Maintenant que Wizards of the Coast a inversé sa stratégie et a décidé de diffuser à nouveau légalement les PDF de ses vieux modules de D&D (sur dndclassics), je suis tenté de regarder dans la direction opposée de la série "B" d'introduction vers les scénarios de "haut niveau".
Munchkins & Heroquesting
Il était d'usage quand j'étais jeune de tonner contre un jeu "à haut niveau" et d'affirmer que cela ne pouvait conduire qu'à une surenchère infantile de fantasme de puissance pour Grosbills (Munchkins) allant tuer Thor et Zeus avec leurs Epées Vorpales Vampires +5.
Et il est vrai quelques modules de haut niveau ne donnent pas assez l'impression de sublime ou de changement de ton, comme si c'était simplement d'autres donjons avec des Gobelins à 250 points de vie. Il y aurait alors trop de continuité entre les "Niveaux" alors qu'il faudrait un changement de seuil dans le type même d'expériences.
Mais depuis que Heroquest nous a appris comment on pouvait faire des aventures épiques où les personnages revivent des rituels ou des récits où ils incarnent les dieux eux-mêmes, on voit qu'on pourrait vraiment améliorer ces Quêtes en insistant sur l'arrière-fond de l'histoire.
Le problème n'est donc pas que le Haut-Niveau se rapprocherait trop du Divin et finirait par le rendre trop familier ou terre-à-terre (ce qui est la pente de D&D, même quand on ne considère pas le Deities & Demi-Gods comme un recueil de monstres à tuer). Il faudrait notamment réussir à augmenter les options et les choix nouveaux des joueurs sans qu'ils aient seulement l'impression que les oppositions ont simplement augmenté proportionnellement.
Par exemple, un module D&D lambda nous dit que soudain on doit réunir X morceaux du McGuffin à travers plusieurs mondes pour aller tuer le Grand Méchant (ou délivrer la Princesse). Cela pourrait être plus satisfaisant si on a déjà un récit mythique d'arrière-fond qui ne semble pas se réduire à un prétexte trop évident pour partir en quête de X morceaux du McGuffin et répondre à quelques énigmes tirées de Smullyan ou Gardner.
Par exemple, dans Heroquest, on peut avoir présenté à l'avance que la tribu a ce rituel agricole où un Dieu de la fécondité s'est sacrifié pour assurer les récoltes. Quand les PJ se retrouveront dans le même mythe, ils ne trouveront pas aussi arbitraire qu'on leur demande de jouer le rôle de ce Dieu qui meurt. Et ainsi au lieu d'être un "Grosbill" qui tue le dieu Baldr pour gagner des millions de points d'expérience, on intervient dans une structure d'arrière-fond pour rejouer et incarner ce récit déjà mille fois répété. C'est plus captivant du point de vue narratif, mais remarquez qu'on y a aussi des satisfactions plus immédiates, on tue "Baldr" quand même. Le modèle de la Quête héroïque permet de concilier un jeu pour hippie californien fan de mythologie et le petit Grosbill intérieur qui veut aussi jouer aux superhéros. La confrontation directe avec le divin prend un peu plus de distance mais n'a pas à être éliminée.
Les histoires à "haut niveau" risquent moins de se réduire à des jeux vidéo si le sens du récit peut échapper à certaines conventions artificielles, sans prétendre injecter tout le Narrativisme des années récentes dans les vieilles outres du Ludisme de la Vieille école.
De la Gloire à l'Immortalité
Le jeu de rôle est une de ces activités qui n'a pas de but pré-défini. Même D&D, qui suppose que les joueurs veulent voir leur personnage progresser en puissance, ne détermine pas nécessairement ce qu'ils sont censé faire de cette puissance. Les joueurs ne cherchent pas nécessairement à composer une histoire mais au minimum à atteindre quelque chose qui ressemble à un dénouement. La continuité de la campagne peut très bien produire ses propres conditions d'un dénouement heureux. Ou comme le répètent beaucoup d'introductions de jeu de rôle, c'est un jeu sans "conditions de victoire" préétablies.
C'est justement une différence entre Advanced D&D (1978) et sa version qui devait être sa simplification, D&D Basic. Cette dernière donna un but de fin de jeu particulier : devenir un Immortel. La gestion de la montée en puissance prenait donc un sens assez différent puisque elle n'était plus un but ouvert mais un moyen vers la fin ultime du jeu, l'apothéose du personnage.
Cette édition (dite BECMI, reprise ensuite dans la Rules Cyclopedia) avait été divisée en cinq boites : D&D Basic (limité aux niveaux 1 à 3), Expert (Niveau 4-14), Companion (Niveau 15-25), Master (Niveau 26-36) et enfin Immortal (au-delà du Niveau 36, dans les Niveaux divins, achevée par Frank Mentzer).
La série des 5 modules avec l'initiale M était donc conçue pour des personnages de Niveau "Master". De tels personnages, autour du 30e Niveau, ont acquis un pouvoir "temporel" (fief, évêché, guilde, tour de sorcier) au Niveau Compagnon et se tournent maintenant vers la recherche de l'Immortalité. Ils sont déjà des Héros confirmés sur le point de devenir des sortes de demi-dieux en Quête héroïque à travers le Multivers.
Je vais relire ces cinq modules en cherchant à voir si on peut accroître encore leur lien dans une trame "épique". Les forcer à entrer dans un seul MégaModule ou exagérer leur cohésion pourrait finir par devenir inutilement complexe, artificiel ou peu crédible. Pour l'instant, le lien est surtout (1) le cadre et (2) l'ennemi. Le cadre est l'endroit où les PJ ont installé leur domaine (dans les modules de la série Companion), un espace nordique trop peu peuplé et dont on ne voit pas assez l'importance, en dehors de quelques enjeux stratégiques. L'ennemi est un Immortel maléfique qui dresse des pièges contre les PJ dans quatre des cinq aventures, alors que son vrai but à plus long terme est de détruire l'Empire principal et suzerain de ce territoire. Les auteurs de ces modules étaient tous différents et le M4, par exemple, ne s'insère pas naturellement dans la séquence, alors que les M1 et M2 ont des liens directs.
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