L'évêque (et courtisan gallican, apologète du despotisme et de l'esclavage) Bossuet défend dans son Traité du Libre arbitre (qu'on date de 1677 - donc peu de temps après la première édition de La recherche de la vérité de Malebranche et vingt ans après Les Provinciales) un très classique "compatibilisme" entre libre arbitre et providentialisme tout en expliquant que la compatibilité est incompréhensible pour notre Raison. Mais sa stratégie (qui annoncerait celle de Kant dans la Dialectique transcendantale et doit reprendre en partie une tradition "averroïste" sur le rapport de la Foi et de la Raison qu'on doit retrouver même dans l'orthodoxie thomiste) est de généraliser ce Mystère du libre arbitre en disant que notre entendement humain se confronte à de nombreuses antinomies de ce genre, comme sur l'indivisibilité des corps (Descartes vs Gassendi, Stoïcisme v. Epicurisme) ou d'autres contradictions de métaphysique où Bossuet paraît parfois plus sophistique dans sa dialectique. Leibniz (qui sera en controverse avec Bossuet une douzaine d'années plus tard sur la question de l'irénisme et de la réconciliation entre Catholiques & Luthériens) n'a normalement pas pu en prendre connaissance comme le Traité ne sera publié que bien après leur mort à tous les deux (en 1731), mais c'est lui qui rapprochera "les deux labyrinthes" de la volonté et du continu en tentant de trouver une racine commune qui serait l'Infini (chez Leibniz, la différence entre faits nécessaires et faits contingents mais nécessaires ex hypothesi étant analogue à celle entre les nombres rationnels et nombres réels transcendants).
Et c'est dans la suite de ce Traité du Libre arbitre que Bossuet donne sa célèbre règle, chapitre IV (p. 237) :
"Quand donc nous nous mettons à raisonner, nous devons poser d'abord comme indubitable que nous pouvons connaître très certainement beaucoup de choses dont toutefois nous n'entendons pas toutes les dépendances ni toutes les suites. C'est pourquoi la première règle de notre logique, c'est qu'il ne faut jamais abandonner les vérités une fois connues, quelque difficulté qui survienne quand on veut les concilier ; mais qu'il faut au contraire, pour ainsi parler, tenir toujours fortement les deux bouts de la chaîne quoiqu'on ne voie pas toujours le milieu, par où l'enchaînement se continue.
On peut toutefois chercher les moyens d'accorder ces vérités, pourvu qu'on soit résolu à ne pas les laisser perdre, quoi qu'il arrive de cette recherche ; et qu'on n'abandonne pas le bien qu'on tient pour n'avoir pas réussi à trouver celui qu'on poursuit."
Après cette aporie face au Mystère du libre arbitre, la conclusion de ce Traité est plus explicitement Thomiste (ou plus exactement "dominicaine" puisque ce sont les Néo-Thomistes espagnols du XVIIe siècle contre les Molinistes jésuites). Bossuet récuse trois autres solutions (dont la science moyenne des Jésuites) et défend la "praemotio physica", la prémotion, qu'il attribue à Thomas d'Aquin (et qui vient en fait de Domingo Báñez).
Tenir les deux bouts de la chaîne n'est donc plus seulement la concorde entre Liberté et Nécessité mais surtout une conciliation entre la modernité française du dualisme cartésien de Malebranche (néo-augustinienne) et le thomisme orthodoxe (face aux Jansénistes et aux Protestants). De même, une des des dernières oeuvres de Malebranche fut une Réflexion sur la Prémotion, où l'Oratorien affirme que la Prémotion "thomiste" est particulièrement compatible avec son propre occasionalisme et que la Prémotion signifie simplement que Dieu a donné dans les créatures l'amour du Bien (la Grâce), sans être responsable de la Concupiscence (qui ne vient que de la nature).
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