Qadīm (القديم) veut dire "l'Ancien" (même si certains locuteurs de l'arabe disent que cela évoque plutôt aujourd'hui "vieux, vieillot, usé, archaïque") et c'est le nom choisi par Jeff Grubb (un des co-créateurs des Royaumes Oubliés avec Ed Greenwood) pour sa fusion en 1992 d'AD&D (à l'époque 2e édition) et des Mille et Une Nuits (le nom du territoire sera le Zakhara, qui correspond à la Péninsule arabe).
Cela fait longtemps que D&D pille des Rokhs, des Goules & des Génies, des Djinns ou des Efrits (la Cité d'Airain était citée dès la couverture du Dungeon Master's Guide) ou des tapis volants. Greyhawk avait ses Baklunis (qui vivaient au nord-ouest, comme Gary Gygax avait à peu près inversé la carte d'Europe) - ils adoraient au départ Istus, la Déesse du Destin mais finalement furent associés à Al-Akbar, un culte hénothéiste qui ferait plus penser à l'Islam réel. Mystara avait les Emirats d'Ylaruam, dirigés par les Califes descendants de leur héros Suleiman al-Kalim ("l'Interlocuteur", ils étaient positionnés au nord de Thyatis, l'équivalent de Byzance et juste au sud de la Scandinavie, comme si l'Arabie occupait donc l'Europe centrale).
Avec Al-Qadim, il s'agissait de faire pour le Moyen-Orient ce que les Royaumes Oubliés avaient déjà fait pour l'Europe médiévale (même si cela ne changerait pas beaucoup si le Zakhara était complètement séparé du continent de Faerun, avec lequel ils semblent avoir peu d'interactions profondes). Bien sûr, en un sens, les Royaumes Oubliés se distinguent nettement de l'Europe médiévale et ressembleraint plus aux Terres du Milieu de Tolkien. Et le continent de Faerun a déjà son lot de territoires assez "proche-orientaux". Le Sud-Ouest de Faerun avait déjà eu un territoire, Calimshan, qui avait été colonisé par des Djinns et des populations de Zakhara (et cela avait été une djinnocratie avant que les Mamelouks, les soldats-esclaves, ne prennent le pouvoir). Le Grand Pacha de la région demeurait aussi polythéiste que le reste, ce qui retire beaucoup d'analogies avec un éventuel Califat de Cordoue. Le Mulhorand est l'Egypte, mais pharaonique, et l'Unther est la Mésopotamie antique. La République de Turmish a quelque chose d'assez oriental aussi mais géographiquement, elle bien plus au nord et elle ne garde guère des clichés sur le Levant qu'une spécialisation sur le Commerce. Il y a eu aussi un vague équivalent de "croisades" contre les invasions de Nomades orientaux mais ils sont plus des Mongols pré-islamiques, sans beaucoup de liens avec la culture de Zakhara (et en général, le Zakhara eut peu d'influences visibles sur le reste des publications).
L'originalité principale de ce supplément dans la gamme D&D est l'attention à la vie quotidienne. Il y a des planches sur les costumes ou des passages entiers sur l'alimentation ou sur le mode de vie nomade des Bédouins et de ce point de vue cela semble bien fait.
Les divers Génies sont omniprésents. Une des classes de personnage s'appelle le "sha'ir", terme qui évoquait littéralement les poètes mais aussi par extension des sortes d'enchanteurs de l'époque pré-islamique. [Certains locuteurs de l'arabe n'aiment pas le terme, qu'ils associent plus à la poésie en général qu'à la magie (siḥr).] Ici, le sha'ir est avant tout un conjurateur de Génies. Il est potentiellement très puissant s'il a le temps car le Génie met assez longtemps à lui apporter ses "voeux". Cela le rend polyvalent mais aussi assez faible en combat. Et c'est aussi une classe vulnérable par rapport à d'autres magiciens car s'il perd son Génie attitré, il aura du mal à s'en refaire un.
Un Espace aux Mille histoires mais sans Histoire
Un des aspects qui m'a agacé est le choix d'absence d'Histoire, comme si le "Pays du Destin" devait être anhistorique et plongé dans une inertie de contes alors que les Royaumes Oubliés sont au contraire obsédés par les questions de chronologie précise pour chaque année.
