Ca y est, DC, qui sait qu'ils ne se réconcilieront jamais avec Alan Moore, a décidé de passer outre et de lancer plusieurs Prequels de Watchmen.
Alan Moore a l'argument que même si ces Prequels laissent en théorie son oeuvre d'origine "intacte", ils vont en amoindrir le caractère unique et, au final, l'appauvrir. On avait une série limitée en douze chapitre, fermés sur eux-même en une totalité qui formaient une Oeuvre. Maintenant DC Comics rappelle que c'est un produit commercial de l'imaginaire comme un autre, un "propriété intellectuelle" qu'ils peuvent décliner pour en faire une matrice d'autres "produits".
Moore se compare à Melville et dit qu'on n'imagine pas une suite ou un prologue littéraire à Moby Dick, et donc que la BD renonce à toute prétention artistique en s'enfermant ainsi dans la dérivation indéfinie de ces spin-offs. Je suis peu convaincu par l'analogie car l'idée même d'une oeuvre organique a aussi son histoire et les oeuvres pré-classiques avaient des "Continuations" infinies. Cet art de la Continuation a eu à une époque une esthétique où on suivait des dynasties de héros ou bien où l'on recréait de nouvelles aventures rétroactivement (Les Enfances des héros par exemple). Les épopées antiques formaient des "cycles" avec des suites "parasitiques". Après tout, Orlando Furioso de l'Arioste peut être un chef d'oeuvre tout en étant une parodie et une suite de l'Orlando Innamorato de Boiardo, que plus personne ne lit. Et la littérature moderne naît quand un fan ridicule se prend pour Amadis des Gaules.
Mais dans le cas des comic-books, on voit bien que ce parasitisme est devenu une limitation gênante. On ne peut pas écrire une bonne histoire sans qu'elle soit ensuite gâchée ou annulée par une autre. La mort du Phénix dans les X-Men de 1980 était plutôt une bonne histoire. Mais les 42 résurrections et re-décès du Phénix depuis 1980 ont réussi à atteindre l'oeuvre originale. Si on a un peu suivi la suite, on ne peut plus la relire avec la moindre émotion autre que de l'agacement. Ce n'est plus que la Tragédie se répète en Comédie, c'est que la Comédie inépuisable finit par agir en retour sur la Tragédie dont elle se prétend la conclusion et donc le vrai dévoilement. Shakespeare pouvait s'amuser à parodier Romeo & Juliette avec son théâtre dans le théâtre et son Pyrame & Thisbé (dans le Songe d'une Nuit d'été), mais ce n'était pas dans une "continuité".
Les autres arguments de Moore demeurent valides. Les artistes qui vont faire ces parasites sur Watchmen pourraient créer d'autres ramifications au lieu de chercher à gloser dans les marges d'il y a 27 ans. On pourra certes toujours dire que c'est le principe même des comic-books de superhéros que de recycler des personnages antérieurs.
J'aime beaucoup le scénariste Brian Azzarello (qui est prévu sur les personnages des deux fachos, Rorschach et Le Comédien) et je n'arriverai donc sans doute pas à boycotter par principe ces "Prologues" inutiles même si cela pouvait empêcher DC de gâcher ainsi ses histoires.
Il est même possible que la nouvelle série d'horreur/pirates sur les Corsaires (Curse of the Crimson Corsair) soit une bonne idée (même si c'est écrit par Len Wein et si Alan Moore est déjà revenu trop lourdement dessus dans League of Extraordinary Gentlemen 1910 avec le viol de Pirate Jenny).
Et au moins les artistes ne sont pas incompétents, on a échappé à Watchmen by Rob Liefeld...
14 commentaires:
J'ai vu l'info par ailleurs ce soir.
Je crains fort que ça n'aboutisse à détraquer l'harmonie d'un "tout" déjà fini. Et je partage pleinement la déclaration d'Alan Moore : "Ce que je veux, c'est que ça ne se fasse pas."
Mais quoi qu'il arrive, ça se fera sans moi : quel que puisse être le talent des repreneurs, je n'irai pas voir le résultat.
Ce serait la meilleure chose à faire pour que DC comprenne, effectivement.
Je vais utiliser un sophisme, mais de toute manière je crains que le succès de ce machin est presque inévitable, donc Dan DiDio de DC Comics pensera qu'il a eu raison.
Je n'en attends rien, si ce n'est une sorte d'exploitation perverse de détails.
