mardi 12 juin 2012

[JDR] [Review] Hackmaster Basic


J'ai beaucoup d'admiration pour l'enthousiasme et l'énergie créative du mouvement Old School (des gens comme Jeff Rients, par exemple, ou en France Snorri (qui va faire paraître son univers de campagne, Dodécaèdre). Mais comme amateur avant tout du Basic System de Runequest, je ne suis pas toujours très attiré par certains rétro-clones. D&D me paraît toujours avoir des personnages trop vulnérables à bas niveau (à part la 4e édition, où ils deviennent trop invulnérables) et ensuite avec des combats qui deviennent trop longs à haut niveau et trop déséquilibrés quand la puissance du Magicien devient dominante. On me rétorquera qu'il y a des problèmes symétriques dans Runequest où les personnages restent relativement vulnérables tout le temps, si on n'ajoute pas un système de Points d'Héroïsme ou de "Karma".

HackMaster (créé notamment par David Kenzer et Jolly R. Blackburn) est un jeu de rôle à part, entre le jeu et le commentaire sur les jeux. La première version était une parodie de AD&D 1e édition et elle allait dans le sens inverse de tous les autres dérivés. Au lieu de systématiser, "moderniser" et uniformiser D&D, HackMaster cherchait au contraire à augmenter son côté baroque en ajoutant volontairement des règles inutilement compliquées. Par exemple, AD&D 1 avait cette règle bizarre où on retirait un d100 si on avait un 18 en Force pour donner plus de variété entre plusieurs niveaux de force maximale. HackMaster s'amusait (très inutilement et uniquement comme une blague) à ajouter cette "décimalisation" à toutes les caractéristiques et à tous les scores.

Le problème de HackMaster est qu'il se situe toujours un peu dans une situation intermédiaire. Il est parfois trop parodique pour être complètement jouable. Et parfois il se rappelle qu'il devrait être une vraie règle jouable, et devient alors aussi peu drôle qu'un vrai Fantasy Heartbreaker.

Cette nouvelle version HackMaster Basic (2010) se veut un hommage non plus à AD&D 1e édition mais au Basic D&D simplifié de Tom Moldvay, comme l'indique la couverture hommage par le sublime Erol Otus, un des artistes les plus symboliques de la Vieille Ecole de D&D, avec ses dieux psychédéliques qui semblent toujours fondre dans un maniérisme entre El Greco et Steve Clay Wilson.






Basic D&D ne couvrait que les 3 premiers Niveaux et HackMaster ne va que jusqu'au 5e. Mais les auteurs prétendent avoir grandement réduit les plaisanteries et l'élément de pastiche. J'en doute en retrouvant dix pages pas si drôles (p. 136-146, 5% du livre) entièrement consacrées aux superstitions sur les lancers de dés...

Création de personnage : Caractéristiques & Classes

HackMaster Basic a de nombreuses différences avec le vrai D&D. J'ai déjà indiqué la "décimalisation" des Caractéristiques. On jette un d100 en plus de chaque 3d6, ce qui donne ces scores curieux comme Intelligence 15.56 ou Dextérité 08.21. Je ne saisis pas entièrement l'humour léger de cette règle, même si cela ne ralentit pas vraiment le jeu en dehors de la Création.

Ils ont aussi conservé une septième caractéristique, la peu indispensable "Looks", héritage de la Comeliness d'Unearthed Arcana. Il y a en plus des Points d'Honneur qui sont déterminés au début comme la moyenne des sept autres caractéristiques, avec des bonus issus du Charisme (mais ouf, on a le droit de ne pas tenir compte des deux décimales...). Selon l'Alignement, l'interprétation de l'Honneur pourrait poser des questions d'interprétations assez difficiles à résoudre mais il est utile de ne pas trop en perdre au fur et à mesure qu'on monte en Niveau. L'Honneur se gagne (ou se récupère) en effet d'une manière un peu différente de l'Expérience : une action victorieuse peut bien entendu rapporter de l'Expérience et faire perdre de l'Honneur. Les Points d'Honneur peuvent être dépensés pour refaire un jet, mais c'est très coûteux (10 points pour relancer !). Les Voleurs (et seulement eux, parce qu'ils auront moins d'Honneur) auront droit en plus à des "Points de Chance" pour se sortir d'embarras (20 Points + 1 par Niveau).