On sait seulement qu'il y a eu des empires écroulés des Géomanciens au sud-est nommés Nog et Kadar le long de fleuves aujourd'hui desséchés, pour fournir encore une pseudo-Egypte ou pseudo-Mésopotamie à aller piller (supplément Ruined Kingdoms). Puis, à une époque indéterminée une jeune femme nommé La Législatrice ou la Prophétesse (anonyme, mais j'aime imaginer qu'elle est Sheherazade) avait eu un enseignement, qui fut retranscrit. Il y a 500 ou 600 ans, un jeune nomade non-nommé [des sources non-canoniques sur Internet l'appellent "Ahmad al-Assad"] redécouvrit par un oracle du Destin le manuscrit de la Révélation de la Prophétesse et commença à convertir toutes les tribus à la nouvelle Voie de l'Illumination. Il devint le Premier Calife (on remarque que la fonction politique dynastique et la fonction prophétique et législatrice sont ainsi distingués, même si la première impose la seconde) et en 600 ans, environe une vingtaine de califes de sont succédés (ce qui est une moyenne indiquant des règnes assez longs). C'est aussi l'époque où apparut le premier magicien sha'ir Jafar al-Samal, qui épousa quatre génies (bien qu'il n'y ait peut-être pas de lien). Le Califat a unifié tout le Zakhara, en assimilant tous les peuples autour d'une culture et d'un panthéon de 8 Grands Dieux (en dehors du schisme du Pentapanthéon au Sud, plus conservateur). Mais le Califat fonctionne en partie comme une confédération de cités-Etats avec un Grand Calife à l'autorité en partie symbolique, plusieurs Califes descendants du Fondateur et des Pachas, Sultans ou Sultanes (la société de Zakhara est polygame mais donne des droits politiques aux femmes, même si la majorité des dirigeants sont des hommes).
Un détail curieux est qu'ils ont inventé un Calendrier avec douze mois de type julien (Taraq, Masta, Magarib, Gammam, Mihla, Qawafil, Safa, Dar, Riyah, Nau, Rahat, Saris) qui ne semble avoir aucun lien avec quelque culture arabe ou musulmane réelle.
En revanche, à la place d'une Histoire, le supplément a mis 5 contes ou histoires qui sont extraites de la version zakharienne des Mille et Une Nuits. Le rôle des organisations d'élémentaires semble y être plus important. Un détail d'un conte sur la "Vierge de Beauté" est qu'on peut se demander si la figure mortelle de la Législatrice est la déesse Selan (la Lune) ne pourraient pas être secrètement liées, comme les dieux Hajama (Guerre), Kor (Sagesse) et Najm (Aventure) se sont battus en vain avec les Rois des Elémentaires pour épouser la Législatrice.
Le Panthéon
La Prophétesse avait apporté la Révélation d'une force impersonnelle, la Destinée, qui ne peut pas être directement adorée même si elle domine les Dieux. Le polythéisme est assez tolérant de milliers d'autres dieux, mais en pratique chaque "Mosquée" est associée à l'un des Huit Grands Dieux (5 dieux et 3 déesses) liés à la nature et à des vertus morales : Hajama le Brave (Guerre), Hakiyah la Juste (Commerce et Navigation), Haku le Libre (Vents), Jisan la Prospère (Abondance), Kor le Vénérable (Sagesse, qui semble aussi être à peu près le chef du Panthéon), Najm l'Aventureux, Selan la Belle (Lune) et Zann l'Erudit. Un schisme du Sud (du Pentapanthéon, qui joue à peu près le rôle des Chiites mais conçus comme avant tout plus puritains et moralistes) ne reconnaît que Cinq Dieux, qui devaient être plus anciens (3 dieux et 2 déesses) au lieu de huit : Hajama le Brave, Kor le Sage, Najm l'Aventurier, Selan la Belle et la déesse Jisan est remplacée par une version bien plus stricte moralement et en tchador, Jauhar aux Gemmes. Chaque culte peut avoir des interprétations morales variées entre Pragmatistes et Moralistes. Chacun a son propre Ordre d'Assassins, comme le Doux Murmure, les femmes-assassins qui servent Hakiyah des Brises marines (cf. aussi le supplément Assassin Mountain).
La Destinée est aussi un point de règle car dans un système qui fait un peu penser à l'Intervention divine de Runequest, les personnages peuvent en appeler à la Destinée en cas de situation vraiment désespérée (avec des chances assez déprimantes : 2% de réponses favorables, 93% sans réponse, 5% d'infortune, avec des bonus de succès pour les prêtres qui les font monter à 20%- Niveau).
La Géographie
Zakhara est un grand territoire avec comme prédominante un terrain sec et désertique. Au nord et à l'ouest s'étend la Bahr Al-Kibar (Grande Mer). A l'Orient, c'est la Bahr Al-Ajami (Mer des Etrangers) et au Sud, constellée d'innombrables îles la Bahr Al-Izdiham (Mer des Myriades ou Mer peuplée).
Au centre de la Mer des Caravanes et du Grand Golfe d'Or se trouvent les cités principales, dont la capitale, Huzuz, la Cité des délices (huzuz a l'air de signifier plutôt "chances"). C'est le siège du Grand Calife Khalil al-Assad al-Zahir et de sa vizir, la puissante magicienne Alyana al-Azzazi. Il n'a toujours pas d'héritiers et de nombreux oncles et cousins. Au nord de Huzuz dans le Golfe se trouvent Wasat, la Cité Intermédiaire et Hiyal, la sinistre Cité des Intrigues, et plus à l'est se trouve Halwa, la Cité de la Solitude. Et plus au nord-est, ce sont les Contrées Hantées, vaste désert où se trouvaient des Cités disparues et recouvertes par les Sables comme la Cité de la Paix. C'est aussi là, sur de Hauts Plateaux isolés que vit un peuple de monstres, les mystérieux Hommes-Yaks, qui ont le pouvoir d'occuper les corps des autres, ce qui en fait des espions très inquiétants.
