[Résumé : La Tête tranchée de Brân le Béni a fini de raconter les origines de Pryderi fils de Pwyll et Rhiannon devant les Sept Survivants dans leur grand festin.]
A ce moment-là, alors que quelques échos de mon passé revenaient à la surface, Taliesin Ben Beirdd, le Plus Grand Barde de toute l'Île de Prydain, interrompit le Chant de la Grande Tête qui nous divertissait tous les sept.
"Tu dis qu'Arawn, roi d'Annwn, avait le Pair Dadeni, le Chaudron de Renaissance. Mais je n'ai pas besoin que tu chantes pour Taliésin Front-Radieux. j'ai eu bien des formes avant celle-ci, j'ai été lièvre et corneille, j'ai été saumon et louveteau, j'ai été grain blanc et fer rouge, et je peux chanter l'avenir comme le passé car j'ai trempé mes lèvres dans le Chaudron d'Awen, la Source de l'Inspiration Poétique.
Notre histoire se répète et je vais vous conter comment notre propre Guerre pour le Chaudron avait eu lieu et comment elle aura lieu à nouveau. Car mon Chant est aussi en rythme hors du temps que notre immortel festin.
Le Chaudron de l'Inspiration et la Première Vie de Taliesin
Tout commença en effet par cet autre Chaudron de l'Inspiration au bord du Llyn Tegid (Lac de Tegid). Ce n'est pas loin d'ici, à un jour de marche dans le Gwynedd, entre le Meirionnydd et le Penllyn. Le Lac est ainsi nommé pour son seigneur de cette époque, Tegid le Chauve, qui était marié à la grande déesse Kyrridwen, fille d'Ogyrvan. Nulle n'a jamais inspiré autant d'effroi et d'admiration que la grande Kyrridwen et son panier contenaient toutes les denrées terrestres.
Kyrridwen avaient eu plusieurs enfants avec Tegid.
Morvran Avagddu (Grand Corbeau des Ténèbres) était d'une extrême laideur, si laid que nul n'osait le regarder en face sans effroi.
Sa soeur
Creirwy était au contraire, d'après les
Triades de Prydain, l'une des
Trois Plus Belles Vierges de Prydain, avec
Gwen, fille de Cywryd et
Arianrhod Roue d'Argent fille de Dôn.
Son autre fille Degfed engendrera la future Maison royale de Gwynedd.
Kyrridwen souffrait pour la laideur de Morvran Avagddu et même sa magie ne pouvait l'embellir ou le transformer. Elle décida de la compenser en en faisant le Plus Grand Barde, en lui infusant l'
Awen, la Vision poétique. Elle consulta les anciens livres du mage et poète
Pheryllt (Virgile)
et y trouva l'incantation. Mais ce rituel dépassait les éléments de son panier magique. Il demandait de remuer le Chaudron
Amen que lui avait donné son père
Ogyrvan en le chauffant pendant un an et un jour avant de donner uniquement une seule fois les trois gouttes de la Science bardique.
A cette époque, je me nommais encore
Gwion Bach ("Petit Innocent"), fils de Gwreang de Llanfair, et j'étais venu de
Caereinion dans le Royaume de
Powys. Kyrridwen me prit comme serviteur, ainsi qu'un aveugle nommé
Morda. Je devais remuer et Morda devait alimenter le feu pendant que Kyrridwen allait récolter les différentes herbes pour le Chaudron.
Vous devinez déjà ce qui arriva. Trois gouttes sautèrent du chaudron et me brulèrent le pouce, je le pris et devins le Plus Grand de tous les Bardes. C'est
Talhaearn Tad Awen ("Père de l'Inspiration"), qui l'avait détenue avant moi, mais j'ai écris par moi-même tous ses chants qui sont aujourd'hui oubliés.
Je craignais le courroux de Kyrridwen et je savais qu'elle ne me pardonnerait pas car j'avais désormais la Vision de tout ce qui arriverait. Je m'enfuis donc dans la direction de mon pays natal, vers le Powys. Je laissais donc le Chaudron bouillonnant qui éclata et laissa couler un fluide devenu toxique sans les Trois Gouttes d'
Awen.
