jeudi 5 mars 2020

Polarisation


Depuis le mandat de François Hollande et d'autres désastres (comme la gestion européenne de l'effondrement grec pendant quelques années), toutes mes croyances social-démocrates rocardiennes (l'utopie qu'il n'y aurait pas d'antinomie à long terme entre justice et utilité ou efficacité économique) ont été remises en cause. Depuis que Macron a complètement accepté, encore plus que Nicolas Sarkozy, qu'il n'était là que pour assurer une maximisation des profits des classes sociales ayant déjà le plus accumulé, on a certes eu au moins une clarification. Un certain Marxisme que je croyais simplificateur a été plutôt spectaculairement confirmé. La facilité avec laquelle la majorité des cadres mais même des électeurs du PS ont pu passer au Macronisme (discours centriste mais pratique résolument à droite sauf sur quelques détails superficiels) montre que l'effondrement ne datait pas que des atermoiements de François Hollande seul.

Quand on entendait Michel Rocard vers la fin avant sa mort en juillet 2016, il tenait un double discours en présentant parfois deux héritiers contradictoires, Valls ou le Macronisme comme inévitable et comme l'aboutissement de sa propre gestion libérale, et il défendait parfois à l'opposé des réformes plus à gauche de Benoît Hamon sur certains aspects. Je ne pense pas qu'on puisse tenir les deux bouts de cette chaîne et cela ressemblerait à la même contradiction de Guy Mollet entre son discours marxisant et sa pratique plus conservatrice.

On dit que le ministre socialiste Pierre Joxe (ancien lambertiste) aurait été de ceux qui préconisaient à Mitterrand en 1981 de faire le maximum de réformes et ensuite de repartir dans l'Opposition dès que le Mur d'Argent aurait repris sa place après une brève brèche.

Je pensais que la position de volonté de pouvoir des socialistes se défendait parce qu'une telle stratégie de la Rupture réformiste périodique rare pouvait se retourner en décrédibilisant l'idée même de gauche de gouvernement, en hâtant un retour plus durable de la droite et donc globalement moins de réformes démocratiques socialistes sur le long terme. Et qui sait si une sortie du Système monétaire européen en 1983 aurait eu des effets économiques et politiques positifs à moyen terme ?

Mais d'un autre côté, à quoi bon demeurer au pouvoir si c'est pour théoriser la nécessité d'accompagner et de valoriser ses reniements ?

L'expérience du désastre révélateur François Hollande a prouvé à présent que les politiques dites de "modération" pourraient revenir à pire, dans ce processus qui dégénère en Valls : perte de tout repère, rester au pouvoir pour accomplir la politique contre laquelle on a été élue, déclin et disparition de la social-démocratie dans l'acceptation du consensus autour de la financiarisation de l'économie, mépris de plus en plus affiché contre les classes populaires et en résultat polarisation de l'extrémisme anti-parlementaire (qui n'est même plus une tactique machiavellienne contre la droite parlementaire mais un danger plus global qui finit par contaminer la gauche de gouvernement et peut-être ensuite une partie du populisme de gauche).

Quand bien même le cordeau sanitaire contre l'extrême droite tenait encore et si elle n'arrivait jamais au pouvoir nationalement (et on sait bien que ce ne sera pas le cas puisque la droite conservatrice ou libérale pactisera avec elle ou sera même absorbée par elle), on ne mesure pas bien les risques de laisser ainsi depuis trente ans s'habituer 30% de la population (et plus de 50% des forces de l'ordre) à vivre et à penser dans les références du fascisme. La vision du monde de l'extrême droite devient de plus en plus un des éléments ambiants dans lequel nous vivons.

En passant, même si Joe Biden gagnait les élections aux USA (et les électeurs des Primaires ont l'air d'ignorer à quel point il est devenu bien plus mauvais qu'il ne l'était il y a quelques années), on voit bien qu'il n'a pas l'intention de remettre en cause très profondément la prise de pouvoir de l'extrême droite du Parti républicain. Il va jusqu'à dire que le Parti républicain reste "sain" dans son ensemble et qu'il lui faudra bien travailler avec eux au Sénat. Même si on se fichait complètement du programme intérieur de Sanders ou Warren sur la santé, on aurait besoin pour ce qui reste la première puissance politique de politiciens prêts à lutter contre cette normalisation des inégalités, ce qui n'est clairement pas le cas de ce malheureux Joe Biden.

9 commentaires:

Tororo a dit…

"Mais d'un autre côté, à quoi bon demeurer au pouvoir si c'est pour théoriser la nécessité d'accompagner et de valoriser ses reniements ?"...

