Blue Bolt est tellement oublié que malgré toute l'obsession nostalgique et le culte fanatique en faveur de Jack Kirby, il n'a quasiment pas eu de remake depuis son apparition datée de juin 1940 (même Project Superpowers ne l'a pas réutilisé, c'est dire). Blue Bolt fut pourtant l'un des premiers superhéros créés par le duo Jack Kirby-Joe Simon (qui n'allaient créer Captain America que vers janvier 1941). Il eut son propre titre pendant longtemps, de 1940 à 1951 mais Kirby & Simon ne s'en occupèrent que pendant les dix premiers numéros et le magazine évolua selon les modes vers l'horreur des années 50 en abandonnant le héros de départ.
Blue Bolt est en gros un hommage à Flash Gordon. Les comic books imitaient souvent les héros des comic strips de la presse, plus prestigieux. Le superhéros depuis Superman est une inversion de Flash Gordon : au lieu d'un athlète humain sur une autre planète, un être surhumain sur la nôtre. Ici, on voit que l'influence de Flash Gordon d'Alex Raymond est prédominante et au début, le superhéros lutte contre des princesses extraterrestres dans un cadre terrien assez sauvage, un monde perdu intérieur à la place de Mongo (ce qui permet plus de relations entre les deux mondes). Par la suite, Blue Bolt redevint un superhéros dans notre monde. Flash Gordon avait une relation ambiguë avec Aura, la fille de Ming (même s'il préférait Dale Arden), Blue Bolt est amoureux de son ennemie la Sorcière verte, Fred Parrish a un savant, Bertoff, qui l'aide comme Flash Gordon a Zarkov, mais la relation est encore plus paternelle dans le cas de Blue Bolt comme Bertoff lui a sauvé la vie et lui a donné ses pouvoirs.
Blue Bolt #1 (juin 1940)
Fred Parrish, star de football de Harvard, est en train de faire du sport dans une région montagneuse non précisée (cela me semblait être aux USA mais le contexte d'indigènes avec turban semble indiquer plutôt un pays exotique comme l'Inde ?) quand il est foudroyé. Tous ses compagnons sont tués par la foudre et quand il tente de repartir en avion chercher des secours, il est frappé une nouvelle fois dans une vallée où vit le Professeur Bertoff, avec tout un entourage d'assistants et serviteurs (par la suite, ce sera même toute une cité entière). Le Professeur Bertoff a appris à utiliser électricité et radium pour lutter contre une impératrice maléfique nommée "La Sorcière Verte" (une de ses exclamations laisse ici penser qu'elle s'appelle en fait "Norzimo" ?) et il attendait depuis longtemps que quelqu'un tombe dans ce canyon. Ressuscité par Bertoff grâce au radium, Fred Parrish devient l'Eclair Bleu et part affronter la Sorcière. Elle tombe amoureuse de lui et le sauve d'un monstre et il lui rend la pareille. Il la capture enfin mais elle s'évanouit dans un nuage vert.
L'histoire de Blue Bolt qui donnait son titre au magazine ne faisait que 8 pages (sur 68, les comics de l'Âge d'Or étaient épais) et l'anthologie avait aussi dix autres séries.
Dick Cole est un orphelin élevé par un savant pour en faire le spécimen parfait de l'espèce humaine. Elève d'une académie militaire, il devient un aventurier assez réaliste (en dehors d'une super-vitesse de course). Il a dû avoir un certain succès car il prend de plus en plus d'importance par la suite et vole même parfois la couverture à Blue Bolt.
Page Parks est une hôtesse de l'air aventurière qui disparaît vite.
Sub-Zero Man est un anti-héros dans le genre du Submariner : c'est un extraterrestre, premier explorateur Vénusien qui a été frappé pendant son voyage sur Terre par un rayon qui fait qu'il gèle involontairement ce qui est autour de lui. Il lutte contre le crime tout en fuyant les autorités terriennes qui le prennent pour une menace et un assassin. Il ne peut reprendre une apparence et température normale que temporairement en s'irradiant avec un pistolet.
Le Sergent Spook est un policier qui a été tué pendant une expérience chimique. Il est devenu invisible mais peut encore agir sur les objets. Le concept d'un policier défunt ressemble au Spectre (paru très peu de temps avant, cela doit être une coïncidence) mais change assez profondément au numéro 5.
