Je suis allé voir Tôkyô Sonata (2008) de Kiyoshi Kurosawa avec Armide. Âgé de 55 ans, Kurosawa (sans relation avec Akira Kurosawa) a commencé comme réalisateur de séries B érotiques ou de thrillers d'horreur avant de faire des films qui mélangent des conventions des "genres" et d'autres styles personnels depuis une douzaine d'années. La particularité du film est d'ailleurs ce glissement constant entre un réalisme social sombre (soupe populaire, prison, violence patriarcale) et un conte ou une comédie fantastique.
Il y a toujours deux niveaux de réalité entre une surface d'ordre et de structure léchée et figée et un niveau de chaos et de ruines dissimulées en son envers : le parking abandonné sous l'entreprise, l'anarchie dans la classe de grammaire, le sordide sous le centre commercial aseptisé, la geôle infernale sous le commissariat, le père lâche qui fait l'éloge du courage. L'humour apparaît souvent dans ce décalage entre cette apparence de calme (ces plans d'intérieurs si symétriques et réguliers) alors que tout se désintègre comme une explosion au ralenti.
Le père de famille Ryûhei Sasaki (Teruyuki Kagawa), formaliste et un peu pâle, vient d'être licencié. Comme beaucoup de ses collègues, pour protéger son autorité familiale et ne pas "perdre la face", il décide de le cacher à sa famille, partant chaque matin pour aller à la soupe populaire - ce qui rappelle L'Emploi du Temps ou L'Adversaire et laisse présager une fin aussi dramatique. Son fils cadet Kenji (Inowaki Kai) dissout toute autorité à l'école face à un sensei devenu apathique Kobayashi et se passionne en cachette pour le piano enseigné par Mme Kaneko (Haruka Igawa). Son fils ainé en rupture scolaire Takashi (Yû Koyanagi) s'engage dans l'armée américaine au Moyen-Orient (et on croit comprendre qu'il va finir avec peu d'autonomie en rejoignant ensuite un mouvement musulman). Son épouse délaissée Megumi (Kyôko Koizumi) rêve vaguement de liberté (représenté par le loser cambrioleur, le "dorobô") tout en essayant d'être la mère accomplie.
Le vrai conte est le basculement ou renversement en une seule nuit initiatique de passage, digne d'un satori où le temps se dissout dans l'espoir d'une possibilité d'un recommencement absolu, épiphanie de la Mère sur son individuation ("toi seul peux être ce que tu es"), nuit en prison, renouvellement printanier dans les feuillages.
Le film montre encore la domination masculine traditionnelle avec des personnages qui sont toutes des femmes au foyer (sauf la femme divorcée prof de piano). Mais contrairement à ce qu'on répète, d'après l'OCDE le taux d'activité féminin au Japon (64,2%) est en fait à peu près égal à la moyenne de l'Union européenne (61,7%) et de la France (63,9%). L'érosion de l'autorité dans le chômage (encore relatif, autour de 4%, allant vers 5% avec la Crise) vient aussi du fait de l'ancien emploi à vie et donc que le changement est encore plus cause d'anomie qu'ailleurs.
Il y a quelques allusions à l'actualité économique avec les délocalisations vers la Chine ou la Guerre en Irak, mais aussi une apparition de ce qui doit être une allusion à la figure du mystérieux Bienfaiteur des toilettes (qui laisse des enveloppes de billets de 10,000 ¥ dans les toilettes publics, soit environ 75€, en une métaphore qui plairait beaucoup à Freud).
Pour d'autres films japonais sur la crise du Père, voir aussi ma critique d'Il était un père d'Ozu et Goût du Thé de Katsuhito Ishii.
Wikipedia donne une liste d'autres oeuvres qui utilisent la Sonate au Clair de Lune de Debussy.
Add. Pourquoi la Peugeot 207 ou 307 CC avec Toit Amovible a-t-elle l'air tellement plus science-fictionnesque dans ce film que dans la réalité ?
Bomb Cyclone
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Il y a 4 heures
2 commentaires:
As-tu mesuré le décalage culturel entre ta présentation du film et le découpage, ultra-occidental schème-narratif-1.0, du trailer ?
Hé, ça en fait une très bonne bande-annonce for foreign consumption, justement, dire que vous allez voir ce que vous avez déjà aimé - avec quand même le fait bizarre d'inclure le dénouement.
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