Le système aléatoire Old School se complique avec une petite dose de répartition de points : les Points de Construction (Building Points), qui permettent de mieux individualiser le personnage. On a environ 50-100 Points de Construction (avec des bonus divers) et chaque Point donne +.05 à une caractéristique, ce qui doit permettre d'atteindre les "effets de seuil" désirés. La création de personnage est nécessairement allongée par tous ces calculs.

Dans le vrai Basic D&D, il y avait des Classes-Races associées (tous les Nains étaient Guerriers, tous les Halflings étaient Voleurs et tous les Elfes étaient Mages-Guerriers), mais HackMaster Basic garde la distinction entre les deux. Dans BD&D, il fallait atteindre un certain score dans une caractéristique pour choisir une Classe et ici, c'est l'inverse, la Classe (Guerrier, Mage, Voleur ou Clerc) donne des bonus aux caractéristiques (par exemple, choisir d'être Mage donne +2 en Intelligence). Les Bonus de race sont très considérables : les Nains, par exemple, ont +4 en Constitution, -2 en Charisme et -2 en Beauté.

Création de Personnage : Des Points de Coup

Une différence majeure avec le vrai D&D est les Points de Coup et c'est une règle qui me paraît plutôt intéressante contre la vulnérabilité du Premier Niveau : la Constitution s'additionne aux Dés de vie classiques de la Classe, plus un bonus de la Race. Donc en moyenne, un Humain Magicien aura 22 points de coup (Constitution 9-10 + 1d4 + 10 en tant qu'Humain) alors que dans D&D, il n'avait que 1d4 + un éventuel petit bonus +1/+2. Le Guerrier Nain a automatiquement Constitution + 10 + 1d10 (et un Guerrier a +1 en Constitution en plus du +4 en tant que Nain), soit jusqu'à 40 Points dès le Premier Niveau, quatre fois plus que ce qu'on pouvait espérer dans D&D !

Cette règle permettrait de ne plus avoir à commencer au Niveau 3, comme le conseillait Gary Gygax. Le problème de ce genre d'inflation du Premier Niveau est que cela se répercute alors aussi sur les Monstres dans une sorte de "Course aux Points de Vie", ce qui revient donc à allonger énormément les combats sans vraiment renforcer beaucoup les personnages débutants puisque leurs adversaires tiendront plus longtemps aussi. Ou alors on doit avoir un "mécanisme dissocié" non-simulationniste où seuls les PJ (et PNJ importants) auraient droit à cette Inflation des Points de Coup (les systèmes dits des "Mooks", où un PNJ mineur du point de vue de l'histoire n'a qu'un seul Point de Vie pour que son élimination puisse être automatique et ne pas nuire au scénario).

Certains autres "quasi-Clones" ont aussi un système de points de vie semblable. Crypts & Things (voir les Règles Maison d'Akratic) propose de mettre en plus les Points de Coup (blessures légères) et la Constitution (blessure graves). Dans HackMaster Basic, un détail est que si on perd plus d'un tiers de ses Points d'un seul coup, on doit faire un jet avec un d20 sous la moitié de sa Constitution pour ne pas s'effondrer de douleur : c'est la règle sur le Seuil Traumatique (Threshold of Pain).

Création de personnage : Dernières finitions

Puis on détermine aléatoirement des Origines, un Défaut et un Trait particulier, ainsi que des Compétences de départ déterminées par la Classe (dans la version longue, les Points de Construction entrent alors en jeu). C'est un des rares cas où je garderais peut-être la liste de HackMaster normal à la place de Basic car les listes des Défauts y étaient bien plus longues et donc moins répétitives (même si l'humour des défauts y était parfois discutable dans son côté "juvénile").

Le système de Compétences utilise un système de pourcentage et non pas un système avec d20 (un peu comme le système Palladium qui panachait aussi plusieurs plagiats). Le système d'achat de compétences est trop compliqué avec un mélange de répartition de Points (pour s'acheter des Niveaux de Compétences) plus de nombreux jets de dés pour obtenir ensuite le pourcentage plus précis à partir de ce Niveau et des caractéristiques de base. J'ai beaucoup de jeux de rôle complexes mais je me demande si ce n'est pas un des systèmes les plus longs si on ne prend pas l'option de détermination rapide complètement aléatoire. En plus des Compétences, on peut s'acheter des Talents, qui fournissent des Bonus supplémentaires.

