Le Donjon n'est en partie qu'une survivance d'un accident historique, les origines du jeu de rôle dans le jeu de combat de figurines. On remplaçait la bataille tactique entre les régiments par un petit commando entrant par un sous-terrain. Le Donjon est un prétexte pour que les individus aient plus d'importance qu'une armée.
Un Donjon est une représentation simplifiée et matérialisées de choix multiples et bifurcations par un espace confiné. Les personnages traversent des salles et des tunnels et leurs choix se limitent souvent à (1) leur itinéraire (aller à gauche, à droite), (2) les options tactiques de combat (qui attaquer), (3) un peu de négociation avec les résidents intelligents du Donjon. Au contraire, l'extérieur du Donjon risque d'être beaucoup plus "ouvert" à des possibilités infinies, ce qui demande plus d'expérience et d'improvisation pour le narrateur.
Depuis quelques années, le "Dungeoncrawling" (fait de ramper dans un Donjon) a eu besoin d'un peu plus de justification narrative. On pourrait indiquer quelques exemples de prétextes pour l'existence d'un Donjon, des ses Monstres et des quêtes qui y ont lieu : il faut donc une raison pour y aller (le "Trésor" ou "McGuffin"). Même si on ne croit pas aux simplifications Jungiennes de Campbell sur la Quête du Héros, il reste que la descente dans les profondeurs du Donjon pour en rapporter l'Objet de la Quête paraît assez souvent comme une métaphore psychanalytique où le héros affronte sa propre "part obscure" pour en tirer une connaissance et une maîtrise plus claire.
Une caverne naturelle, envahie par diverses créatures. C'est le "Donjon" de base, tel qu'on le trouve dans le vieux module B2 The Keep on the Borderlands, qui est si justement ridiculisé comme absurde du point de vue d'une "écologie" des créatures qui s'y juxtaposent.
Une créature (souvent maléfique) s'est installée sous terre avec ses trésors (même s'il n'est pas toujours très compréhensible de savoir pourquoi elle amasse ces trésors - même si Council of Wyrms avait proposé une hypothèse amusante en prétendant que le trésor métallique servait à la "Mue" du Reptile).
Le "Dragon" peut être n'importe quelle créature maléfique mais il est plus intéressant qu'elle soit intelligent, pour qu'il ait pu engager des alliés dans son Donjon (le cas classique est le Méchant Sorcier ou la "Liche" mort-vivante). Les aventuriers viennent donc avant tout lutter contre le "Boss" de Fin de Niveau, au bout du Donjon. Le Labyrinthe du Minotaure dans la mythologie grecque en est sans doute une des premières formes (et Thésée ne s'y laisse enfermer que pour arrêter le Tribut à Asterion le Minotaure).
Le Donjon était naguère une forteresse plutôt bénéfique, comme les Mines naines de la Moria chez Tolkien dans le Seigneur des Anneaux. Mais elle a été envahie par des monstres et est tombée en ruines. L'avantage par rapport au modèle précédent est qu'on peut mieux expliquer pourquoi il y aurait des Trésors (ceux des anciens propriétaires abandonnés lors de l'Invasion et de la chute). Les aventuriers viennent récupérer quelque chose, venger les anciens maîtres, voire libérer le territoire. La Moria est compatible avec le Dragon si on a à la fois un ancien site à fouiller et un nouveau propriétaire à occir.
Variante de la Moria, plus ambiguë moralement. Le Donjon est un maussolée ou une tombe et les aventuriers sont plutôt des pillards de sépulture, venus reprendre les Trésors de héros ou des criminels du passé. Leurs adversaires pourraient comprendre les spectres ou les occupants "légitimes" de ce tombeau. Le personnage transgresse donc en partie un interdit en pénétrant dans le lieu (sauf s'il a vraiment une caution d'un des trépassés).
Le Donjon est un réceptacle pour garder un Trésor. Les Monstres ne sont là que pour garder le Trésor, comme des Pièges.
Le Donjon sous terre gardait en fait quelque chose prisonnier (conformément au sens précis du terme "Donjon"). Soit la mission serait de délivrer le Prisonnier, soit d'empêcher un groupe qui va venir le délivrer. Gary Gygax avait l'air d'adorer ce cliché qu'on retrouve souvent dans ses premiers modules (où ses joueurs n'entraient jamais loin sans libérer par accident quelques dieux et démons).
Une variante serait le Dragon Inversé : la Prison garde une Créature dont les Aventuriers ont besoin (par exemple parce qu'elle peut accorder des Voeux si c'est un Génie dans une Lampe). Les "Trésors" sont en fait des pièges pour empêcher d'accéder au "Monstre" avec lequel il faut négocier.
Le Donjon est littéralement l'entrée vers le monde des morts au lieu d'en être une métaphore. C'est une Katabasis. Les personnages viennent soit ressusciter quelqu'un (Ishtar chez Nergal, Déméter et Perséphone, Héraclès et Alceste, Psyché et Eros, Orphée et Eurydice, Pirithous et Perséphone) ou bien seulement consulter un Oracle défunt (Ulysse et Tirésias, Enée et Anchise), ou obtenir une autre information (Gilgamesh cherchant l'Immortalité, Väinämöinen cherchant à accroître sa magie, Dante dévoilant toute la structure de l'univers).
Le Donjon n'est qu'un lieu de transit pour pouvoir aller ailleurs. Il abrite peut-être un ou une série de Portails. Dans The Wheel of Time, les Ways sont devenus corrompus, ce qui en fait un mélange d'un Nexus et de la Moria.
Le Donjon est un être vivant. Les aventuriers peuvent soit essayer de s'en évader, soit venir y chercher une personne ou un objet que la Bête a avalée (Gepetto).
Une variante plus psychédélique serait le Cerveau de la Bête : on voyage alors en réalité dans l'inconscient du Dragon.
Add. Sous proposition de François en commentaire.
Le Donjon est en fait créé comme un divertissement ou une arène de compétition (celui qui réussit à le passer peut gagner un prix ou bien le droit de survivre à la Chasse du Comte Zaroff). Le premier Donjon de Greyhawk avait un peu ce côté déjà puisqu'il appartenait au Magicien Fou Zagyg, qui était assez excentrique dans son humour insensé pour justifier à peu près n'importe quoi dans son tunnel.
1 commentaire:
Je rajouterais :
- dans l'étape intermédiaire, le livre dont vous êtes le héros, le donjon est commode car il limite les choix à des alternatives étroites, du type "allez à droite / gauche / tout droit" (ex. Deathtrap Dungeon, à mettre entre toutes les mains), et jusitife aussi la topologie (couloirs, salles, escaliers, voire cuisines, salles d'armes, comme dans Citadel of Chaos, tout aussi excellent)
- dans la Pyramide, il y a la variante Chtulhu où les trespasseurs n'ont pas tout à fait mandat à rentrer, mais possèdent un mobile solide qui peut être l'autorisation d'une tierce personne (pour s'introduire dans un mausolée ou un caveau familial)
- ah, et le "Donjon ludique", comme dans Deathtrap Dungeon toujours (compétition de guerriers organisée par le Baron Sukumvit).
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