Jaffrelot explique que (1) le BJP de Modi appliquera avant tout une libéralisation économique pour lutter contre la Crise qui frappe l'Inde, et mettra de côté les aspects plus controversés sur l'Hindutva (ce qu'il appelle du nom plus neutre de "majoritarianisme" : les 15% de non-Hindous doivent accepter l'hégémonie des 85% d'Hindous).
(2) que le BJP (émanation politique du mouvement RSS) avait jusqu'ici cela de peu "fascisant" qu'il était très peu personnalisé, sans culte du Chef, mais que Modi, qui n'est en théorie qu'un des représentants locaux du BJP, devient maintenant beaucoup plus populaire et puissant que son Parti et que le mouvement culturel dont il est issu, tant sa victoire a été personnelle comme un référendum sur cet homme si fanatique, simple et intègre.
(3) Mais le BJP peut gouverner seul contrairement à la dernière fois en 1998-2004. Il sera donc tenté de plus presser sur l'Hindutva et sur la persécution des Musulmans que la dernière fois (malgré tous les discours américains sur "Mais non, Modi est pro-business, c'est un pragmatique"). Modi est peut-être modifié par ses années de succès économiques dans le Gujarat où il a attiré les capitaux des autres Etats plus à gauche mais il est aussi sincère et prêt à jouer sur la polarisation entre les communautés (cela a très bien marché dans sa victoire surprenante dans l'Etat clef de l'Uttar Pradesh où seuls les Gandhi ont pu résister au tsunami d'Amit Shah (le simple fait que Modi s'entoure de quelqu'un comme Amit Shah en dit long sur son autoritarisme violent prêt à piétiner la justice s'il le faut). Ses priorités seront alors à nouveau la marginalisation des Musulmans, l'uniformisation du Droit civil contre les exceptions musulmanes, la fin de l'autonomie relative du Kashmir (article 370 très controversé de la Constitution).
Il dit aussi que le système des castes va commencer à jouer moins de rôle dans certains Etats et que le cliéntélisme des basses castes et tribus (Other Backward Castes) du Congrès ou des partis spécialisés comme le BSP de Mayawati est donc moins efficace (ce qui explique en partie l'effondrement du BSP dans l'Uttar Pradesh).
Pankaj Mishra rappelle que certains des conseillers économiques libéraux du précédent gouvernement du Congrès sont déjà passés du côté de Modi. Il a beau être nettement moins corrompu que les membres du vieux Congrès social-libéral, son nationalisme autoritaire et décisif s'accomode très bien des grands intérêts des Grands groupes (ce qui explique la réaction finalement assez favorable d'une partie de la presse conservatrice américaine, qui s'attend peut-être à un retournement d'alliance avec l'Inde contre le Pakistan). Comme pour le Parti républicain américain, ce sera donc l'alliance de la Bourse et du Temple.
La page MetaFilter sur les élections. Ils rappellent le fait qu'un danger international représenté par le BJP est qu'il est prêt à pousser à la Guerre contre le Pakistan. Modi a pu tenir des propos bellicistes il y a une douzaine d'années (Nous répondrons aux Balles par la Bombe) et on fait maintenant comme s'il avait changé. Il est vrai qu'il a à présent 63 ans et qu'il tenait ces propos dans sa folle jeunesse vers 50 ans.
J'ai déjà mentionné ce portrait très à charge par Dalrymple (le Néron de 2002, roi incendiaire, va devenir un nouveau Poutine, surfant sur le ressentiment et le besoin de revanche d'une Inde meurtrie par la Crise).
Un des aspects fascinants de Nahendra Modi est ses idiosyncrasies. Certaines sont innocentes, seulement celles d'un Hindou très religieux, il est végétarien et s'interdit tout alcool (cela peut jouer dans son image si excellente en Inde ?) Il a eu un mariage arrangé et semble ne l'avoir jamais consommé, prenant une posture d'ascète total (son épouse vit sans aucun rapport avec lui). Son frère dit qu'il avait peur de lui et qu'il le battait quand Modi dirigeait un gang de jeunes gens dans son petit village. Il interdit à quiconque d'être avec lui quand il mange (il doit être en réalité un Naga qui mange des souris, selon mon hypothèse). Il est obsédé par son hygiène et sa pureté et changerait ses vêtements quatre fois par jour. Pendant les massacres de Musulmans de 2002, quand un politicien musulman du Parti du Congrès l'appela par téléphone pour lui demander son aide, il se moqua de lui en demandant pourquoi il était encore vivant (il fut en effet décapité par une foule de fanatiques peu après). Après les massacres, il se défendit de manière originale et quasiment auto-réfutative en disant qu'il n'était pas pour de telles purifications ethniques, comme un Hindou doit même penser à la vie de Rats (comment s'excuser en insultant). Il veilla ensuite à détruire la carrière de tous ceux qui avaient dévoilé les scandales de ces massacres (et un de ceux qui témoigna contre lui disparut sans trace). Maintenant qu'il va devenir Premier ministre, il va enfin avoir le droit d'aller au Royaume-Uni ou aux USA (cela lui était interdit auparavant pour "incitation à un massacre").
