mardi 19 juillet 2011

Histoires futures de l'Âge d'or de la SF (1) : Heinlein et Asimov



  • On attribue à Robert Heinlein (1907-1988) l'idée d'avoir relié ses nombreuses nouvelles se déroulant à des époques différentes (écrites à partir de 1939-1941) dans une chronologie commune, Future History. Heinlein avait en effet commencé sa chronologie fictive pour un roman inachevé de 1938, For Us, The Living avant d'y insérer ses nouvelles.

    Les nouvelles se déroulant au XXe siècle voit déjà des inventions étranges, comme les "Villes roulantes", des sortes de trottoirs roulant à grande vitesse (un prétexte pour des histoires dénonçant le pouvoir des syndicats, Heinlein passant de son socialisme d'avant-guerre à un ultra-individualisme libertarien). Il y a aussi un programme d'eugénisme secret depuis la fin du XIXe siècle, qui va manipuler des familles pour créer un groupe à la longévité accrue, les Familles Howard, dont le membre le plus célèbre est le quasi-immortel Woodrow Smith, dit "Lazarus Long", qu'on retrouvera dans toute l'Histoire de l'Avenir, puisque né au XXe siècle, il vivra au moins jusqu'au XLIIIe siècle.

    La Lune est conquise vers 1978 par un génial entrepreneur privé, D.D. Harriman, qui voulait éviter que l'Etat n'y arrive avant (Heinlein a dès lors basculé dans un Randisme qui rend ses textes parfois si pleins de sermons anti-statistes).

    Si on voulait inclure le roman plus tardif Stranger in a Strange Land (1961), ce serait sans doute aussi dans cette période d'exploration. Valentin Smith est le fils des premiers humains partis vers Mars mais après leur mort, il a été élevé par une race mystérieuse de Martiens qui ignorent tout concept de propriété et qui ont développé ses pouvoirs psychiques. Quand Smith est ramené sur Terre, il devient une figure messianique de libération (psychique et sexuelle), fonde l'Eglise de Tous les Mondes, mais finira en martyr lacéré par ses propres fidèles avant de dépasser ce monde.

    Plusieurs nouvelles traitent la colonisation privée de la Lune et Luna City au tournant du XXIe siècle, puis du reste du système solaire. La planète Venus est colonisée avec un système capitaliste qui restaure l'indenture des travailleurs qui doivent payer pour leur voyage. Elle gagne son indépendance de la Terre au XXIe siècle (de même que la Lune se révolte et déclare son indépendance en 2076 dans The Moon is a harsh Mistress (1966), qui n'appartient pas exactement à la même continuité mais qui semble avoir repris les idéaux anarcho-libertariens de l'Eglise de Tous les Mondes de Valentin Smith).

    Au début du XXIe siècle, aux élections de 2012, un prophète religieux fanatique, le révérend Nehemiah Scudder devient Président des Etats-Unis d'Amérique & Australasie et instaure une dictature théocratique puritaine. Il faudra une Révolution libertarienne pour renverser le régime de New Jerusalem avec un société secrète d'hommes d'affaires. On met en place un nouveau régime démocratique libertarien appelé le "Covenant" (individualisme assez différent de la timocratie militariste dont on trouve l'éloge dans le roman hors-Histoire du futur, Starship Troopers, 1959). Les amateurs du jeu de rôle Space Opera retrouvent presque exactement cette opposition entre une Terre obscurantiste et fondamentaliste au XXIe siècle puis un mouvement "Covenantiste" dans la chronologie officielle du monde dans l'Atlas I.

    C'est à partir du XXIIe siècle que les vaisseaux vont franchir le système solaire. L'un des premiers Vaisseaux Génération est envoyé vers Proxima du Centaure et il va voir son équipage dégénérer au fil des décennies en un monde fermé de basse technologie qui croit que le Vaisseau est l'Univers (Orphans of the Sky, mai 1941, l'inspiration du premier jeu de rôle de SF Metamorphosis Alpha). Ce n'est que des milliers d'années après que la Terre reprendra contact avec ce Vaisseau.

