Dès l'élection d'Obama en 2008, les commentateurs avaient prédit comment se passerait leur guerre des commentaires préconçus : les Républicains tenteraient d'installer le Président en nouveau Jimmy Carter (le Carter selon la doxa bien établie, c'est-à-dire "faible" en politique étrangère, échouant sur le chômage ou l'inflation, trop "hamletien" et pas assez "leader") et les Démocrates tenteraient d'en faire plus un nouveau FDR qu'un Clinton (l'aura de JFK ayant un peu pâli).
On aurait pu penser qu'avec plusieurs conflits militaires qui continuent et une politique demeurée relativement agressive, comme en Libye ou l'exécution de Ben Laden, la stratégie de "
Carterisation" ne marcherait pas. Mais Obama a en tout cas échoué sa "
Rooseveltisation" avec un plan de relance de 2009 jugé trop dépensier par la droite et bien trop insuffisant par l'aile keynesienne. Toute sa présidence s'est peut-être décidé non pas dans la réforme de santé mais dans ces premières semaines où le contexte au Congrès, Timothy Geithner et Lawrence Summers ont divisé par deux les espérances de relance (et Obama était au courant que son
plan était insuffisant). Certes, même un critique virulent comme Paul Krugman dirait qu'Obama ne fit que refaire les mêmes erreurs que FDR en 1936, qui était déjà revenu trop vite à une lutte contre le déficit.
Le fond des critiques du GOP est avant tout le racisme codé ("il est
étranger à vos préoccupations", "on ne connaît rien de lui", il doit cacher quelque chose) et le ressentiment de classe (c'est un universitaire hautain, "coupé du peuple" - comme les millionnaires du GOP le représentent directement, bien évidemment). La force de l'oligarchie est d'arriver ainsi à mobiliser une passion "populiste" dans son propre intérêt.
Mais
Quiddity a perçu un nouvel angle obsédant dans les attaques plus récentes : il faut ressasser en prédiction auto-réalisante qu'Obama est avant tout un "
Loser" et que "l'Amérique n'aime pas les
Losers". Il doit perdre, il perdra, parce qu'il était de toute éternité de l'essence non-américaine des perdants et que si l'Amérique perd, c'est nécessairement qu'elle est poignardée dans le dos par une corruption contraire à sa propre nature de Winneuse.
C'est une des raisons de l'intransigeance dans les négociations, en dehors de la pression du Tea Party : il faut montrer que l'adversaire capitule en rase campagne et que même quand il a cédé sur tous les fronts, il est incapable d'obtenir un marché minimal de son inflexible & courageuse Opposition. On peut se rassurer en se disant que l'opinion commencera à juger les Républicains trop rigides. Il n'y a plus de dilemme complètement rationnel, on ne joue pas à un jeu de
Chicken avec un Kamikaze fanatique qui attend la
Rapture.
La situation économique était tellement difficile qu'Obama ne pouvait que risquer d'être emporté comme Carter l'avait été en 1980 mais il est impressionnant de constater que le récit pré-fabriqué du Nouveau Carter a été si facile à recycler 30 ans après, alors même que les conseillers d'Obama connaissaient l'attaque à l'avance.
La politique doit choisir entre de mauvaises solutions mais Obama a la malchance d'avoir échoué dans sa triangulation bipartisane : les modérés me semblent souvent persuadés par une propagande qui en fait un socialiste et la base démocrate ne le voit plus qu'en un centriste trop timoré ou vendu aux oligarques, ce qui le fait perdre sur les deux tableaux à la fois. Obama aura du mal à mobiliser aussi bien sa base qu'en 2008 et en plus l'hystérie néo-hooverienne reste aussi forte qu'aux élections de mi-mandat de 2010, malgré tout le risque de récession. Même
Robert Reich, l'ancien secrétaire au Travail de Clinton, accuse Obama d'avoir été un candidat enthousiasmant mais un Président incapable de communiquer les raisons de ses tactiques politiques.
Le pouvoir conservateur a créé un
Mur de l'Argent subtil. Les Agences de "notation financière" comme Standard & Poor's n'ont rien d'arbitres neutres. Comme l'analysait
Kevin Drum, elles ont choisi de soutenir le point de vue républicain que la seule priorité doit être le Déficit, alors même que les Républicains prolongent les baisses d'impôt irresponsables de Bush (voir ce
schéma pour se rappeler la part énorme de ces baisses d'impôt dans le problème). Si John McCain avait été au pouvoir, elles seraient sans doute nettement moins insistantes.
On est dans la situation étrange où la politique américaine est prise entre deux chantages opposés mais solidaires : les Agences de notation exigent de baisser les dépenses pour les plus pauvres et les Républicains exigent de baisser les rentrées sur les plus riches. Il est rare qu'un parti d'opposition soit ainsi en situation de profiter de la destruction qu'il aura lui-même en partie causé. Plus il s'oppose à toute relance et même à toute hausse des dépenses, plus l'économie s'effondre, plus il en tirera avantage. C'est une situation où il gagne à tous les coups, du moins à court terme. Et à long terme, comme disait Keynes, je crois, on est tous des hordes de mutants mad-maxiens dans des ruines somaliennes de l'Etat minarchique.
Il faut seulement espérer que le demi-taré Mitt Romney l'emporte sur les plus tarés comme Rick Perry ou Michele Bachmann et que s'il prend l'un des tarés comme Vice-Président(e) il puisse vivre au moins 4 ans en attendant que ce cycle anti-Etat ne dure pas encore une génération. Mais il suffit d'aller dans une librairie dans le rayon Idées, où on ne trouve plus que du Libertarianisme depuis quelques temps, pour voir qu'on entre dans un long automne pour l'interventionnisme de l'Etat. La crise des dettes rendra inéluctable ce que l'idéologie nous prépare à trouver nécessaire.