Au sud-ouest de ce Golfe et de la Mer Surpeuplée, ce sont les Cités des Perles : Ajayib, la Cité des Merveilles, Gana, la Cité des Richesses, Jumlat, la Cité des Multitudes, Sikar, la Cité des Deniers, et Tajar. la Cité du Commerce. Au nord, la côte de la Grande Mer a les Cités Libres, assez indépendantes en dehors de Qudra, la Cité des Mamelouks tatoués (leur tatouage indique leur grade), siège du pouvoir militaire du Califat. C'est un domaine de Pirates, autour de Hawa, la Cité du Chaos, mais il y a aussi Qadib, la Cité des Magiciens.
La Mer des Myriades a une constellation d'îles (peut-être plus l'Indonésie et Malaisie) avec des Dieux exotiques et c'est plus le cadre pour des voyages de Sindbad. Au Sud-Est dans de grandes jungles, c'est plus un équivalent de la péninsule indienne avec d'autres Divinités. Parmi les Cités, je ne résiste pas à livrer un des "secrets" de ce monde que je touve assez réussi : Rog'osto, une Atlantis inversée. C'est une ancienne Cité d'un peuple des abysses qui a été sortie des flots par magie et qui est donc maintenant occupé par des Humains de la Surface bien que les créatures des profondeurs veuillent la réclamer.
Bilan général
On est toujours dans un dilemme dans le jeu de rôle pseudo-historique. Si on ne s'écarte pas de la réalité, cela devient difficile à jouer, et si on s'écarte trop, on ne voit plus vraiment l'intérêt. Par exemple, le fait d'avoir pris la langue arabe réelle (appelée ici le "Midani") permet des noms plausibles mais avoir pris un calendrier fantastique me paraît discutable (ils devaient vouloir éviter le mot "ramadan"). Ici, Zakhara et Al-Qadim apportent au moins deux choses qui ne seraient pas présentes dans les Mille et Une Nuits : (1) une société relativement égale entre les sexes, où une femme peut être une grande guerrière ou même une Vizir par exemple. (2), c'est moins important mais il y a aussi l'égalité entre espèces, avec des Fidèles elfes, nains ou gnomes qui ont les mêmes droits que les humains (si du moins on tient à mettre des espèces tolkieniennes dans Sheherazade).
Le rapport avec les Génies est un cliché mais du point de vue du jeu de rôle, cela a un grand avantage : la magie devient toujours une discussion avec un personnage au lieu d'être une simple incantation. Pour un jeu, il vaut mieux que les pouvoirs tout comme les adversaires soient le plus possible susceptibles de favoriser des dialogues et interactions et pas seulement du combat tactique. Cela donne un charme à Al-Qadim, même si je n'ai pas vu dans la plupart des Cités décrites des idées passionnantes qui donneraient aussitôt envie d'y jouer,
7 commentaires:
J'ai ressorti Al-Qadim l'année dernière pour le défi des 40.
Avant ça, je ne m'étais jamais beaucoup penché dessus, j'avais juste lu deux ou trois bouquins. Mais là, j'ai trouvé que c'était finalement bien adapté pour faire jouer des choses dans l'ambiance des mille et une nuits (et tout particulièrement pour des choses dans le genre des voyages de Sindbad, qui est d'ailleurs ce que j'avais choisi de mettre en scène pour mon scénario).
Question : "Mer des Myriades ou Mer peuplée" pour traduire Bahr al-Izdiham, c'est une traduction officielle ? C'est la traduction des mots arabes ? Pasque je n'avais pas trop su comment je devais traduire "Crowded Sea"...
Non, cela n'avait rien d'officiel et c'est même une mauvaise traduction mais je trouvais cela juste joli.
"Izdiḥām (ازدحام)" a l'air de vouloir dire plutôt (en arabe comme en turc) "surpeuplé" et s'emploie notamment pour une foule, un bouchon dans le trafic, un blocage, un engorgement, une congestion. Donc, c'est plutôt la "Mer surpeuplée". Mais "Myriade" me faisait plus penser aux îles alors que le terme doit plutôt parler des navires, j'ai l'impression.
J'avais traduit par "Mer bondée".
Et effectivement, je pensais comme toi qu'il s'agissait des îles.
J'aime bien "Mer bondée", c'est bien mieux que "surpeuplé" mais le mot "bonde" évoque une Mer avec un siphon. Un peu trou de Magasta :).
Ça pourrait être le sujet d'une légende obscure et oubliée, et au-delà, d'un scénario (voire de plusieurs)... :-)
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