dire comme c'est le lieu de création du manichéisme), avec des Dieux luttant contre les Démons d'Ahriman. Mais le supplément rend cela plus complexe comme les Yazata luttent aussi contre le Titan du Temps qui voudrait détruire leur immortalité, Zurvan, et depuis les Guerres médiques contre le Panthéon grec. On peut aussi se demander si les "Démons" de leur tradition ne seraient pas en partie au moins leurs rivaux les Devas hindous. En effet, "daeva / div" signifie démon en persan et à l'inverse les asura étaient considérés comme les démons hindous et les dieux suprêmes perses. 

Dans cette version du panthéon, Mah (Lune) ou Zam (Terre) sont toutes les deux assez opportunistes ou machiavelliennes et Vayu (Vent) est quasiment une divinité ambiguë de la destruction chaotique qui peut se trouver opposé au reste du panthéon (si on veut mettre aussi les dieux indiens, il pourrait être fusionné avec son homonyme). 

En revanche, en relisant le livre, je vois que j'avais dit n'importe quoi dans ma description précédente de Sraosha, il est représenté comme sincère et juste, pas un fanatique étroit. Il était considéré d'ailleurs comme le dieu de la Conscience morale, pas seulement de la Foi. Sraosha, sous le nom de l'Ange Sorūsh est le seul de tous les dieux zoroastriens à être resté vénéré comme un Ange dans l'Islam iranien, ce qui serait un argument pour mon idée précédente qu'il serait plus susceptible de s'adapter au régime actuel. Il était aussi un psychopompe et gardien sur le Pont vers l'au-delà avec Ashi (succès). La version du supplément d'Ashi en déesse un peu changeante de la Fortune ne ressemble pas à la version plus moralisante d'Ashi.

L'ancien roi Zahhak, corrompu par Ahriman qui le fusionna avec trois serpents, cherche toujours à se venger de la création en libérant Azhi Dahaka, l'hydre du chaos. 

Le supplément développe toute une magie fondée sur le rôle des étoiles et des astres, comme les Mages étaient connus comme astrologues. 

Si on joue des enfants des Yazatas, certains peuvent ignorer leur ascendance et avoir été élevés comme des Musulmans iraniens, ce qui pourrait ajouter une autre source de conflits quand ils découvrent leurs origines. 

Je cherchais des lieux qui pourraient justifier une campagne avec des Yazatas, et je vois par hasard qu'il existe à Téhéran une école primaire zoroastrienne, Jamshid-e Jam et un lycée zoroastrien, le Lycée Firooz Bahram. Certains jeunes Iraniens se disent paraît-il parfois zoroastriens non pas par foi mais par une sorte d'affichage "national" pour la religion ancestrale pré-islamique et par hostilité au régime chiite, ce qui expliquerait le score étrangement en croissance dans certains sondages où certains se diraient zoroastriens pour ne pas s'avouer agnostiques. 

vendredi 9 décembre 2022

Avent 9 Cahiers bleus

J'ai déjà parlé au moment du décès de son auteur Aaron Allston (1960-2014) de son supplément Strike Force (1988). Il y décrivait sa campagne de superhéros pour Champions (et des morceaux de son univers ont été publiés chez des éditeurs différents) mais surtout il racontait aussi l'arrière plan autour de la table du Texas (où Steve Jackson avait été un de ses premiers joueurs), les coulisses, comment s'était développé dans la réalité ce cadre de jeu et les raisons pour les différents choix qu'il avait dû faire au cours de ses années de jeu. On peut regretter qu'avant Internet on n'ait pas vraiment su comment les grands créateurs originaux de ce hobby comme Dave Arneson, Steve Perrin, Sandy Petersen ou Marc Miller géraient les toutes premières campagnes de jeu. 

Le livre est resté célèbre dans l'histoire du jeu de rôle notamment pour sa classification des intérêts des joueurs auquel un "meneur de jeu" doit s'adapter pour optimiser l'expérience collective. Le MJ n'est pas qu'un scénariste ou même un co-scénariste, il doit chercher à comprendre le groupe singulier de ses joueurs tout en les surprenant, ce qui différencie profondément le jeu de l'écriture de fiction. Il faut mener tout en suivant, tout en s'adaptant et cette souplesse n'a rien d'évident. Ce genre d'explication s'était déjà trouvé parfois dans des articles de fanzines mais c'était la première fois que c'était systématisé pour toute équipe de jeu. 

