jeudi 16 février 2012

Hommes de l'Ombre vs Borgen



Un des défauts de certaines fictions est ce qu'on appelle les "Mary Sue" ou plus précisément "l'Avatar de l'Auteur", version idéalisée de l'auteur qui a toujours raison dans sa fiction.

Les Hommes de l'Ombre (dont je n'ai vu qu'une partie des 6 épisodes) est une série politique française co-écrite par Dan Franck et un conseiller en communication Régis Lefebvre (ex-UMP devenu publicitaire). Les écrivains écrivent des histoires où les écrivains changent le monde ou découvrent l'importance centrale de leur vocation, les Spin Doctors imaginent des histoires où les Spin Doctors sont tout puissants.

En gros, le vrai héros de la série française n'est pas vraiment la femme politique Anne Visage (Nathalie Baye) mais plutôt son conseiller Simon Kapita (Bruno Wolkovitch). Simon Kapita a certes quelques problèmes personnels mais toutes les femmes sont amoureuses de lui, tous les hommes le jalousent et tout tourne autour de son talent supposé.

Le Président de la République (qui a quelques traces de Srkozy - on mentionne sa taille) vient d'être assassiné dans un attentat et il faut organiser des élections d'urgence (comme si les scénaristes se disaient qu'il n'y a aucune chance d'une Présidente femme en dehors d'une crise d'exception).

L'UMP se divise entre le Premier Ministre Philippe Deleuvre (Philippe Magnan), qui ferait plus penser à Edouard Balladur qu'à François Fillon, et Anne Visage, secrétaire d'Etat aux affaires sociales et ex-maîtresse du Président. La Droite se déchire et le conflit personnel et politique se redouble du conflit oedipien entre Simon Kapita et son fils spirituel et jeune rival Ludovic Desmeuze (Grégory Fitoussi), cynique, malhonnête et machiavellien (la meilleure scène est celle où Desmeuze explique à l'ex-Premier ministre comment s'enrichir comme avocat sans qu'on remarque les conflits d'intérêt).

La France met beaucoup sous écoutes mais n'a jamais réussi à avoir son propre scandale du Watergate. Ici, les Watergates se multiplient avec des tiroirs. Un des hommes de Kapita met sous écoutes Alain Marjorie (Nicolas Marié), le candidat de l'opposition socialiste (une sorte de Lionel Jospin). Après le premier tour, le Premier ministre Deleuvre et son âme damnée Desmeuze organisent un pacte avec Alain Marjorie contre Anne Visage (alors que Deleuvre est à la droite de Visage). Quand Deleuvre découvre les écoutes, il décide de les utiliser pour discréditer Visage mais Kapita réutilise alors les écoutes en menaçant d'en dévoiler le contenu. Le problème du scénario est qu'on reprocherait sans doute plus cet espionnage illégal que ce que les enregistrements auraient révélé.

Je n'ai pas vraiment accroché au mélodrame de la campagne. Kapita n'a pas vraiment d'épaisseur en dehors de ses problèmes sentimentaux. On ne comprend pas tellement ce qui l'anime en dehors d'affects personnels, son amitié pour Visage ou sa rivalité avec son disciple. On ne cesse de parler de ses dons mais il n'a pas vraiment les fulgurances de Toby Ziegler dans The West Wing (cela dit, je ne trouvais pas Josh Lyman très intéressant non plus). Et Nathalie Baye ne me paraît pas vraiment convaincante ou charismatique en Anne Visage (il y a même des discours où Ségolène Royal paraît être une meilleure oratrice qu'elle, c'est dire).


Borgen (nommée ainsi pour le surnom du "Château", le Palais de Christiansborg, siège du Parlement à Copenhague) est diffusée au Danemark à l'automne 2010 et vient d'arriver sur ARTE la semaine dernière. La série a bien des ressemblances avec Les Hommes de l'ombre. Dans les deux cas, on a des femmes politiques de centre-droit qui doivent se battre à la fois contre leur propre camp à droite et pour assurer leur place face à la gauche. Dans les deux cas, on suit les problèmes privés de l'entourage et des conseillers.

