mardi 26 avril 2022

Слуга народу

Serviteur du Peuple, la série de Zelensky, a été diffusée en 2015 (pour la saison 1, la seule mise gratuitement en ligne sur le site d'ARTE), après la révolution de Maïdan de 2014 et les deux autres saisons avant son élection réelle comme Président en avril 2019. 

C'est une farce qui peut être parfois lourde mais je la trouve globalement très drôle, avec des gags de slapstick à la Pierre Richard (en moins libertaire et plus moralisant). 

Il y a des allusions qui pouvaient sembler inquiétantes : si Zelensky, Rodnyansky, son producteur, ou le banquier Ihor Kolomoyskyi qui possédait sa chaîne et finança ensuite sa campagne, n'était pas eux-mêmes d'origine juive, les insistances sur la double nationalité israélienne d'un des méchants Oligarques enverraient un message assez antisémite. D'ailleurs, par la suite dans une mise en abyme tout à la fin de la première saison, Goloborodko est un invité vedette sur une chaîne contrôlé par un des Méchants Oligarques. 

La vision de la politique y est aussi simpliste et même démagogique qu'on pourrait le craindre : tout le Parlement est corrompu et vote comme un seul homme, tous les Partis ne sont que des associations de pillage, tout le salut repose sur la probité individuelle d'un tout petit groupe prêt à faire les sacrifices nécessaires : le seul Juge honnête est un moine orthodoxe et Goloborodko tient parfois trop d'un Saint inhumain (en dehors de quelques mésaventures avec les femmes). Mais il y a aussi quelques éléments plus ironiques où la corruption est plus présentée comme un tentation interne dans tous les personnages (sauf le héros) mais aussi comme un système inscrit par l'histoire. Les allusions à l'animosité contre les Russes sont fréquentes mais sans appel à la revanche (en dehors d'un gag récurrent sur l'espoir d'une chute finale de Poutine). 

Je doute de la théorie selon laquelle la série était prévue depuis le début pour lancer la campagne politique. Zelensky se serait-il autant moqué de son personnage de Goloborodko et de son échec face aux réformes imposées par le FMI s'il avait voulu en faire un clip de campagne ? Goloborodko commence seulement par du populisme anti-parlementaire (avec des excès grotesques comme la décision que le Président n'aurait ni voiture de fonction ni garde du corps) mais ensuite il va plus à droite (report immédiat de la date de retraite pour plaire au FMI). La série choque par sa naïveté dans l'idée que s'entourer uniquement d'amis proches pourrait éviter la corruption. Son populisme - assez hypocrite - fait penser à celui du Mouvement 5 étoiles en Italie mais avec moins de dérives xénophobes. Zelensky a tout fait pour maintenir le vague sur son programme pendant la campagne en se contentant rétroactivement d'instrumentaliser le succès de sa série. 

Zelensky semble avoir caché de l'argent à l'étranger (cela a été confirmé et ne serait pas de la manipulation poutinienne), ce qui détruit complètement la confusion qu'il avait voulu créer entre son identité d'acteur candide et le personnage si naïf et intègre de Goloborodko. 

Mais depuis que Poutine a décidé de détruire l'Ukraine et que Zelensky a impressionné tout le monde par son talent et son courage, il est devenu plus décalé et anachronique d'évoquer ces hypocrisies. Comme dit la blague britannique, Boris Johnson est un politicien des élites britanniques qui n'est qu'un clown alors que Zelensky est un Charlot qui a pu devenu un Churchill. 

lundi 25 avril 2022

Le d12 oraculaire

 Via Feldo, Le Plaisant Jeu de Dodechehedron de Fortune, non moins récréatif que subtil & ingénieux (1577, le texte est prétendument attribué à "Jean de Meun", mais la préface dit que ce fut sous le règne de Charles V au milieu du XIVe alors que le continuateur du Roman de la Rose vécut plutôt sous Philippe le Bel). 

C'est lié à l'astrologie "judiciaire" et donc aux 12 signes mais les XII Maisons n'ont pas les noms habituels et font plus penser à ce qui deviendra ensuite les XXII Arcanes Majeures. 

1 L'Angle d'Orient (commencement originel)

2 Maison succédante (richesse)

3 La Déesse (lien familial et social)

4 L'Angle de la Terre (fécondité, secrets)

5 Bonne Fortune (échanges, mariages)

6 Mauvaise Fortune (exil, malheurs)

7 L'Angle d'Occident (mariages, guerres)

8 La Maison de la Mort (les absents)

9 La Maison de Dieu (foi et mauvaise foi)

10 Le Coeur du Ciel (honneurs, souveraineté)

11 Le Bon Ange (l'amour et l'amitié)

12 Le Malin Esprit (ennemis et péchés)

A long terme... on trouvera des titres drôles avec un jeu de mots

Des millions de personnes sont massacrées, torturées ou déplacées en Ukraine, la Russie s'enfonce dans une dictature fascisante, la xénophobie autoritaire va continuer de prospérer dans la démocratie européenne, l'idée de droits humains va continuée à être plus franchement remplacée dans le monde entier par un calcul d'accroissement de prospérité à court terme par divers oligarques ou "technocrates", la Pestilence n'en finit pas de muter alors que nous nous y habituons en nous lassant de faire des efforts pour les plus fragiles, la destruction de la planète devient irréversible et la position minoritaire de la gauche rend l'alternance impossible pour le moment dans ce pays (même si la gauche avait été au second tour, d'ailleurs). 

