Cette formule écrite par Alexandre Dumas & Auguste Maquet comme devise finale du Comte de Monte-Cristo paraît curieusement quiétiste pour un roman sur l'énergie et la force de la volonté (un Stoïcien dirait plutôt qu'il faut s'abstenir et soutenir, se forcer à agir sans rien espérer). La fin du livre reprend un ton assez chrétien sur la nécessité de l'espérance, alors que le personnage du Vengeur avait semblé remettre en cause toute idée de Providence divine.
Le nouveau film de Matthieu Delaporte et d'Alexandre de La Patellière est efficace et reprend même les tropes habituels du superhéros, ce qui rappelle la thèse d'Umberto Eco selon laquelle Le Comte de Monte-Cristo a créé le genre du superhéros en 1844 (60 ans avant Arsène Lupin ou The Scarlet Pimpernel). Le père d'Alexandre, Denys de La Patellière, avait réalisé une adaptation TV assez fidèle en 4 épisodes du roman en 1979 avec Jacques Weber (elle est sur le site de l'INA).
L'erreur principale à mes yeux dans cette version, qui doit relever du montage, est sur Maxilimien Morrel.
Dans le film, on insiste pour nous montrer Morrel et son fils Maximilien encore enfant, puis on raconte que Morrel est le seul à avoir tenté de sauver Dantès avant de mourir dans la misère (ce qui n'est pas le cas dans le livre) et Dantès oublie complètement Maximilien (alors qu'il en fait un de ses principaux héritiers dans le roman).
La scène avec le petit Maximilien doit venir d'une étape dans le scénario où le petit Morrel devait encore jouer un rôle alors que ce Pistolet de Tchekhov est complètement oublié dans le film, ce qui retire un mécanisme de satisfaction, oubli facile à corriger. S'il y a une version longue, j'espère qu'il y aura au moins une scène avec Maximilien adulte ou bien un testament en sa faveur, cela changerait pas mal de chose.
Autres changements dans l'adaptation :
Le nouveau personnage d'Angèle de Villefort (la soeur du procureur Gérard de Villefort) remplace dans ce film le personnage de Noirtier : on a changé le père bonapartiste en une soeur et on ajouté une scène d'action où Edmond sauve Angèle. Et Noirtier va jouer un rôle plus durable dans le roman avant de finir tué lui aussi, sans que ce soit la faute de Villefort.Fernand Mondego ou Mercedes Herrera n'étaient pas (encore) nobles au début, il n'y a donc pas de mésalliance si Dantès épouse Mercedes (alors que dans le film, ils sont déjà les cousins Morcerf et Danglars est le seul à être roturier). Mondego est bien plus coupable dans le livre (c'est lui qui envoie la lettre de dénonciation, pas Danglars) et Danglars est un comptable, pas un marin.
Le Trésor de Faria n'a rien à voir avec les Templiers dans le roman. Mais je trouve que c'est plutôt une bonne idée qui relie toutes les théories du complot du XIXe.
Ils ont retiré la scène où Dantès se lie d'amitié (juste après son évasion) avec le marin Jacopo, qui va devenir un de ses associés.
La scène où Monte-Cristo sauve Albert de Morcerf (le fils de Fernand et Mercedes) a lieu en Italie, pas à Paris et il y a plus de transitions pour faire accepter Monte-Cristo dans la bonne société parisienne.
UN : Villefort
Le personnage du Prince Andrea de Cavalcanti (le bâtard abandonné, fiancé à la fille Danglars) dans le film est le bandit Benedetto dans le roman. En revanche, Villefort est aussi puni par une autre intrigue dans le livre où sa femme (qui a empoisonné plusieurs membres de sa famille dans l'espoir d'enrichir leur héritier) se tue et tue leur fils légitime Edouard en même temps. Villefort devient fou, il n'est pas tué par son fils (mais Dantès a plus de doutes sur les conséquences que sa vengeance a eu pour toute la famille). Mais Villefort a aussi une fille, Valentine, qui sera sauvée et épousera Maximilien Morrel (qui avait failli se suicider en croyant Valentine morte).