Mais Birgitte (née Nyborg) Christensen est plus charismatique qu'Anne Visage et se fait moins voler la vedette par ses conseillers. Les Danois croient peut-être plus à la politique que les Français : Birgitte Nyborg fait comme le Président Bartlett et peut prendre son autonomie vis-à-vis de ses conseillers alors que Visage n'est qu'un produit un peu vide où les conseillers pourraient mettre n'importe quoi. Christiansen est même trop parfaite, avec sa famille restée simple (mais le Danemark est nettement plus égalitaire que la France), avec son mari prof d'économie (une inversion de The West Wing).

Le scandale politique n'est pas ici un Watergate mais une référence à l'affaire suédoise Mona Sahlin. Le Premier ministre Lars Hesselboe (Parti libéral) perd les élections pour avoir utilisé la carte de crédit du gouvernement pour un achat personnel. Birgitte Nyborg avait reçu la nouvelle du scandale mais avait refusé de s'en servir et son conseiller avait ensuite transmis l'information aux Travaillistes, qui avaient été moins regardants. Comme Anne Visage, Nyborg doit à la fois lutter contre la droite libérale du hautain Lars Hesselboe (en coalition avec la droite conservatrice du Frihedspartiet, qui est ici représenté plus comme une extrême droite populiste que comme des Chrétiens) et contre les manoeuvres du chef du "Parti travailliste" (le vrai Parti de gauche s'appelle les Socialdemokraterne), le cynique et arrogant Michael Laugesen, qui est un ennemi encore plus caricatural.

Une dimension danoise qu'on n'imagine pas vraiment en France est qu'on a une impression de relation assez cordiale même entre l'héroïne centriste et le leader d'extrême droite populiste, qui lui donnera même des conseils qu'elle va suivre pour réussir à former son gouvernement et se renforcer.

Tout comme dans Les Hommes de l'Ombre, les relations personnelles des journalistes et conseillers de communication ne sont pas vraiment très intéressantes. Mais comme Birgitte Nyborg est censée être "parfaite", les scénaristes avaient besoin de l'entourage moins vertueux pour créer des tensions dramatiques.

9 commentaires:

Vfv a dit…

Une fiction qui évite ce travers de l'avatar de l'auteur, c'est Quai d'Orsay de Blain écrit par un ancien conseiller. Le personnage-décalque de l'auteur a l'avantage d'être visiblement transparent, et d'avoir un rôle avant tout d'observateur. De manière amusante, c'est la galerie de ses collaborateurs qui a le spotlight.

Phersv a dit…

Oui, Villepin reste le personnage majeur dans sa folie, mais je trouvais quand même que l'auteur du discours pouvait se donner un beau rôle modérateur dans ce Plus Important Discours politique jamais écrit (même si le vrai "génie" appartient au Politique qui se prend pour Héraclite).

C'est drôle comme Dominique de Villepin pendant des années avait cette sale réputation du "Néron" du Cabinet Noir (cf. des coups contre Jospin puis l'affaire Clearstream) et maintenant il restera sans doute plus comme l'homme du discours de l'ONU et comme un type qui critique les dérapages du Président actuel.

VfV a dit…

Il y a effecrtivement une héroïsation dans le T.2, sans doute à cause du sujet, mais elle était moins prononcée dans le T.1, qui laissait plus la part aux seconds rôles, notamment cette séquence admirable sur le premier conseiller qui arrive à éviter une crise internationale, et ne reçoit pour cela aucune récompense qu'un sens du devoir palpable. Je pensais plus à ce genre de moments à vrai dire.

De manière tout à fait accessoire, dans le 2, la scène Villepin/Chirac en Darth Vador/Palpatine était la page la plus hilarante de 2012.

