Outremer (285 pages, 2011) par Clash Bowley et Albert Bailey est un jeu de rôle uchronique qui peut rappeler le comic book 1602 de Neil Gaiman (où cette version d'Elizabeth tentait d'obtenir le Saint Graal en Terre Sainte).
On est au début du règne de la Reine Elizabeth Ie à la seconde moitié du XVIe siècle et par des changements depuis le XIIe (victoire de la Deuxième Croisade et ensuite de Richard Coeur de Lion), la Couronne anglaise (qui vient de devenir anglicane) contrôle encore un Royaume d'Acre multi-confessionnel (dans ce continuum, le grand Roi kurde Saladin avait accepté l'offre de Richard d'unir sa famille à la sienne). Les intrigues médiévales se retrouvent donc dans le contexte de la Renaissance et de la Réforme.
Bien entendu, la Magie existe et les Mille et Une Nuits ont l'air d'avoir été à peu près authentiques, ce qui implique que le Royaume (protestant) d'Acre est plein de royaumes de Djinns cachés (et certains individus ont même du sang de Djinn ou de Nephilim).
Les PJ sont censés être des agents de John Dee et des Services secrets magiques de Sa Majesté (ou d'un cercle plus restreint mais qui peut aussi être engagé par ces Services secrets). Et dans cette version, ces Agents peuvent être aussi bien des Cabbalistes juifs, des Derviches soufis ou alévis, des Ordres de chevaliers protestants ou des Croisés qui peuvent avoir des intérêts communs pour défendre Acre contre des Assassins chiites de l'Emirat de Homs ou des agents d'autres Royaumes des environs (et notamment l'Empire ottoman de Soliman le Magnifique qui est en plein essor au nord, même si on est très loin de l'extension réelle des Turcs - l'Egypte notamment est restée sous le contrôle des Chiites et il y a toujours un Califat à Bagdad).
Le jeu fait beaucoup d'efforts pour que toutes les religions de la région semblent être des fragments non-contradictoires de la vérité et pour éviter l'accusation d'un simple choc confessionnel. La Magie cabbalistique (qui est ici aussi multiconfessionnelle pour les trois religions du Livre) utilise notamment des Anges (ou crée des Golems), mais ces Anges ne tranchent pas les disputes entre Juifs, Catholiques, Orthodoxes, Calvinistes, Anglicans, Sunnites et Chiites.
Le thème peut étonner : si on a envie de jouer une uchronie sur les Croisades, on s'attendrait à y jouer pendant les Croisades du XIIe-XIIIe (comme dans Miles Christi), pas au XVIe. Les auteurs font remarquer qu'ils ont fait le choix de ne pas faire trop intervenir la Magie dans la chronologie du cadre pour qu'elle puisse éventuellement être retirée (les déviations se veulent donc assez "réalistes"). Une qualité de la distance de trois ou quatre siècles est justement de tenter d'éviter l'écueil du simple fantasme croisé de Reconquista. La forme de Colonisation qui est décrite est moins violente que celle qui a lieu dans le Nouveau Monde. Les conflits sont nombreux mais finalement plus politiques que purement religieux.
Même si on n'a pas envie de jouer dans cette uchronie, la description du système magique fait des efforts pour évoquer les représentations réelles sur les magies de cette période. C'est un des meilleurs exemples de Cabbale que j'ai vus depuis Chivalry & Sorcery (la version d'Ars Magica était meilleure mais exclusivement juive, celle de Nephilim était plus riche mais un peu éloignée de sources historiques reconnaissables alors que celle-ci utilise aussi un hermétisme plus syncrétique pour permettre aussi la Cabbale de John Dee).
Enfin, un détail que j'aime bien est le générateur de scénario p. 130-148. Tirons un exemple de combinaison Rumeur - Lieu - Organisateur - Récompense - PNJ :
"Un Dirigeant des Djinns demande notre aide dans l'Emirat d'Aqaba (au sud de Jerusalem/Al-Qods, c'est un complot organisé par le Calife de Bagdad). La récompense est de Niveau 8. Ils rencontreront un(e) PNJ plein d'amertume en une mission religieuse et qui cherche des informations politiques."
Il y a quelques défauts. Pas de table des matières ou d'Index, ce qui est très bizarre pour un jeu qui a l'air par ailleurs si bien édité. L'organisation est donc un peu frustrante. Je n'ai trouvé le système de jeu qu'à la page 100, dans le chapitre sur les Compétences. Le jeu est plus proche du simulationnisme des jeux dits de "Seconde Génération" mais le système a une base simple : Caractéristiques + Compétences et on doit faire moins sur un d20 (sachant que les caractéristiques sont sur une échelle plutôt 2-14). Un autre défaut est que je regrette le manque de descriptifs de personnages non-joueurs, notamment des dirigeants (les descriptions de chaque territoire sont assez abstraites).
Mais si vous ignoriez que vous aviez envie de jouer un Francis Drake sur un tapis volant ou un Walter Raleigh en armure de croisé, quel autre jeu vous conviendrait ?
6 commentaires:
Si on peut jouer un Alévi, je suis partant !
Goodtime
Oui, et la description en fait un des groupes importants (p. 128), avec divers Soufis. Dans l'uchronie, on les trouve surtout dans les populations kurdes et turcs de la Principauté d'Edesse, un Etat qui est contrôlé par des Angevins depuis Aliénor d'Aquitaine et qui parle donc un mélange de turc et de dialecte français. Les Angevins de l'uchronie ont mené une politique pro-Alévi (et pro-Druze) pour diviser ses adversaires sunnites (Alep) et chiite (Homs).
J'avais oublié de commenter : ce générateur de scénarios me rappelle fortement le célèbre Giannirateur... Si le jeu n'avait pas été antérieur d'un an, je me serais demandé s'il ne s'en était pas inspiré.
Non, je ne connaissais pas ce jeu...
Oh, mais c'est lui dont je pensais qu'il aurait pu copier ! ;-)
This is an excellent review. Thank you! I'm reading this courtesy of Google Translate, so some of the subtleties are missed. I've very glad you enjoyed it! :D
-clash
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