Un des termes qu'a inventés le livre est le "blue-booking". Nommé ainsi à cause des "cahiers bleus" qu'Aaron Allston avait distribués à ses joueurs, il s'agissait des textes que les joueurs rédigeaient entre les sessions, au début seulement pour prendre les notes mais ensuite pour développer la narration de leur personnage. Une des grandes différences entre le jeu de rôle et tout autre jeu est ce temps étrange où le jeu continue en partie entre les parties (ce qui peut certes devenir un défaut si cela devient une obsession trop immersive). Le poète Jacques Roubaud dit souvent que le poème vit plus dans une résonance dans la mémoire que dans la seule lecture et le jeu narratif vit aussi dans ce processus d'imagination et de mémoire hors de la séance. 

Cela pouvait être des journaux intimes du personnage et donc de simples compte-rendus subjectifs (avec effet Rashomon) mais cela finit par prendre de plus en plus d'importance au point que les cahiers bleus des PJ pouvaient devenir de nouveaux scénarios créés par les joueurs eux-mêmes et qu'ils donnaient à lire au MJ pour développer leur entourage de PNJ secondaires ou co-créer à plusieurs des interactions entre les PJs indépendamment du MJ

Certaines séances de jeu se centraient même parfois sur le récapitulatif de certains des Cahiers Bleus qui se répondaient et l'invention de l'Internet a permis d'augmenter encore le rôle des Cahiers Bleus par tous les moyens de correspondance entre joueurs dans ce processus collaboratif. 

Comme dit Steve Kenson dans la riche réédition augmentée de Aaron Allston's Strike Force, le bluebooking est un outil de jeu de rôle tellement puissant qu'il peut aussi risquer de détourner en partie le jeu vers des compétitions de prose rivale qui pouvaient court-circuiter la campagne commune. C'est une autre forme de jeu où l'écriture devient plus importante et certains joueurs d'Allston disaient abandonner la campagne parce qu'ils préféraient se consacrer à leurs cahiers bleus. 

jeudi 8 décembre 2022

Avent 8 Réessaye


Un jeu de rôle n'est certes pas un jeu video mais il y a quelques conventions de ces jeux qui peuvent être importées. Dans la campagne où je suis joueur en ce moment WALE, un des pouvoirs dont nous abusons parfois et qui joue un rôle central est celui de Boucle temporel. Un des personnages a des pouvoirs temporels limités et peut décider de fixer une "balise" à un événement (un seul événement à la fois, il ne peut en garder plusieurs en réserve) pour pouvoir ensuite relancer le jeu à ce moment si on voit qu'on a échoué ou mal joué. C'est donc un sort de "Deuxième Chance". C'est assez puissant mais peut être limité comme le personnage ne peut fixer ce moment de "sauvegarde de partie" qu'une fois par partie. 

Quand nous jouions à Nephilim, nous avions une version plus limitée, le sortilège "Mange-mémoire". Il permettait d'effacer les souvenirs de témoins, un peu comme le Neuralyzer dans Men in Black et nous nous en servions souvent quand nous avions commis une bourde avec des PNJ ou que nous voulions justifier pourquoi le monde ne serait pas mis au courant de certaines des actions que nous avions commises de manière imprudente en public. 

C'est le genre d'outil narratif pour retirer un peu d'irréversibilité auquel on ne pensait pas avant de l'utiliser mais qui nous manque très vite dès qu'on ne l'a plus dans d'autres jeux de rôle. 

mercredi 7 décembre 2022

Avent 7 Quête

Questworlds-Worlds of Wonder, la nouvelle version générique du jeu auquel j'ai le plus joué, HeroWars/HeroQuest par Ian Cooper, a été traduit en français et mis en ligne gratuitement sur cette page fb de JM Armand (cela fait près de 100 pages) - ou pour ceux qui ne veulent pas aller sur le métasite de Zuckerborgoïd, sur cette page. J'y vois que les "Points d'action" s'appellent maintenant des Points d'avantage et les "Points d'héroïsme" des Points de narration (Story Points). C'est un jeu tellement souple qu'il m'apparaît parfois faussement simple alors que je ne maîtrise pas toujours l'interprétation des résultats. 


Ce qui me fait penser que je n'ai jamais retouché depuis près de 15 ans à Earth-Omega, l'ébauche d'esquisse inaboutie de faire un jeu de superhéroquest multiversel (qui reprenait directement l'idée de Bruce Ferrie). 

Il y avait aussi clairement une influence de Torg dans l'idée de Lois variant selon les univers et cette idée a été aussi relancée dans une autre ébauche tout aussi inaboutie de l'an dernier, Hyperchaos, jeu de space opera où les Lois physiques seraient des régions locales. il faudrait énumérer la liste de paramètres de ces Lois régionales : stabilité dans le temps, complexité (relative par rapport aux "lois standards" pour être déchiffrées par les PJ), effets spatiaux et effets temporels...  

mardi 6 décembre 2022

Avent 6 Raies



C'est une vérité indéniable et universellement admise qu'il n'y a pas encore assez de raies manta dans les jeux de rôle. 