Il y avait à cette époque le long du littoral du Royaume de
Ceredigion, un territoire aujourd'hui disparu nommé
Gwaelod, le Bas-Pays, sous de grandes digues sous le niveau des hautes marées d'équinoxe. La capitale en était
Caer Wyddno et le Roi en était
Gwyddno Garanhir (aux Longues Braies). Quand le poison s'écoula du Chaudron brisé, il tua les Chevaux de Gwyddno Garanhir, ce qui était un mauvais présage pour le Gwaelod. Mais Gwyddno hérita ensuite du Panier de Kyrridwen en dédommagement et ce Panier multipliait par cent le nombre de denrées qu'on y mettait.
Mais Kyrridwen frappa Morda l'aveugle de son bâton et le fit avouer où j'étais parti.
Elle me poursuivit et je me changeai en lièvre, elle devint donc un lévrier, je me changeai en poisson et elle devint une outre, je me changeai en oiseau, et elle devint un aigle, je me changeai en un grain de blé et elle devint une poule noire qui m'avala.
La Seconde Vie de Taliesin et le Royaume de Gwaelod
Kyrridwen m'avait dévoré en une becquée. Ce fut la fin de Gwion Bach, mais pas la mienne. Morvran Avagddu n'eut jamais l'Inspiration mais il devint quand même un héros craint pour sa laideur et pour sa monture, le magnifique cheval d'argent, Guelwgan Gohoewgein. Cest sa laideur qui préserva sa vie pendant la Bataille de Camlann car nul ennemi n'osa le frapper.
Neuf mois après avoir été avalé, je renaquis comme fils de Kyrridwen, qui devina qui j'étais en réalité. Comme je lui avais pris le secret du Chaudron pour son fils, je n'avais pas d'autre solution que la changer en matrice pour devenir son fils. Elle n'osa pas me tuer maintenant que j'étais bien plus beau que lorsque j'étais Gwion Bach. Elle me jeta donc dans un sac de cuir dans l'océan. Et je descendis dans ce sac vers la Baie de
Ceredigion.
Avant même ma naissance, le
Ceredigion avait été frappé par une catastrophe. Le
cantref de la Plaine de
Gwaelod avait en effet été complètement recouvert par les vagues de la mer.
Seithenyn ap Scythin de
Dyved, qui avait été nommé gardien des Digues, s'ennivra un soir et laissa une porte marine s'ouvrir, ce qui submergea toute la Plaine de
Gwaelod. Le Roi de Ceredigion, Gwyddno Jambes-de-Grue survécut, ainsi qu'
Angharad, la fille de Seithenyn, qui était aussi aimée du fils de Gwyddno,
Elffin, et ils gagnèrent les parties émergées sur la Baie de Ceredigion avec leur Cour. Gwyddno y avait construit une forteresse car un barde lui avait jadis prédit de se méfier du danger de
Gwenhudwy l'Enchanteresse blanche et on comprit qu'il s'agissait en fait de l'écume des vagues. Et le Prince Elffin épousa Angharad, fille de Seithenyn.
Il y avait à cette époque une grande nasse à saumon dans un barrage entre Dyvi et
l'Embouchure de l'Ystwyth. Chaque année, la veille de
Beltane [1er mai], la nasse récoltait une énorme prise de cent livres.
Gwyddno Garanhir voulait mettre fin à la malchance de son Royaume et montrer que son fils Elffin l'Infortuné pouvait tirer de ce barrage l'abondance qui ferait oublier la submersion du Gwaelod. Il envoya donc cet Elffin pour récolter la nasse et ainsi mettre fin à son mauvais sort. Il ne trouva rien dans l'eau qu'un sac de cuir et les gardiens du barrage commencèrent à se moquer de son infortune. Mais Elffin fut émerveillé et dit que cela valait mieux qu'un saumon de cent livres.
"Quel
front radieux !" (
wele Dâl Jesin) dit Elffin, et cela donna mon nom,
Taliesin. Dès ce jour, je commençai à chanter les louanges d'Elffin, qui m'adopta et fut mon premier protecteur.
Quand Gwyddno Garanhir lui demanda ce qu'il avait tiré du barrage, il dit qu'il avait un Barde et Gwyddno s'attrista : "A quoi bon un Barde ?" Et le Prince Elffin l'Infortuné lui dit que rien d'aussi bien ne pouvait sortir de l'eau.