N'y a-t-il pas une analogie à faire avec le cinéma, où l'on préfère faire des suites (La vérité 3) et des prequels (Star Trek origins) avec des vaches à lait au succès assuré, plutôt que des innovations?
D'un autre côté j'ai lu avec plaisir une suite à Harry Potter écrite par une fan. C'est malin, je me sens coupable, maintenant! :)
D'un point de vue rôliste, ces prequels peuvent être vues comme une extension de l'univers des Watchmen; cela ne peut que l'enrichir et encourager l'immersion. :)
Si Conan Doyle avait interdit d'utiliser Sherlock Holmes, les aventures du personnage auraient-elles été aussi bien déclinées dans tous les registres, de l'action sur nos écrans actuellement, à la comédie comme "élémentaire mon cher Holmes" ou "Young Sherlock Holmes"? Ce serait dommage...
Mais cela nous renvoie sur le débat (lu chez Imaginos) sur "fallait-il continuer Spirou après Franquin, Astérix/Lucky Luke après Goscinny, et aurait-il fallu continuer Tintin?", et là la réponse est NON!
@Rappar
Je ne sais pas s'il "ne fallait pas continuer Tintin" (de toute façon je n'aime pas Tintin donc je m'en fous ; mauvais exemple).
Tintin, Sherlock Holmes, Picsou.. sont déjà conçus, à la base, comme des suites d'épisodes avec un lien très lâche voire inexistant entre les épisodes. Ajouter ou non de nouveaux épisodes n'introduit pas de rupture particulière. Watchmen, lui, est un tout, avec qui plus est des contraintes formelles fortes au niveau de la façon dont les planches sont découpées, etc. Ajouter des prequels revient à modifier de manière majeure l’œuvre.
/Gianni
> Rappar & Gianni
Oui, on peut distinguer des valeurs et des fonctions dans les suites. C'est l'argument que je voulais utiliser avec Orlando Furioso, ce n'est qu'une suite et pourtant c'est une oeuvre intéressante. De même pour l'Enéide, d'ailleurs.
Watchmen a certes utilisé des personnages préalables, les héros de chez Charlton Comics (Blue Beetle = Nite Owl, Captain Atom = Dr Manhattan, The Question = Rorschach, etc). Mais ils sont tellement changés qu'on ne les reconnaît même plus et qu'ils n'enlèvent rien à ces héros pastichés.
Et Watchmen a vraiment été composé sur ces 12 numéros, qui ont une structure, avec des palindromes, des symétries. C'est pourquoi Alan Moore refusait toute suite ou prequel.
Je fais une exception pour les histoires de pirates, la bd dans la bd, puisqu'on peut faire des histoires de pirates sans rien toucher à Watchmen.
(En revanche, cela me fait rire qu'ils se servent de l'argument de vente que Len Wein était l'editor d'Alan Moore - Wein a créé beaucoup de personnages importants comme Swamp Thing mais ils n'ont jamais eu de bonnes histoires avant que Moore ne les reprenne...).
Tes liens sont excellents :), surtout les 3 premières cases de Tytempleton (avec les fans qui ne peuvent s'empêcher d'acheter) ou le communiqué de presse de digital femme, plus vrai que nature ;D
Plus j'y réfléchis, et plus je me rappelle comment "Vol 714 pour Sydney" (et, dans une moindre mesure, "Les bijoux de la Castafiore" éclaboussaient de leur nullité l'ensemble de la série Tintin. Et encore, Hergé n'inclut pas "Tintin chez les Soviets" dans la collection (il était permis d'être colonialiste, mais pas politiquement correct de bouffer du soviétique... ;)) .
De même, j'estime que les reprises de Spirou (à partir de Fournier...) et de Astérix/Lucky Luke tirent finalement les séries vers le bas. Elles baissent le niveau moyen. Et il est tout simplement impossible d'en faire abstraction. :(
De même (exemple pris chez Templeton) qu'il est impossible de faire abstraction des épisodes Star Wars 1 à 3... qui non seulement font un peu tache, mais sapent les fondements de la trilogie originelle... :(
Bien sûr, il se pourrait que les préquels soient meilleurs (ah ah) ou au niveau des originaux, ou quelque chose de très différent donc non-comparable. Mais si c'est mauvais, les éditeurs ne le jetteront pas au feu, parce que c'est un investissement :/
Même à PTGPTB on rencontre le problème; il y a des articles que, rétrospectivement, on regrette d'avoir traduits, tellement ils sont "bateau". Je me dis qu'en les retirant, il ne restera que les meilleurs articles. Mais ce ne serait pas respecter le travail de leurs traducteurs... :(
Je ne sais pas... Il y a des comics qui ont été tirés vers le haut par les épigones des créateurs : Daredevil, par exemple, ou Swamp Thing (puisqu'on en parlait). Ou, tiens, Star Wars V meilleur que le IV (à mon goût).