Il n'y a jamais assez de raies manta où que ce soit, d'ailleurs, puisqu'aucune créature vivante n'est aussi réussie et que si Dieu existait, il serait probablement une raie manta, reconnaissons-le en abandonnant notre dernier lambeau de primatocentrisme. 

Mais le jeu de rôle de science fiction Blue Planet (qui ressemble tant à la bd française Aquablue même si ok, ce n'est pas pareil) a une espèce sublime et miraculeuse qu'on appelle dans les premières éditions les "Aborigènes" (à ne pas confondre avec les prétendus "natives", qui sont, eux, des humains de la première vague de colonisation revenus à un niveau technologique assez primitif) et dans la nouvelle les "Néréides". Et oui, ils ressemblent à des raies mantas.

Les Néréides semblent à première vue être seulement des bêtes semi-intelligentes. Ils sont en fait extrêmement "intelligents" mais tellement inhumains dans leur manière de penser que même les colons Cétacés terriens n'arrivent pas à communiquer avec eux. Leurs actions paraissent incompréhensibles et ils ont accès à une biotechnologie (ou des nanomachins, je ne me souviens plus) bien plus avancée que leur statut de bête semi-intelligente pourrait laisser apparaître. Un peu comme les Uruk-Uru d'Aquablue ou la Mantrisse d'Aldébaran, les Néréides tiennent plus de Divinités insondables, de mystère profond, de promesse sacrée que de "faune". 

En effet, le secret des Néréides de la planète Poséidon est que.... 

Oh, je ne peux pas le dire. Soit vous jouez comme "Modérateur" et le savez déjà (ce n'est pas caché dans les règles), soit je n'ose pas le gâcher pour les joueurs. 

En gros, pour les plus motivés en rot13 : yrf Aéeévqrf ar fbag cnf qrf êgerf vffhf qr y'éibyhgvba. Vyf fbag qrf fbegrf qr "znpuvarf" betnavdhrf snoevdhérf cne qrf ceéphefrhef (Yrf Peéngrhef) dhv bag cbhe sbapgvba qr cebgétre yn cynaègr rg nvqre qrchvf qrf zvyyvref yn ivr à fr znvagrave. Pryn rkcyvdhr qrf npgvbaf pbagenqvpgbverf ivf-à-ivf qrf pbybaf uhznvaf bù vyf crhirag cnesbvf frzoyre yrf cebgétre bh êger ceêgf à yhggre pbager rhk. 

lundi 5 décembre 2022

Avent 5 Temps mort

 Dans le jeu de rôle Bushido, les auteurs avaient imaginé un système pour gérer le "Downtime", le temps non directement joué entre les scénarios. Au lieu de juste dire "on s'entraîne", on avait un mini-système qui gérait des "emplois" qui ne feraient pas l'objet d'un scénario à part entière mais qui n'était pas non plus sans risques. Par exemple, un Bushi pouvait décider de partir à la guerre, décidait s'il y était particulièrement téméraire et le jet de dé sur le tableau donnait ensuite des résultats qui pouvaient aller de la gloire remportée (en points d'Honneur) ou bien les séquelles et blessures. On pouvait faire de même pour un Prêtre (Gakusho dans Bushido) qui pouvait se faire payer pour exorciser un lieu hanté et en tirer honneur ou opprobre. 

dimanche 4 décembre 2022

Avent 4 Couples

Une des dernières aventures publiées par Steve Perrin fut "The Pairing Stones" dans le recueil récent The Pegasus Plateau pour RuneQuest. Ces Pairing Stones ont été nommées ainsi à l'origine par Greg Stafford en hommage à Perrin (comme le raconte Rick Meints). Les aventuriers voyagent jusqu'à ces "Pierres Paires" (ou "Pierres de Mariage" dans la traduction française), symboles d'union et de fécondité matrimoniale qui sont devenues un site sacré pour les noces des Orlanthis ou des Praxiens au début du Territoire de Prax (c'est d'ailleurs la seule aventure dans le recueil qui se passe en Prax et non pas dans la Passe des Dragons). Ils vont tomber sur une crise diplomatique entre Nomades praxiens autour d'un mariage compromis et d'une mésalliance. La crise peut justifier qu'on fasse appel à des "tiers" sartarites de passage pour résoudre le conflit. Une fille de khan des Bisons s'est faite enlever par un nomade Rhino alors qu'elle était fiancée à un prince Impala et les joueurs seront face à un dilemme politico-sentimental entre préférer ramener la paix entre les tribus et soutenir les amants en fuite. Un problème de tout scénario de ce type est qu'on se retrouve alors en conflit entre ce qu'on préfère en tant que modernes (défendre l'épanouissement individuel) et ce qu'on est censé savoir que penseraient des personnes d'un Clan patriarcal de l'âge de Bronze (chercher l'honneur du Clan et accepter les normes sociales d'une époque où le mariage n'a rien d'un choix individuel). Il y a même le risque que les personnages-joueurs aggravent la situation déjà tendue selon leurs choix. 