DEUX : Morcerf
Le fait que Fernand de Morcerf ait trahi le Pacha de Janina est rendu public dans le roman (grâce au journal contrôlé par Monte-Cristo, l'intrigue qui est dans le film contre Danglars) et il finit par se suicider, sans ce duel à l'épée assez ridicule du film. Albert de Morcerf tentera de sauver son honneur en se faisant engager en Algérie.
TROIS : Danglars
Danglars sera ruiné (sans cette histoire de flotte), puis capturé par les bandits, forcé de jeûner en châtiment pour le père de Dantès qui était mort en cessant de se nourrir. Mais Monte-Cristo lui laissera la vie sauve. Il est sous-entendu qu'Eugénie Danglars (Emilie dans le film, si je me souviens bien) est lesbienne mais ce n'est pas affirmé aussi clairement que dans le film.
Le film a donc redistribué sur Haydée (jouée par la franco-roumaine Annamaria Vartololomei dans le film) et Albert de Morcerf ce qui arrivait en fait à Valentine de Villefort et Maximilien Morrel qui sont tous les deux retirés (et toute l'histoire de l'épouse de Villefort aussi).
Dans le livre, Haydée est amoureuse de Monte-Cristo, pas du tout d'Albert et c'est sans doute un des changements majeurs du film qui semble avoir craint cette happy end. Et Monte-Cristo ne finit donc pas seul, comme dans le film (comme si le film avait voulu mettre un peu de Jean Valjean sur lui, avec Haydée en Cosette et Albert en Marius Pontmercy).
Cela dit, je suis plutôt d'accord avec l'idée que la relation Haydée-Edmond ne marche plus bien pour nous en raison de son statut de fille adoptive. C'est assez difficile à dépasser.
Il y a 6 ans, j'avais déjà parlé d'Edmond Dantès. Mais à l'époque, je ne connaissais pas le délire absurde qui se demande si Pouchkine n'aurait pas pu survivre à son meurtre par d'Anthès en 1838 avant de changer d'identité et de devenir... Alexandre Dumas (alors qu'on a tant de données sur ce Dumas avant 1838). Sans doute une sorte de blague russe, en fait.
Si vous voulez comparer entre elles les différentes adaptations du Comte de Monte Cristo, il y a ce très utile site : 1 les films de 1918 à 1959, 2 les films de 1960 à 2002, et une amusante synthèse de tous. Il dit que la version de 1979 est la plus fidèle de toutes (à part l'ajout obligatoire d'une scène de duel d'escrime) mais que hélas Jacques Weber est trop froid en Dantès et que Haydée n'a aucune "chimie" avec lui. La version Disney de 2002 est, elle, allée jusqu'à faire d'Albert le vrai fils d'Edmond Dantès et non de Fernand (!!!).
2 commentaires:
Je n'ai pas encore vu l'adaptation récente, mais comme d'habitude, je suis sidéré par ta mémoire. J'ai dû lire le roman il y a une douzaine d'années (seulement !) et l'avais dans l'ensemble beaucoup aimé, mais certains des personnages que tu évoques ne me disent plus rien. Maximilien Morrel, par exemple, je ne sais plus du tout ce qui c'est...
Non, ce n'est pas de mémoire : je me suis aidé du résumé pour retrouver le nom des personnages.
Mais dans le cas de Maximilien, c'est un problème interne à l'adaptation. Ils auraient pu ne pas en parler du tout (comme le font d'autres versions). Mais là, ils en parlent au début et semblent annoncer qu'on va avoir un retour du personnage et ensuite le Comte entend dire que la famille Morrel s'est sacrifiée pour lui mais il oublie d'en reparler et d'aller les sauver.
Un truc amusant est que presque toutes les adaptations cinéma décident de remettre Dantès et Mercédès en couple, ce qui fait que cela doit être le souvenir collectif dominant. Ce n'est pas le cas dans cette version et ils ne mettent même pas Haydée avec Dantès (ce qui retire aussi l'aspect un peu incestueux de leur relation).
Enregistrer un commentaire