(Voir la fiche du GRoG pour une description plus complète, et ce site consacré au jeu)
Larry Niven (né en 1938) est un auteur souvent adapté en jeu de rôle puisqu'une autre de ses créations, Dream Park (1980, sur un monde de jeu virtuel) a aussi fait l'objet d'un jeu (1992) par Michael Pondsmith. Niven écrit aussi des nouvelles et les univers fondés sur des nouvelles sont souvent mieux adaptés à un jeu de rôle qu'un simple cycle unique de romans.
On décrit parfois l'univers des romans de Larry Niven comme de la "Hard Science", parce que la partie science y est souvent prépondérante sur la partie fiction. Mais ce serait discutable. L'idée de départ est en effet souvent une spéculation scientifique mais Larry Niven (qui a fait des études de mathématiques et a pu se vanter d'être un des premiers à avoir inclus certains concepts de pointe dans la littérature, dont l'expression si poétique de "puits gravitationnel") est très "souple" dans l'application des Lois physiques au point que sa science très futuriste ressemble à de la "magie" sous certaines contraintes minimales. Il a beau décrire certains calculs comme dans un roman de Jules Verne, il se permet des libertés.
Par exemple, il décrit des vaisseaux de matière indestructible et l'Anneau-Monde lui-même, malgré tout le roman Les Ingénieurs de l'Anneau-Monde, exige qu'on écarte un peu la question insoluble de sa matière impossible d'unobtainium. Et un univers où on peut sélectionner sur plusieurs générations un "Gène de la Chance" (c'est en fait une forme de pouvoir psi inconscient) ne peut pas être de la Hard SF, cela reste souvent du Space Opera superhéroïque (des Pouvoirs psi sont "non-Hard") mais avec quelques grands concepts très spéculatifs tirés d'articles scientifiques.
L'Humanité de l'Espace Connu est d'ailleurs décrite à partir d'un problème de spéculation sociale et non scientifique sur la Longévité et cette question revient souvent dans l'oeuvre de Niven : pourquoi le Vieillissement, et est-ce évitable ? Les nouvelles se déroulant sur les siècles proches, assez "cyberpunk" avant la Lettre, portent souvent sur la question très 70's de la surpopulation (il y a une loterie pour avoir le droit de se reproduire). Une autre obsession est le problème bioéthique de la transplantation d'organes : en gros, les plus aisés ont pu considérablement accroître leur longévité mais à condition de parasiter les organes d'autres humains vivants, ce qui crée un Marché énorme du trafic d'organes et des peines de mort plus systématiques pour pouvoir mieux récolter les organes nécessaires. L'idée de ces récits des années 1960-1970 serait une métaphore intéressante de l'exploitation et de la lutte des classes, si ce n'est le fait que Larry Niven (plutôt libertarien, comme Jerry Pournelle) avait aussi recommandé en 2008 au gouvernement Bush (au premier degré, semble-t-il) de faire circuler la rumeur que les hopitaux américains prélevaient vraiment des organes illégalement pour faire fuir les patients analphabètes immigrés et pour "baisser les coûts de la santé". J'aime bien certaines de ses idées spéculatives mais je crains que Larry Niven ne soit quand même globalement un Gros Con réactionnaire et insensible.
Mais finalement, le secret ultime de l'Espace Connu est que les Humains et les autres Primates de la Terre ne sont qu'une forme néoténique dérivée d'une race hominidée plus ancienne, les Paks qui ont évolué sur d'autres mondes, pour créer d'autres formes de vie. Les Paks nous sont supérieurs à tout point de vue, plus intelligents, plus résistants, presque immortels, mais nous ne sommes que des larves préliminaires, nous avons la capacité d'évoluer pour atteindre leur stade ultime, celui des "Protecteurs" quasi-immortels, grâce à une symbiose avec une plante d'immortalité, l'Arbre-de-Vie (toute la Bible n'étant qu'un mythe à partir de cette origine extra-terrestre). La phase "Protecteur" des Paks les soumet à un gène qui les fait protéger toute l'espèce qui descend d'eux. Ce seraient eux qui auraient fabriqué l'immense Anneau-Monde (ce qui expliquerait la variété des races d'hominidés créées par les Paks sur cette mégastructure).
