Judge Dredd: America est un album qui contient des histoires de John Wagner avec un thème politique de 1986 (Letter from a Democrat, 1986, Revolution, 1987, Politics d'Alan Grant) à 1990 (l'histoire éponyme), 1991 (The Devil You Know, Twilight's Last Gleaming, de Garth Ennis).
Judge Dredd est un des personnages les plus ambigus de toute la littérature populaire puisqu'il a été créé par des "punks" qui voulaient se moquer du flic et que depuis des décennies il finit par héroïser vraiment le policier "sévère mais juste".
Cela illustre le risque fréquent du mouvement punk d'aller de l'anarchisme vers un nihilisme plus compatible avec l'extrême droite (qui comprend quoi que ce soit à l'itinéraire chaotique de ce pauvre John Lydon, qui a rejoint Trump ?).
Cette série politique avait commencé par une volonté de John Wagner de rappeler aux lecteurs plus brutalement le problème du personnage qui est soudain montré comme un véritable fasciste. Non seulement il réprime un mouvement démocratique mais il le fait en transgressant les lois communes alors qu'il semblait auparavant brutal mais rigidement orthodoxe dans son application des lois draconiennes de son univers dystopique. On avait l'impression que Wagner craignait soudain que son ironie soit devenue trop invisible pour de nombreux lecteurs.
Je trouve cependant qu'il y va un peu lourdement (et notamment sans doute quand c'est Alan Grant qui l'écrit). Judge Dredd est d'habitude le symbole même du Lawfut Neutral et il bascule dans le Neutral Evil, prêt à déformer la Loi au nom d'un "Ordre" despotique. Il y a une histoire où Dredd organise même un faux mouvement d'extrême droite ("Les Fils de la Dame de Fer"...) qui le dépasserait pour mieux se justifier et se débarrasser de ses adversaires démocrates.
America est un roman où Dredd apparaît à peine et John Wagner a dit que c'était son histoire favorite. L'héroïne est une militante démocrate qui est prête à aller vers la violence contre la tyrannie des Juges mais le narrateur est son ami craintif et socialement intégré qui ne partage pas sa flamme politique. C'est une tragédie mélancolique où ce narrateur se perd complètement dans sa recherche d'authenticité.
Puis la compilation s'arrête dans une conclusion que je n'aime pas particulièrement.
Un des procédés pour réhabiliter Dredd est de le mettre face à des Juges "ripous" qui veulent l'assassiner, et de le présenter soudain comme un rempart contre les excès de son propre mouvement (de même que Dirty Harry avait tenté de nuancer un peu son éloge du vigilantisme dans le second opus avec Magnum Force).
La satire sur le fascisme de Dredd est inversée en une fable misanthrope par Garth Ennis.
Dredd propose un référendum sur le retour à la démocratie et la majorité des citoyens de Mega-City ne comprend même pas les enjeux (ils n'arrivent même pas à voter du tout) et finit par acclamer massivement le maintien du "Pouvoir Judiciaire" (la concentration des pouvoirs par ces policiers qui ont de droit les pleins pouvoirs avec peu de contrôle externe en dehors d'un vague service de "police des polices", le SJS, qui fut d'ailleurs parfois assez corrompu du temps du Juge Caligula).
Le problème de cette fin est que John Wagner me semble avoir reculé sur son ironie du début. Il humanise tant Dredd à la fin des années 1980 qu'il semble prendre son parti. L'histoire de Garth Ennis finit même par ridiculiser tout le mouvement démocratique comme une rêverie de "Belles Âmes" idéalistes face au chaos hobbesien de Mega-City. La conclusion gâche donc l'avertissement contre le fascisme : le peuple est si aliéné qu'il finit en le soutenant et en renonçant à tout idéal "utopique" d'un peu de démocratie formelle.
Certains lecteurs trouvent ce cynisme final intéressant mais je ne comprends pas l'intérêt de dénoncer le fascisme et de conclure que le peuple est tellement stupide qu'il mérite et désire le fascisme, voire que dans un tel état de nature, il n'y aurait aucune autre solution tant qu'on a au moins un individu aussi "honnête" que Judge Dredd. Alan Moore peut paraître naïf dans son anarchisme mais je ne pense pas qu'on puisse accuser Watchmen d'avoir finir par rendre le fascisme amoral du Comedian ou du fascisme doctrinaire de Rorschach aussi "sympathique" (malgré toute l'erreur de lecture des fans de Rorschach).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire