8 Bichat, jour de François Viète (1540-1603). Viète est un bon exemple d'un savant dont les inventions sont décisives et utilisées assez souvent sans que la plupart des gens (en dehors des historiens) se souviennent de lui.
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L'Argument le plus célèbre de Ludwig Wittgenstein s'appelle l'Argument du Langage Privé (ou comme on peut l'appeler plus précisément "Argument d'impossibilité d'un Langage absolument "privé"). Il le formule à la fin de sa vie dans quelques paragraphes des Investigations philosophiques (1953).
Mais pour comprendre son argument, il faut remonter en fait à un de ses "maîtres", Bertrand Russell et à des livres comme Our Knowledge of the External World (1913). C'est surtout Russell que Wittgenstein veut réfuter ici, même si son argument peut s'étendre à d'autres théories philosophiques.
L'argument "constructionniste" de Russell
Bertrand Russell, au début du XXe siècle, cherchait un moyen de dépasser un dualisme cartésien classique et un simple naturalisme matérialiste. Il retrace donc une sorte de genèse imaginaire de l'origine de notre rapport aux choses et au langage. Russell est avant tout un Hume qui veut partir de la logique, de la psychologie et de la physique de son époque en réécrivant son propre Traité de la nature humaine (si ce n'est que Russell part de la position de relations comme une sorte de fait objectif connaissable a priori, ce qui est donc le contraire de Hume).
Nous commençons par saisir (par fréquentation ou connaissance directe) des qualités sensibles immédiates qui sont les éléments de base de la connaissance. Ces qualités sensibles ne sont pas encore Le Rouge (comme propriété universelle) ou La longueur d'onde 650 nm (comme propriété scientifique) mais tel événement de telle nuance singulière, telle tache à tel endroit de l'espace-temps. Il précisera par la suite que ces événements de base ne sont ni des impressions subjectives dans mon esprit ni des propriétés physiques objectives mais l'élément de base d'une expérience qui apparaîtrait sous ces deux formes, comme l'expérience d'un sujet et comme réalité physique.
Je pourrais donner un Nom propre à cet événement particulier. Appelons cette impression de tache de couleur Pim.
Puis j'associe diverses qualités sensibles immédiates en des régularités par des relations. A force de voir telle nuance Pim, Pam ou Toto, etc. je commence à former des "complexes" de comprésence de qualité. Et je peux donner former une description définie : tel être qui a telles et telles relations avec Bob ou Bill qui sont les Noms propres de ses traits. Par exemple Pim pourrait être l'odeur de maman ce jour-là et Poum pourrait être le son perçu de sa voix à 11h07... et le complexe pourrait être "Maman". Mais quand je la nomme Maman, je ne fais pas référence à une substance mais à ce complexe qui renvoie aux qualités sensibles immédiates que j'ai perçues de manière privée.
Nous sommes ici dans cette reconstruction hypothétique avant que ne se crée un langage public mais déjà apparaît dans cet acte de baptême ou de nomination un premier langage, le langage mental, qui est un langage "privé" par définition. L'être qui est Maman est une entité publique mais sa référence a été fixée par un ensemble de qualités qui dépend en fait d'expériences privées. Si un autre sujet entre en interaction avec cette Maman objective (avec un ver spatio-temporel qui est l'agrégat que moi j'associais à Pim, Poum et Toto), il lui associera d'autres descriptions définies et d'autres références à des données des sens complètement subjectifs. Notre référence publique qui semble avoir le même contenu intentionnel (l'objet visé par notre pensée ou notre discours) reposent sur des contenus phénoménaux subjectifs séparés que nous ne pourrions pas comparer.
Russell garde donc une base quasiment "solipsiste" où on part uniquement de représentations privées comme si les autres n'existaient pas. C'est comme une théorie leibnizienne des Monades mais sans Dieu pour les coordonner. Mais ensuite, il veut éviter cette fondation qui semble si "solipsiste". Il fera comme Hume en disant que ce "point de vue" est lui-même construit à partir de toutes ces impressions, sans aucun Ego transcendantal. Son argument sera repris ensuite sous des formes différentes par Carnap (Aufbau) et par Nelson Goodman (Structure of Appearances).