L'Humanité a aussi évolué avec une autre race intelligente sur la même planète, les Cétacés et les Dauphins, qui, avec des bras cybernétiques, ont pu coloniser certains mondes (les planètes Down, Silvereyes).
L'Espace Connu est surtout caractéristique pour ses races extraterrestres choisies pour paraître très exotiques et inhumaines. Les Kzintis sont les moins originaux, de grands Tigres humanoïdes orgueilleux et violents (et dont les femelles sont dénuées d'intelligence) qui ont dû inspirer les Aslans de Traveller ou les Kilrathis de Wing Commander. Les Esclavagistes (la traduction française avait préféré "Négriers", ce qui me paraît simplement une erreur) étaient une race ancienne de télépathes qui contrôlaient tout l'Espace Connu. Les vestiges de leur haute technologie sont les reliques les plus recherchées. Les Grogs de Down ne peuvent pas se mouvoir (ils ressemblent à des cônes sessiles) et ont pourtant pu évoluer une intelligence et des pouvoirs télépathiques (ils seraient peut-être une forme dégénérée des Esclavagistes).
Les favoris des fans de L'Anneau-Monde sont sans doute les fameux "Marion-nettistes de Pierson" (nommés ainsi parce que leur découvreur Pierson trouvait que leurs deux têtes ressemblaient à une marionnette en forme de chaussette). Ils ressemblent à des animaux à trois pattes et deux têtes (les deux têtes étant à la fois leurs yeux et leurs mains), avec un cerveau dans le torse. Ils sont nettement plus intelligents que les Humains (par exemple, ils n'ont développé ni religions ni croyances eschatologiques) mais surtout caractérisés par une couardise qui semble infinie (en partie parce qu'ils ne se sont jamais bercés du concept d'une vie après la mort). La SF avait déjà de nombreuses races de Supergénies (ne serait-ce que les Vulcains) mais je ne crois pas avoir vu avant un groupe aussi attachant dans leur lâcheté méthodique comme avantage adaptatif. Ils passent leur temps à raisonner pour éviter tout risque. Cela fait que la grande majorité ne serait jamais assez insensée pour s'embarquer dans un vaisseau spatial et qu'on ne peut rencontrer que certains d'entre eux, des fous téméraires selon leurs normes mais qu'on juge d'une prudence hystérique dans les nôtres. Par leur compagnie interstellaire, General Products, ils contrôlent de fait toute la plus haute technologie et le commerce de l'Espace Connu et leur nom de "Marionnettistes" désigne aussi leur capacité à manipuler les autres civilisations de l'Espace Connu (certaines politiques humaines sont, sans qu'ils le sachent, le fruit de manipulation des Marionnettistes contre les autres races). Pour l'instant, comme ils sont prévoyants mais peureux, ils ont changé leur système solaire en une sorte de Flotte itinérante pour fuir par anticipation une radiation qu'ils prévue pour 20,000 ans dans le futur.
Mais le centre du jeu n'est pas vraiment l'arrière-fond de l'Espace Connu mais surtout un système solaire, à 200 années-lumière de notre système Sol. Les Vaisseaux de l'Espace Connu ne vont qu'à une année-lumière en trois jours (125c) et ce serait donc encore une distance demandant deux ans de voyage (mais les nouveaux Vaisseaux les plus récents peuvent y arriver avec une hyperpropulsion d'une année-lumière par minute).
Le physicien Freeman Dyson avait imaginé en 1960 qu'une civilisation avancée puisse construire une Sphère enveloppant tout son système et Larry Niven en a dérivé une autre "mégastructure", un anneau d'une Unité Astronomique de rayon (150 millions de kilomètres) autour de son étoile et une circonférence solide d'un milliard de kilomètres, semblable à la vision antique des "Orbes".
