[ Partie du jeu de rôle W.A.L.E., créé par Goodtime, toujours dans le même archipel de Shanizad où nous avons joué plusieurs fois depuis notre première découverte de l'île. L'Île des Félyshas et des Pirates, hâvre anarchiste, est vouée au Chaos et il n'y a pas de police. Les dirigeants symboliques y sont choisis aléatoirement par des tirages de la Roue du Chaos.
Les quatre PJ sont ici : Dame Shaan, mage-voleuse félyshas (C.), Maître Ghorim, assassin nain (H.), Sire Palathas (R.), "honnête commerçant" elfe et le narrateur, Sire Kalbelior Krazz, preux chevalier rat.
Lors de l'aventure précédente, les héros ont pu découvrir un sombre complot qui avait répandu une Pestilence surnaturelle dans l'île et qui avait fait partir la plupart des Félyshas en pèlerinage loin de la cité. On accusait les Rats d'avoir diffusé ce fléau et une guerre civile entre le Roi des Rats et le Prince s'est finalement terminé avec certains des Rats non-corrompus qui se sont alliés aux Félyshas, comme le paladin Kalbelior. Ils ont pu arrêter le réseau des empoisonneurs qui semaient la Peste mais n'ont pas retrouvé le Maître de leur organisation. Dame Shaan a rapporté de l'aventure plusieurs ouvrages dont un grimoire mystérieux de nécromancie, Le Xe Livre de Saracolan, qu'elle a commencé à étudier au risque de sa santé mentale. Ils ont aussi ramené de leur périple temporel une réfugiée d'une autre époque, la belle Dame Deora de Blainville, qui semble très désorientée. ]
Lendemains de fête
Je sais que Palathas, qui ne nous avait pas accompagnés dans cette nuit de beuverie, trouve que nous avons été on ne peut plus imprudents. A notre décharge, après la danse macabre de la Peste, tous nos combats dans les ténèbres et ce long confinement de la cité, il est compréhensible que nous ayons eu un désir si vif de réjouissances et de débordements.
De plus, les maîtres de l'île (dont la soeur de Shaan, Shirine, qui était première concubine du Roi Susfordal), n'étaient pas fort empressés de nous revoir à la Cour et notamment pas moi, Rat qui pouvait passer pour un agent ennemi pour chacun des deux camps des Rats et des Félyshas. Ghorim, d'habitude si méfiant et si regardant sur la dépense, et Shaan, qui connaît toute cette cité par coeur, m'ont donc introduit aux Mille Lanternes, un célèbre tripot pour y faire des parties de triplettes.
Il y avait eu des concert de plusieurs ménestrels et trouvères que nous avons écoutés de loin, dont Dame Salina, qui semblait proche du barde Edgar. Ce grand maître Edgar semblait talentueux et jouait notamment d'échos étranges par magie dans son récital musical.
Je ne sais comment nous avons pu commencer à nous retrouver finalement à une table de jeu de dés avec cet Edgar.
Il semblait plus sérieux que pendant son récital. Il avait une odeur de peaux et de cuir qui ne venait pas de ses vêtements. Je ne me souviens plus bien de ce qui s'est passé ensuite mais nous avons commencé à perdre énormément d'argent envers le barde Edgar et envers la maison de jeu des Mille Lanternes.
Le réveil fut donc doublement douloureux.
Non pas seulement à cause de la débauche et de l'ivresse mais aussi à cause de la reconnaissance de dettes. Comme il n'y a pas de forces de l'ordre sur l'île du Chaos, les forces magiques du Djinn signent les pactes et contrats par des tatouages qui agissent comme des Geas : si on n'a pas remboursé à temps, le tatouage devient douloureux et il peut être inscrit en divers endroits de l'anatomie que la pudeur m'interdit de rendre plus explicites.
La même nuit avait eu lieu un meurtre épouvantable dans l'auberge. Une prostituée avait été retrouvée disséquée et éventrée mais sans aucune partie manquante. Maugrim, le maître-assassin de la Cour, enquêtait sur une succession de ces étranges rituels.
Shaan et moi avons assez d'odorat pour trouver une trace de safran dans ce sacrifice. Shaan déduisit que c'était un rituel de lecture dans les entrailles et qu'il fallait donc interroger un Haruspice, ces mages spécialisés dans la magie du Futur. Pouvait-il y avoir un lien avec notre propre situation ? Justement, la Maison des Lanternes pouvait nous fournir l'adresse de Maître Oximar, un Haruspice qui travaillait avec l'établissement.