> Rappar
Un peu sévère pour Les Bijoux de la Castafiore. Je ne suis peut-être pas assez tintinophile mais c'est un exercice de style comme inversion volontaire de tous les clichés de Tintin. En revanche, j'admets que le surnaturel SF à la fin de Vol 714 fait très bizarre dans une série qui avait été quasiment réaliste auparavant.
> Gianni
Dans le jeu de rôle, il y a au moins un cas assez rare : je trouve que le monde de Greyhawk a curieusement progressé en qualité une fois qu'il a été exploité par d'autres auteurs (comme Erik Mona avant que Paizo ne parte créer Pathfinder) que son vrai créateur. L'univers est devenu plus cohérent sans Gygax, une fois que les auteurs ont décidé d'organiser son fouillis. Mais je n'ose pas trop dire cette hérésie publiquement.
L'univers est devenu plus cohérent sans Gygax, une fois que les auteurs ont décidé d'organiser son fouillis. Mais je n'ose pas trop dire cette hérésie publiquement.
On l'aime tous, Saint Gygax, bien sûr. Mais bon, dans le genre baroque débridé.....
> En revanche, j'admets que le surnaturel SF à la fin de Vol 714 fait très bizarre dans une série qui avait été quasiment réaliste auparavant.
Venant tout juste de ressortir Objectif Lune pour faire un petit pastiche à destination d'une collègue, j'ai repensé (un peu tardivement peut-être) à cette discussion.
Et je trouve que vous avez un peu la mémoire courte, tous les deux : du surnaturel dans Tintin, on en trouve à la pelle : L'étoile mystérieuse et (entre autres) ses champignons géants ; les effets des comprimés du Pays de l'or noir sur la pilosité des Dupondt ; la radiesthésie de Tournesol ; le rêve prémonitoire dans Tintin au Tibet (et le yéti, aussi...) ; et j'en oublie probablement.
Je n'ai jamais trouvé que Vol 714 détonait par rapport au reste de la série (pas plus d'ailleurs que Les bijoux de la Castafiore). Il n'est guère plus farfelu que ne pouvait l'être à l'époque de sa sortie le diptyque Objectif Lune / On a marché sur la Lune, qui était alors de la pure science-fiction (hard science certes, contrairement aux influences danikiennes de Vol 714)...
Certes, il y a les champignons et les araignées géantes dans l'Etoile Mystérieuse mais cela n'atteint quand même pas les Aliens en Deus Ex Machina.
Il y a aussi les lamas qui lévitent vraiment dans l'épisode tibétain.
Et même les épisodes rationnels comme les 7 Boules de cristal ont des moments d'indécision fantastique.
> Certes, il y a les champignons et les araignées géantes dans l'Etoile Mystérieuse mais cela n'atteint quand même pas les Aliens en Deus Ex Machina.
J'ai beaucoup plus de mal à encaisser le surnaturel de L'Étoile que celui de Vol 714 : dans L'Étoile, une fois perdu mon regard d'enfant, ça me parait du grand n'importe quoi. Alors que dans Vol 714, ça a beau être tout aussi irrationnel, ça donne l'impression d'être cohérent.
> Et même les épisodes rationnels comme les 7 Boules de cristal ont des moments d'indécision fantastique.
Je ne qualifierais pas Les 7 boules de cristal d'épisode rationnel : n'est il pas entre autres basé sur une histoire d'envoûtements via des poupées ?
Dans mon souvenir, il y avait des explications "rationnelles" pour les 7 Boules de Cristal (de la drogue, non ?). Mais j'ai tout oublié sauf l'éclipse qui arrive juste au bon moment et "quand lama pas content...".
> Dans mon souvenir, il y avait des explications "rationnelles" pour les 7 Boules de Cristal (de la drogue, non ?).
Ben, je ne l'ai pas relu depuis des années, mais je me souviens de la scène à la fin du Temple du Soleil où le prêtre inca fait brûler les poupées, et juste après les explorateurs se réveillent guéris et sains d'esprit dans leur salle d'hôpital... Donc il me semble bien qu'il n'y avait pas d'explication (ou une explication surnaturelle, ce qui est peu ou prou la même chose).
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