samedi 3 décembre 2022

Avent 3 Expérience

 Je déteste compter les points d'expérience et j'aurais donc eu du mal à jouer vraiment à beaucoup de jeux "by the book". Compter l'Or gagné dans l'expérience comme dans la première édition d'un jeu bien connu forcerait à un certain type de jeu cupide (ce qui pourrait plus se justifier si on joue des Dragons qui ont besoin de faire leur litière d'or). J'aurais probablement fait un changement de niveau automatique entre plusieurs aventures si j'avais beaucoup joué aux jeux "à niveau" (comme ce fut proposé d'ailleurs officiellement dans la campagne Dragonlance avec leurs prétirés). 

Mais je me souviens que j'aimais beaucoup des idées de points d'expériences dans certains jeux qui stimulaient certaines pratiques pour le joueur : 

Dans C&S, ils avaient pensé à différencier les classes de personnage. Un magicien gagnait des points d'expérience en lisant des grimoires ou en faisant des expérimentations sur ces sortilèges plus qu'en tuant des monstres. Le défaut, bien sûr, est qu'un tel système plus "simulationniste" risquait de ne plus trop donner envie aux PJ d'aller en aventure du point de vue "ludiste". Cela conduit donc à Ars Magica (qui sur de nombreux points me semble être une édition avancée de C&S) où les Mages peuvent devenir des théoriciens qui envoient leurs gardes ("Grogs") à leur place. 

Dans MERP (et j'imagine que cela doit être pareil dans RoleMaster), on gagnait des points à chaque échec critique ou bien de chaque réussite critique subie. On apprend de ses erreurs et des réussites des autres. On gagnait aussi des points à chaque kilomètre parcouru. Le décompte était inutilement fastidieux mais l'idée générale était bonne si on veut un jeu sur le Voyage, ce qui convient bien à Tolkien. 

Last, but not least, le Karma de Marvel Superheroes (qui vaut, de manière "narrativiste", à la fois comme expérience et comme "points d'héroïsme" qu'on peut dépenser pour réussir des actions). Un vilain gagne du Karma en expliquant son Plan devant le personnage au lieu de le tuer directement, ce qui répond enfin par un système à une des plus vieilles critiques contre les Méchants de Pulps. Le héros gagne du Karma en n'oubliant pas les rendez-vous et contraintes de sa vie privée et pas seulement dans ses aventures. 

vendredi 2 décembre 2022

Avent 2 Centaures

Parmi les jeux de science fiction que je connais, les espèces extraterrestres que je préfère sont les plus "inhumaines" possible. 



Les K'kree du jeu Traveller (que les humains appellent aussi "Centaures") sont quadrupèdes avec deux "bras" en plus. Ce sont des herbivores intelligents dans un univers où une loi de xénobiologie veut que la plupart des espèces intelligentes sont issues de prédateurs ou omnivore (une hypothèse que je me souviens avoir lu une fois chez Hal Clement mais je ne connais pas la première apparition). Je crois que malgré leur intelligence, ils ne connaissent pas du tout les mêmes pratiques et déviances de violence intra-spécifique que nous et ont spécialisé la violence en défense contre les autres espèces. Sur leur monde, ils considéraient évident d'associer intelligence et végétarisme et ont des réflexes et des instincts de mépris envers tout carnivore qu'ils neutralisent depuis des siècles (j'ignore si cela a causé des "cascades trophiques" où la chute de prédateurs finit par nuire à certains des herbivores). Ils ont tellement associé les carnivores à des monstres qu'ils ont une réaction compréhensible de paranoia dans un cosmos où l'évolution a semblé aller en moyenne à l'encontre de leur physiologie, de leurs origines et de leur vision éthique. Une histoire dit que lorsqu'ils ont attaqué leurs voisins les Hivers (une espèce hyper-intelligente et prudente qui ressemble à des étoiles de mer et ont organisé toute leur société sur l'idée qu'on pouvait manipuler les effets optimaux), ceux-ci ont trouvé le meilleur moyen pour arrêter la Croisade de K'kree contre eux : ils ont manipulé génétiquement des K'kree pour produire des K'kree carnivores et ont menacé de répandre ces gènes. Les K'kree, horrifiés par ce qui semble être leur pire cauchemar, ont aussitôt négocié la paix avec les Hivers. 

