Les fictions japonaises ne sont pas fondées sur un principe de continuité suivie mais souvent plutôt sur un jeu de variation : on reprend les mêmes "personnages" comme des "rôles" ou des silhouettes schématiques et on redéfinit le contexte.
Après les premiers
FATE, qui avaient posé les règles générales (7 couples Maîtres-Serviteurs, Guerre du Graal, érotisation et inversion sexuelle des Héros),
Fate/apocrypha (2012) est dans une version "parallèle" où la
Troisième Guerre du Graal s'est passée différemment : un Clan de sorciers de Transylvanie avait pu prendre le
Graal (qui est uniquement une source d'énergie magique sans lien christique) avant la Seconde Guerre mondiale (même si je ne comprends pas bien pourquoi ils n'avaient pas pu accomplir leurs voeux dès cette époque) et cette fois, au lieu d'opposer 7 Maîtres-Mages entre eux, la Guerre du Graal va opposer deux camps, les 7 Mages de cette famille roumaine (ici appelé les 7 "
Noirs") contre les 7 sorciers envoyés par l'Association des autres Mages (les 7 "
Rouges"). Aucune des deux factions n'est clairement "bonne" ou "mauvaise", il y a des Mages ambigus des deux côtés même si certains des
Esprits héroïques comme Astolfo et Siegfried sont plus clairement positifs.
A ces 14 Héros (les 7 classes de Héros : Saber, Archer, Lancer, Rider, Caster, Berserker, Assassin) s'ajoutent deux Héros particuliers.
Jeanne d'Arc (qui était déjà évoquée par Gilles de Rais dans Fate/Zero) a été convoquée directement par le Graal comme arbitre du combat ("Ruler") et est incarnée en un corps d'une Humaine comme elle n'a aucun Mage pour l'alimenter en mana.
Le Prêtre catholique Kotomine Shiro (propre à la mythologie interne de la série, arbitre survivant de la Guerre du Graal précédente) est un mélange dans cette dimension entre l'Inquisiteur Kotomine de FATE/Zero et l'héroïque Shiro de FATE/stay night et il a pris le contrôle de presque toute la faction Rouge (sauf le Nécromancien qui a invoqué Mordred) Son secret est qu'il n'est plus un simple Mage humain mais un Héros qui n'a pas besoin de Maître, tout comme Jeanne d'Arc.
Du côté
Noir, les 7
Héros sont :
Avicebron le Cabbaliste du XIe siècle (dont une
légende du XVIIe raconte qu'il aurait créé un golem ou une automate
pandora comme servante, ici il est un Nihiliste créateur d'
homoncules, qui rêve de recréer l'Eden et l'
Adam Kadmon en faisant
tabula rasa de l'humanité),
le Paladin Astolfo avec son hippogriffe, la lance magique d'Argalia et le grimoire des contre-sorts de la fée Logistille (du Orlando Furioso, ici un androgyne très queer et plein d'abnégation mais qui n'a pas toute sa raison sauf pendant la Nouvelle Lune),
Chiron le Sagittaire (Archer),
Vlad Dracula l'Empaleur (qui a ici le pouvoir de faire pousser d'innombrables Pals),
la Créature de Frankenstein (ou plutôt L'épouse de Frankenstein des films d'horreur puisque la série féminise toujours les Héros),
Jack l'Eventreur (incarné en une petite fille qui représente l'inversion du Gilles de Rais de FATE/Zero, un avatar de vengeance de tous les enfants persécutés de l'époque victorienne),
Siegfried (qui se sacrifie en donnant son sang draconique à un Homoncule pour le sauver, "Sieg", qui deviendra le vrai héros de l'histoire et le Maître d'Astolfo).
Du côté Rouge, les 7 Héros sont :
Achille,
Atalante (qui rêve de venger tous les enfants abandonnés)
Karna (du Mahabharata - le fait qu'Achille soit aussi l'élève de Chiron dans l'autre faction fait penser à la relation entre Arjuna et son gourou Drona),
Mordred (qui s'identifie strictement comme "garçon" bien que son corps implique le contraire),
Semiramis (avec ses Jardins Suspendus, une Tour de Babel volante),
Shakespeare (à la fois narrateur de l'histoire épique et sorcier)
Spartacus (génie furieux de la Rébellion contre tout Maître).
Comme on le voit, en dehors de ce terme de "Graal", on ne retrouve plus que Mordred en Chevalier de la Trahison comme élément arthurien et il y a plus de mythologie grecque (Chiron, Achille, Atalante) ou de Gothic victorien britannique (Dracula, Frankenstein, Jack the Ripper - même Avicébron incarne un savant fou assez frankensteinien même s'il est plus nihiliste que prométhéen).
Dans cette version, Mordred, la fille-clone d'Artoria (qui a des attributs encore plus féminins qu'Astolfo et parle de "lui" au masculin) n'est pas motivée par une soif de conquête mais bien par une forme d'amour contrarié où Mordred aurait voulu être un meilleur Chevalier que Lancelot. Arthur est montré comme un Roi parfait tellement idéal qu'il refuse Mordred parce qu'il sait qu'il ne pourrait pas être un monarque adéquat. Mais c'est ce refus qui fera de Mordred son ennemi et causera finalement la chute de Camelot que désirait Morgane. Un des procès qui revient tout le temps dans la série est qu'Arthur échoue par sa pureté même et qu'il représentait un idéal héroïque trop irréalisable et inaccessible. Mais je ne trouve pas qu'on arrive à entrer dans la relation de respect mutuel entre le Nécromancien (qui cherche une fille de substitution) et Mordred (qui veut compenser l'échec de son identification avec Arthur).
Comme il y a 16 Héros au lieu de 7, c'est moins approfondi que dans
FATE/Zero. La métaphore continue de cette série est surtout sur le Parasitisme, l'instrumentalisation et la consommation d'autrui. Le Cabbaliste fait les Homoncules pour leur prendre leur énergie et Jack the Ripper mange l'énergie magique des Mages qu'il assassine. Le Maître de Vlad Dracula a l'intention de
vampiriser le Vampire pour atteindre l'immortalité.
La série tourne souvent autour du thème du Mal et de la Théodicée, symbolisée par le sacrifice des Innocents. Les Homoncules sont brisés comme des poupées, comme des instruments et s'amoncellent en des tas de cadavres. Jack L'éventreur, qui incarne en lui tous les innocents violés et dévorés par la haine, pousse Sieg et Jeanne d'Arc à s'interroger sur le Mal radical. Il est dommage que le scénariste n'ait pas aussi fait le lien avec l'histoire où Arthur aurait tué tous les enfants nés à la même date que Mordred.
Une des choses qui est terrible en vieillissant est que je constate mon déclin intellectuel. Je ne comprends pas la fin du
Shangri-la de Matthieu Bablet et je ne comprends pas bien les fins des
FATE où le voeu demandé au Graal n'est jamais réalisé comme il a toujours un élément de
Monkey's Paw, un piège où la réalisation du voeu se retournerait contre le désir initial.