Casus Belli fut le principal magazine de jeu de rôle en France. Il commença il y a 30 ans comme un fanzine de wargame (d'où son nom), fondé par François Marcela-Froideval (qui travailla ensuite un temps pour TSR sur AD&D) et se centra sur les jeux de rôle. Il disparut une première fois en 1999 (n°122), fut relancé par Multisim et disparut une seconde fois en 2006. Depuis l'an dernier, il existe une troisième formule.
Je vais relire un peu les vieux Casus (en imitant les posts de Let's read Dragon magazine sur RPG.net), mais avec quelques mises en garde : (1) je suis surtout rôliste et pas wargameur, je vais donc sauter beaucoup de choses qui m'intéressaient moins, notamment dans les premiers numéros (la proportion étant presque 50% wargame/50% jeu de rôle). (2) Je vais suivre un rythme peu contraignant pour ne pas abandonner trop vite et j'arrêterai sans doute au bout de quelques numéros (disons, au numéro 10 de septembre 1982, quand FMF part), parce que cela risque de devenir un peu ennuyeux.
Commençons donc par le Casus Belli n°1 (daté d'avril 1980, 32 pages)
Après quelques pages sur Panzergruppe Guderian, la Convention de wargame d'octobre 1979 à Bruxelles (où a lieu une démo de D&D) et sur Diplomacy, il y a une publicité pour un club Jeux Descartes-Jeux & Stratégie (avec comme produits Zargos Lords, Kroll & Prumni, Starforce et 4000 AD - qui était un jeu sans grand intérêt en dehors du fait d'être en trois dimensions avec des cases cubiques, ce qui demandait de calculer des distances avec Pythagore). Une autre pub parle de seulement 3 magasins partenaires pour Paris : un Games au Forum des Halles (qui a fermé), le Jeux Descartes du 40 rue des Ecoles (qui a déménagé et qui vient d'être racheté) et l'Oeuf Cube (qui existe toujours).
Puis arrive la première présentation de jeu de rôle, avec un article sur Donjon & Dragon par François Bienvenu (alias Finael de la "MLC de Saint-Rémy-lès-Chevreuse", Guiserix le décrit plus tard comme un des meilleurs MJ et dit que les deux clubs principaux était Saint-Rémy et la Rue d'Ulm). L'article dit déjà que personne aux USA n'utilise la même version des règles et que tous l'adaptent. Il ajoute même qu'il y a aussi d'autres jeux de rôle : Metamorphosis Alpha et Traveller. Hélas, Traveller ne fera jamais partie des jeux défendus par Casus (alors que White Dwarf, fondé 3 ans avant, aura beaucoup plus de modules pour ce jeu, ce qui explique une différence entre le public français et le public britannique dans le rapport à cet ancêtre). Bienvenu introduit un court récit de jeu avec Ard H'em Storr le Guerrier, Feladin le Nain, Astael l'Elfe et Sihful le Prêtre mais il n'y a encore aucun scénario dans ce numéro. Sur son site, il a mis les notes de sa campagne de Pranarant (avec un don évident de cartographe).
Dès ce premier numéro commence la célèbre rubrique, Devine qui vient dîner ce soir..., pour "vous aider à meubler le plus agréablement vos corridors déserts". C'est donc une série de créatures pour AD&D (inspirée de Fiend Factory dans White Dwarf, qui va donner le Fiend Folio en août 1981), mais FMF préfère commencer par des plaisanteries allusives qui rappelle que la diffusion demeurait relativement confidentielle (2000 exemplaires quand même, selon Guiserix). Le Liesnardhuus est un monstre belge qui se sert d'une canette de bière inépuisable et d'une frite magique (la créature est reprise dans Casus Belli Hors-Série 3). Il s'agit d'une caricature de Michel Liesnard, qui dirigeait la Fédération belge de wargame et qui avait introduit les jeux SPI. Guiserix raconte dans cette longue interview comment Liesnard l'avait fait travailler sur la fanzine de wargame Nuts et l'avait fait rencontrer FMF. De même, la Mhëerdoeny est une allusion au célèbre personnage publicitaire, qui était si récurrent dans l'humour et les bd des années 70. Je ne sais pas si l'immonde Schbleurk, qui recouvre de pustules, est aussi une allusion directe. Le Cerberosphère est une imitation du Rover du Prisonnier (et FMF le réutilisera dans des scénarios par la suite). On comprend mieux pourquoi FMF décrira le "Gros Bill" dans le numéro 4, qui lui aussi est une caricature d'un des joueurs du "Club de la Rue d'Ulm" où jouaient FMF, Guiserix et son épouse. Cela dit, c'est aussi le numéro d'avril et le même mois de 1980, Dragon Magazine n°36 était aussi un numéro spécial Poisson d'avril avec des monstres comme "Le DM" ou "Le Collecteur d'impôt".