J'avais déjà parlé un peu des K'kree dans la description du secteur extra-impérial (devenu probablement non-canon) Crucis Margin

jeudi 1 décembre 2022

Avent 1 Supermonde

 Superworld du très regretté Steve Perrin (qui nous a quittés en août 2021) est un de mes jeux de rôle favoris. Le jeu est sorti en 1983 (du moins dans sa première version dans la boite générique Worlds of Wonder) et il y a sur RPG.net un long thread sur l'histoire de Superworld


(l'an dernier, j'avais repris le calendrier de l'avent de questionnaires sur le jeu de rôle, mais là, je pars sans thème directif en dehors de "ce que j'aime et dont je me souviens dans des jeux")

dimanche 27 novembre 2022

jeudi 24 novembre 2022

L'asymétrie temporelle (suite)

Puisqu'on parlait d'asymétrie temporelle, une coïncidence me donne ce "meme", certes un peu kitsch dans son côté trop "conte gnangnan du colibri" rabhiesque. J'ignore le nom de l'auteur, je l'ai trouvé


Le meme fait allusion à un type d'histoire courante sur le voyage dans le temps avec "effet papillon" dont le cas le plus connu est A Sound of Thunder (1953) de Ray Bradbury (un voyageur dans le temps tue juste un petit papillon dans le passé et les conséquences dans le futur sont désastreuses). 

Poul Anderson avait imaginé dans Time Patrol une sorte d'anti-effet papillon où l'effet critique est plus difficile à trouver (mais il peut y avoir quand même des singularités et des points critiques). Le temps aurait une sorte d'hystéresis (un effet retard où les conséquences ne viendraient que plus tard si la cause a été assez importante) ou plutôt de la stabilité et les paradoxes seraient donc difficiles à créer (sinon, cela gâchait trop le concept de Patrouille du temps pour Anderson). L'exemple statistique est que si on tue une seule brebis dans un bétail dans un lointain passé, on aurait en fait des gènes quasiment identiques dans la population des descendants des moutons de ce groupe comme si la petite différence avait été vite résorbée dans la loi des grands nombres. Cela m'a toujours apparu assez "ad hoc" et j'imagine qu'il faudrait vraiment de grands bétails ou un temps assez long. 

dimanche 20 novembre 2022

Biais envers le futur

 Ce podcast de Noé Jacomet résume un argument de Derek Parfit dans Reasons & Persons (1984, via le livre de Kieran Setiya, Midlife: a philosophical guide, 2018). 

Il est ordinaire de parler de notre biais de faveur envers le présent contre le futur (ou temporal discounting) : nous préférons souvent un plaisir A présent, même s'il cause une peine B plus grande dans le futur à une petite peine au présent même si elle entraîne un plaisir plus grand dans le futur. 

Mais Derek Parfit inverse l'argument par une asymétrie où on aurait un biais de faveur envers le futur par rapport au passé

1 Je vais ressentir une grande peine future dans un jour prochain et on me dit qu'on m'effacera le souvenir après la douleur. Mais quand je me réveille, je ne sais pas si j'ai déjà ressenti la peine dans le passé (et l'ai oubliée) ou si cette douleur est à venir. Nous aurons alors tendance à préférer être dans le premier cas, même si la douleur future éventuelle était inférieure à la douleur passée et oubliée. 

2 Mais cela fonctionne aussi avec un plaisir. Si j'attends avec impatience un plaisir futur mais sais que je vais l'oublier après-coup, quand je me réveille je vais préférer avoir encore ce plaisir à ressentir dans le futur que l'avoir déjà ressenti, même si encore une fois ce plaisir futur encore à venir était inférieur au plaisir passé et oublié. 

L'argument qu'en tirait Kieran Setiya était qu'on serait plus heureux en cherchant une satisfaction présente qui ne soit pas que fondée sur l'objectif futur (même dans une activité qui garde un objectif futur) pour apprendre à ne pas vivre toujours uniquement dans l'espérance d'une plus grande satisfaction future. 

L'utilisation d'effaçage de la mémoire peut perturber nos intuitions sur l'identité de la personne (comme l'a bien montré Bernard Williams). J'ai des biais tellement fondés sur l'identité psychologique (critère lockien) que je me demande si j'aurais encore ce prétendu biais sur le futur si on me disait qu'on va me prélever tous mes souvenirs avant la douleur ou le plaisir et pas seulement après. Je me dirais alors que ce n'est pas vraiment moi qui vais ressentir cette peine et je deviendrai alors indifférent à la question de savoir si cette peine est encore à venir ou si le plaisir a déjà eu lieu. 

jeudi 17 novembre 2022

Judge Dredd: America

Judge Dredd: America est un album qui contient des histoires de John Wagner avec un thème politique de 1986 (Letter from a Democrat, 1986, Revolution, 1987, Politics d'Alan Grant) à 1990 (l'histoire éponyme), 1991 (The Devil You Know, Twilight's Last Gleaming, de Garth Ennis). 

