Magi est un manga fantastique créé en 2009-2016 par l'autrice japonaise Shinobu Ohtaka (Ōtaka Shinobu, née en 1983). Il s'agit simplement à première vue de créer une histoire qui réunirait les personnages les plus célèbres des Mille et Une Nuits, même si l'univers qui est créé par cette réunion est en réalité très différent non seulement du nôtre mais même des récits originaires des contes. Le mélange d'érudition sur le Moyen Orient est parfois très créatif.
Superficiellement, il s'agit de l'amitié entre Sinbad le Marin, Aladin, Ali Baba et Morgiane (un personnage secondaire d'esclave rusée dans le conte d'Ali Baba). Mais on découvre en même temps le contexte et des versions assez différentes qui jouent sur les clins d'oeil et les références.
Djinns & Donjons
Dans cet univers d'allure médiéval, des douzaines de grandes tours effilées et portails sont apparues à travers le monde en sortant en apparence des profondeurs du sol, les "Donjons" ou "Labyrinthes". Chacun de ces Donjons est la prison ou le sanctuaire non seulement de trésors mais surtout d'un Djinn.
Toutes les factions du monde se disputent pour conquérir les Donjons pour pouvoir prendre le contrôle d'un des Djinns, qui fournissent une Arme de Destruction Massive, et des armées entières échouent parfois à sortir du Donjon, là où des héros isolés semblent plus chanceux. L'équivalent de l'Empire byzantin et de l'Empire perse par exemple sont en guerre depuis des années autour d'un de ces Donjons (qui sera finalement pillé par Sinbad).
Le secret théologique est plus "gnostique" que musulman ou zoroastrien, voire plus "lovecraftien".
L'univers archétypal antérieur (3ālam Ṭurran) avait un sage et archimage nommé Salomon qui se révolta contre l'ordre théocratique de son père le Roi-Patriarche David-Abraham car la Divinité "monothéiste" (et source de magie) Ill ʾIlāh avait été corrompu, était "déchu" et transformé en une sorte de Grand Ancien oppressant et azathothoïde (j'ai vraiment l'impression que Shinobu Ohtaka a absorbé beaucoup de clichés de jeux de rôle).
La morale est donc l'inverse des Mille et Une Nuits (voir l'analyse de la Cité d'Airain): le sage Salomon lutte ici contre le créateur de l'univers devenu tyrannique et ses Djinns sont donc bien des rebelles contre la Divinité devenue monstrueuse. [Je simplifie la mythologie qui comprend aussi des Dragons Cosmogoniques et l'Oeuf qui a donné naissance au "rocs", l'essence magique.]
Or tout Roi légitime doit être choisi par un Mage, c'est une sorte de Loi de distribution des fonctions (peut-être plus à cause des clichés sur les Vizirs que pour reprendre la relation Arthur-Merlin).
L'univers de 3ālam Ṭurran fut remplacé et le nouvel univers recréé abrite maintenant les 72 anciens serviteurs de Salomon, les "Djinns" (chaque Djinn a le nom d'un des Démons dans le "Sceau de Salomon"). Un peu comme dans le jeu Nephilim, les Djinns sont en réalité des esprits d'êtres inhumains de cet autre univers.
Les "Magi" ne sont pas n'importe quels magiciens. Ce sont ceux qui peuvent faire "pousser" les Donjons qui sont en fait des structures multidimensionnelles traversant ce nouveau monde depuis l'univers originel. Ce sont ces quelques Mages qui créent les portes des Donjons mais ce ne sont pas eux qui les conquièrent. Les Labyrinthe doivent servir à sélectionner de nouveaux Rois dignes de régner, comme Sinbad le Marin et Alibaba le Chercheur de Trésors.
Les Héros et les factions
Sinbad au début de la série est déjà un héros légendaire et presque retraité (il a d'ailleurs eu droit à sa propre série dérivée racontant ses aventures avant ce début). Même sans être un Mage, il possède certains pouvoirs étranges en tant que "Le Navigateur sur la Mer du Destin". Il a été le premier mortel à conquérir des Donjons et donc à ouvrir la voie vers leur exploration. Il a donc le nombre impressionnant de Sept Djinns (Baal, Crocell, Focalor, Furfur, Valefor, Vepar, Zepar) qui le servent (ce qui semble être un record en dehors de la Dynastie impériale chinoise qui doit en avoir plus au total). Il a fondé son propre Royaume, le Sindoria (même s'il a trop la bougeotte pour régner régulièrement dans sa capitale) et une confédération nommée l'Alliance des Sept Mers. Il a aussi avec lui plusieurs assistants comme Masrur l'Assassin (qui a le même nom que ce personnage des Mille et Une Nuits).
Aladin n'est pas ici un enfant trouvant par hasard une lampe mais (à son insu) un de ces Mages qui a été élevé dans un Donjon par un Djinn nommé Ugo (oui, à cause du poème de Hugo Les Djinns dans la Légende des Siècles... Mme Ohtaka m'impressionne souvent par l'exotisme de ses références). Il a mis Ugo dans sa flute et possède en plus un Turban-Tapis volant. Sa vraie identité et ses origines sont un mystère mais il semble avoir grandi dans un Donjon, élevé par Ugo.
Ali Baba est en fait l'héritier de Bagdad (fils reconnu tardivement de l'ancien Calife défunt Rachid) mais abandonné à lui-même, il survit comme chasseur de trésors avant de se trouver aussi un Djinn nommé Ammon, avec l'aide du jeune Aladin. Son ancien ami des taudis Qassim est un brigand chef du Gang magique des Brumes qui incite à la révolution contre les dirigeants de Bagdad.
Morgiane est une ancienne esclave (libérée par Aladin) qui vient d'un peuple de Mages-Assassins de l'antique Carthage (comme Masrur, l'Assassin de Sinbad, plus haut). Elle a des superpouvoirs physiques mais reste traumatisée par son enfance de servitude. (Dommage, il n'y a pas Zumurrud l'Emeraude de Samarcande, qui est pourtant un personnage encore plus actif et malin que Morgiane).
Sheherazade est peut-être la plus changée par rapport à la Conteuse persane. Elle est ici la Grande Prêtresse immortelle de l'Empire romain et c'est elle qui choisit les Césars. Elle est en lutte non seulement contre l'Empire perse mais surtout contre la Cité des Mages.
La Cité des Mages (Magnostadt / Mustasim) est un despotisme de Mages autour de l'ancien chef de leur école, Mogamet. La Cité persécutait les Mages avant un coup d'Etat et à présent ils se sont vengés en fondant une magiocratie qui oppresse les non-Mages et ne veulent pas passer par un intermédiaire de la Fonction Royale. Le fait que la Cité ait un nom germanique et qu'ils appellent les non-Mages "goys" rappelle qu'Ohtaka a tendance à déplacer beaucoup d'éléments sur l'Islam vers le judaïsme et on peut se demander si ce n'est pas une forme d'allégorie bizarre sur le Proche-Orient (et non pas seulement une réminiscence du conte anti-zoroastrien).
L'équivalent de la Chine joue un rôle central en dehors de Rome, la Perse et l'Alliance des Sept Mers (Ohtaka semble avoir ignoré qu'Aladin était censé être chinois dans certaines versions). L'Empire de Kou a déjà conquis plusieurs Djinns (chaque Prince et Princesse de la Dynastie a le sien) mais l'Impératrice dirige une société secrète de Mages qui suivent le Grand Ancien Ill ʾIlāh de l'Univers originel du Mage Salomon (même si les choses sont loin d'être aussi manichéennes que cela).
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