Serviteur du Peuple, la série de Zelensky, a été diffusée en 2015 (pour la saison 1, la seule mise gratuitement en ligne sur le site d'ARTE), après la révolution de Maïdan de 2014 et les deux autres saisons avant son élection réelle comme Président en avril 2019.
C'est une farce qui peut être parfois lourde mais je la trouve globalement très drôle, avec des gags de slapstick à la Pierre Richard (en moins libertaire et plus moralisant).
Il y a des allusions qui pouvaient sembler inquiétantes : si Zelensky, Rodnyansky, son producteur, ou le banquier Ihor Kolomoyskyi qui possédait sa chaîne et finança ensuite sa campagne, n'était pas eux-mêmes d'origine juive, les insistances sur la double nationalité israélienne d'un des méchants Oligarques enverraient un message assez antisémite. D'ailleurs, par la suite dans une mise en abyme tout à la fin de la première saison, Goloborodko est un invité vedette sur une chaîne contrôlé par un des Méchants Oligarques.
La vision de la politique y est aussi simpliste et même démagogique qu'on pourrait le craindre : tout le Parlement est corrompu et vote comme un seul homme, tous les Partis ne sont que des associations de pillage, tout le salut repose sur la probité individuelle d'un tout petit groupe prêt à faire les sacrifices nécessaires : le seul Juge honnête est un moine orthodoxe et Goloborodko tient parfois trop d'un Saint inhumain (en dehors de quelques mésaventures avec les femmes). Mais il y a aussi quelques éléments plus ironiques où la corruption est plus présentée comme un tentation interne dans tous les personnages (sauf le héros) mais aussi comme un système inscrit par l'histoire. Les allusions à l'animosité contre les Russes sont fréquentes mais sans appel à la revanche (en dehors d'un gag récurrent sur l'espoir d'une chute finale de Poutine).
Je doute de la théorie selon laquelle la série était prévue depuis le début pour lancer la campagne politique. Zelensky se serait-il autant moqué de son personnage de Goloborodko et de son échec face aux réformes imposées par le FMI s'il avait voulu en faire un clip de campagne ? Goloborodko commence seulement par du populisme anti-parlementaire (avec des excès grotesques comme la décision que le Président n'aurait ni voiture de fonction ni garde du corps) mais ensuite il va plus à droite (report immédiat de la date de retraite pour plaire au FMI). La série choque par sa naïveté dans l'idée que s'entourer uniquement d'amis proches pourrait éviter la corruption. Son populisme - assez hypocrite - fait penser à celui du Mouvement 5 étoiles en Italie mais avec moins de dérives xénophobes. Zelensky a tout fait pour maintenir le vague sur son programme pendant la campagne en se contentant rétroactivement d'instrumentaliser le succès de sa série.
Zelensky semble avoir caché de l'argent à l'étranger (cela a été confirmé et ne serait pas de la manipulation poutinienne), ce qui détruit complètement la confusion qu'il avait voulu créer entre son identité d'acteur candide et le personnage si naïf et intègre de Goloborodko.
Mais depuis que Poutine a décidé de détruire l'Ukraine et que Zelensky a impressionné tout le monde par son talent et son courage, il est devenu plus décalé et anachronique d'évoquer ces hypocrisies. Comme dit la blague britannique, Boris Johnson est un politicien des élites britanniques qui n'est qu'un clown alors que Zelensky est un Charlot qui a pu devenu un Churchill.