Judge Dredd est un des personnages les plus ambigus de toute la littérature populaire puisqu'il a été créé par des "punks" qui voulaient se moquer du flic et que depuis des décennies il finit par héroïser vraiment le policier "sévère mais juste". 

Cela illustre le risque fréquent du mouvement punk d'aller de l'anarchisme vers un nihilisme plus compatible avec l'extrême droite (qui comprend quoi que ce soit à l'itinéraire chaotique de ce pauvre John Lydon, qui a rejoint Trump ?). 

Cette série politique avait commencé par une volonté de John Wagner de rappeler aux lecteurs plus brutalement le problème du personnage qui est soudain montré comme un véritable fasciste. Non seulement il réprime un mouvement démocratique mais il le fait en transgressant les lois communes alors qu'il semblait auparavant brutal mais rigidement orthodoxe dans son application des lois draconiennes de son univers dystopique. On avait l'impression que Wagner craignait soudain que son ironie soit devenue trop invisible pour de nombreux lecteurs. 

Je trouve cependant qu'il y va un peu lourdement (et notamment sans doute quand c'est Alan Grant qui l'écrit). Judge Dredd est d'habitude le symbole même du Lawfut Neutral et il bascule dans le Neutral Evil, prêt à déformer la Loi au nom d'un "Ordre" despotique. Il y a une histoire où Dredd organise même un faux mouvement d'extrême droite ("Les Fils de la Dame de Fer"...) qui le dépasserait pour mieux se justifier et se débarrasser de ses adversaires démocrates. 

America est un roman où Dredd apparaît à peine et John Wagner a dit que c'était son histoire favorite. L'héroïne est une militante démocrate qui est prête à aller vers la violence contre la tyrannie des Juges mais le narrateur est son ami craintif et socialement intégré qui ne partage pas sa flamme politique. C'est une tragédie mélancolique où ce narrateur se perd complètement dans sa recherche d'authenticité. 

Puis la compilation s'arrête dans une conclusion que je n'aime pas particulièrement. 

Un des procédés pour réhabiliter Dredd est de le mettre face à des Juges "ripous" qui veulent l'assassiner, et de le présenter soudain comme un rempart contre les excès de son propre mouvement (de même que Dirty Harry avait tenté de nuancer un peu son éloge du vigilantisme dans le second opus avec Magnum Force). 

La satire sur le fascisme de Dredd est inversée en une fable misanthrope par Garth Ennis. 

Dredd propose un référendum sur le retour à la démocratie et la majorité des citoyens de Mega-City ne comprend même pas les enjeux (ils n'arrivent même pas à voter du tout) et finit par acclamer massivement le maintien du "Pouvoir Judiciaire" (la concentration des pouvoirs par ces policiers qui ont de droit les pleins pouvoirs avec peu de contrôle externe en dehors d'un vague service de "police des polices", le SJS, qui fut d'ailleurs parfois assez corrompu du temps du Juge Caligula). 

Le problème de cette fin est que John Wagner me semble avoir reculé sur son ironie du début. Il humanise tant Dredd à la fin des années 1980 qu'il semble prendre son parti. L'histoire de Garth Ennis finit même par ridiculiser tout le mouvement démocratique comme une rêverie de "Belles Âmes" idéalistes face au chaos hobbesien de Mega-City. La conclusion gâche donc l'avertissement contre le fascisme : le peuple est si aliéné qu'il finit en le soutenant et en renonçant à tout idéal "utopique" d'un peu de démocratie formelle. 

Certains lecteurs trouvent ce cynisme final intéressant mais je ne comprends pas l'intérêt de dénoncer le fascisme et de conclure que le peuple est tellement stupide qu'il mérite et désire le fascisme, voire que dans un tel état de nature, il n'y aurait aucune autre solution tant qu'on a au moins un individu aussi "honnête" que Judge Dredd. Alan Moore peut paraître naïf dans son anarchisme mais je ne pense pas qu'on puisse accuser Watchmen d'avoir finir par rendre le fascisme amoral du Comedian ou du fascisme doctrinaire de Rorschach aussi "sympathique" (malgré toute l'erreur de lecture des fans de Rorschach). 

Alim

J'avais été enthousiasmé par Azimut (une des meilleures bd lues ces derniers temps) mais je suis pour l'instant plus placide sur Alim le Tanneur (série finie de 2004-2009) du même scénariste Lupano avec de beaux dessins assez cartoony de Virginie Augustin. L'univers d'Alim est assez développé, un mélange de plusieurs références orientalisantes, entre les mille et une nuits avec un peu d'Asie. 

Mais là où Azimut me paraissait subtil et poétique sur la fuite du temps, Alim me semble moins novateur. C'est une métaphore sur le fanatisme théocratique plus prévisible, un peu comme ces vieux épisodes de Rahan où le Héros Civilisateur démystifiait à chaque fois des shamans qui manipulaient le peuple avec leurs fétiches. Azimut était plus du Lewis Carroll alors qu'Alim était plus dans un conte voltairien. 

