En décembre 1945, on apprit que Curt Nimuendajú (62 ans) avait été retrouvé mort après une hémorragie dans le territoire ticuna dans le "Haut-Amazone" (qu'on appelle Rio Solimões) près du Pérou. Curt Nimuendajú, né à Iéna en 1883 sous le nom de "Kurt Unckel" et fasciné par la vie dans la jungle, s'était installé en Amazonie depuis près d'un demi-siècle, à vingt ans. Malgré son absence de tout titre universitaire, il avait consacré de nombreuses monographies ethnographiques ou mythologiques à différents peuples de la région, comme les Guarani du sud Brésil (pas très loin de la région du Paraguay où la soeur de Nietzsche avait vainement tenté de créer un refuge "aryen" en 1887-1889). Ce sont les Guarani qui lui donnèrent son nouveau nom, "Nimuendajú", qui signifiait "celui qui s'est fait son foyer" (ou moins littéralement, "celui qui s'est installé") et que Unckel prit désormais comme son nouveau nom légal une fois qu'il devint officiellement brésilien. Nimuendajú fut considéré comme un des Pères de l'ethnologie "indienne" du Brésil.
On découvrit par la suite que son hémorragie n'avait rien de naturelle. Curt Nimuendajú avait été assassiné. On n'aura jamais de preuve certaine sur le coupable. Une théorie disait qu'il aurait été tué par des colons mais l'hypothèse dominante est qu'il aurait couché avec une femme tikuna et qu'il aurait été tué par des membres de sa famille parce qu'il ne l'avait pas épousée. Nimuendajú aurait laissé un carnet sur ses aventures sexuelles dans les tribus mais ce carnet fut perdu et tout le fonds Nimuendajú fut détruit dans le grand incendie qui ravagea le Musée national de Rio en 2018.
Depuis l'affaire Nimuendajú, la sexualité des explorateurs de notre Paradis Perdu est devenue une affaire célèbre. Peu d'entre eux, quelles que soient leurs déclarations, échappent au soupçon d'avoir considéré le pays de l'Amazone comme un fantasme à piller et exploiter.
Une controverse existait par exemple entre deux spécialistes des
Yanomami (au nord-ouest, près du Venezuela, l'Américain
Napoleon Chagnon (1938 – 2019) et le Français
Jacques Lizot (1938-2022).
Napoléon Chagnon avait fait une analyse devenue classique sur la violence des tribus Yanomami (la version anglaise préfère les appeler "Yanomamo"). Chagnon s'était inspiré du modèle de l'évolution, de la sociobiologie pour expliquer que les Yanomami avait créé une société hyper-violente de guerriers agressifs à cause d'une adaptation particulière à leur milieu très hostile où les plus violents avaient un "avantage" dans la sélection sexuelle pour avoir plus d'épouses.
Jacques Lizot, élève de Claude Lévi-Strauss, défendait une théorie structuraliste plus conforme au consensus de l'anthropologie française de Mauss à Clastres, où la culture yanomami était fondée sur des normes d'échanges et pas seulement une fonction biologique d'adaptation et de sélection sexuelle.
Mais les deux furent ensuite accusés quelques années après dans
Darkness in Eldorado (
2000) du journaliste Patrick Tierney d'avoir violenté les
Yanomami et d'avoir eux-mêmes perturbé leur objet d'étude : Napoléon Chagnon en les incitant à la violence (en leur vendant des armes en échange d'information) et Jacques Lizot en achetant des faveurs homosexuelles auprès des Yanomami par d'autres armes.
Ce Patrick Tierney était une source sensationnaliste peu fiable (notamment dans certaines théories du complot où il accusait Chagnon d'avoir répandu une épidémie volontairement) et, qui plus est, il fut lui-même accusé de trafics d'armes, voire de violences. Cependant, le fond de certaines de ses accusations fut jugé relativement crédible, notamment pour des actes de Lizot (qui se défendait assez faiblement en disant que ses "cadeaux" entraient dans la structure des échanges de ce type de société) ou pour un mariage avec une Yanomami d'une dizaine d'années par l'anthropologue
Kenneth Good (un des assistants de Chagnon, qui se défendit en disant, en bon relativiste culturel, que c'était conforme aux normes locales).
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