    Le XXIIe siècle est aussi l'époque où des membres des Familles Howard (les groupes sélectionnés génétiquement pour vivre plus longtemps) doivent s'enfuir de la Terre parce qu'on veut analyser le secret de leur longévité. C'est sur une autre planète qu'ils rencontreront des extra-terrestres immortels et découvrent le premier vol plus rapide que la lumière (Methuselah's Children (juillet-septembre 1941). Conduits par Lazarus Long, ils décident de revenir sur Terre, où les humains ont pu accroître leur longévité artificiellement sans parasiter les Howards, et révèlent ce qu'ils ont découvert. Lazarus Long clôt la chronologie par une boucle, en partant voyager à travers le temps (où il séduit sa propre mère au XXe siècle, un peu comme dans sa célèbre nouvelle de 1958, All You Zombies) et à travers les dimensions (où il entre ainsi dans les univers des autres romans de Heinlein).

    On remarque que l'Histoire Future d'Heinlein s'arrête assez tôt dans le développement d'une Civilisation humaine au début de l'exploration interstellaire. Contrairement à beaucoup d'oeuvres de SF, il n'y a pas vraiment d'Empire multiplanétaire, probablement parce que cela contredirait un peu les thèmes individualistes (mais dans le plus militariste Starship Trooper, il y a bien une Fédération terrienne). Il y a aussi très peu d'extraterrestres en dehors des Martiens dans le cycle de Stranger in a Strange Land et Podkayne of Mars ou cet esprit collectif que rencontrent les Howards dans Methuselah's Children. L'ambiance est dans l'ensemble plutôt optimiste, en dehors de la dictature religieuse au XXIe siècle et la tendance est plutôt d'aller vers une utopie libertarienne.

  • Contrairement à l'Histoire Future de Heinlein, celle d'Isaac Asimov (1920-1992) a été surtout reconstruite rétroactivement pour remettre ensemble de nombreuses nouvelles qui étaient originellement sans lien. C'est aussi beaucoup plus vaste et impressionnant, sur des douzaines de milliers d'années, l'échelle séculaire étant d'ailleurs un des thèmes de son univers, comme dans les grands récits d'Olaf Stapledon.

    Chronologiquement, Asimov a commencé le cycle de Fondation en feuilletons dès 1942 mais on divise son histoire en trois périodes : l'époque des Robots (Futur proche), l'époque des Empires interstellaires (jusqu'aux années 25 000 environ) et enfin le cycle de Fondation proprement dit (qui commence vers 12 000 de l'Empire galactique).

    Ce site a une chronologie assez détaillée mais Wikipedia donne aussi une histoire limitée à la période de Fondation.

    Voici un résumé :

    XXIe La robopsychologue Dr. Susan Calvin (1982-2064) développe la compréhension des nouveaux Robots au cerveau positronique et les Trois Lois de la Robotique.
    Premier saut interstellaire en 2029. L'Humanité se scinde entre les Terriens, conservateurs luddites, et les "Spacers", plus avancés, qui colonisent les autres mondes, dont Aurora (Tau Ceti).
    XXXVIe (ou LIe siècle selon les versions) Les Spaciens développent le robot intelligent de forme humaine R. Daneel Olivaw, qui va tenter de rapprocher Terriens et Spaciens. Le robot R. Giskard Relentlov intervient pour rendre la Terre inhabitable et pousser les Humains à quitter leur planète, ce qui aurait pour conséquence de redynamiser l'Humanité (mais les textes historiques diront de manière erronée qu'il y a eu un conflit nucléaire).
    12,500 Fondation de l'Empire galactique sur la planète Trantor. R. Daneel Olivaw jette les bases de "Gaia", la planète intelligente.
    24,500 Après 12000 ans de paix, le psychohistorien Hari Seldon, aidé par le robot R. Daneel Olivaw, prédit l'effondrement à venir de l'Empire Galactique. Création de la Fondation sur Terminus pour minimiser la période des ténèbres après la chute de l'Empire grâce au projet de l'Encyclopedia Galactica.
    24,800 Un Mutant télépathe surnommé "le Mulet" perturbe tout le Plan de Seldon et capture la Fondation.
    La Seconde Fondation de Star's End (Trantor) réussit à le manipuler pour mettre fin à sa menace.
    25,000 La Fondation retrouve Gaia, planète intelligente qui a permis le Mulet, et qui doit évoluer un jour vers la Singularité. Elle retrouve aussi la Terre et le Plan psychohistorique du robot R. Daneel Olivaw.
    Vers 30,000 (?) Gaia doit devenir "Galaxia", la Galaxie Intelligente.

