Légendes des Mille et Une Nuits eut à ma connaissance (et à celle du Grog) trois scénarios officiels : Les Tours du Silence (1984, compris dans le même étui que le jeu), Akhenaton (1985) et Aden (1987). Il y eut aussi deux scénarios dans Casus Belli ("Bani des Brouillards", dans Casus Belli n°25, avril 1985 et "Le Collège", dans Casus Belli n°34, août 1986).
Le scénario d'introduction livré avec les règles se déroule dans une ville caravanière imaginaire, Aleshkur, tout à l'est de l'Empire ("Khorasan" au sens large), sur la rivière imaginaire de Daylima, "à 80 km à l'est de Samarcande" (qui n'était évoquée qu'en un mot dans les règles p. 29),
Cela nous situerait à peu près dans l'actuelle frontière entre l'Ouzbékistan et le Tadjikistan (peut-être du côté de l'antique Cyropolis qu'on ne sait pas situer ?). Le scénario a aussi une datation très précise : 911 après JC (soit vers 299 de l'Hégire, ce que l'auteur aurait pu préciser pour l'atmosphère, même dans cette époque où Wikipedia ne vous convertit pas automatiquement toutes les dates). J'aurais cru qu'on jouerait bien avant, sous le Calife Hārūn ar-Rašīd (vers 170 de l'Hégire) pour qu'on soit dans l'Âge d'Or des Mille et Une Nuits.
Le supplément ne donne pas plus de détails historiques mais développe cette ville fictive. On est avant que cette région de l'actuel Ouzbékistan ne soit conquise par les Turcs (qui sont souvent encore Nestoriens dans cette période) et Samarcande avait été conquise vers 100 de l'Hégire. La région est sous la tutelle d'une dynastie irano-tadjik, les émirs Samanides (Ahmad II), qui règnent jusqu'en Afghanistan. Ce sont des descendants de la noblesse iranienne zoroastrienne convertie à l'Islam depuis deux siècles. Comme premiers rois persans musulmans, ils demeurent en théorie vassaux des lointains Califes abassides de Baghdad (Al Muqtadir, dont le long règne représente un effondrement de la dynastie abasside) mais ils font aussi revivre la langue et la culture persane depuis leur capitale Boukhara. Les Samanides étaient sunnites mais la région a déjà un des premiers pouvoirs chiites avec les Zaïdistes (Hasan le Sourd) et les Zoroastriens représentent encore un pouvoir important avec Mardavij, fondateur de la dynastie ziyaride à Isfahan (ils se convertiront certes à l'Islam sunnite vingt ans plus tard).
J'insiste sur ce contexte puisque des Mazdéens (corrompus ou abusés par un Démon cheïtan) sont les Méchants de ce scénario. Cela m'avait déçu à l'origine mais c'est assez conforme à la réécriture des Mille et Une Nuits où les contes iraniens furent islamisés et où les Dhimmis sont souvent des sorciers maléfiques. Les Zoroastriens ne sont pas encore en 299 de l'Hégire la culture complètement marginalisée qu'ils vont devenir des siècles plus tard. A Aleshkur, il y aurait 7000 personnes (turcs et iraniens), 200 juifs et seulement 150 mazdéistes.
C'est toujours bien d'avoir une description de ville pour mieux entrer dans la vie quotidienne. Et surtout, j'avais tort de dire qu'il n'y avait pas de listes de prix des objets dans les règles de Légendes des Mille et Une Nuits. Elle est en fait dans ce scénario, p. 17.
Il y a aussi six personnages pré-tirés (ce qui est très appréciable dans Légendes où la création de perso est si longue) et chacun a droit à une illustration : Bani ibn Kotar le Voleur, Abdullah le Guerrier (égyptien affranchi), Mohammed le Caravanier (turc converti), Samuel le Médecin juif, Khaled le Marchand, Zein al-Mawassif, Enchanteur (nommé d'après l'héroïne juive dans le conte des Amours de Masrur et Zayn al-Mawâsif, nuits 846-863 chez Burton, nuits 653-666 chez Mardrus), Je crois donc qu'aucun n'est censé être mazdéen, ce qui aurait pu être pourtant une bonne idée.
Le scénario commence plutôt de manière intéressante. La fille d'un riche marchand a été enlevée et les indices à trouver indiquent que ce n'est pas un enlèvement crapuleux si les personnages savent lire les documents en syriaque. Mais cette partie de discussions dans la ville ne sert que d'introduction pour une "opération commando" pour libérer la jeune fille (ce qui devient donc plutôt un Donjon). Il y a quand même quelques péripéties qui ne sont pas sans intérêt (avec quelques fantasmes en passant qu'on peut juger un peu déplacés). La fin annonçait que la suite devrait se déplacer de cette lointaine frontière de Samarcande vers la cité d'Alexandrie. Je croyais qu'Akhenaton, le scénario suivant était cette suite mais en dehors d'Alexandrie, il n'y a pas de connexion.
Pour une raison inconnue, la date indiquée a été poussée de 34 ans par rapport au scénario précédent, à 945 après JC (l'an 333 de l'Hégire). Le Califat abasside a encore plus décliné et le Calife a même été arrêté et rendu aveugle. Les Bouyides (dynastie iranienne chiite) conquièrent Bagdad et l'Irak, les Ikhchidides de Syrie ont pris l'Egypte et une partie de l'Arabie (tout en se prétendant encore fidèles au Califat sunnite), les Fatimides (dynastie chiite) sont encore occupés plus à l'ouest, en Algérie et en Sicile et n'ont pas encore pris le contrôle de l'Egypte.