Cette mégastructure a sans doute lancé la mode des "Big Dumb Objects en science-fiction, celui d'un objet artificiel qui atteigne le Sublime du Cosmos lui-même en joignant l'immensité et un caractère technique, comme si toute la science-fiction conduisait à l'idée de refabriquer le monde. Les nouvelles de Niven se déroulent sur Terre et dans les colonies mais cette structure habitée contient à elle seule plus de place que des millions de planètes, pour représenter tout l'espace vide dans une seule orbite planétaire.
L'Anneau sert donc de planète ultime à explorer, d'une taille telle qu'on pourrait y écrire des "romans planétaires" pour des années sans épuiser les lieux. Avec sa surface de millions de Terres possibles, c'est une terra incognita perpétuelle.
L'Explorer Book décrit la création des personnages. On tire d'abord la planète d'origine avec l'une des 12 planètes peuplées par les Humains (et Dauphins) dans l'Espace Connu, ce qui donne aussi la gravité, qui donne soit un bonus+3 soit un malus -3 à la Force/Masse ou à la Dextérité). Ces colonies sont décrites plus en détails ensuite mais on n'est pas vraiment censé y jouer longtemps puisque le centre va être l'Anneau-Monde.
On tire aussi des désavantages (la liste est très courte avec allergie à l'épice de longévité boosterspice et phobie de l'hyperespace) et l'Âge "chronologique" avant le blocage par l'épice de longévité, Âge qui peut énormément varier entre 18 et 450 ans (sachant que l'Âge va influencer à la fois les compétences et les caractéristiques). Les caractéristiques sont assez similaires aux habituelles du Basic System si ce n'est qu'on utilise plutôt 2d6+6, et que la Taille s'appelle la Masse et qu'on ajoute l'Education, comme dans Call of Cthulhu. Les points de vie sont la somme de Constitution et Masse (au lieu de la moyenne dans les autres jeux), mais les points de vie par zone sont relativement similaires.
Les compétences sont nombreuses : le personnage a droit à la fois à un nombre de point dérivé de son score en Education (EDU -10) x 20, de son Intelligence (INTx10) et de son Âge (Âge - (EDU+6)x20. Un Personnage moyen de 50 ans avec 15 en INT et EDU a donc 530 % à répartir dans des compétences mais un Personnage avec les mêmes scores mais 400 ans aurait 7830%, ce qui paraît une latitude assez énorme, 15 fois plus de compétences. L'Âge permet aussi de déterminer combien de "carrières" le personnage a pu avoir et il y a plus de choix que dans beaucoup de jeux : non pas seulement colon, scientifique ou explorateur mais aussi artiste, fanatique ou politicien.
Une des originalités des règles des compétences est qu'il y a tout un sous-système pour déterminer si un projet de recherche scientifique fait une découverte, où le chef de projet doit presque écrire un rapport comme une demande de budget, avec le nombre de chercheurs et la durée de l'étude.
On peut aussi créer des personnages extraterrestres, des Kzins ou des Marionnettistes (comme dans les romans).
Les caractéristiques des Marionnettistes de Pierson sont proches des Humains, avec une INTelligence de 2d6+15. On tire aussi au sort des phobies spécifiques puisque les Marionnettistes qu'on a le droit de jouer sont les spécimens assez fous pour quitter leur monde et tolérer la présence d'autres races. La race a sa propre table de localisation des coups. Chaque partie a un tiers des points de vie généraux, sauf l'avant du corps (35%) et les deux têtes-bras (25%) :
1D20
01-03 patte arrière
04-06 arrière-train
07-09 patte avant droite
10-12 patte avant gauche
13-18 avant du corps (protection +1)
19 "tête" droite
20 "tête" gauche
Après ces règles dans le Livre de l'Explorateur, le guide de la Technologie est une catalogue impressionnant de 36 pages. Il n'y a pas beaucoup de détails sur les Vaisseaux spatiaux puisque le jeu est censé se dérouler sur l'Anneau-Monde que les joueurs vont explorer, pas vraiment dans l'Espace Connu.
