samedi 27 février 2021

Idée de roman : Pantisocratie

Le Trio de Bristol

28 juillet 1794 : Thermidor. Robespierre et son entourage sont guillotinés. William Blake compose America en 1793 et Europe: A Prophecy en 1794. 

Quelques jours plus tard, les deux jeunes poètes anglais, Samuel Coleridge (presque 22 ans, Jesus College) et Robert Southey (fête ses 20 ans, Balliol College) reçoivent la nouvelle et vont commencer ensemble une pièce en vers en trois actes, The Fall of Robespierre, chez leur ami commun à Bristol, Robert Lovell (24 ans). A l'origine, le trio doit écrire un acte chacun mais finalement Southey réécrira l'acte de Lovell. Pour le trio, les Thermidoriens viennent de sauver la République et d'écarter la tyrannie mais ils sont aussi fascinés par la rhétorique révolutionnaire. Lovell vit au 25 College Street à Bristol. 

Southey cite dans sa lettre d'avril (qu'il signe Caius Gracchus) le chimiste et théologien non-conformiste Joseph Priestley (qui soutenait la Révolution française et qui a dû fuir en avril-juin 1794 vers la Pennsylvanie suite aux répressions de plus en plus directes contre les Jacobins anglais). Priestley a des arguments apocalyptiques qui peuvent évoquer un peu Blake. La Révolution française annoncerait la fin des temps. 

Bristol, port de l'esclavage et du commerce triangulaire avec l'Amérique (notamment les Caroline), a 60 000 habitants en cette fin du XVIIIe. Les Quakers de Bristol sont parmi les premiers à lutter contre l'esclavage (et il y en a peu du côté de Philadelphie). Ils n'étaient plus que 20 000 Quakers dans tout le Royaume-Uni (0,6% - ils étaient 60 000 un siècle avant, avant l'émigration vers la Pennsylvanie). 

3 soeurs Fricker : Sarah, Mary & Edith

Prendre Edith comme narratrice, comme une sorte d'Emily Brontë ? 

Robert Lovell (qui avait travaillé pour son père quaker fabriquant d'aiguilles) vient de se marier en janvier 1794 avec une actrice non-conformiste, Mary Fricker (23 ans) et il a été déshérité par son père quaker pour cette mésalliance avec une actrice non-quaker. Robert Southey vient de retrouver la plus jeune soeur, Edith Fricker (20 ans, il l'avait déjà connue plus jeune) et il l'épousera un an après (novembre 95). Samuel tombe amoureux de la soeur aînée des Fricker, Sarah (il l'écrit "Sara", 24 ans) et l'épousera aussi en octobre 1795 (et Hartley Coleridge naît en septembre 96).  La famille de leur père Stephen Fricker avait été ruinée quand Sara a encore 16 ans en 1786, Sarah et Edith ont dû vivre comme couturières à Bristol (et Lovell vend des aiguilles). 

Elles avaient été éduquées à Bristol à l'école de Trinity Street grâce à l'écrivaine et philantrope religieuse Hannah More (50 ans, mais celle-ci était devenue très hostile à la Révolution française dès le début et venait de publier des pamphlets contre Thomas Paine). La Vindication de Wollstonecraft est de 1792 (et elle vit en France de 92 à 95, son Histoire de la révolution sort en 94) et Southey vante l'Enquiry de Godwin (1793). 

Polly Darby (dite "Mary Robinson" ou "Perdita", 37 ans) était aussi une actrice de Bristol devenue écrivaine, poétesse, maîtresse du Prince de Galles à Londres depuis une douzaine d'années (on la surnomme la Sappho britannique), amatrice de Wollstonecraft et qui passa par les écoles de Hannah More. January 1795

Samuel est sans doute le plus excentrique, le plus idéaliste des trois et il vient d'interrompre ses études à Cambridge pour s'engager sous un faux nom dans l'armée. Ses frères l'ont ramené mais ses études sont gâchées. Sans doute pas encore consumé par la drogue en 1794 ? 