La réponse de Wittgenstein
Wittgenstein trouvait ce scénario de genèse de Russell complètement absurde et inutile. Il admire une partie des innovations logiques de Russell mais est généralement très sceptique contre ses projets philosophiques de fondation du savoir. Russell est resté bien plus "cartésien" ou plus "classique" que l'Autrichien.
Il l'expose par un argument qu'on peut appeler l'argument du Blog - ok, l'argument du "Journal Intime". C'est une réduction par l'absurde contre l'argument de Russell.
Supposons que j'aie un état phénoménal complètement subjectif et PRIVE.
Supposons que je l'appelle dans mon "langage privé" Pim.
Je suis censé savoir subjectivement ce qu'est Pim mais sans pouvoir en donner une description, ce n'est qu'une pure dénotation sans description ou ce que Russell appellerait un "Nom propre" au sens logique (et non pas une abréviation de descriptions comme les Noms propres au sens commun).
Je peux retranscrire dans le langage public sur mon Blog : "J'ai ressenti Pim subjectivement" mais je ne peux rien en dire de plus que ce Nom propre dans le langage privé. Pim veut dire quelque chose qui m'est directement accessible mais qui n'est accessible que pour moi par définition. J'ai un privilège dans la connaissance de Pim et ce privilège vient de l'accès "privé".
Le Retour de PIM ?
Supposons que je retrouve à nouveau d'autres qualités et supposons qu'elles soient très similaires à "Pim". Puis-je noter dans mon Blog : "Tiens, j'ai ressenti à nouveau Pim, appelons-le Pim2" ou bien "Ce qui était là partageait des propriétés communes avec Pim mais c'est assez différent, appelons-le Poum" ?
Pour Wittgenstein, de deux choses l'une :
(1) Soit je ne peux vraiment rien dire sur Pim et alors je ne pourrais pas comparer Pim et Pim2 et savoir si c'est en fait bien Pim2 ou bien un Poum. Il se peut que ce soit le cas mais je n'aurais aucun moyen de le savoir.
(2) Soit je peux vraiment distinguer des états proches et justifier si le second état était bien ou non la simple reproduction du premier ou un nouveau vaguement similaire. Mais alors il a fallu que je puisse me décrire à moi-même par des critères que je peux rendre publics les différences entre ces deux événements. Ils ne peuvent donc pas être purement "privés" sinon, je n'aurais rien à en dire.
La Boite Vide
Wittgenstein se moque du privilège du sujet sur ses propres pensées avec un autre argument qui est la boite de scarabée. Supposons quelqu'un qui ait une boite où il ait enfermé quelque chose (qu'il appelle un "scarabée") mais supposons qu'il n'aurait aucun moyen d'ouvrir la boite pour y revoir ce qu'il y a mis. Du point de vue fonctionnel des effets de cette boite, cela serait exactement pareil qu'une boite vide s'il ne peut pas l'inspecter et décrire l'intérieur. Cette boite serait l'état des données immédiates de la conscience dans la tradition post-cartésienne. Wittgenstein ne dit pas que ces états internes n'existent pas mais qu'il n'y aurait rien à en dire si on ne pouvait pas parler des fonctions où ces états vont entrer dans nos règles et usages pratiques (ce qu'il appelle nos "jeux de langage").
Récapitulons.
Si je croyais avoir une référence interne absolument privée, je n'aurais aucun concept sur cet état interne. Je ne peux connaître et discuter que ce dont je pourrais donner des critères publics. Donc le langage mental privé, à supposer qu'il existe, n'aurait aucun effet et aucun contenu dans nos usages.
L'argument est très ingénieux mais je ne suis pas persuadé qu'il puisse suffire à prouver qu'un état mental ne puisse pas avoir un rôle fonctionnel dans mes pensées sans que je sois capable de le décrire ou bien qu'il ait un rôle interne dans ma psychologie tel que nécessairement un observateur extérieur puisse toujours le réduire à quelque chose d'observable.
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