Mais d'un autre côté, combien d'hommes de pouvoir - toutes tendances confondues - se poseraient-ils cette question en ces termes ?

clodoweg a dit…

Hélas, ce n'est pas la première fois dans l'histoire qu'un peuple, lassé des insuffisances ou trahisons de la Démocratie aura confié à un pouvoir autoritaire le soin de protéger sa sécurité.
Voir l'"Isignoramento" des communes italiennes à la renaissance ou, plus prés de nous la fin de la seconde république.

Elias a dit…

" il défendait parfois à l'opposé des réformes plus à gauche de Benoît Hamon sur certains aspects"
Il parlait de quelle réforme en particulier ? Parce que s'il s'agit du revenu universel c'est effectivement une mesure dont des libéraux peuvent admettre le principe : les désaccords porteraient sur le montant et sur la question de savoir si ça s'ajoute aux prestations existantes ou si ça les remplace.

Phersv a dit…

> Tororo
Oui, c'est inévitable que le maintien au pouvoir devienne une fin en soi puisqu'on peut toujours rationaliser qu'il vaut toujours mieux que ce soit "nous" que "l'opposant" (de même dans la pratique chiraquienne de réformes libérales plus lentes).

Les éloges du Mitterrandisme (y compris par Joxe, d'ailleurs) disent toujours qu'il a donné la "durée" à la gauche de gouvernement et il y a eu des phases de réformes de gauche, y compris en 1998-2002, plus une politique de redistribution indéniable au tout début du gouvernement Ayrault.

> clodoweg
Je ne sais pas encore si le désir de pouvoir plus autoritaire est si profond.

Un paradoxe analysé par Yasha Mounk est que certains sondages disent que ce seraient les électeurs centristes qui le réclameraient plus que les électeurs des extrêmes, par méfiance envers "la masse".

> Elias
Je ne me souviens plus des propos exacts mais je ne crois pas que c'était précisément sur le revenu universel (qui est soutenu par des libéraux s'il peut faire des économies de cotisations en étant inconditionnel et ne demandant donc moins d'administration et la baisse globale des aides sociales). Hamon finissait d'ailleurs dans mon souvenir par se contredire sur le caractère conditionnel ou pas de son revenu "universel".

Rocard me semblait très contradictoire aussi. J'ai lu une interview où il faisait l'éloge de Macron (et de Valls) en disant qu'il était temps que la gauche se réconcilie enfin avec l'économie mais il était capable de dire devant des Hamoniens que Macron commettait des erreurs fondamentales sur la société. Un mélange de reste de critique du PSU, un Surmoi intellectuel critique, et de pratique plus blairiste ou plus "intellectuel organique".

Le Marxiste Bernard Friot attaque violemment la CSG rocardienne comme la Contre-révolution de notre système social qui annonçait le passage à l'individualisation par des systèmes universels à points mais je ne comprends pas bien le détail de ces critiques.

Elias a dit…

ahahah ! je viens de voir sur votre Twitter que vous aviez créé un compte discord pour assurer la continuité pédagogique. C'est amusant de voir les gens converger indépendamment vers les mêmes solutions.
J'ai fait la même chose samedi. On l'a testé lundi après-midi avec les élèves.ça peut-être pas mal, je pense.
j'attend les retours des collègues et des élèves qui essayent la plateforme du CNED.

Anonyme a dit…

Macron et son gouvernement prennent en otage la population française.

Je a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Je a dit…

Il faut écouter Bernard Friot, Frédéric Lordon et Etienne Chouard (pour ne citer qu'eux parmi nos contemporains) et lire les penseurs anarchistes.

Le fascisme nous y sommes déjà avec un employé de banque au pouvoir, propulsé chef de la police d’État et des armées grâce à la fabrication de l'opinion par les médias de masse.

L'épouvantail "FN" créé par François Mitterrand dans les années 1980 n'est là que pour nous faire croire qu'il y a pire.

Mais soyons lucides un instant :
- mutilations, éborgnements, arrestations abusives pendant plus d'une année contre des manifestants pacifiques qui demandaient juste à vivre dignement;
- destruction de la retraite par répartition (sauf pour les policiers, les députés/sénateurs et les salaires supérieurs à 10.000 € par mois)
- et maintenant couvre-feu "sanitaire" ...
- sans parler d'une nouvelle crise financière (pire que celle de 2007-2008) dont les pertes des spéculateurs vont être rachetées par 300 milliards (plus que le budget annuel de l’État français) sur le dos des contribuables français ...

Phersv a dit…

> Elias

Oui, les serveurs Discord ne sont pas si stables que cela pour certains élèves qui ont du mal à garder le son (qui devient saccadé ou robotique) mais comme le CNED me refuse toujours la classe virtuelle, j'ai préféré passer ainsi même si ce n'est pas "RGPD".