La Chanson de Huon de Bordeaux (XIII siècle) dut avoir un certain succès car il y eut des continuations sur plusieurs générations (Huon > Clarisse > Yde > Croissant) et même un prologue (un "prequel" dirait-on aujourd'hui) racontant les Enfances et ancêtres du roi des Elfes Auberon. L'auteur, qui n'avait comme seul élément que le fait qu'Aubéron se disait fils de "Jules César et de la fée Morgue" a voulu y ajouter un mélange de héros bibliques, légendaires ou vaguement pseudo-historiques.
Tout commence avec le chevalier Judas Maccabée (qui ne doit pas avoir grand-chose à voir avec le leader juif luttant contre les Grecs séleucides vers -160). L'arrière-grand père d'Aubéron épouse la fille d'un émir païen Brandifor.
Ils ont une fille, nommée "Brunehaut". Elle est sans rapport non plus avec la wisigothe qui devint Reine des Francs au VIIe siècle, peut-être plus en rapport avec la valkyrie Brünhildr, ce qui créerait un lien de plus avec les Niebelungen si on admet qu'Aubéron est une version du Nain Alberich. Son nom de Brunehaut est expliquée car elle est née avec une peau sombre et velue, peut-être en opposition à l'aspect solaire du jeune Aube-ron apollinien. Elle aurait été baptisée et brunie au feu par quatre Maraines fées nommées dans l'ordre décroissant d'âge Heracle, Melior, Sebille et Marse. La première Fée lui offre sagesse & beauté, la seconde longévité (trois siècles), la troisième jeunesse (mais pas immortalité) mais la quatrième dit qu'elle est destinée à quitter le monde à l'âge de sept ans pour devenir Reine de Féérie. Marse, transformée en cerf pour cette malédiction, vient enlever Brunehaut et elle est couronnée Reine des Fées au château de Dunostre.
Marse, perdant ses bois de cervidé et redevenue fée, épousera Mantanor, un baron de Judas Macchabée, et sera mère de deux elfes, Gloriant et Malabron (les deux lieutenants d'Auberon qu'on verra dans Huon, Malabron étant celui qui est transformé en monstre marin, "un luiton de mer", pour des raisons qui demeurent peu claires dans la chanson de geste originale).
Brunehaut enfante Jules César avec l'Empereur Césaire (qui semble plus byzantin ou dalmate que romain puisqu'il est dit qu'il règne sur Autriche et Hongrie) et concevra pour lui le Haubert merveilleux que reprendra plus tard Huon quand il conquiert le Château de Dunostre au géant Orgueilleux, fils de Belzébuth (ici rebaptisé "Satanas").
Brunehaut marie son fils César à la fée Morgane, soeur du Roi Arthur, qu'elle téléporte à Monmur (dans la version d'Ogier de Danemark, où Morgane poursuit le paladin Ogier, Obéron est le frère de Morgane et non son fils, dans une autre variante César rencontre Morgane par hasard en Méditerranée sur l'île de Céphalonie). César et la fée Morgue auront deux enfants jumeaux : Georges, le Saint tueur de dragon, et Aubéron, l'Elfe. On peut difficilement plus christianiser le démon germanique en en faisant le frère jumeau d'un Saint.
Cela signifierait aussi qu'ils sont tous les deux des demi-frères d'Yvain le Chevalier au Lion s'il s'agissait bien de la même Morgane et que les légendes avaient une cohérence généalogique entre Matière de Bretagne et Matière de France.
Trois fées vont aussi se pencher sur le berceau de l'Elfe Aubéron. La première fée lui donne la Royauté sur Féérie et ses pouvoirs magiques (qui vont d'omnipotents souhaits à la téléportation). La seconde le maudit et en fait un Nain (parce qu'elle ne veut pas qu'il puisse rivaliser avec le pieux Saint Georges). La troisième lui donne beauté et longévité (mais à nouveau, comme pour sa grand-mère Brunehaut, pas l'immortalité). Sa mère Morgane lui donnera son Cor d'Ivoire qui peut faire danser n'importe qui (je ne crois pas qu'il y ait l'origine du Hanap d'abondance si proche du Graal dans la chanson qui semble pourtant vouloir suivre de très près Huon de Bordeaux).
Georges, lui, épousera une princesse de Perse et aidera la Sainte Famille pendant la naissance du Christ alors que Marie le soigne de ses blessures faites par le Dragon. Georges succédera à Jules César (et dans une continuation du cycle de Huon, il apparaîtra comme Saint Georges pour soutenir l'armée de Huon) mais Aubéron règne à Monmur avant que le Géant Orgueilleux ne lui prenne Dunostre et son Haubert. Aubéron aura juste eu le temps de participer à quelques tournois avec la Matière arthurienne avant de perdre ce Haubert magique qui s'adapte à sa taille de Nain.