Mais ce blog de jeu de rôle a passé les derniers mois uniquement à gémir sur *un* auteur inconnu du public qui était en fait un facho, comme si c'était une blessure narcissique et une déception amoureuse. 

Ce blog de rôludiste a un certain sens des priorités mondiales. 

Je suis tellement Castor que j'ai voté pour Mélenchon au premier tour pour faire barrage à Le Pen alors que ce type a dit que le scandale réel du chlordécone aux Antilles prouvait qu'il fallait se méfier des vaccins et qu'"ILS" (QUI ?) avaient organisé des attentats antisémites pour conforter LE SYSTEME. Oui, il y a de quoi avoir honte de voter pour un tel candidat, quelles que soient ses envolées réussies sur la science-fiction. C'est dommage, d'ailleurs, il peut arriver de voir dans quelques fulgurances qu'il pourrait être une incarnation moins auto-destructrice. 

Mais je suis un électeur assez mono-critère : je vote pour le candidat qui a le moins de chance de détruire l'Hôpital public ou le moins de chance d'aggraver la situation (l'école publique, c'est déjà trop tard, la gauche ne fait pas nettement mieux). Je n'avais donc pas tellement le choix. J'avoue que les prises de position de politique étrangère étaient donc mises entre parenthèses et je ne prétends pas à l'intégrité ou la pureté. Evaluer du moindre mal, c'est choisir ses ordres de grandeur dans l'évaluation des divers maux évitables. [EDIT : J'ai retiré un commentaire erroné. ]

Si vous voulez le détail de mes votes depuis une douzaine d'années aux Primaires et Présidentielles, je crois me souvenir que j'ai dû voter 8 fois à gauche, 5 fois à droite : 2 fois Aubry, 2 fois Hollande, 2 fois Hamon, 2 fois Mélenchon et (comme j'avais des procurations pour quelqu'un d'autre aux deux élections) 5 fois Macron... La gauche a été au pouvoir au XXIe siècle grâce aux législatives de 1997-2002 en partie grâce aux triangulaires de l'extrême droite mais elle a été un peu au pouvoir dans les premiers mois de Hollande en 2012 sous Ayrault avant que le Bloc Bourgeois ou l'Eternel Marais ne finisse son réalignement néo-sarkozyste avec la fin du centre-gauche de gouvernement. 

J'ai voté Mélenchon alors que je crains qu'il soit toxique dans son indulgence envers les dictateurs chinois, russes ou vénézueliens, son autoritarisme et sa manière de flatter les conspirationnistes. Mais je rêvais d'un second tour sans Le Pen où les débats auraient été très différents, sur les droits sociaux et non pas sur la quantité ou la qualité des expulsés. 

Et on n'a pas le choix dans le contexte actuel : plus personne ne fait confiance au PS pour se distinguer de ce Bloc macronien. Le problème du PS est que même avant Terra Nova, même du temps de Mitterrand, ils pensent que le pays est trop structurellement de droite pour qu'une gauche puisse arriver au pouvoir sans un malentendu. Hidalgo d'il y a 25 ans quand elle était encore une Inspectrice du Travail devait être de gauche, je crois, mais je n'en étais pas certain aujourd'hui. Jadot était si proche de ce Bloc macronien par sa base électorale et par ses prises de position économiques que la trahison était déjà hautement probable. Roussel ne se distinguait guère de Mélenchon que par des détails de politique énergétique et une rhétorique plus universaliste contre certains messages différentialistes mais il était tout aussi prêt à se compromettre avec la dictature chinoise. Et je ne veux plus évoquer la candidate nihiliste sélectionnée par une primaire bizarre, qui aurait probablement été encore plus vide que Hildalgo et plus à droite que Jadot. 

Quant à l'extrême gauche trotskyste, je n'arrive pas à les voir autrement que comme "para-politiques" ou "anti-politiques", comme des moines ou ascètes gnostiques qui veulent fonder une contre-communauté d'âmes non-compromises sans avoir ni l'espoir ni l'envie de gouverner. C'est une avant-garde millénariste dont l'action réelle doit plutôt se trouver dans l'action syndicale dans certains lieux de travail (ce qui est certes déjà quelque chose) mais pas dans la législation. Cela peut se défendre (je respecte certains syndicalistes qui ont renoncé à la politique nationale pour viser des améliorations par branche ou éventuellement par des biais indirects de droit européen). Je ne sais pas si ce léger bruit de fond anti-capitaliste et l'entrisme syndical peut avoir un effet gramscien quelconque pour une éventuelle gauche de gouvernement. La prétendue hégémonie culturelle peut relever d'un fantasme idéologique. Cela ne dérangerait pas Macron de parler en dialecte de gauche sur les discriminations structurelles tant que cela ne remet pas en cause sa justification des inégalités sociales. 

(Et de même le gramscisme d'extrême droite qui doit être surévalué par les intellectuels n'explique pas son succès, cela doit plutôt être l'inverse, ils sont plus réapparus comme un symptôme ou un effet des succès électoraux ou de la propagande médiatique). 


Tout cela pour dire... que vous comprenez pourquoi je ne blogue plus tellement.