Alim est un tanneur de peau de "sirènes" (d'antiques léviathans) et il est un hors-caste avec sa petite fille dans une société rigide qui aime le racisme, l'oppression des interdits absurdes et les châtiments corporels. C'est pas mal mais je n'y ai pas encore trouvé le même génie que dans Azimut

Un des gags que j'aime bien dans l'ironie anti-religieuse du premier volume est que les Dieux ne se seraient pas séparés des mortels par colère ou pour nous punir mais parce qu'ils nous auraient simplement oubliés et que la religion serait dès lors une tentative de leur rappeler notre existence d'orphelins abandonnés. Le Prophète de la religion locale est divinisé comme sauveur parce qu'il aurait été le Mortel qui aurait réussi à leur rappeler qu'ils nous avaient créés. Ce serait une jolie inversion de la relation prométhéenne ou de la mort de Dieu : ce n'est pas nous qui avions tué Dieu, c'est le Dieu qui s'efface dans son acosmisme. 

jeudi 10 novembre 2022

Fénelon et l'Illusion d'éviter les Illusions

On a raison de se méfier des dictionnaires de citation qui modifient ou attribuent de manière erronée tant de phrases banales ou anachroniques. Une de mes élèves a mis dans sa copie une phrase trouvée sur Internet et attribuée à Fénelon
"Il n'y a pas de plus dangereuse illusion que la notion par laquelle les gens s'imaginent éviter l'illusion."
 
Je n'ai pas pu en retrouver le contexte précis et l'élève s'est hélas égarée à en faire une interprétation quasiment nietzschéenne où ce serait notre croyance à la vérité (pour éviter l'illusion) qui serait elle-même une illusion. Elle en concluait un scepticisme et un relativisme général où toute "vérité" ne serait qu'une illusion déguisée. 

Mais il y a des chances que la citation soit authentique tant elle correspond à d'autres textes du "Cygne de Cambrai" (même si je me demande dans le passage retrouvé si "la notion" pourrait être une faute de copie pour "l'imagination" ?). 

François Fénelon a l'air d'avoir été obsédé par ce terme d'illusion qui chez lui enveloppe non seulement les erreurs, les hérésies, les péchés, les tentations mais aussi les égarements de notre intelligence. Dans son texte hyper-cartésien, Traité sur l'existence et les attributs de Dieu (II.1), il commente même le doute "hyperbolique" de Descartes en demandant si la Clarté et la Raison pourraient tout aussi bien être des illusions du Dieu trompeur et si un Néant pourrait penser, ce qui implique que seule la voie de l'être divin comme garantie de la vérité peut dépasser le simple critère de l'intuition du sujet. 

Dans sa théorie du Pur Amour, l'âme doit viser à dépasser l'illusion qui est avant tout l'Amour-Propre pour se détacher et se laisser aller à recevoir le vrai amour désintéressé qui est le divin. Il n'y a de vrai que l'amour et l'illusion est l'ensemble des obstacles à cette donation, l'ensemble de la structure métaphysique qui ne cesse de nous empêcher de recevoir cette grâce. La mystique "quiétiste" prend parfois des accents bouddhistes pour dissiper ces illusions de l'attachement à l'ego. Le Pur amour, comme dépassement du Moi et éloge de la passivité ou de la réceptivité humble (se réduire pour laisser aller à soi ce don, s'anéantir en devenant disponible au don), est une sorte d'Extinction des passions imaginaires. 

Mais Fénelon ne se contente pas de l'apologie classique où l'illusion est la tentation du péché, il critique aussi (et en ce sens l'interprétation est en effet une anticipation de certains aspects de Nietzsche) une sorte d'ascétisme, un excès de dévotion qui serait aussi une illusion de l'amour-propre chez ceux qui prétendent s'en être détachés. C'est le danger que Fénelon appelle "Fanatisme", un enthousiasme tout aussi toxique pour la vraie foi selon lui que tout péché libertin. On est aussi dans l'illusion par un excès de zèle, par le poison de l'inquiétude et pas seulement en fuyant notre ennui dans le divertissement ordinaire. Pascal avait dit que même nos tâches sérieuses pouvaient être des divertissements face à l'ennui et à la conscience lucide de notre mort, mais Fénelon soupçonne que même la dévotion peut aussi garder bien des illusions et des déguisements de notre Amour-propre. C'est notre Imagination qui est la source des illusions qui accroissent nos souffrances inutilement et il faut savoir "souffrir sans se faire souffrir" (lettre de mai 1707) et sans ajouter de peines vaines et illusoires. Il y a des Croix qui ne viennent pas de Dieu mais au contraire de projections humaines de nos angoisses. Il n'y a pas à valoriser la Croix si elle n'est que notre oeuvre. Il est assez rare de trouver chez un directeur de conscience chrétien une telle mise en garde et une telle sensibilité psychologique contre l'inquiétude ascétique. 

