Les religions monothéistes ont souvent de multiples noms de leur Etre suprême (ou l'Absolu au-delà de l'être) mais il est souvent peu imaginatif. Il peut être 1) le concept assez vague de "dieu" dans toutes les langues traité comme un "Nom propre" (le phénomène inverse de ce qui est arrivé au mot "Lune" depuis Galilée - mais il se peut que le nom commun "dieu" ait déjà eut une origine plus complexe si on croit les étymologies de type solaire où il désignerait le Jour ou la Voute céleste), une réappropriation de terme pré-monothéiste (les Catholiques chinois utilisent paraît-il l'ancien mot pour le Ciel dans le Taoisme) 2) un Nom propre obscur analysé par un terme descriptif (du type Tetragrammaton YHVH, יהוהIahvé, Jehovah, dont il y a des herméneutiques comme Nom de l'être ou de l'éternel) ou sans aucune explication interne malgré les origines historiques (comme Allah qui est peut-être le nom d'une divinité pré-islamique - son nom le plus fréquent est l'adjectif Ar-Rahim, le Compatissant), 3) des descriptifs élogieux innombrables (Etre suprême, parfait, infini, Eternel, gloire, splendeur, etc), parfois via certains attributs (l'Idée du Bien, l'Un), ou bien par une image politique (El, Adonai, Dominus, le Seigneur, Shangdi, Christ-Roi), technique (le Démiurge, le Créateur), psychologique (le Souffle, l'Âme du monde, l'Esprit) ou patriarcale (Abba, le Père, Dyaus Pita, Jupiter).
Les Juifs et les Sikhs ont eu l'idée plus élaborée d'utiliser une "remontée sémantique" en l'appelant non par un nom mais le Nom : ha-Shem, Naam ou Satnam (Vrai Nom) - le concept johannique mystérieux du Logos comme médiation du divin et de l'humain joue peut-être un rôle proche. Il doit y avoir de nombreuses stratégies négatives ou apophatiques du genre l'Ineffable, le Sans Nom (il y a des textes hindou mystique qui parlent du Anami Purush, de la Puissance sans Nom). Une stratégie encore plus apophatique est d'utiliser un Interrogatif au lieu d'une négation : des Upanishads utilisent "Ka", qui peut vouloir dire "Qui ?", mais cela revient vite à un pronom impersonnel, j'imagine (ils utilisent aussi le Cela pour l'absolu dans le "Tu es Cela", et il y a peut-être des religions qui utilise "On"). La syllabe mystique Aum qui n'a aucun sens et qui est censé être le son originel de l'univers joue un rôle proche de remontée du sens vers un pur terme vide. Je ne sais si des religions ont déjà utilisé des gestes silencieux à la place d'un Nom.
La plupart des religions sont patriarcales, qu'elles soient monothéistes ou pas, même lorsque les Déesses de la fécondité jouent un rôle important. Le poids psychologique de la religion semble souvent lié à celui d'un Père idéalisé et il faudrait vérifier empiriquement si les fanatiques peuvent en même temps avoir une révolte contre leur Père ou une absence d'image paternelle - mais cela ne donnerait pas une théorie vérifiable puisqu'on pourrait toujours dire que le fanatique cherche justement un substitut symbolique à un père trop réel ou à cette absence. Le paradoxe du Christianisme est que c'est une religion du Fils mais qui ne fait qu'encore plus sanctifier la fonction paternelle par ce sacrifice du Fils à lui-même / à son père pour racheter la faute de l'Homme et servir d'intermédiaire (chantage à l'amour assez curieux où le rédempteur dit qu'on doit l'aimer puisqu'il a fait gratuitement un acte d'amour infini).
Une des interprétations fascinantes du "Dieu est mort" (voir par exemple la théologie radicale chrétienne-athée de William Hamilton) est que Dieu s'est littéralement tué (à la création comme dans le Pandéisme, la κένωσις de l'auto-sacrifice comme humble auto-annulation - qui peut être ensuite articulée avec des vertus d'affirmation face à ce Neant, comme dans l'ontothéologie du courage de Tillich - ; ou la théorie mystique où Dieu est toujours au Septième jour ? ou sur la croix ?) pour que nous devenions pleinement hommes, ou pour que la charité puisse naître en nous.