Captain Hawkins Tales est une bd historique où Hawkins est le narrateur. Le ton patriotique y est peu nuancé mais les dessins de Henry Kiefer sont assez fins.
The White Rider est une synthèse entre le héros de Western (Lone Ranger) et le superhéros comme Superman : Peter voit ses parents se faire tuer quand il est enfant, il tombe dans un canyon à la gravité différente et est élevé là avec un étalon blanc, super-fort et super-intelligent nommé Cloud, il revient avec une superforce pour lutter contre le crime avec un costume entièrement blanc. Une originalité est que le Super-Cheval semble ici presque le vrai héros plus que le Cavalier.
Pony Tracks est une histoire humoristique dessinée par Jack Warren a comme héros deux cowboys qui ressemblent un peu à Laurel & Hardy, Loco Luke et Snoozer (si Cloud fut le modèle de Jolly Jumper, je me demande si Morris a pu lire cela - même si c'est Goscinny plus que Morris qui va développer l'intelligence de Jolly Jumper). Warren avait déjà créé un comic-strip humoristique avec un jeune cowboy aussi nommé Loco Luke (et je ne sais pas s'il y a une origine commune).
Edison Bell est un jeune inventeur génial qui fabrique ici un robot nommé Frankie Stein. Peut-être un modèle pour Jack B. Quick de Tomorrow Stories ?
Runaway Ronson est un ingénieur ferroviaire qui protège son invention, le Super-Streamliner (oui, l'Âge d'Or testait parfois des concepts étranges).
Après le train, la dernière histoire est centré sur un prototype secret, Phantom Sub, super-sous-marin jaune qui peut aller à une vitesse de pointe incroyable de 80 noeuds (150 kmh - dans la réalité ce serait une vitesse proche des plus rapides torpilles, le record actuel d'un submersible ne dépasse pas 40 noeuds) et qui doit échapper aux agents secrets d'une Puissance étrangère (le Capitaine Crule). L'équipage du Phantom Sub, après la mort de son inventeur, continue à agir en corsaires indépenants de l'Océan Pacifique sans rejoindre les USA car ils sont pris pour des pirates. Mais Runaway Ronson savait souvent mieux mettre son TGV au centre de l'histoire graphiquement que Phantom Sub.
Blue Bolt #2 (juillet 40)
C'est Joe Simon et plus Jack Kirby qui reprend l'essentiel des dessins, ce qui fait une rupture de style (et à cette époque, Joe Simon me semble bien mieux savoir parodier Alex Raymond et rend la Sorcière plus sexy). On apprend que le Professeur Bertoff règne sur le pays sous-terrain de Deltos et que la Sorcière Verte règne sur la forteresse de Voltor. Blue Bolt dirige un escadron contre la Sorcière et la blesse. Il la soigne aussitôt avec le traitement au radium du Professeur Bertoff.
Je ne fais maintenant qu'évoquer les autres séries que je lis encore (je ne peut qu'esquiver Dick Cole, Runaway Ronson ou Sergent Spook) :
Sub-Zero Man, toujours poursuivi, est enfin accepté après avoir sauvé la ville de Centro d'un volcan. Il se trouve aussi une Terrienne qui tombe amoureuse de lui.
La série White Rider s'appelle désormais "White Rider & SUPER-HORSE" et dès la couverture du numéro suivant "Superhorse" tout court. Pas de doute, la monture éclipse le cavalier.
Edison Bell invente une peinture qui rend invisible et réussit à en vendre le brevet.
Phantom Sub lutte contre de cyniques trafiquants d'immigrés chinois clandestins (et l'histoire échoue à évoquer la question en les humanisant).
Blue Bolt #3 (août 1940)
La Sorcière Verte, soignée par Bertoff et ayant perdu ses pouvoirs magiques, annonce à sa nation qu'elle veut arrêter ses plans de conquête du monde extérieur. Ses généraux font aussitôt un putsch contre elle et marchent contre les troupes de Bertoff et Blue Bolt. La Sorcière Verte est blessée et retrouve à la fois ses pouvoirs et sa volonté maléfique.