Nous étions un peu bouleversés. Certes, nos dettes n'étaient pas si énormes, environ une centaine de Roues d'Or chacun. Mais ce riche Elfe Palathas, qui n'avait pas partagé notre nuit d'excès et qui avait fait plusieurs investissements, ne pouvait pour l'instant pas nous avancer l'argent pour nous aider. Je suppose surtout que Palathas en voulait encore à mes compagnons rats qui avait fait exploser des entrepôts lui appartenant et je me demandais aussi comment faire pour ne pas m'endetter encore davantage avec l'Elfe.
Dame Yphréa, la tenancière du casino des Mille Lanternes, qui sentait le patchouli, nous convoqua. Elle nous assura qu'elle surveillait assez par magie sa maison pour savoir qu'il ne pouvait pas y avoir de tricherie directe et en tout cas pas d'intervention sur les dés, pas de télékinésie, d'illusions ou de tours de passe-passe. Les tripots de Shanizad utilisent généralement des Dyscalculateurs Gnomes pour empêcher toute magie altérant les probabilités. Mais elle admettait que cet Edgar était suspect et qu'elle craignait une escroquerie. Dans une île sans juge et sans police, elle devait donc engager d'autres services privés.
C'était elle qui devait prélever nos dettes à l'échéance pour le faire livrer à cet Edgar et elle avait elle-même aussi ses propres dettes envers lui. Elle nous proposa donc de chercher des preuves de sa tricherie en échange d'une récompense qui nous délivrerait d'une part de notre créance, celle envers les Mille Lanternes. Même s'il y avait tricherie, elle ne pourrait en revanche pas nous délivrer de nos tatouages puisqu'il faudrait avoir accès au Livre de comptes de notre créancier. Il y avait un glyphe par débiteur et celui-ci devait être effacé dans le Livre pour dissiper le tatouage.
Echos & Escrocs
Nous sommes partis à la recherche d'Edgar. D'autres auberges l'avaient déjà interdit pour des raisons similaires mais ne retrouvions pas de traces de lui. Finalement, nous sommes retombés sur son amie, la troubadour Salina. Elle dégageait un parfum de bergamote ou de limonette. Nous ne l'avons pas interrogée et avons préféré la filer. Elle nous a conduit à une demeure où je me faufilai sans bruit par les gouttières.
C'était bien le barde Edgar qui vivait avec elle, mais il y avait quelque chose qui clochait. Son odeur tendait plus vers d'autres agrumes, sans traces de cuir.
Quand Shaan, Ghorim et moi sommes donc venus accoster Edgar, nous avons fini par comprendre que nous n'avions pas joué aux dés avec lui.
Ce n'était pas la première fois qu'il était poursuivi ainsi dans une méprise sur son identité. Il souffrait souvent des conséquences des actes de son double. Il nous expliqua qu'il avait un frère jumeau, Evrard, qui avait comme lui le pouvoir d'anticiper sur le futur. Il n'avait donc pas agi sur les dés mais prévoyait les résultats à brève échéance. Il utilisait ce don depuis longtemps pour diverses opérations criminelles.
Mais il n'y avait vraisemblablement aucun lien avec la lecture des entrailles dans l'auberge puisque son don de prédiction ne venait immédiatement par instinct que de son propre esprit.
Evrard vivait dans le quartier des Tanneurs, ce qui expliquait son odeur si distincte que j'avais repérée pendant la partie de dés. [D'après le témoignage des autres membres de l'équipe, Kalbelior était bien trop ivre mort pendant la partie pour avoir repéré quoi que ce soit et il affabule complètement.]
Salina, qui détestait Evrard, accepta même de témoigner devant Dame Yphréa pour expliquer ses tricheries. Dame Yphréa effaça nos glyphes dans son propre livre de comptes et y ajouta même la récompense promise.
Salina expliqua que le seul moyen d'échapper à la précognition d'Evrard était d'utiliser une Potion d'Imprévisibilité, qui n'agissait que pour un quart d'heure pendant laquelle nous ne serions pas prédits par les dons d'Evrard.
Quand Palathas (le seul d'entre nous que n'avait pas vu Evrard) a tenté d'explorer le quartier des Tanneurs, il a découvert qu'ils étaient sous les chantages d'Evrard qui vivait d'extorsions de fonds. Personne dans le quartier n'osait plus le dénoncer.
Tous ceux qui tentaient de s'organiser contre lui étaient vite assassinés comme il pouvait prévoir tous leurs préparatifs et leurs manoeuvres. Et Evrard était un sadique qui torturait aussi les autres membres de la famille de ses cibles pour mieux intimider et faire régner la terreur dans la quartier des Tanneurs. Shaan proposa d'aller embrasser Evrard mais nous craignions qu'il ait le temps de la tuer (et la mort du créancier ne lève pas la malédiction des tatouages). [Suite à une autre malédiction acquise dans la Cité du Carnaval, Shaan donne la mort à toute personne qu'elle embrasse.]