Les personnages sont des ashab al matallib (pillards de tombeaux) et ils font des rêves qui vont les conduire jusqu'au tombeau d'Akhenaton, le pharaon monothéiste. La pyramide en question est l'occasion d'une sorte de donjon-quête héroïque face à des dieux égyptiens dont on ne comprend pas toujours le rapport avec Akhenaton, montré ici comme un prophète pré-islamique. Dans la conclusion, si Akhenaton est libéré, il partira aider les futurs Fatimides à régner sur Le Caire vingt ans après.
Le scénario a de nombreuses illustrations de PNJ pour les joueurs et le plan typique d'une pyramide. En revanche, on a un peu l'impression que l'auteure voulait plus faire un scénario sur l'Egypte antique que sur les Mille et Une Nuits - à recycler pour Légendes de la Vallée des Rois (1988). Et je ne comprends toujours pas très bien la relation entre les dieux égyptiens et un personnage présenté comme monothéiste. Et pourquoi faut-il toujours que ce soit Akhenaton ?
J'aimerais croire qu'on peut utiliser cela en le combinant avec l'adversaire annoncé à la fin des Tours du Silence mais il y a peu de rapports.
Sur l'île de Socotra (au sud du Yémen), les personnages, équipe de pillards de tombeaux comme dans Akhenaton, trouvent la carte du tombeau de Bani, un célèbre pirate. Une histoire à l'atmosphère plus "Sinbad" donc (cf. le 4e Voyage par exemple, où Sinbad pille les tombes avec un cynisme déclaré, en étranglant les Veuves qu'il trouve emmurées vivantes). Il faut qu'un des personnages ait de la magie du Collège des ecritures mystiques.
Le scénario est à nouveau au Yémen, comme celui du n°25 était au large, sur l'île de Socotra, mais il s'agit ici du gagnant d'un concours organisé par l'équipe de Légendes. Les personnages partiront de Zabīd, au sud-ouest du Yémen, siège des gouverneurs Ziyadides au IXe-XIe siècle. Un certain Haroun el Hakim (Enchanteur/Elémentaliste) engage les personnages pour le protéger jusqu'à un Collège de magie, qui enseigne notamment la Conjuration et d'autres Arts,
Bien sûr, le Collège a un secret mais je ne suis pas sûr de bien voir comment traiter la progression. L'atmosphère pourrait être intéressante mais cela reste un peu bref en 5 pages.
Le dernier scénario de la gamme est aussi le plus intéressant (même si j'imagine que certains lecteurs trouveront aussi qu'il est excessivement "orientaliste" en tentant de reprendre une atmosphère fantastique proche de certaines des Mille et une nuits). On est censé être au XIe siècle, mais je ne pense pas que ce détail ait de l'importance (si ce n'est pour dire que les Ziyadides de Zabid ont décliné face aux Yufurides des hautes-terres ?).
Une de ses originalités était d'être prévu non seulement pour Légendes des Mille et Une Nuits mais pour une éventuelle adaptation aux règles simplifiées de Premières Légendes (adaptation qui était prévue à cette époque).
Aden a aussi une description de ville, comme les Tours du Silence, mais l'enquête y est plus riche. Les personnages auront des rêves (comme dans Akhenaton) et feront face encore à une magicienne (qui porte un nom proche de celle des Tours du Silence). Ils devront enquêter dans divers endroits pour savoir vraiment ce qui se trame à Aden, la Cité construite au fond d'un Volcan éteint. Sur certains points, le scénario précédent, "Le Collège", peut sembler assez proche dans l'atmosphère d'horreur lovecraftienne mélangée aux Mille et Une Nuits. Le livre a aussi des conseils de règles sur la mer et la navigation.
Add. Je n'avais même pas remarqué que Casus Belli n°14 (de novembre 2014) venait de faire un "Portrait de famille" Légendes, par le célèbre myvyrrian (p. 234-239).
3 commentaires:
Il y a aussi eu les scénarios "Les portes de Salomon" dans Dragon Radieux n° 5 et "Le château des invisibles" dans le n° 7.
Ah, oui, j'ai mal utilisé l'index du Bastion rôliste.
Je n'ai pas le Dragon radieux n°7, mais celui du n°5 (juillet 1986) est aussi par Eric Mazoyer, donc juste avant la publication de son scénario "Le Collège" dans Casus.
Il n'y a aucune datation mais cela se passe en Perse sous un roi fictif ("Othman le Glorieux") qui doit faire face à un retour de l'armée des Invisibles de la Cité d'Airain. C'est ensuite un donjon assez habituel pour entrer dans un tombeau et fermer "les Portes de Salomon". "Le Collège" est un peu plus original.
"Le Collège" m'a un peu déçu quand je l'ai reçu et que j'ai vu en frontispice que ce scénario était pour des non magiciens... Du coup les PJ sont quand même en grand danger ! Je me suis demandé si ce n'était pas fait pour éliminer les PJ parce que sur le papier, ils ont quand même peu de chances de s'en sortir...
Les autres scénarios m'avaient paru plus propice à du jeu, peut-être classique mais au moins jouable pour des équipes plus conventionnelles. Et à l'époque, je crois que je ne me serais pas embarrassé de datation. Surtout pour Aden, avec sa fin si exceptionnelle !
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