Southey et Lovell publient ensemble un recueil de poèmes où Southey signe "Bion" et Lovell signe "Moschus" (juste quelques sonnets, environ les 2/3 des poèmes sont de Bion). Moschus écrit une pièce satirique, la Bristoliad sur les commerçants de la ville. A cette époque, Southey écrit notamment aux frères Bedford (Grosvenor, 21 ans et Horace, 18 ans - Southey avait écrit sa Joan of Arc chez les parents Bedford quelques mois avant). 

Southey a écrit un début en prose de ce qui va devenir son roman Madoc, l'histoire d'un Gallois qui part conquérir une colonie au Mexique sur l'Empire aztèque (ou plutôt aux origines d'Aztlan) au XIIe siècle. C'est en discutant de cette uchronie que Southey discute aussi le projet d'émigrer aux USA. Le Prince gallois se serait uni avec une tribu et aurait alors laissé des traces anciennes médiévales. J'en avais parlé en 2015 en résumant son poème Thalaba (1800). 

Paul Muldoon a déjà sorti un livre de poème, Madoc: A Mystery (1990) sur la même uchronie pantisocratique que je voulais écrire... Il utilise donc une double uchronie où le Madoc de Southey est vrai et où Southey part vraiment et croise aussi Lewis & Clarke (mais en réalité, elle n'eut lieu qu'en 1803-1806, donc dix ans après). Plutôt la ligne Mason-Dixon entre Pennsylvanie et le Maryland depuis les années 1765. 

Autres alliés potentiels : George Burnett (18? élève à Balliol), Thomas Poole (28, un ancien tanneur devenu militant socialiste, surveillé par la police ; plein d'admiration pour Samuel Coleridge mais est plus pragmatique et moins idéaliste que le trio). 

L'Utopie pennsylvanienne : la PantIsoCratie

Le trio rêve alors de fonder une utopie égalitaire et communiste en Pennsylvanie. Dans la réalité, le projet meurt vers 1795 (et Lovell attrape une fièvre qui le tue en 1796). Ils auraient donc été au minimum 6, trois couples : Robert L. + Mary, Robert S. + Sara, Samuel + Edith. 

Indiens (Delaware Lenape ou Iroquois)

Il y a la Guerre avec les tribus de l'Ohio soutenues par les Britanniques (traité de paix en août 1795). 

L'intérêt par rapport à l'Icarie de Cabet est que c'est moins fondé sur la religion. En revanche, l'idée est clairement plus élitiste et individualiste, juste une petite communauté épicurienne et non une vraie utopie collective (même si Coleridge espère que ce sera ensuite un modèle attractif pour le reste de l'humanité). 

Le Plus ancien programme systématique de l'Idéalisme allemand (par un autre Trio environ du même âge que le Trio de Bristol), Hegel, Hölderlin et Schelling) n'est écrit qu'en 1796-97


Von der Natur komme ich aufs Menschenwerk. Die Idee der Menschheit voran, will ich zeigen, daß es keine Idee vom Staat gibt, weil der Staat etwas Mechanisches ist, so wenig als es eine Idee von einer Maschine gibt. Nur was Gegenstand der Freiheit ist, heißt Idee. Wir müssen also auch über den Staat hinaus! – Denn jeder Staat muß freie Menschen als mechanisches Räderwerk behandeln; und das soll er nicht; also soll er aufhören. Ihr seht von selbst, daß hier alle die Ideen, vom ewigen Frieden u.s.w. nur untergeordnete Ideen einer höheren Idee sind: Zugleich will ich hier die Prinzipien für eine Geschichte der Menschheit niederlegen und das ganze elende Menschenwerk von Staat, Verfassung, Regierung, Gesetzgebung bis auf die Haut entblößen. Endlich kommen die Ideen von einer moralischen Welt, Gottheit, Unsterblichkeit, – Umsturz alles Afterglaubens, Verfolgung des Priestertums, das neuerdings Vernunft heuchelt, durch die Vernunft selbst. – Absolute Freiheit aller Geister, die die intellektuelle Welt in sich tragen und weder Gott noch Unsterblichkeit außer sich suchen dürfen.