Nous avons d'ailleurs failli tomber sous un de ses agents, un petit Félysha misérable nommé Rhakim mais nous avons pu l'arrêter (par un carreau d'arbalète de Ghorim).
Il nous fallait vite une ration de Potion d'imprévisibilité si nous ne voulions pas nous faire remarquer par Evrard et nous décidâmes de nous rendre chez l'Haruspice, Oxymar.
Dès que je sentis l'odeur de safran et que nous inspectâmes sa maison, nous comprîmes que c'était cet Haruspice le responsable des rituels abjects qui avaient éventré plusieurs victimes et cela (à ma grande surprise) sans aucun lien avec cet escroc d'Evrard.
Oxymar était un sectateur de la Lune mauve, une organisation religieuse que nous avions démantelée pendant la Peste, et il avait perdu la raison avec la chute de son temple. Il croyait lire dans les chairs la fin proche du monde avec "la levée de plusieurs sceaux" et "le retour des Démons" qui avaient régné sur le monde il y a des siècles. Sans doute aussi que l'épidémie avait rendu fous tous ces prétendus experts en prédictions ?
Nous reconnaissons que nous avons attendu qu'il nous vende d'abord quatre potions d'imprévisibilité avant de le dénoncer à Maugrim, le maître-assassin de la Cour. Avec nos tatouages et la menace d'Evrard, nous avons décidé que nous n'avions pas vraiment le temps de nous occuper aussi de rendre justice contre l'Haruspice insensé. Heureusement pour nous, il ignorait que nous avions été à l'origine de la destruction de son culte.
Nous avons donc laissé s'enfuir Rhakim, le bandit félysha, pour le laisser filer jusqu'au repaire d'Evrard et avalé nos potions d'imprévisibilité. Mais Rhakim a commencé par cacher une partie du magot dans les égouts et j'ai donc choisi de m'occuper de suivre ce coffre dans les eaux sous le sol.
Pendant ce temps, mes trois amis arrêtaient Evrard. Il tenta de bluffer et nous dit qu'il voyait dans l'avenir que nous ne pourrions jamais le tuer. Palathas l'exécuta aussitôt mais j'avais rapporté le coffre d'Evrard qui nous donna le livre de comptes. J'acceptai de le donner à Palathas en échange d'une annulation des dédommagements des Rats envers les entrepôts qui avaient explosé. Palathas accepta, effaça nos glyphes de reconnaissance de dettes et nous délivra de notre malédiction. En revanche, il n'effaça pas tous les autres glyphes et choisit de devenir un nouveau... hum hum... "Protecteur" de certaines des victimes de l'escroc-oracle.
Le deuxième sceau
Mais nous ne pouvions pas en rester à un dénouement aussi favorable. Je commence à croire que Palathas et ses amis doivent expier quelques fautes tant ils sont poursuivis par le destin.
Quand nous sommes revenus à la Cour, Dame Shaan devait avoir rendez-vous avec Dame Deora de Blainville, celle que nous avions ramenée d'une autre époque dans les abysses du temps, quand nous poursuivions le Maître de la Pestilence. Nous l'avions laissée dans l'entretien et quand elle cria, nous l'avons trouvée à demi-morte.
"
Dame Deora" était en réalité le Maître de l'organisation qui avait semé la Peste et il s'était enfui en volant à Shaan son livre de nécromancie, l'ouvrage interdit du Premier Sorcier, Saracolan. Un de ses rituels lui avait déjà permis de prendre l'apparence de cette femme morte en utilisant un de ses ossements. Le Maître avait arraché le coeur de Shaan et celle-ci n'avait eu aucun autre recours que de prier les anciens dieux oubliés qui semblaient ressortir depuis les récentes aventures de mes compagnons. Une Déesse-démone
félysha, une sombre chatte nommée
Baïkal, gardienne du passage vers la mort, était apparue pour sauver Shaan mais cela avait un prix. La
Déesse aux Neuf Vies dit à Shaan que celle-ci lui appartenait désormais.
Elle lui avait aissi dit qu'un second sceau avait été ouvert et qu'elle n'était pas la dernière des anciens dieux-démons qui revenaient.
Par les Grands Rongeurs des Racines du monde, je commençais à frissonner que ce dément d'haruspice n'avait peut-être pas entièrement tort dans certaines de ses visions de fins du monde...