Cassandra (Aimée Ffion Edwards)
Paris a donc perdu le duel et s'est enfui (comme dans l'Iliade Chant III, mais là, la responsabilité est entièrement de sa faute et non pas de la manipulation d'Athéna qui pousse Pandaros fils de Lycaon à briser la trêve dans le Chant IV).
Ici, cela change radicalement du récit habituel.
Hector a enfin appris du Prêtre d'Apollon la vérité sur Paris Alexandre et sur les songes prophétiques de Cassandre que personne ne voulait écouter. Il décide de renverser son père Priam, de prendre le pouvoir à Troie et de libérer Cassandre de sa prison. Sa figure échevelée, en stress pré-traumatique, spectrale, comme le remords permanent de la Prophétie, ne cesse de hanter cette version.
Hélène est désormais considérée comme une prisonnière dans le quartier des veuves. Alors qu'elle se voulait sincèrement pro-Troyenne, son nouveau statut d'encombrante casus belli continue de la faire basculer vers le statut d'agent double. Elle prolonge ses contacts avec l'agent grec en Ilion, Xanthius pour se débarasser de Pandaros, qui dans cette version est un ministre trop malin de Priam et qui a deviné qu'elle cache des secrets.
Entre parenthèse, le Pandaros de l'Iliade est avant tout un guerrier, un archer un peu intempérant mais il y a une vieille tradition médiévale (de Boccace, Chaucer jusqu'à Shakespeare) qui en fait un personnage très différent, un orateur habile mais aussi un libertin (d'où le verbe "to pander" en anglais, flatter les bas instincts). Cette version de Pandaros en Vizir rusé garde l'idée de prudence mais pas du tout les vices, ce qui rend sa fin où il est injustement accusé encore plus horrible. Je m'étais étonné dans le 2e épisode que le scénario ne garde pas du tout Palamède mais on reconnaît dans la mort de Pandaros l'inversion exacte de ce qui arrive à Palamède et les fausses lettres d'accusation. (Ce Pandaros doit aussi avoir une influence des textes tardifs sur Antenor qui en font un traître troyen.)
Hector devenu chef de la cité cesse toute mission pour récupérer. son frère Alexandre. Celui-ci, qui a aussi appris la prophétie qu'il incarne, se sentant coupable repart dans les collines où il avait élevé par un berger, Agesilaus, qui avait refusé les ordres de Priam à sa naissance. Il apprend aussi que sa première maîtresse, Oenone, a été exilée pour avoir eu un enfant avec lui, un certain Zénon. Sa tentative de suicide en se jetant dans le vide (après le faux suicide arrangé de Pandaros) peut évoquer le sort final de bien des fils de la Maison de Priam, comme Polydore (que Polymestor fit jeter des murailles) ou bien Astyanax (qu'Ajax le Petit jette dans certaines versions des murailles d'Ilion).
J'aime beaucoup la quantité de personnages secondaire créés par la série. C'est un peu la recette du film catastrophe : il faut pouvoir s'attacher à de nombreux personnages pour que le massacre final puisse plus nous toucher (je crois deviner que ce sera la fonction du malheureux petit garçon Evandre que de se faire tuer dans le dernier épisode et peut-être même à cause de l'agent Xanthius).
Dolon est très différent de la version du chant X de l'Iliade. Ici, il est le frère de Briséis qui était venu espionner Achille et c'est lui qui révèle à Hector que le Péléide fait la grève.
On s'attend à ce que cela conduise aux offensives troyennes victorieuses des chants V-VIII mais il y a un retournement dramatique quand Dolon est capturé et doit trahir sa cité de crainte de porter du tort à Briséis. Pauvres Troyens, ils n'ont jamais l'occasion même éphémère d'un faux espoir.
J'admire beaucoup la manière dont le scénario ne cesse d'obtenir des effets en préfigurant le Cheval de Troie. Dans la série (épisode 3, je crois), Achille était entré dans la Cité en se déguisant en mouton et à présent Dolon (qui dans l'Iliade se déguise en Loup) trahit sa Cité en ouvrant les portes et en faisant sortir les chevaux troyens (alors que le plan final consistera à en faire entrer un derrière ces Portes Scées). "City of Horses No More" s'exclame Ajax.
Dans le Chant X, Ulysse et Diomède partent en razzia pour voler les chevaux de Rhésos et croisent Dolon en chemin. Ici, Ulysse, le stratège d'Agamemnon, n'a pas besoin d'y aller, il manipule Dolon pour faire perdre leur cavalerie aux Troyens.
Je m'attendais à une longue ambassade (celle du Livre IX) pour faire revenir Achille comme les séries aiment bien ce genre de dialogue (l'ambassade qu'ils avaient inventée en Cilicie pour aller chercher l'aide d'Eetion était assez longue) mais j'ai été étonné à quel point ils expédient cette mission sans trop de ménagement. Ils ont retiré Phoinix et leur Nestor est un peu inutile. Ulysse est impatient et insulte presque Achille tout en suppliant Patrocle de lui donner au moins des Myrmidons.
Achille fait une exégèse un peu lourde sur leur opposition : Ulysse représente la victoire à tout prix, la survie, le pragmatisme roué, Achille ne peut se battre que pour une cause qu'il juge honorable et il a perdu toute confiance en l'Atride. Achille et Ulysse sont tous les deux des favoris d'Athéna mais on sait que les héros incarnent des vertus opposées, l'ardeur qui cherche la gloire et la prudence qui cherche la longue vie par les détours de la ruse. Tout le jeu de l'épopée est de vibrer pour le choix d'Achille (ou peut-être plutôt celui de Hector) alors qu'on sait bien au fond de nous que c'est le choix d'Ulysse qui est le principe de réalité.
2 commentaires:
Hey chap ~ Juste un rapide commentaire pour dire que la lecture de tes notes, en parallèle du visionnage, est un délice ! All the best —
Merci, je prends presque plus de plaisir à noter les inversions des versions (par exemple Pandaros qui superpose Anténor et Palamède) qu'à la regarder. J'ai eu quelques déceptions mais les constructions du scénario sont quand même habiles.
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