C'est l'épouse d'Elffin, Angharad fille de Seithenyn, qui devint ma nouvelle mère adoptive et j'eu ensuite une soeur de lait nommée
Melanghel et nous nous aimions plus qu'un frère et une soeur. Quand on proposa de fiancer Melanghel au Prince barde
Llywarch l'Ancien de Rheged, dont on disait qu'il était un grand rival de l'art de Taliesin, elle refusa.
Comment je sauvai mes parents adoptifs contre le Roi de Gwynedd
Quand j'étais encore adolescent, le roi du
Gynedd était
Maelgwn fils de Cadwalon Longue-Main et sa Maison venait du nord de Prydain. Maelgwn avait détrôné son oncle Owain Dent-Blanche et il tenait sa cour tout au nord de
Rhos, tout au nord de Cymru, dans son château de
Caer Ddeganwy. Il était alors l'un des plus puissants Rois de toute l'Île de Prydain.
Maelgwn invita Elffin pour le solstice d'hiver et lui demanda ce qu'il pensait de sa
Llys (sa Cour) et si sa magnificence pouvait rivaliser même avec celle d'Arthur.
Elffin répondit que son épouse Angharad était plus vertueuse que la femme de Maelgwn et que son barde Taliesin, qui n'avait que treize ans, était meilleur que tous les 24 bardes de Gwynedd réunis, y compris leur chef Heinin Vardd.
Maelgwn fut si furieux qu'il enferma Elffin dans un donjon. Il fit venir son fils, le Prince
Rhun et lui demanda d'aller séduire Angharad pour démentir les propos d'Elffin, car on disait que nul n'était plus grand séducteur de femmes que Rhun.
Rhun vint dans le
Ceredigion mais Taliesin avait fait remplacer Angharad par une servante de cuisine qu'il habilla comme sa maîtresse. Rhun la séduisit et lui coupa un doigt pour donner une preuve de son adultère. Mais quand il le montra à Elffin, celui-ci lui montra que l'ongle ne pouvait appartenir à son épouse. Quand Rhun revint une seconde fois pour trouver la vraie Angharad, il fut capturé par Taliesin.
Puis Taliesin vint chanter devant la Cour de Maelgwn et défia tous les 24 bardes en concours de poésie. Les bardes de Maelgwn de Gwynedd chantèrent les louanges de leur maître. Le chant sarcastique de Taliesin se moqua des bardes et prophétisa que Maelgwn mourrait du Fléau du Spectre Jaune de Rhos, la maladie qui venait des cadavres.
Maelgwn fut tellement ébranlé qu'il libéra Elffin mais cela ne le protégea pas de la Peste Jaune de Rhos. Quand la colonne de pestilence arriva sur l'Île de Prydain, il voulut se protéger en s'enfermant dans une église de Llarnrhos. Mais sa curiosité le fit regarder par la serrure vers l'extérieur et ainsi son oeil attrapa la
Vad Velen, la Jaune Pestilence, et il mourut.
C'est ainsi que je ramenai Elffin et que j'épousais sa fille Melanghel. Notre fils Addaon sera aussi barde et célèbre pour son courage, au point qu'après son assassinat, il continuera à se venger d'outre-tombe.
Prophéties de Taliesin
C'est ainsi que j'ai eu ma seconde vie et j'en aurai encore d'autres."
Ton fils, Brân le Béni, Caradog, sera aussi mon arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père car je serai aussi fils du barde
Henwg, fils de Fflwch Lawdrwm, fils de Cynvar, fils de Clydog, fils de Gwynnar, fils de Cadrain, fils de Cynan, fils de Caradog, fils de Brân le Béni, fils de Llyr Llediaith (Demi-Parole).
Et je deviendrai le Barde d'un autre
Elffin, fils d'Urien de Rheged à Aberllychwr.
Car le chant peut s'interrompre mais il reprend et la vibration de la harpe ne peut s'arrêter.
[Fin de l'
Ystoria Taliesin d'
Elis Gruffydd (1552), les deux personnages Angharad et Melanghel sont encore plus tardifs et viennent du roman ironique
The Misfortunes of Elphin de
Thomas Love Peacock (1829). La prophétie finale est dans d'autres manuscrits qui discutent le Taliesin du VIe siècle, qui fut ensuite introduit dans la Seconde Branche du
Mabinogion.
à suivre]