vendredi 17 août 2012

[Comics] Narration non-linéaire


Le problème des comic-books est une contradiction commerciale : il faut un changement continuel (pour ne pas ennuyer les lecteurs) et il faut revenir sans cesse aux mêmes archétypes (pour être compréhensible aux nouveaux lecteurs ou ne pas décevoir les lecteurs qui ne connaissent que ces mêmes archétypes). C'est donc une illusion de changement avec une impression d'éternel retour. Cela ne peut qu'entretenir une frustration où on parle d'une "continuité" qui est faite pour être flexible et paradoxale.

Alan Moore avait proposé une solution pour résoudre cela dans son projet de scénario Twilight of the Superheroes et l'a appliquée dans sa propre série Tom Strong : avoir une vraie progression narrative (avec un début et une vraie fin) mais intégrer des histoires rétroactives qui se situerait à différentes époques. Au lieu d'avoir Spider-Man se marier et ensuite ne jamais avoir été marié, on pourrait avoir des histoires se déroulant à différentes périodes (comme du temps de la série Superboy).

Bien sûr, avec les voyages dans le temps et les éléments nouveaux qu'apporteraient les nouvelles histoires rétroactives, on arriverait à d'autres sortes de problèmes et contradictions. Cela finirait par s'alourdir (comme c'était le cas dans les brèves tentatives d'histoires rétroactives des Classic X-Men).

Mais ce serait moins gênant que ces héros qui meurent et ressuscitent tous les ans et on pourrait à nouveau avoir ce qu'ont perdu complètement les histoires de ce Genre superhéroïque, un sens que quelque chose peut vraiment s'achever ou changer.

(La série parodique Radioactive Man de Bongo Comics utilisait une méthode proche en écrivant des numéros dans le désordre.)

Je me suis abonné au twitter du métaphysicien analytique de de Nottingham Stephen Mumford (spécialiste des propriétés dispositionnelles) mais j'ignorais qu'il vient de proposer une idée semblable dans une lettre à Amazing Spider-Man #658 (avril 2011) avec l'idée d'une "décimalisation" des numéros de comic-books !

There are lots of new stories set in old continuity. Why not let the number system indicate that?

I'd love to read ASM 172.5. You know, the untold story set between Spidey's encounter with Rocket Racer [Sept. 1977] and Molten Man

5 commentaires:

Florian Cova a dit…

C'est une idée intéressante (c'est d'ailleurs un peu ce que font parfois les Picsou aux Etats-Unis). Une limitation évidente, cependant, est de forcer les auteurs à raconter les histoires dans le cadre technologique/politique d'une époque qui risque de ne plus trop parler aux lecteurs, alors que l'on peut faire des choses assez droles en transposant des "vieux" héros dans un cadre plus modernes (ex. l'adaptation récente de Sherlock Holmes en série télé).

Phersv a dit…

Mais il me semble que les comics Disney n'ont que deux périodes, non ? : des flash-backs vers la jeunesse de Picsou (Klondike), ou ses ancêtres de la famille Scrooge, et un éternel présent où rien ne progresse jamais.

Les superhéros au contraire accumulent chaque mois des douzaines de petits changements qui finissent par créer une fausse historicité, avec des événements normalement irréversibles.

Oui, une des raisons pour lesquelles l'idée ne sera jamais adoptée est que les superhéros seront toujours réactualisés pour être "relevant".

Les éditeurs ne peuvent donc pas accepter de faire vieillir leurs héros. Iron Man est vétéran de la Guerre d'Afghanistan, plus du Vietnam, Superman est arrivé il y a environ trente ans, et plus dans les années 1920.

Le principe de Continuité des histoires avait été créé à l'origine pour des raisons commerciales : pour pousser les lecteurs à acheter les autres titres du même éditeur. Mais à présent le principe de Continuité est devenu absurde, en partie pour des raisons commerciales. Les éditeurs sont avant tout des entreprises de copyright de personnages pour les vendre pour des produits dérivés. Ils ne peuvent donc pas accepter la priorité des histoires sur le merchandising.

Florian Cova a dit…

Paradoxalement, c'est peut-être un point sur lequel les adaptations cinématographiques peuvent devenir supérieures aux Comics. Les films peuvent permettre de se dire : on part pour quelques films, on raconte une histoire avec un début et une fin et puis basta - ce qui donne finalement aux films un côté épique et "destin" qui échappe aux comics (ça, et le fait qu'ils sont plus accessibles aux non-initiés). Quoiqu'on pense des Batman de Nolan, ils ont au moins l'avantage d'avoir un début et une fin, avec une évolution entre les deux.

Bien sûr, le problème concomitant est que les séries doivent du coup être rebootés régulièrement pour faire de nouveaux films.

Transposer la solution aux comics reviendrait tout simplement à reprendre régulièrement les héros du début - sans qu'une Crisis vienne justifier le tout. (Mais c'est un peu ce que fait Marvel avec les Ultimate et DC avec les New Earth)

Florian Cova a dit…

Cela dit, je viens de me souvenir où j'ai déjà vu ce procédé : chez Maurice Leblanc ! De "Arsène Lupin" à "813", Leblanc fait suivre à Lupin une certaine évolution. Puis viennent "Le Bouchon de Cristal" et "Les Confidences" qui flashbackent. Suit ensuite l'arc qui va du "Triangle d'Or" à "Les Dents du Tigre", et ensuite tous les romans qui suivent se passent à nouveau avant "813" (jusqu'au dernier, "La Cagliostro se venge").

Ce qu'il est intéressant de noter, c'est que la période "Gentleman Cambrioleur" est assez courte si on regarder les romans jusqu'à 813. C'est pourtant celle qu'explorent ensuite les romans suivants. On a une première série de romans qui développent l'histoire de Lupin (une histoire avec des vrais changements) puis une seconde série qui varie sur le "Lupin Eternel", le gentleman cambrioleur qui séduit une nouvelle femme à chaque épisode, sans continuité.

Il y a aussi des choses du genre chez Sherlock Holmes, mais le personnage de Holmes change très peu.

Phersv a dit…

Il y a beaucoup de "franchises" populaires qui ont choisi aussi des chroniques dans le désordre.

Indiana Jones par exemple avait la série Young Indiana Jones qui utilisait trois acteurs à divers âges de la vie du héros.

Dr Who (pour faire de la publicité sur l'identité personnelle :)) aurait pu être la série parfaite pour cela mais je crois que les paradoxes des rencontres entre les divers Docteurs ne sont pas vraiment censés être très cohérents.