Enfin, ce premier numéro se termine par une nouvelle classe de personnage pour AD&D, créée par FMF, le Samourai et c'est sans doute le seul qui sera un peu mémorable dans ce premier numéro. Quelques années avant, Dragon Magazine n°3 (octobre 1976) avait déjà proposé une version de classe du Samurai mais je ne peux pas comparer. FMF devait être assez fier de sa version, il en redonne une autre un an après dans le numéro 6 et quand il repartira aux USA pour travailler chez TSR, il participera aussi au supplément Oriental Adventures de Gary Gygax (1985, la version officielle p. 21-22 est assez similaire). Et enfin, il mettra aussi un Samourai, Murata, dans sa bande-dessinée, Chroniques de la Lune noire. Le Samourai est un peu un mélange de Paladin (mais loyal pas nécessairement bon) et de Moine. FMF est décidément faussé par les Gros Bills et dit que ses caractéristiques ne sont "pas très fortes" avec un minimum de 16 en Dextérité. Le Samourai a une Détection du Danger (avec un pourcentage qui correspondrait en gros à 40%+10% par tranche de 3 niveaux), un cri du Kiaï qui permet de paralyser l'adversaire et de se concentrer en acquérant une force de 18/00 pendant un round par heure (cela sera en gros conservé dans la version officielle). Il a aussi une réduction des dégâts, plusieurs attaques par jour et un katana faisant 1d12 dégâts. FMF dit que la classe est équilibrée par le fait que la croissance en niveaux est lente et que le Samouraï reste inféodé à son sens de l'honneur et à son daimyō (même si on sait qu'en pratique les joueurs d'AD&D devaient toujours jouer des sortes de rōnin). L'air de rien, cela rappelle donc que les classes ne sont pas que des mécanismes de combat mais qu'il peut y avoir une histoire autour des personnages, même si les premiers scénarios publiés ne vont pas exploiter cet aspect en considérant que cela doit relever du talent du MJ.
12 commentaires:
Ah ah ça me rappelle également les versions pas trop testées du (sur)barbare ou du félys qui trouvaient toujours un joueur pour en réclamer l'usage au grand désespoir du DM. Ce qui anticipait le succès et l'abondance des suppléments dans les années 80.
Ah, oui, le Félys apparaît dès le numéro suivant (et deviendra même une race plus tard dans le jeu de rôle Nightprowler, 1995).
Pour le Barbare, je ne me souviens plus. Il y avait une version dans White Dwarf #4 (1977) et la version officielle dans Dragon 63 (1982, repris dans Unearthed Arcana, 1985).
La multiplication des classes était un des jeux favoris des magazines et Gygax ne cessait de les condamner (même s'il avait lui-même à créer quelques classes qu'il abandonnait ensuite, comme le Pyrologue et l'Artisan).
Mais c'est surtout à partir des 3e et 4e édition que cette multiplication des classes est devenue une activité valorisée.
...et quand je pense que j'ai vendu tous mes Casus... honte et malheur sur moi...
Ouui, j'avais déjà trouvé cet interview de Didier qui raconte les débuts de CB, très intéressant, on apprend pleins de chose surtout quand on est (était) pas un joueur de la première heure, issu du milieu de grandes écoles ou universitaires...
Est-ce que quelqun se rappele du 'Barbarian' du White Dwarf ?
Du "Monk" revisited du Dragon ?