La danse bollywoodienne de Narendra Modi (le barbu chauve à sa droite est ce sinistre Amit Shah qui a triomphé dans l'Uttar Pradesh en menant une campagne encore plus violente que le reste du BJP et qui a été incriminé dans une exécution extrajudiciaire en 2004 - je pense que l'autre à gauche doit être le vieux L.K. Advani, 87 ans, l'ancien Ministre de l'Intérieur et ancien dirigeant du BJP au Parlement ?).
6 commentaires:
"Il veilla ensuite à détruire la carrière de tous ceux qui avaient dévoilé les scandales de ces massacres"
"Maintenant qu'il va devenir Premier ministre,"
Ses opposants risquent de se retrouver dans une position particulièrement difficile, désormais...
le portrait qu'en fait Dalrymple est très inquiétant. Le fait qu'il ne s'émeut pas (au mieux) de massacres de musulmans implique que ceux-ci, - qui auraient tord de se laisser faire - risquent de se radicaliser et de céder aux sirènes du terrorisme du genre d'une organisation internationale bien connue et puissante au Pakistan voisin :(
Oui, Modi me semble être un monstre froid mais c'est intéressant de voir la différence de perception. En Inde, en dehors d'intellectuels de gauche, on a vraiment l'impression qu'il est adoré par les masses comme une sorte de Saint charismatique.
C'est pourquoi je suis sidéré de lire la presse britannique en parler en disant "Oh, ce qui compte est qu'il soit pro-business et qu'il soit bon pour notre business avec l'Inde".
Il était vraiment nécessaire que Rahul Gandhi, qui n'est là que par népotisme, et le Congrès refasse une cure d'opposition car ils sont trop usés par le pouvoir. Mais la personnalité de Modi plus l'ampleur du Plébiscite en sa faveur rendent le BJP plus susceptible d'aller jusqu'au bout. Je ne connais rien au droit et je n'ai donc pas de position sur leur lutte en faveur d'un Droit civil uniforme (sur ce point, pour une fois, cela me semble presque laïc, même si le but est bien sûr de marginaliser la Charia) En revanche, leur idée de refaire bâtir des temples hindous sur les ruines de la Mosquée d'Ayodhya qu'ils ont brûlée pourrait à nouveau déclencher des violences graves.
C'est pourquoi je suis sidéré de lire la presse britannique en parler en disant "Oh, ce qui compte est qu'il soit pro-business et qu'il soit bon pour notre business avec l'Inde".
Les derniers articles de la version en ligne de The Economist sont proprement sidérants de bienveillance. Malgré cela, il se trouve des internautes indiens qui, dans les commentaires, s'offusquent de ce que TE soit "anti-Modi" !
Oui, The Independent aussi. Certains médias américains commencent aussi à dire que le BJP au moins luttera contre le Terrorisme (comme si le Congrès était laxiste sur le sujet).
D'un autre côté, ce n'est pas non plus comme si le Parti du Congrès ne mérite pas sa défaite. Les Gandhi ne veulent pas vraiment lutter contre la corruption interne pour garder leur pouvoir sur le Parti. Nehru avait réussi à défendre sa forme de sociale-démocratie et de laïcité, mais depuis, la dynastie n'a cessé de décliner, que ce soit dans l'autoritarisme (Indira) ou le conservatisme cliéntéliste (Rajiv, Sonia et Rahul). L'ennui est que le Parti du Congrès ne peut pas les éliminer sans exploser comme la famille est une des rares unifications d'un ramassis sans idéologie.
Quant aux autres coalitions comme la gauche (qui se veut encore marxiste en Inde), ils ne pourront pas prendre la tête de l'opposition fédérale et ne remporteront que des succès locaux. On en est donc réduit à cette coalition de droite autour du BJP et de partis régionalistes assez corrompus et peu idéologiques malgré des discours parfois vaguement social-démocrates.
Un billet du Diplo : http://blog.mondediplo.net/2014-05-20-Un-tsunami-nomme-Modi
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