Il y a pourtant aussi un courant où le Dieu peut faire plus penser à une sorte de Grand Frère que de Père (ou de l'Oncle maternel dans les sociétés matrilinéaires ?). L'autorité patriarcale se dissimule peut-être simplement sous le Big Brother ?
L'Hindouisme, quelle que soit toute l'importance de la piété filiale (il y a le mythe du Fils s'auto-sacrifiant comme Bhisma), malgré tout son conservatisme et son traditionalisme dans le culte des grands gourous, me semble (de l'extérieur, et de prime abord) plus marqué par cette sorte de relation à un Grand Frère idéal qu'à un Père - mais ce n'est qu'une intuition vague. On adore plus le juvénile Vishnou ou Shiva (voire son fils) que le créateur Brahma Prajapati - un peu comme si Apollon, Dionysos ou Hermès avaient fini par supplanter Zeus comme divinité principale. Il y a la même relation politique (Vishnou est un Seigneur, Shri, Hari) mais pas autant de relation familiale (je ne crois pas qu'on l'appelle Notre Père mais étant donnée la quantité de textes et d'écoles, il doit y avoir des exceptions).
Ce niveau "fraternel" se voit dans plusieurs mythes indiens. Une des différences entre les épopées grecques et hindoues est l'importance de l'amitié entre frères. Chez les Grecs, cela ne joue guère de rôle que chez des Jumeaux, et encore ils en viennent souvent au contraire à se massacrer à part Castor et Pollux (une exception avec des frères normaux est Ajax et Teucer, ou Agamemnon et Ménélas). Cela n'est vraiment pas aussi important que la relation de Rama (où les conflits viennent de la belle-mère, non du frère), Krishna ou Arjuna avec leurs frères. Un exemple occidental serait Renaud et les Frères Aymon. Les mythes occidentaux me semblent être plus souvent des conflits verticaux Père-Fils que des ententes horizontales entre Frères (certes, Krishna tue son oncle maternel pour soutenir son père).
Il y a des noms philosophiques de Dieu qui ne me semblent pas jouer de grand rôle dans les religions réelles. Ainsi la téléologie, appeler Dieu la Fin dernière, Celui qui Sera, le Dieu à venir (pour reprendre l'expression de Hölderlin et de Manfred Frank sur Dionysos), le Point Omega de Teilhard, ou simplement l'Avenir ou le Futur joue un rôle dans la théologie du processus post-Whitehead mais ne semble pas suffire à combler le besoin eschatologique des religions réelles pour un Messie, Mahdi, Saoshyant, Kalkin ou Maitreya. Les religions insistent plus sur l'éternité ou le sempiternel que sur l'avenir. Pourtant, il semble concevable que nous ne sommes que des êtres contingents qui avons comme finalité (contingente puisque nous pourrions ne pas l'accomplir) de créer de l'être nécessaire, par la science (c'est la doctrine cybergnostique du transhumanisme, ou les fables fameuses de sf du type Answer, 1954 de Fredric Brown et The Last Question, 1956 d'Isaac Asimov, où l'Homme a créé Dieu au-delà de son image). Ce serait l'inverse de la Kénose où l'être nécessaire s'est privé de sa propre nécessité pour créer la contingence, notre Fin dernière serait d'instaurer la possibilité d'un télos dans un monde purement causal et mécanique, de donner une intention à ce qui n'en avait pas. En un sens, les vieilles doctrines hindoues ou grecques sur l'Eros ou le Désir qui travaillent la nuit et le chaos pour créer l'être ordonné reviennent peut-être à cette idée.
lundi 7 janvier 2008
Noms de Dieu
Publié par Phersv à 15:20
Libellés : mythologie
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