Le Système général et le Combat

Le système n'est plus vraiment celui du d20 usuel. Les Compétences utilisent un d100 mais d'autres tâches utilisent un système avec un "Dé qui pénètre" (ce que RoleMaster appelait un jet sans fin, Open-Ended Roll, et d'autres jeux appellent "Dé qui Explose"). C'est noté avec un petit "p" après le dé : d20p. Si le maximum du dé à N faces N est atteint, on relance un dN et on additionne à (N-1), et on peut itérer ainsi tant que le maximum est à nouveau atteint. C'est un mélange assez bien vu du système d20 et de RoleMaster, mais avec moins de tables.

Les d20p "pénètrent" et sont utilisés en compétition avec un d20p de défense, notamment en Combat. Les armes de jet peuvent d'ailleurs utiliser d'autres dés que le d20 selon la distance (d20, puis d12, puis d8, puis d6, puis d4). Les Armures absorbent des dégâts mais ne jouent pas de rôle direct dans la probabilité d'être touché, il n'y a plus de Classe d'Armure. Les dégâts utilisent aussi des "dés qui pénètrent".

Le jeu a renoncé aux longues Tables de réussite critique : un 20 Naturel double les dégâts si cela passe la défense, ou bien permet une contre-attaque si c'est en Défense.

Bestiaire

Voilà un exemple de caractéristiques d'un PNJ : un Gobelin.
Loyal Mauvais, Init. +3, Attaque +3, Dégâts : Epée courte 2d6p-1, Défense : +2 (+6 avec petit bouclier), Armure : 2 (réduction de dégât), Points de Coup : 17 + 1d6, Seuil de Traumatisme : 6/20, Taille : Petite (d20p+8 en Défense contre les Armes de jet). 
Comparons avec un Gobelin du Basic D&D de Moldvay.
Chaotique, CA 6, Dé de Vie : 1d8 -1, Bravoure 7, Dégât 1d6 (arme)

On remarque que le Gobelin de HackMaster a nettement plus de Points de Coup (18-23) que dans la plupart des jeux D&D habituels (seulement 1-7 dans BD&D). Mais même un Mage humain moyen débutant a environ 22 Points de Coup dans ce jeu au lieu de 4. Le Gobelin a quand même 70% de chance (Seuil : 6) de s'évanouir dès qu'il perd 8 points de vie d'un seul coup, ce qui atténue un peu la durée.

Une lacune de ces règles est qu'ils ont laissé de côté les Dragons du petit Bestiaire. Même au Niveau 1-5, j'imagine qu'il doit y avoir de jeunes Dragons qu'on pourrait utiliser. A la place, on a une Hydre Aquatique qu'on voit sur la couverture.

La Magie

Un Mage débutant a 3 sorts de différents types au Niveau 1 (mais cela dépend de son Intelligence) et un Clerc un seul (ou bien 2 s'il a plus de 13 en Sagesse).

Le système est un mixte entre la Magie Vancienne (de "Mémorisation") et un système de "Points de Sort". Un Mage commence au Niveau 1 avec 140 Points de Sort. Chaque Sort mémorisé coûte des Points de sort : 40 + 10 x Niveau du Sort, un Mage peut mémoriser un nombre de sorts égal à son Niveau mais il peut lancer des Sortilèges supplémentaires non-mémorisés au double du coût normal.
Un Mage peut aussi dépenser ses Points de Sort pour augmenter la puissance des effets ou bien pour économiser le nombre de "Charges" d'un objet magique comme une Baguette ou un Bâton.

