Un jeune lecteur de comic books n'a généralement pas (à moins d'avoir déjà un esprit scientifique remarquablement avancé) de problème avec l'idée de tous ces superhéros qui obtiennent leurs pouvoirs par hasard, par une simple combinaison aléatoire de quelques éléments chimiques ou par une quelconque radiation.
Le premier modèle dut sans doute être le Flash (Flash Comics #1, janvier 1940). Jay Garrick était un étudiant qui acquit sa supervitesse en absorbant des vapeurs d'eau "lourde" (eau minéralisée dans la première version...). Par la suite (même si les origines habituelles de l'Âge d'Or étaient plutôt magiques ou extraterrestres), ce genre d'accident pseudoscientifique devint un cliché pour de nombreux héros (comme Plastic Man, 1941, Dr Mid-Nite, 1941 et ensuite tant d'autres héros Marvel de l'Âge d'Argent comme Spider-Man, les Quatre Fantastiques, Daredevil ou le Hulk).
Mais il semble y avoir une sorte de "loi" dans l'évolution des comics (comme de tout récit). Un scénario suppose une intention, une direction vers un dénouement satisfaisant et toute coïncidence, toute contingence devient une anomalie gênante, une sorte d'erreur qui semble dénuée de fonction. Dans des feuilletons longs sur des décennies et qui aiment tant multiplier les origines "rétroactives", tout doit finir par trouver un sens (pistolet de Tchekhov), il semble donc très probable que tout hasard finisse par être nié.
Par exemple, dès les années 1980, le Flash (qui avait l'habitude de voyager dans le temps et s'était même marié au XXXe siècle) eut droit à un paradoxe temporel. Il découvrit que ce qu'il croyait être un accident avait été en réalité déclenché par... lui-même voyageant dans le temps. Comme cette force plus rapide que la lumière (la "Speedforce") était liée à un phénomène temporel complexe, le Flash était dans une boucle où il s'était créé lui-même. On ne peut pas imaginer une révélation plus claire pour retirer toute déclinaison contingente : la victime en était en réalité l'artisan, l'accident avait pour dessein secret son résultat. L'homme moderne a un problème d'être aussi dépendant d'un coup de dé à sa naissance et le héros s'est littéralement fabriqué lui-même.
Un autre problème des anciennes explications pouvait être l'évolution de la compréhension populaire des radiations ou de la génétique. Même un jeune lecteur pouvait finir par se dire que respirer de l'eau lourde, s'exposer à des Rayons Gamma, des Rayons cosmiques ou une araignée radioactive donneraient plus un Cancer que des capacités surhumaines. Il n'y a rien de plus déprimant que de se rendre compte que toutes ces origines de bandes-dessinées devenaient un conte refoulant nos craintes de la maladie, craintes de nos propres cellules violentées par notre environnement technologique.
Récemment, les jeux de rôle post-apocalyptiques comme Gamma World (où être exposé à des radiations créait des mutations instantanément) ont dû être révisés dans ce sens et ce sont des Nanomachines transformant les gènes qui jouent le rôle des anciens rayonnements. A chaque fois, c'est la nouvelle technologie un peu inquiétante (la Nanotechnologie à la place de la Bombe A) qui doit jouer le rôle de Deus Ex Machina.
Même le hasard des mutations a été en partie retiré dans les comics Marvel récents où l'Intelligent Design est devenu littéralement vrai (du moins sur la Terre Marvel) : les Célestes (des êtres extraterrestres VonDänikeniens qui viendraient d'un univers d'avant le Big Bang) ont modifié génétiquement les espèces vivantes dans la Préhistoire pour permettre l'arrivée future de Mutants. Dans un monde où Dieu est mort, les comics américains semblent trouver quand même un peu de satisfaction à l'idée que leurs histoires dévoilent sans cesse de grands horlogers, même si ce sont plus des desseins peu bénéfiques et non pas une Providence divine. La version d'Earth X explique que les Célestes n'ont fait cela que pour former des sortes d'anticorps qui les aideraient (notamment contre une forme de prédateur comme Galactus). Les vies des mutants ont donc une "intention" mais cela ne dissiperait pas l'impression angoissante d'une vie impitoyable où l'organisme des Célestes n'a fabriqué nos formes que comme de simples instruments.
Dès le film The Hulk (2003) d'Ang Lee, on retrouvait cette réticence à l'égard de l'accident radioactif, grâce à un Prométhée caché. Le Dr Bruce Banner découvre qu'il ne développe sa personnalité de Mr Hyde après les rayons Gamma que parce qu'il est lui-même un "OGM" : son père avait modifié son ADN avec des Nanomédicaments radioactifs avant sa naissance. Le Dr Banner n'est donc plus le jouet du hasard, sa mutation a été pré-déterminée par son père et tout le film finit d'ailleurs par transformer toute la métaphore habituelle du Hulk sur notre crainte de l'inconscient en lourde exploration du Complexe d'Oedipe. Le fils veut d'autant plus tuer son mauvais père que c'est ce dernier qui a mis en lui tout ce potentiel destructeur qui va faire s'exprimer son parricide.
Dans le film Spiderman (2002), la version était encore un vrai accident (où l'araignée radioactive avait certes été aussi modifiée génétiquement avant l'accident pour ajouter une couche de pseudoscience dans le hasard).