Sub-Zero Man arrête un incendiaire et sauve Janet, fille du chef des pompiers. Il ne semble plus souffrir de son pouvoir incontrôlable, ce qui le rend moins intéressant.
Edison Bell invente une voiture atomique.
Phantom Sub lutte contre le Good Samaritan, un navire pirate de Mer de Chine qui se fait passer pour un navire en perdition pour prendre les vaisseaux marchands par surprise. Ils trouvent dans le journal de bord un étrange symbole d'un dragon qui semble assez cthulhuoïde (mais qui est en fait l'emblème d'une société secrète chinoise Tong Lu Mong).
Blue Bolt #4 (septembre 40)
Blue Bolt est miniaturisé par Bertoff pour infiltrer la forteresse de la Sorcière verte. Là-bas, Blue Bolt va la sauver d'un coup d'Etat du Général Gallus.
Sub-Zero Man (qui s'est fabriqué un nouveau costume, moins intéressant que l'ancien) arrête un gang dans le quartier chinois de Centro.
Edison Bell n'invente rien mais aide les autres avec le robot inventé dans le #1 et sa voiture atomique inventée dans le #3.
L'équipage du Phantom Sub vainc Lu Mong, le seigneur des pirates des Mers de Chine et coule sa jonque.
Blue Bolt #5 (octobre 40)
C'est le retour de Jack Kirby aux dessins aux côtés de Joe Simon et un des épisodes les plus historiques car il semblerait que ce soit la première apparition d'un des plus célèbres clichés graphiques des comics, le "Kirby Krackle" (ou crépitement de Kirby, cette signature de son style où une énergie exotique est représentée par un grésillement de quelques points ou des béances noires dans un flux).
Plus anecdotique, il y a aussi juste après dans l'exploration de cette Quatrième Dimension ("où on peut voir le même objet de tous les angles à la fois"), cette case qui fait penser à un "décor insolite et grandiose" (Gotlib, Rubrique à Brac, Tome 2) : "This certainly is an odd looking landscape"). Kirby reprend ce thème cubiste ou dalien 17 ans après dans Alarming Tales.
Sub-Zero Man a enfin un supervilain à sa mesure, le professeur X, qui a inventé diverses armes dont une tenue de mailles qui résite au froid et lui donne un air de Fantomas.
Sergent Spook doit lutter contre un gang de fantômes du Far West, Jesse James et ses hommes, plus un cheval spectral. Ingénieux, car cela donne soudain une nouvelle dimension où le policier fantôme a des adversaires qui retirent ses avantages habituels d'immatérialité. Le policier fantôme chez les mortels devient donc soudain un policier chez les fantômes.
Phantom Sub traverse une tempête pour sauver une île d'une épidémie. Rafraichissant dans la fin du concept usuel des pirates.
Blue Bolt #6 (novembre 1940)
Blue Bolt affronte un nouvel allié de la Sorcière verte, Marto, un humain muté par des Rayons cosmiques et qui est devenu un cerveau macrocéphale avec un corps atrophié (sans doute un modèle pour MODOK qui n'apparaît chez Kirby dans Tales of Suspense qu'en 1967, la scène de sa transformation ressemble aussi beaucoup à celle de Molecule Man dans Fantastic Four #20).
Finalement, Blue Bolt sauvera la Sorcière verte de ce savant fou.
Sub-Zero Man participe au jugement du Professeur X arrêté le numéro précédent et qui tente de se venger depuis sa cellule.
Sergent Spook est emmené par Sherlock Holmes à Ghostown, la cité des fantômes qui transforme la série en une satire bangsienne. C'est une démocratie mais il y a une opposition de quelques fantômes dictatoriaux comme Jules César. Jesse James, arrêté au numéro précédent, doit y être jugé par le Juge Salomon mais défendu par l'avocat du XVIIIe siècle Patrick Henry. Une bonne histoire par le créateur Malcolm Kildale.
Blue Bolt #7 (décembre 1940)
Le Sorcière verte entend parler de la Guerre mondiale et des dictateurs européens de la surface et cela la motive à une nouvelle offensive. Son armée est vaincue mais Blue Bolt est capturé.
Sergent Spook doit lutter à Ghostown contre Napoléon qui a soulevé les fantômes de Spirit Town. Spook est soutenu par le Roi Arthur et Wellington. On commence à passer dans une version de Riverworld de Philip José Farmer...