Si on se souvient de The Faerie Queen de Spenser (écrit environ quatre siècles après), où Oberon règne sur Faerie avant de donner son trône à la Reine Gloriana (qui est à la fois Titania et aussi une Reine étrusque de Rome), Saint Georges (le Chevalier à la Croix Rouge) est élevé par Gloriana et doit la servir tout en affrontant le Dragon qui dévaste le Jardin d'Eden. Spenser, comme plus tard Wieland, commence à tisser le lien entre l'Aubéron de la Chanson de Geste et l'Obéron de Shakespeare.
(En passant, "Titania" est aussi un surnom de Circé, fille du Titan Hélios, et j'ai toujours pensé que c'était une bonne identité secrète pour la Reine-Magicienne, Reine Mab).
Dans une des suites (ce qui était annoncé à la conclusion de la Chanson de Huon de Bordeaux), la Chanson Huon, Roi de Féérie, Obéron finit par confier son trône à Huon et Esclarmonde, qui laissent l'Aquitaine au pieux Géreaume. Rudyard Kipling est un des rares à se souvenir de cette variante dans ses livres Plain Tales où c'est Huon qui est le Roi des Fées, avec Esclarmonde, alors que toute la fantasy a gardé Obéron en immortel. C'est peut-être à cause de cette référence de Kipling que Michael Moorcock a fait de "Huon" le Roi des Grandbretons dans le cycle du Bâton runique de Hawkmoon. Son Huon est un foetus dans une cuve tout comme Aubéron est décrit comme un éternel enfant de 3 pieds de haut.
Malabron le Lutin (qui était victime d'une malédiction et qui avait même accepté de rester un nuiton 30 ans de plus rien que pour aider Huon) épousera Judic, fille de Huon et d'Esclarmonde, et triomphera de l'armée des Géants qui venait attaquer la Féérie (toujours le même clan d'Orgueilleux et Agrapart, sans doute aussi lié à tous les Fierabras et Ferragus issus de Goliath). Huon repartira de son exil en Féérie une fois pour sauver son fils Godin assiégé par ses ennemis.
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Il y a 24 minutes
3 commentaires:
Au chapitre de la postérité (certes, franchement ténue et purement onomastique) de ces chansons, on a aussi Alan Garner qui avait appelé "Malebron" l'ambigu roi du monde secondaire d'Elidor entrevu par les jeunes protagonistes. Je n'ai jamais trop compris pourquoi, vu qu'il n'y a apparemment aucun rapport plus substantiel avec le Malebron médiéval, mais bon... Bizarrement, Garner, qui est pourtant un fin connaisseur de la littérature médiévale, a toujours fait preuve d'une grande liberté dans son réemploi de l'onomastique.
Merci, je ne connaissais pas les romans d'Alan Garner. Il semble bien déguiser les références mythiques (galloises ou nordiques). Il dit qu'un autre de ses romans, Red Shift, joue aussi sur la légende de Tamlin enlevé par la Reine des Fées (qui apparaît tant dans la série de comics Books of Magic, avec Obéron et Titania) mais l'analogie est loin d'être claire.
Oh, si tu n'a jamais lu Garner, je te le conseille! A mon avis, tout véritable amateur de mythologie y trouvera beaucoup de choses très stimulantes. Je le compte parmi les auteurs de fantasy qui ont une compréhension profonde des mythes.
Après, il y a une écriture presque proche du modernisme, qui peut surprendre un peu la première fois (des phrases très brèves, beaucoup de choses non explicitées...). Elidor est le premier que j'ai lu, et ça m'avait un peu décontenancé, à l'époque. Je garde encore en mémoire sa conclusion très abrupte (une marque de fabrique de Garner) et d'une amertume frappante dans un roman de fantasy "pour enfants".
Je pense que le meilleur est The Owl Service, qui montre des adolescents "hantés" par la récurrence du triangle amoureux Lleu-Blodeuwedd-Gronw Pebyr. Mais après, c'est un des moins "fantasy", je dirais; son ambiance le rapprocherait plutôt du fantastique.
Sinon, j'ai Red Shift, mais je ne l'ai encore jamais lu. Et je ne connaissais pas du tout Books of Magic (mais je suis très ignorant en matière de comics -- cela dit, si c'est Gaiman, ça mérite probablement un coup d’œil, j'imagine).
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