Une bonne idée du système de Base est d'avoir mis un petit Panthéon abstrait pour les Clercs avec 5 Dieux Génériques : le Véritable (Loyal Bon), le Soigneur (Neutre Bon), le Gardien (Chaotique Bon), le Suzerain (Loyal Mauvais), le Créateur de Discorde (Chaotique Mauvais). Cela donne donc cinq types de Clercs très distincts. Si vous utilisez l'univers officiel de HackMaster (Tellene, le monde des Royaumes de Kalamar), ces descriptifs peuvent être remplacés respectivement par les noms kalamariens Fapeki la Magistrate Magnifique et Aveugle, Selanadi des Cieux d'Azur, Relivik le Libérateur, E'Patalai le Suzerain et Ranaka. De ce point de vue, HackMaster Basic est déjà bien plus avancé dans la construction du monde et les présupposés que d'autres jeux sans univers inclus.

Conclusion

HackMaster Basic a certaines qualités remarquables. J'aime beaucoup les illustrations, que ce soit les hommages constants à Dürer, Gustave Doré ou aux autres gravues (il y a même une vanité de De la Tour p. 134). Le dessinateur de comic-books Travis Moore a aussi quelques bonnes illustrations. En revanche, je ne trouve pas que l'exemple de jeu en BD par Jolly R. Blackburn (Knights of the Dinner Table) et Brian Fraim p. 117-126 marche bien comme c'est très statique et qu'un dialogue aurait donc pu jouer le même rôle. Mais dans ce genre, on n'est quand même pas jusqu'à la beauté du nouveau Dungeon Crawl Classics de chez Goodman Games, qui met la barre très haut.

J'aime bien l'abandon de la Classe d'Armure et le système des "Dés qui explosent" comme dans RoleMaster ou Savage Worlds. C'est sans doute cette dernière règle que je piquerais le plus volontiers si je jouais à une variante de D&D (en plus de l'Option dramatique d30).

Je suis plus réservé sur le nombre élevé des Points de Coup : il me semble qu'on est allé d'un extrême à l'autre. Même si, contrairement à Jeff Rients, je ne ressens pas nécessairement le besoin qu'un personnage puisse mourir d'un seul coup d'épée au Premier Niveau, 40 Points pour un Guerrier Nain débutant me paraît beaucoup (en moyenne, un bon Guerrier Nain serait sans doute aux alentours de 55 et jusqu'à 80 au Niveau 5, le dernier de ce "Jeu de Base").

De même, les Points de Sort seraient une meilleure idée en étant moins nombreux à calculer (un Mage du 5e Niveau a 430 Points de Sort). Le système des Compétences me semble rendre la création de personnage vraiment trop longue (sauf dans l'option de création complètement aléatoire où on ne choisit plus ses Compétences).

Et autant je trouve que les Points de Vie sont un peu trop nombreux, autant je regrette que les Points d'Honneur paraissent trop coûteux pour être dépensés facilement. On commence avec une douzaine de Points et on ne peut guère en espérer plus d'une poignée par aventure. Sans avoir testé, j'irais volontiers jusqu'à diviser par 10 le coût en Honneur (un seul point pour relancer un jet). Mais cela fait peut-être basculer le jeu de la "Vieille Ecole" vers le Narrativisme ? Et peut-être que dépenser 10 points autoriserait de lancer un d30 à la place du d20 ?

Ma dernière réserve n'est plus vraiment sur le jeu mais sur le monde de Tellene/Kalamar créé par David Kenzer, dont je n'aime pas tellement les sonorités et qui me paraît un peu trop "standard" à première vue. Mais ce monde par défaut n'est même pas évoqué directement dans HackMaster Basic (à part indirectement dans le Panthéon des Cinq Dieux génériques). HackMaster avait eu aussi un autre univers en concurrence avec Tellene, Garweeze Wurld (Aldazar, créé par Jolly Blackburn) mais les sonorités n'étaient pas meilleures.

Dans l'ensemble, HackMaster Basic est une bonne surprise, nettement plus jouable que HackMaster, même si cela reste assez lourd dans la création. Cela donne envie de jeter un coup d'oeil à la nouvelle HackMaster "5e édition" (il n'y a jamais eu d'éditions 1-3) pour dépasser les 5 premiers Niveaux.

2 commentaires:

Rappar a dit…

N'allez pas lire Fantasy Heartbreaker, allez plutôt lire Les Crève-cœurs de la fantasy! ;)

Phersv a dit…

Et il y a même la suite. Les articles de Ron Edwards sur la tripartition GMS (LNS) et celui sur "Le Système est Important" doivent être les plus cités en dehors de celui-là.