Le Phantom Sub, qui était poursuivi par les forces US, commence à être réhabilité.
Blue Bolt #8 (janvier 1941)
Le Professeur Bertoff capitule devant la Sorcière verte après l'arrestation de Blue Bolt. La Sorcière verte fait venir à sa cour des explorateurs de la surface. L'un d'eux soutient la cause de l'Impératrice mais les autres aident à la libération de Blue Bolt.
Sub Zero Man lutte contre la corruption de Machines à Voter.
Sergent Spook lutte contre le navire pirate du Capitaine Kidd (avec l'aide de Francis Drake, John Paul Jones et George Dewey). On s'éloigne vraiment du concept de départ.
Blue Bolt #9 (février 1941)
Blue Bolt est téléporté par Bertoff dans notre monde de la surface pour lutter contre la Sorcière verte, ce qui change le concept en un héros plus traditionnel, même s'il garde le contact avec son monde parallèle.
Sergent Spook se demande pourquoi Ghost Town n'a aucun fantôme d'Afrique du Nord. Il découvre qu'en Afrique, le fantôme de Toutankhamon a réduit tous les fantômes de la région en esclavage. Là on bascule dans le jeu de rôle Wraith: The Oblivion.
Blue Bolt #10 (mars 1941)
Un gangster de la surface usurpe le pouvoir chez la Sorcière verte et Blue Bolt la rétablit sur le trône. Blue Bolt passe la moitié des épisodes à sauver son ennemie adorée. Elle jure à nouveau d'abandonner ses plans de conquête. Mais en effet, par la suite, Fred Parrish va se consacrer au monde de la surface, comme par exemple d'aider son petit-frère Kip Parrish, qui ignore son identité.
Sergent Spook arrête Toutankhamon avec une armée de spectres de différentes époques.
6 commentaires:
Bravo pour ce portrait très "Spirit of the Century" ;)
"Sub Zero Man lutte contre la corruption de Machines à Voter." -> mais où était-il lors de l'élection de GW Bush! ;)
Dans ta capture de l'arrivée de Marto, il y a la réplique "Being a lady in distress, I thought you might have need of my services..." -> qui pourrait aujourd'hui utiliser sans rire le trope de la Damsel in distress...? Je suppose que ce n'est pas du second degré.. ;)
Ah, un peu quand même comme c'est le Méchant qui parle à une Impératrice maléfique !
Blue Bolt est un peu un Adam Strange de la terre creuse, si j'ai bien compris. Je ne sais plus d'ailleurs qui créera Adam Strange lors de la grande époque de DC. Si la filiation est assumée.
Oui, il y a l'ancêtre commun (John Carter). Adam Strange est créé en 1958 et il ajoute un élément qui est qu'il ne peut rester longtemps sur Rann, ce qui fait en un Humain sur Terre qui passe des vacances sur Rann avec la Princesse de l'Espace.
Mais Blue Bolt n'est pas un Humain normal, il a quelques superpouvoirs (même sur Terre), un peu de superforce plus le pouvoir de vol.
Et sa Princesse de l'Espace est aussi son ennemie (avec peut-être une influence de la Dragon Lady de Terry & the Pirates, qui apparaît en 1934 ? En tout cas, l'influence est claire dans la série Phantom Sub qui paraissait dans le même magazine).
Je viens de m'apercevoir que ces planches sont en couleur. J'ai toujours été persuadé que ces pulps, étant publié sur du papier pas cher, seraient en Noir et Blanc (comme le premier "strip" de Superman). Je suis impressionné par les vives couleurs de ton extrait de la 4e dimension... quand à la couv' du n° de décembre 1940, je la trouve très classe avec son fond blanc. Quelque chose qui n'aurait pas dépareillé au début des années 1970... :)
Les comic books étaient en couleurs (et le premier Action Comics avec Superman aussi, penses-tu plutôt au prototype de fanzine quelques temps avant où Superman était le nom du vilain ?).
Mais il faudra un peu de temps pour que les comic books se délivrent de l'influence du comic strip et arrive à mieux exploiter la place dont ils disposaient en élargissant les cases. Il y aurait un travail statistique à faire là-dessus. :)
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