Mais dix ans après, je vois que dans la nouvelle nouvelle version cinéma de Spiderman de 2012 (qui, je crois, reprend la version des comics Ultimate), cet accident devient le problème à résoudre dans le scénario. Si j'ai bien compris la bande-annonce [qui GÂCHE LA FIN], Peter Parker va découvrir qu'il n'y a pas eu complètement d'accident et que le Lézard comme lui sont en fait des résultats d'expériences menées avant même sa naissance par son père disparu (pour la compagnie d'Osborne).
On a ainsi une solution économe pour expliquer à la fois son statut d'orphelin, l'araignée radioactive, l'hostilité envers le Green Goblin et le fait que tous ses ennemis ont tant d'accidents liés à divers Totems animaux. L'écriture moderne des scénarios (depuis au moins Roy Thomas) consiste notamment à réunir plusieurs éléments sans explication pour leur donner une unité. La Nature fait bien des choses en vain, mais (pace Agathôn - Ethique à Nicomaque VI, iv) l'Art n'aime plus le hasard.
Abrigor's Triangle and The Annalise
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Two adventure locations in Krevborna's Judas Sea.
*Abrigor’s Triangle*
Abrigor’s Triangle is an expanse of the Judas Sea regarded as its most
dangerous ...
Il y a 56 minutes
8 commentaires:
Et Mopee, qu'est t'il devenu?
Là, c'est de la vraie érudition DC. :)
Mopee est la vraie raison pour laquelle on a fait la Crise des Terres Infinies pour l'effacer.
C'était pourtant une histoire de Gardner Fox et pas de Cary Bates, ce Mopee. Fox aussi peut avoir de mauvaises histoires.
Ambush Bug est revenu sur son cas (voir là).
Mais pourquoi les scénaristes ne peuvent-ils se contenter de l'explication "parce que c'est arrivé par hasard"? :/
Elle est pourtant bien scientifique (l'univers est constitué de plus de matière que d'antimatière parce que le big bang est tombé dans cette configuration comme à la roulette; l’Évolution des espèces se fait par des mutations aléatoires). Et l'explication du "super-pouvoir" dans Le grand Secret de Barjavel m'a toujours satisfaite : mutation d'un virus par irradiation ; une seconde de plus ou de moins et il en allait différemment.
Est-ce que ce n'est pas plutôt pour montrer le brio des scénaristes, par continuité rétroactive? "Ah ah ah, en fait tout était prévu dés le départ"? :/ ou bien est-ce que cela répond au besoin de tout expliquer? ... expliquez-moi! ;)
Oui, l'idée que le scénariste montre ainsi son propre talent en faisant croire que tout était prévu est l'hypothèse la plus réaliste.
Quand Steve Ditko dessinait (et co-écrivait) les premiers épisodes de Spider-Man, il voulait qu'on découvre que le Green Goblin n'était absolument pas quelqu'un que Peter Parker connaissait.
Stan Lee insista que c'était une meilleure histoire si on révélait une identité surprenante d'un personnage déjà connu (ici, le père du meilleur ami de Peter Parker) et Ditko donna sa démission.
Lee avait sans doute raison dans les conventions habituelles mais l'idée de Ditko aurait en effet été la plus surprenante dans son effet de "réel".
Les assassins des parents de Batman étaient des bandits anonymes mais on sait bien qu'une solution du film (c'était le Joker) finira un jour par devenir une révélation officielle. [On n'ira pas jusqu'à la solution dans Marshall Law : c'était... Bruce Wayne qui a tué ses parents et il est fou à lier.]
"un homme rentre chez lui, alors que sa femme est au lit avec quelqu'un d'autre"; cette situation peut être le point de départ, tant d'une tragédie que d'une comédie de boulevard.
"un homme rentre chez lui, et découvre sa femme au lit avec son frère": c'est forcément une tragédie.
Donc c'est la proximité, la coïncidence qui crée les drames. Spiderman ne peut se contenter de zigouiller le Gobelin Vert, parce que cela peinerait son meilleur ami.
Donc les coïncidences improbables sont une nécessité dramatique (Stan Lee, 1 point), qui marchent au théâtre ou au cinéma parce que le spectateur est dans l'instantanéité, dans la supsension of disbelief. Mais après, une fois sorti du lieu, on se moque du côté artificiel de la chose.
Et je crois qu'en BD-feuilleton comme sont les comics, il y a plus de distanciation et d'esprit critique, donc les "ficelles" (dont les coïncidences forcées) passent plus mal (Ditko, 1 point).
Non seulement les médias sont différents, mais ce qui "passe" auprès des ados peut ne pas "passer" auprès d'un public plus mûr...
"L'impression angoissante d'une vie impitoyable où l'organisme des Célestes n'a fabriqué nos formes que comme de simples instruments"
Pas forcemment angoissante,voire par ex les itws de G.Morrison ou il explique son trip au Nepal et la prise de conscience que nous faisions tous partie d'un seul organisme.
(j'ai vecu,bien magrés moi,un evenement un peu similaire et je confirme cette vision)
L'idée d'une unité de la vie pourrait avoir quelque chose de sublime si elle impliquait une sorte de réciprocité ou de grande chaîne des êtres avec les autres organismes. C'est la vieille image de la pensée de la Renaissance d'unité du Macrocosme et du Microcosme.
Dans la version d'Earth X, les humains découvrent qu'ils ont une fonction mais seulement une fonction secondaire de simple protection pour un autre organisme, le Céleste qui se développe sous la Terre. Ils ne sont plus que de simples anticorps pour un autre organisme.
Mais certes, ce genre de mythe de SF pourrait rester plus "rassurant" que l'idée plus réaliste où les humains n'auraient strictement aucune "fonction" quelle qu'elle soit.
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