Le quiétisme n'a rien de banal s'il doit trouver comment détourner ces tensions des tourments dont nous sommes nous-mêmes l'artisan. On comprend comment Fénelon, bien qu'il soit parti lutter contre les Réformés, peut aussi être soupçonné d'une dose d'hérésie pélagienne. 

Fénelon écrit, avec une certaine vivacité rare chez lui, dans une lettre de "parénétique" (exhortation morale) du 10 octobre 1702 à la Comtesse Marie de Montberon (née Marie Gruin de  Valgrand, épouse du Vicomte François de Montberon, gouverneur de Cambrai - Fénelon n'a pas pour elle la même tendre admiration que pour la foi de sa cousine, Mme Guyon, que Voltaire traite dans son livre d'histoire de simple "extravagante") :  

Vous avez, Madame, deux choses qui s’entre-soutiennent, et qui vous font des maux infinis. L’une est le scrupule enraciné dans votre cœur depuis votre enfance, et poussé jusqu’aux derniers excès pendant tant d’années.

L’autre est votre attachement à vouloir toujours goûter, et sentir le bien. Le scrupule vous ôte souvent le goût et le sentiment de l’amour, par le trouble, où il vous jette. D’un autre côté, la cessation du goût et du sentiment réveille et redouble tous vos scrupules ; car vous croyez ne rien faire, avoir perdu Dieu, et être dans l’illusion, dès que vous cessez de goûter et de sentir la ferveur de l’amour. Ces deux choses devraient au moins servir à vous convaincre de la grandeur de votre amour-propre.

Vous avez passé votre vie à croire que vous étiez toujours toute aux autres et jamais à vous-même. Rien ne flatte tant l’amour-propre, que ce témoignage qu’on se rend intérieurement à soi-même de n’être jamais dominé par l’amour-propre, et d’être toujours occupé d’une certaine générosité pour le prochain. Mais toute cette délicatesse qui paraît pour les autres est dans le fond pour vous-même. Vous vous aimez jusqu’à vouloir sans cesse vous savoir bon gré de ne vous aimer pas ; toute votre délicatesse ne va qu’à craindre de ne pouvoir pas être assez contente de vous-même. Voilà le fond de vos scrupules. Vous en pouvez découvrir le fond par votre tranquillité sur les fautes d’autrui. Si vous ne regardiez que Dieu seul et sa gloire, vous auriez autant de délicatesse et de vivacité sur les fautes d’autrui, que sur les vôtres. Mais c’est le moi qui vous rend si vive et si délicate. Vous voulez que Dieu aussi bien que les hommes soit content de vous, et que vous soyez toujours contente de vous-même dans tout ce que vous faites par rapport à Dieu. 

D’ailleurs vous n’êtes point accoutumée à vous contenter d’une bonne volonté toute sèche et toute nue. Comme vous cherchez un ragoût d’amour-propre, vous voulez un sentiment vif, un plaisir qui vous réponde de votre amour, une espèce de charme et de transport. Vous êtes trop accoutumée à agir par imagination, et à supposer que votre esprit et votre volonté ne font point les choses, quand votre imagination ne vous les rend pas sensibles. Ainsi tout se réduit chez vous à un certain saisissement semblable à celui des passions grossières, ou à celui que causent les spectacles. À force de délicatesse on tombe dans l’extrémité opposée, qui est la grossièreté de l’imagination. Rien n’est si opposé non seulement à la vie de pure foi, mais encore à la vraie raison. Rien n’est si dangereux pour l’illusion, que l’imagination, à laquelle on s’attache pour éviter l’illusion même. Ce n’est que par l’imagination qu’on s’égare. Les certitudes qu’on cherche par imagination, par goût et par sentiment, sont les plus dangereuses sources du fanatisme.
Je ne comprends pas bien cette formulation de la phrase "Rien n’est si dangereux pour l’illusion, que l’imagination, à laquelle on s’attache pour éviter l’illusion même." 
Ne veut-il pas plutôt dire "Rien n’est si dangereux que l’illusion [ou bien comme illusion], que l’imagination, à laquelle on s’attache pour éviter l’illusion même". 
On s'approche en tout cas bien de la citation recherchée. 

Voir aussi sur la même période, les deux bouts de la chaîne du grand rival de Fénelon, l'Aigle de Meaux ; comme le dit l'étrange animal érudit de Victor Hugo dans l'Âne et Kant
"Champ de foire, Babel,  chaos ? auquel entendre ?
Bossuet est féroce et Fénelon est tendre."