(...)


Zuerst werde ich hier von einer Idee sprechen, die, soviel ich weiß, noch in keines Menschen Sinn gekommen ist – wir müssen eine neue Mythologie haben, diese Mythologie aber muß im Dienste der Ideen stehen, sie muß eine Mythologie der Vernunft werden.

2 commentaires:

Goodtime a dit…

En fait la Pennsylvanie est encore une espèce d'utopie à l'époque : pacifisme (refus de combattre les Français), répartition égalitaire des terres, possibilité théorique pour les Amérindiens de voter, refus de l'esclavage, quiétisme religieux, révocabilité permanente des élus (qui ne le sont que pour un an), une seule chambre délibérative, etc. Il te suffit de faire partir tes trois couples là-bas et de leur faire fonder une utopie avec les Amérindiens. Dans la réalité, ce sont les Français qui ont fraternisé avec les tribus persécutés par les Iroquois, mais tu peux aussi bifurquer en inversant le destin des deux expéditions de la fin de règne de Louis XIV : au lieu que ce soit l'expédition qui devait reprendre la Nouvelle Angoulème (New York) qui attrape le scorbut, tu fais que c'est celle qui est allé mater les Iroquois. Du coup tes quakers sont en relation avec des Français qui tiennent l'Hudson mais qui ont besoin d'eux pour calmer les ardeurs des cinq nations. Tu peux aussi faire survivre l'Acadie et la Nouvelle-Suède dans cette utopie

Phersv a dit…

Oui, je veux en effet insister sur les Quakers qui me paraissent être une des formes de christianisme les plus intéressantes (même par rapport à des hérésies radicales) : refus du dogme au nom de la liberté de conscience ou de la révélation personnelle, refus de la hiérarchie sacerdotale (en un sens, c'est la plus anti-religieuse de toutes les religions), critique de l'esclavage à une époque où les autres Chrétiens s'en accommodent bien plus.

Mais les Quakers étaient devenus minoritaires et la Pennsylvanie était déjà en train de se normaliser (Benjamin Franklin est un libéral nettement moins idéaliste que les Quakers).

Robert Southey dans la réalité aurait très vite déchanté et son enthousiasme en reste à une idée de communauté plus que pour la réalité du Travail. Il demande même s'il ne serait pas souhaitable d'employer quand même des serviteurs et Coleridge, plus exigeant dans son égalitarisme, lui rit au nez. Coleridge est l'idéaliste complètement défoncé, Southey est le Romantique qui crée l'heroic fantasy et qui voudrait que l'utopie ressemble aussi à une forme médiévale arthurienne et pas seulement à la réalité agricole du Nouveau Monde. Il aurait sans doute vite laissé le travail réel aux femmes (ou à Robert Lovell, qui, lui, vient du monde du travail) et si on veut éviter la tendance actuelle de toutes les Utopies d'être des échecs (ou des Bildungsromane où il faut se réconcilier avec la réalité prosaïque), il faudrait que les femmes puisse y découvrir une forme de libération plus radicale que l'anarchisme androcentré de Southey.

Des tribus imaginaires celtisées comme en rêve Southey peuvent aider la narratrice à explorer cette émancipation (même si Madoc se passe au Mexique, pas en Amérique du Nord).

Dans la réalité, Southey a évolué peu à peu vers la droite au point d'apparaître aux autres Romantiques comme le symbole du traître vendu aux puissances dominantes qu'il critiquait dans sa jeunesse (mais qui sait si Shelley ou Byron n'ont pas simplement de la chance de mourir plus jeunes).

Chateaubriand, qui était aussi venu de ce côté en 1791 est déjà reparti mais on peut aussi y mettre un "René" imaginaire, représentant le crépuscule de l'aristocratie, tourmenté par son désir incestueux.

En passant, Madoc (des chevaliers celtiques du XIIIe siècle chez les Aztèques) ferait un bon cadre de jeu de rôle, plus égal que la Conquête du XVIe. On pourrait aussi y ajouter plus de Vikings au Nord.