Du "Warsmith" ?
De l'Archer ?
...
Ah, je me souviens bien du Barbare. N'étant pas très fan de Conan, je ne comprenais pas trop l'interdiction des objets magiques (surtout dans D&D, où un guerrier était quasiment toujours défini par ses objets magiques en réalité !). J'ai été surpris quand c'est devenu une des classes de base dans D&D3. Il y a même une version spéciale de D&D3, Iron Heroes, de Mike Mearls, qui est faite spécialement pour accommoder les Barbares et baisser l'importance des possessions.
Ah, je vois que le Warsmith dans White Dwarf #28 (voir cette liste. Il y a aussi un Smith tout court dans Dragon #70 (et Best of Dragon vol. 4). Mais mon forgeron préféré est dans Chivalry & Sorcery 1e édition où il y a même une Classe de Joailler (pour créer des Anneaux magiques).
Je me souviens aussi du Necromancien dans White Dwarf #35/36 et de discussions endiablées dans le courrier des lecteurs, parce que c'était une classe de personnages-joueurs maléfiques et que TSR (qui allait retirer l'Assassin et les Demi-Orcs dans AD&D2) trouvait ça MAL.
Et n'oublions pas l'une des plus célèbres classes un peu sexistes (qui fut traduite, je crois, je ne sais plus où ?), la Houri (White Dwarf #13, juin 1979).
Il y a une version proche de cette nymphe paradisiaque avec la Courtisane (NSFW, Casus Belli #29, novembre 1985).
Ah là là que de souvenir...
En fait...
(parenthèse: et ça me fait penser que je suis bien d'accord avec toi sur plusieurs de tes ressentis — càd le "guerrier personnalisé est une boutique ambulante chez AD&D1e")
..ça me rappele -et je me dis ça, évidemment avec le recul- qu'avant chaque nouvelle campagne (ou scénar, selon le rythme), chacun venait, (peu ou prou les groupes de jeu,) qui avec son nouvel objet magique, qui avec sa nouvelle race pour son perso, ou encore qui avec sa nouvelle classe...
Je me rappele d'un copain, taré de Conan (et du film) qui jouait un barbare. Classe qu'il avait savamment lui même mixé avant l'heure, avec ses petits pouvoirs grosbills...
Que dire de la table multiplicateur de dégâts ?
Donc, tout ça pour dire que c'était du "Magic" avant l'heure, où chacun avait acheté son Dragon mag, son WD et venait arborer sa dernière trouvaille qui allait permettre de déjouer le "Donj" de son odieux DM... bref, sa carte mortelle dans son deck mortel...
A mon sens la meilleure critique de la mode des nouvelles classes déséquilibrées fut la classe ironique du "Boucher" proposé dans Runes (qui se souvient de ce sympathique concurrent de Casus ?). Cela dit, Runes encourageait l'utilisation de certaines races monstrueuses comme PJ (les elfes noirs et les centaures, si je me souviens bien). Une des classes les plus déséquilibrées reste "l'anti-paladin" (inspiré du Chien de guerre de Moorcock) qui fut proposé dans Infojeux. Sinon je me rappelle très bien du magazin Games des Halles et du club se Saint-Rémy (auquel je ne pouvais pas vraiment participer parce que les parties s'éternisaient et que je devais prendre le dernier RER à 11h15 pour rentrer chez moi, sniff...).
Goodtime.
Oui, Runes, prozine de Toulouse, ce doit être là d'ailleurs que j'ai entendu parler pour la première fois de Runequest et Glorantha.
Une partie de l'équipe (comme Jean, Dominique et Henri Balcezak) a ensuite rejoint Jeux Descartes et/ou Casus Belli, si je me souviens bien. Et il y avait l'excellent Pierre Zaplotny qui écrivait sur Traveller et qui participa ensuite à Empire Galactique.
L'Anti-Paladin vient de Dragon #39 (juillet 1980), mais il était précisé que la classe était réservée aux PNJ... Bien sûr, c'était souvent une hypocrisie de la part de TSR et les Munchkins (GrosBills) se jetaient sur les classes peu "équilibrées" (enfin, pas sur les "Sages", certes). D&D3 en reprit une version sous le nom de Blackguard.
