Via Imaginos, j'apprends la mort du créateur de jeu de rôle David F. Nalle de la COVID à (près de) 62 ans. Né dans une famille de diplomates et ayant voyagé dans le monde entier, il finit sa vie à Washington DC dans les années 80 et à Austin, Texas ces trois dernières décennies (là où vit aussi Steve Jackson). Depuis au moins une vingtaine d'années, il se consacrait plus à la politique qu'au jeu.
Shannon Appelcline a un article sur son apport au jeu de rôle depuis ses origines. Nalle est assez oublié aujourd'hui mais son influence fut significative parce qu'il réfléchissait de manière approfondie et enthousiaste sur ce que le jeu de rôle pouvait être. On pourrait dire de lui ce qu'on dit de certains groupes musicaux comme The Velvet Underground, qu'ils vendirent (relativement) peu d'albums mais que ceux qui les écoutèrent fondèrent leurs propres groupes. Nalle écrit dès les débuts du premier fanzine Alarums & Excursions dans sa rubrique "La Licorne d'Ebène" alors qu'il n'a qu'une vingtaine d'années, puis dans Abyss (environ 50 numéros de 1980 à 1990 ?, où il rédigeait la plupart des articles sous plusieurs pseudonymes). Après la publication de Traveller et RuneQuest, Nalle fut aussi un élément dans ce passage de la première génération des jeux de rôle (les alter-D&D comme Arduin et C&S) à ce qu'on peut appeler la seconde, des jeux de classes de personnages à des jeux simulationnistes avec compétences.
Nalle lui-même déclare que son jeu est descendu d'une variante de D&D qui s'est complexifiée et l'influence de C&S est assez visible. Cela aurait pu devenir une lignée parallèle de celle de RuneQuest. Comme le dit Appelcline, ce vieux post sur Usenet mentionne aussi comme descendant possible HârnMaster, qui combina RQ et C&S, mais surtout DragonQuest qui était plus hybride entre classes et compétences et qui avait aussi plusieurs "Collèges" de magie distinct. Le créateur de Tékumel, le Prof Barker, avait aussi choisi dans son système Sword & Glory de demeurer dans cet intermédiaire avec des classes-compétences.
Son jeu Ysgarth (1e éd. 1979) qui avait aussi son propre univers, aurait pu occuper une place assez similaire à RuneQuest mais en plus lourd dans son simulationnisme et sans le souffle épique qu'apporta Stafford. Le peu que j'ai pu voir de l'univers d'Ysgarth suggère une Terre antique parallèle avec plusieurs peuples humains celtiques (Gael, Kymri), italiques (Etrua) ou scandinaves (Vaen, Saexe, avec des hordes de Magyars), plus les espèces habituelles tolkiéniennes de Nains et Elfes (un peu comme la Terre que Richard Snider créa pour Powers & Perils).
Les panthéons y sont surtout les panthéons celtiques (gaélique et gallois), scandinaves (mais sans unification des Aesir et Vanir), finlandais, égyptiens, zoroastriens, etc. plus des dieux tirés de William Blake, Michael Moorcock et de Clark Ashton Smith. Ptoléméias compte 155 Temples différents. On reconnaît là les grands mélanges qu'aimait aussi Judges Guild. Gilrod, le seigneur des flammes et le dieu maléfique qui règne sur Uttgart est l'un des rares spécifiquement "ysgarthien".
Ysgarth est assez difficile à trouver à des prix abordables (les dernières éditions, la 5e et la 6e, eurent des tirages confidentiels). Ce décès prématuré signifie probablement qu'on aura encore moins de chances de jamais revoir ce jeu des origines.
Nalle était né au Liban et connaissait sans doute un peu mieux le Moyen-Orient que la moyenne. Son monde a deux parties principales : Ysgarth serait l'Occident autour de la métropole de (P)toléméias (Alexandrie ?), entre les barbares kymri et l'Empire ilchanien, avec les Elfes Ellylons et les Nains de Khuzdaral au nord-est, et de l'autre côté oriental de l'Abysse de 1200 km créé par la Chute du Mauvais ange et hanté par divers Princes-Démons exilés se situe un univers de magie plus élevée et plus proche des Mille et une nuits, le Wyrdworld de Jahannam (la Géhenne) avec le Roi des Djinns. On y trouve d'autres espèces non-humaines thériomorphes, les Batrags (amphibiens), Chitare (insectoïdes), Trozards (sauriens, les plus nombreux) et Mnerrar (petits félins). L'équivalent de l'Afrique, l'Arojika, est détaillée dans le Supplément III (1983). Il y a aussi une autre partie nommée Uttgart, qui a eu une série d'aventures.
Bizarrement, pour un informaticien qui conçut des fontes et polices d'impression, il ne se souciait pas des apparences graphiques et ses publications étaient d'une sobriété spartiate, voire très moche, avec un côté tapé à la machine figé dans les années 1970 qui ferait passer les premiers livres de Traveller pour de la technicolor.
10 ans plus tard, il ajouta un autre univers fantastique, Abaddon, qui était explicitement un mélange de la Bible et de William Blake où les tribus humaines comprennent les "Nefilim".
En tant que personne, David Nalle n'avait pas une très bonne réputation dans les forums de jeu des années 90. Il était visiblement intelligent mais extrêmement tranchant, insultant et hautain, méprisant quasiment tous les joueurs comme des crétins qui n'avaient pas pu comprendre ses jeux (et de fait, il pouvait paraître un designer plus systématique que Gygax, ce qui devait expliquer son complexe de supériorité). Il était aussi un militant libertarien très impliqué (Président du groupe libertarien dans le Parti républicain au Texas à une époque), ce qui va souvent avec ce dogmatisme. Cela dit, ces derniers temps, il était devenu très anti-Trump et ses messages sur son twitter montraient qu'il rejetait le GOP actuel.
J'ai déjà mentionné son article dans Different Worlds n°9 où il explique avoir amélioré le système d'alignement grâce à un score continu en deux caractéristiques, Karma et Loyauté, au lieu d'une différence tranchée. Il revint plusieurs fois par la suite (n°14-16).
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