    Comme chez Heinlein, l'histoire est plutôt optimiste, voire franchement utopiste, malgré une phase de régression des Terriens face aux Emigrés spaciens dans les prochains siècles. Asimov s'interdit toute vie non-humaine en dehors des Robots dans ce cycle. L'Histoire n'est donc que celle de l'Humanité se développant et apprenant enfin à se connaître et à réaliser son potentiel, grâce aux Robots et aux sciences. Chez Heinlein, l'individu doit périodiquement se révolter contre la perte d'individualité, sans vraie utopie finale (Lazarus Long choisit de refuser une immortalité sans individualité) alors que les Robots d'Asimov accomplissent par leurs équations psychohistoriques une victoire déterministe de l'Humanité.

  • 10 commentaires:

    Bashô a dit…

    Asimov ne se contente pas de refuser toute vie non-humaine (Gaïa n'étant au fond qu'une entité consciente sur-humaine). Ainsi à la fin de Terre et Fondation, le personnage principal justifie son choix en faveur du projet Galaxia par le fait que les autres galaxies sont probablement habités et qu'il y aura tôt ou tard des envahisseurs. Les extra-terrestres ne sont donc vus que comme menace.

    clodoweg a dit…

    Le militarisme de starship troopers c'est juste une façade.
    Le roman est piégé.
    Celà n'apparait pas à un lecteur français mais pour un américain, certains indices permettent de comprendre que le héros de l'histoire est noir.
    Pour l'époque c'était plutôt audacieux.

    Imaginos a dit…

    @clodoweg :
    Ça m'intéresse que tu développes.
    J'ai lu (et utilisé) beaucoup d'arguments pour contrer les idées reçues sur ce roman (surtout après le nanard de Verhoeven qui en a "emprunté" le titre), mais celui-ci ne me dit rien.

    Phersv a dit…

    > Bashô
    Ce serait alors une différence avec la Singularité chez Stapledon où chaque espèce devient un Esprit Collectif mais où ils peuvent fusionner.

    > clodoweg
    Oui, Heinlein n'est ni raciste ni sexiste (il aura souvent des héroïnes compétentes), ni conservateur sur les moeurs (ce qui explique que les Hippies le liront à tort comme un partisan), et très laïc.

    De ce point de vue, sa droite libertarienne est très opposée à la droite conservatrice américaine traditionnelle, comme beaucoup de "Libertariens". Mais on peut être anti-raciste et militariste. Il n'empêche qu'ensuite les Libertariens préfèrent voter pour les Républicains quand leurs candidats ont été éliminés.

    Un autre élément un peu subversif en ce début de Guerre du Vietnam est son refus du service militaire ! Sa solution libertarienne pour éviter la conscription générale est que nul n'est contraint de faire son service mais que seuls ceux qui ont choisi volontairement de le faire auront ensuite le droit de vote. En cela, c'est une timocratie inspirée de la Suisse, le Citoyen-Soldat en mobilisation perpétuelle.

    Et même Heinlein, qui valorise vraiment au premier degré la vie de fantassin, a peut-être un peu d'ironie envers la propagande de cette timocratie (ce sont les officiers qui font cours d'éthique).

    clodoweg a dit…

    @imaginos
    Je ne suis pas américain et,donc, je n'ai pas les codes.
    J'ai simplement lu la lettre d'un américain noir qui remerciait Heinlein pour ce roman et le bien qu'il lui avait fait.

    MB a dit…

    Presque sur le sujet : Heinlein and Asimov's WWII adventures
    . :o)

    Phersv a dit…

    Merci, cela m'attire beaucoup plus que The Amazing Adventures of Kavalier & Clay de Michael Chabon sur Siegel & Shuster.

    Anonyme a dit…
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