Une de mes classes favorites était le Marchand dans Republic of Darokin (pour Basic D&D). Au lieu d'être un commerçant normal, c'était plutôt une sorte de Magicien spécialisé sur le transport (pour que les joueurs aient envie de le jouer - un peu comme les Prêtres d'Issaries dans Runequest). Mais du coup, cela changeait toute la vision de l'économie dans le monde de Basic D&D si certains Magiciens étaient en fait derrière les compagnies commerciales.
Le marchand...
Je crois qu'il y a avait une version pour AD&D dans Dragon : article sur fond jaune avec des illustrations (quelque peu anachroniques quand même, mais rien ne nous étonne de la part des américains) de Gustave Doré...
Classe de personnage sans doute pour les NPC, mais orienté business. Quand on connaît le côté matérialisant d'AD&D et le business de la "gold piece" sous-jacent au jeu...
C'est quoi, cette idée de "joueurs de la première heure issus du milieu des grandes écoles ou universitaires" ?
C'était loin d'être le cas, je peux te le garantir. Il y en avait quelques-uns, bien sûr, sinon le "club de la rue d'Ulm" n'aurait jamais vu le jour, mais il n'étaient pas majoritaires, loin de là...
Oui, il y avait d'ailleurs très peu d'Ulmiens dans le club de la rue d'Ulm d'après le Casus. C'est même sans doute pourquoi il n'avait pas duré.
En fait, je croyais surtout à cela parce que l'Oeuf Cube était à côté de Jussieu et que dans mon expérience les rôlistes étaient le plus souvent des étudiants en sciences.
A l'ENS de Paris au début des années 90, cela attirait surtout des matheux et dans une moindre mesure des physiciens. Il y avait très peu de biologistes ou de littéraires.
Mais je n'avais en effet aucune donnée sociologique précise.
Je me souviens qu'un bouquin de sociologie sur les rôlistes (je crois que c'était dans le livre de Laurent Tremel, pas dans celui d'Olivier Caïra) m'avait étonné en montrant que contrairement à ce qu'on pourrait croire, nous ne lisons pas plus de livres que la moyenne de la population.
Rue d'Ulm, il n'y avait, en effet, qu'un minuscule noyau de normaliens. Je ne dis pas que tu as complètement tort, il y avait un nombre respectable d'étudiants, mais pas tous en sciences (certains faisaient du chemin pour venir). Quelques-uns avaient fini leurs études depuis longtemps (le plus âgé dont je me souvienne était un médecin qui devait s'appeler Vahan Yegicheyan, et qui venait, sauf erreur, jouer avec son fils), d'autre n'avaient pas fait d'études supérieures (le célébrissime "Gros Bill était "garçon boucher", je ne crois pas que FMF, qui travaillait déjà chez Jeaux Descartes, avait un quelconque diplôme d'ES, je suis "BAC moins 1" et pas mal d'autres, à peine âgés de plus de 18 ans bossaient déjà...
Côté MLC de Saint-Rémy, si François Bienvenu, fondateur du club et probablement premier rôliste de France (quoi qu'en dise Anne Vétillard, qui à l'évidence se trompe - volontairement ou non - dans les dates) était bien étudiant, plusieurs joueurs habituels étaient encore mineurs et d'autres déjà au boulot. Je ne souhaite pas donner les noms des intéressés sans leur permission, mais je pourrais en citer pas mal, ne serait-ce que Didier, qui fût longtemps vendeur dans la boutique Jeux Descartes de la rue des Écoles avant de s'expatrier vers le Japon !
Pour précision, la principale raison pour laquelle le club de la rue d'Ulm n'a pas duré, c'est surtout l'état dans lequel nous abandonnions les salles de classes le samedi matin (miettes, emballages divers, canettes vides, etc.). Les normaliens essayaient de faire un peu de ménage, mais ça ne suffisait clairement pas...
J'étais au coeur de ces deux aventures. Je ne me rappelle pas tout, mais je pourrais sans doute répondre à pas mal de questions.
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