Anonyme a dit…

Le point commun des deux séries est que, pour éviter de prendre parti ou parce que cela apparait aux auteurs comme une sorte d'évidence, les deux candidates victorieuses représentent le "centre" (bon ok plus centre-droit pour Visage - l'auteur du scénario est un ex UMP - plus centre gauche pour Christensen).
Dans les deux série la droite est corrompue et manipulatrice, la gauche est soit blairiste et donc manipulatrice (au Danemark), soit jospiniste et donc ringarde (en France).

Anonyme a dit…

PArdon par Christensen, Nyborg

Rappar a dit…

>Le Premier ministre perd les élections pour avoir utilisé la carte de crédit du gouvernement pour un achat personnel.

Ils sont fous ces danois ;)
De telles absurdités ne font qu'éloigner le spectateur français. :D

Samuel a dit…

Ce qui me gêne beaucoup dans les Hommes de l'Ombre, c'est précisément que le héros véritable en soit le conseiller en com', idéalisé qui plus est. Cela reflète peut-être en partie leur poids réel (voir l'arbrisseau qui œuvre chez nous dans l'ombre du nabot). Il n'empêche : je trouve détestable de la part d'une chaîne publique de glorifier ainsi leur rôle dans une fiction. Je n'ai donc pas tenu au-delà des deux premiers épisodes.
Borgen manque un peu de subtilité. Surtout après le battage phénoménal d'Arte qui présente la série comme l'événement de l'année. On en est loin : si on aime les séries politiques, alors Boss tient la dragée haute à ces deux pâles productions.

Phersv a dit…

> Anonyme
Oui, Dan Franck dit qu'il a choisi une centriste pour être original et pour éviter les héros habituels de partis de gauche mais cela apparaît finalement comme un choix assez facile : une sorte de Bayrou qui puisse ne pas inquiéter les deux camps.

> Rappar
Oui, cela fait très exotique, ces démocraties qui respectent un peu le formalisme de l'égalité.

Michelle Alliot-Marie (après bien d'autres) avait été très symptomatique quand on avait remarqué à quel point il lui paraissait évident qu'elle n'avait pas à démissionner et que tout lui était permis.

(Mais cela dit, l'affaire réelle en Suède n'avait pas été qu'un achat d'une barre de Mars avec la carte de crédit, on avait découvert ensuite qu'elle ne payait pas sa redevance télé et elle avait dû démissionner)

> Samuel
Oui, Borgen est un peu "préchi-précha" et idéalise complètement son héroïne (même quand elle fait de légers mensonges, elle a l'air horrifiée). Mais il y a quelques bons éléments : j'ai bien aimé l'intrigue sur les CIA Renditions et le Groenland. Il y a des côtés "non-génériques", qui me paraissent intraduisibles et fascinants.

Boss est plus sérieux et dramatique, je crois.

Borgen est plus de la fantasy avec une superpremier ministre idéale (mais tout le monde ne peut pas avoir les dialogues d'Aaron Sorkin pour faire passer cette idéalisation).

Rappar a dit…

>elle ne payait pas sa redevance télé et elle avait dû démissionner

J'hallucine un peu là...
Des maires rendent constructibles des zones où ils possèdent des terrains. Des députés et des sénateurs tapent dans la "réserve parlementaire" pour réaliser des travaux publics qui protègent entre autres leur résidence secondaire, l'ex-maire de Neuilly s'était fait fait offrir des travaux dans sa maison par le promoteur à qui il avait accordé le permis de construire; on parle de millions de rétrocommissions dans les affaires de vente de frégates et de sous-marins, - au point que je finis par comprendre le vote protestataire - et à l'autre extrême quelqu'un démissionne pour mal gérer ses finances? (je note que "The criminal charges against her were eventually dropped"). On passe d'un extrême à l'autre... :/

Je n'ai pas tout suivi, mais la méthode britannique me semble être un "juste milieu". Les députés qui confondaient leurs frais personnels et professionnels avaient dû rembourser et faire face à la réprobation publique.