Le guide des Créatures (44 pages) a les races extraterrestres de l'Espace Connu, dont les Paks, mais surtout beaucoup des races d'Hominidés et des végétaux pour explorer l'Anneau-Monde. Le Ringworld Companion ajoute de nombreuses autres races, dont les Orques et Baleines.
Le livre du Maître de Jeu (48 pages) a plusieurs essais de John Hewitt sur l'Anneau-Monde, des théories (contradictoires) sur son origine et sa structure - le deuxième roman Les Ingénieurs de l'Anneau-Monde de 1980, sur la question de la stabilité de la structure, sera en partie remis en cause par d'autres romans que Larry Niven n'avait pas encore écrits à l'époque en 1984, Le Trône de l'Anneau-Monde (1996) et Les Enfants de l'Anneau-Monde (2004). Il y a aussi des règles pour les pouvoirs psi et une aventure qui explore une petite région seulement de l'Anneau-Monde. Il n'y a aucune carte générale de la structure, comme elle fait 3 millions de fois la surface de toute la Terre, mais le Ringworld Companion a quand même ajouté un schéma général de certaines zones. Un des mystères de l'Anneau-Monde est d'ailleurs qu'il y a plusieurs cartes 1:1 d'autres planètes sur l'Anneau, dont une région appelée "La Carte de Mars", qui prouve que les créateurs de la structure avaient visité notre système. Curieusement, le jeu n'a pas les caractéristiques des personnages des romans (on les retrouve dans un module du magazine de Chaosium, Different Worlds #37).
Le seul supplément paru, Ringworld Companion (82 pages) a surtout des créatures supplémentaires (dont des Cétacés et de nouveaux Hominidés à découvrir), de très nombreuses et belles cartes mais aussi une campagne co-écrite par Greg Stafford (le fondateur de Chaosium et créateur de Glorantha, dont ce doit être une des rares tentatives de science-fiction). Le supplément est indispensable si on veut jouer dans l'Espace Connu car les règles n'avaient que les distances entre les monde mais sans la carte (qu'on trouve ici p. 46).
En conclusion, Larry Niven's Ringworld RPG est un jeu superbe, une des plus belles créations de Chaosium dans son âge d'or des années 80. Les textes de John Hewitt sont même indispensables pour le fan de Niven, même s'il ne veut pas y jouer. Mais il n'a rien d'un jeu de SF générique. Vous pourriez adapter Other Suns pour plusieurs univers alors que Ringworld est fidèle à son titre et est fait pour se promener sur cette mégastructure grosse comme trois millions de Terre. Il n'y a pas de règle sur le voyage spatial, le combat spatial ou la création des planètes. En un sens, Ringworld devient donc presque un jeu de fantasy avec un monde énorme où on peut s'amuser à mettre un peu n'importe quoi. L'ennui est que les joueurs n'auront pas vraiment le plaisir de la découverte des premiers lecteurs. Il serait donc préférable pour une fois qu'ils n'aient pas lu les oeuvres originales.
3 commentaires:
Excellente description de l'univers et du jeu de rôle !
J'ai lu les romans quand j'étais jeune ado et j'avoue ne pas en avoir gardé un souvenir impérissable : tu m'as donné envie de m'y remette !
"remettre" et pas "remette", désolé pour la coquille !
Le problème du roman (et peut-être souvent de la Hard SF en général) est que Larry Niven crée des arrière-fonds intéressants mais qu'après ce qui s'y passe n'est pas si passionnant. Niven me paraît donc justement adapté pour créer un univers de jeu de rôle : il est plus un world-builder qu'un romancier.
Les personnages de Greg Egan sont très unidimensionnels (et il est aussi préchi-précha que Niven, même si c'est du bord politique opposé) mais au moins il est l'un des rares auteurs de Hard SF qui sait produire des récits avec du suspense et du mystère et pas seulement l'effet du Sublime devant la Grande Mégastructure astronomique.
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