mardi 16 juin 2020

Récits & Remontada


(si on m'avait dit que ce blog aurait un jour un titre sorti du vocabulaire balle-au-pied ! La remontada, c'est le titre vallsien de l'épisode 6 de la saison 2 du Baron Noir)

Je regarde après environ une centaine d'années de retard le Baron noir, la série sur le député-maire PS de Dunkerque. La saison 1 sortie avant la victoire de Macron, en 2016, enregistrait la défaite totale de François Hollande avec son personnage de Président socialiste Francis Laugier (Niels Arestrup) qui échouait complètement à faire sa nouvelle donne européenne et à renégocier les Traités en s'empêtrant dans les scandales personnels plus dignes d'un François Fillon. La saison 2 me semble encore meilleure dans ses dialogues comme si les scénaristes ne se sentaient plus obligés de réduire les sous-entendus de plus en plus allusifs (notamment les anecdotes historiques qui semblent exiger une assez bonne culture générale). Amélie Dorandeu (Anna Mouglalis) a une hésitation peu claire entre une alliance tactique avec France Insoumise et un coming-out macronien. Toujours pas vu la saison 3 de l'année dernière mais j'imagine qu'ils doivent rêver d'autres Gilets Jaunes fictifs.

Je n'arrive pas toujours à trouver le personnage central de Philippe Rickwaert (Kad Merad) très crédible dans son génie politique (il se trompe assez rarement même s'il tombe dans des pièges). On a beaucoup dit que le modèle était Julien Dray pour le cynisme ou l'arrivisme (parce que le créateur, Eric Benzekri l'avait fréquenté) mais je n'ai jamais remarqué un tel don chez Dray (et Rickwaert, malgré son machiavélisme, résiste mieux à l'enrichissement personnel). Je trouve que les discours de Rickwaert sont souvent trop ratés dans leur manière trop visible d'afficher du sentimental sans souffle épique. Rickwaert a l'air sincère dans son projet à long terme d'une politique de gauche mais il se perd dans le ressassement de son ressentiment et son hubris mégalomane (l'anecdote du premier épisode où il a crevé le pneu de Laugier pour être sûr de le raccompagner d'un Congrès socialiste en dit long sur sa forme de folie).

Dorandeu aussi a l'air de se soucier vraiment d'un projet et d'une cohérence mais finalement sa motivation demeure mystérieuse puisqu'elle ne sert au début qu'à incarner un désir manipulé par Rickwaert ("il nous faut un Charles VII, pas une Jeanne d'Arc").

Ce qui est bizarre dans notre époque qui ne parle que de storytelling (cf. le théoricien de la communication Walter Fisher ou l'anthropologue Michael Jackson) est qu'une série politique ne peut que réduire la politique à un enchaînement de constructions narratives par un biais inévitable. Le récit sur l'organisation politique devient organisation de récits. Dans cet épisode 2 x 6, Michel Vidal (François Morel, qui est quasiment exactement Jean-Luc Mélenchon, y compris dans une certaine ambition théorique) critique son alliée Aurore Dupraz (Constance Dollé, qui peut évoquer Clémentine Autain avec un peu plus de Marie-Noëlle Lienemann si cette dernière avait eu plus de poids au PS et si elle l'avait finalement quitté) pour avoir bousculé "l'ordre des séquences" (il ne fallait pas parler de laïcité puisqu'on était dans la séquence sur le Contrat de Travail Unique). Si ça se trouve, les politiques doivent parler maintenant ainsi à la manière de leurs commentateurs éditorialistes et sondeurs, et à la manière des scénaristes de séries, et c'est peut-être même nécessaire ou légitime dans l'art politique de la communication.

La série me semble clairement avoir choisi un axe étonamment pro-Manuel Valls (ou Malik Boutih, disons). Cyril Balsan (Hugo Becker) est plus la projection des fantasmes d'Eric Benzekri en séduisant Normalien écuyer de Rickwaert qui devient un député du style Printemps Républicain, avec un peu de Gilles Clavreul par exemple (ah, l'allusion à l'entre-soi de l'Ecole alsacienne dans cet épisode 2 x 6, qui est co-écrit par Thomas Finkielkraut, qui semble reprendre de nombreuses marottes de l'émission Répliques sur l'intégration et la crise de l'Ecole républicaine). Balsan est certes plein de complexes oedipiens dans sa filiation avec Rickwaert, dans son mélange de fidélité admirative et de désillusion amoureuse. (Ces seconds rôles qui gravitent autour de Rickwaert sont d'ailleurs une grande réussite de la série, comme Véronique Bosso (Astrid Whettnall), Daniel Kahlenberg (Philippe Résimont) ou un de mes favoris le secrétaire de l'Elysée Martin Borde (Scali Delpeyrat) qui réussit à rendre l'appareil d'Etat assez sympathique.

Mais le thème du récit revient toujours au personnel, au Privé, tout comme dans Borgen. Dorandeu n'a aucune famille, elle est même une sorte d'OVNI qui pourrait vivre en politique sans fief (elle est catapultée chef du PS sans être élue et avant Macron cela aurait paru absurde) et sans aucune attache personnelle, mais tous les personnages deviennent des ex transis de Philippe Rickwaert.

La relation entre Dorandeu et son Premier Ministre Stéphane Thorigny (Pascal Elblé, une sorte de François Bayrou plus charismatique et plus "macronisé" en start-up nation) est surdéterminée par la rivalité amoureuse, ce qui n'est pas toujours de très bon goût.

Toute notre politique française ne peut pas entièrement se remettre de cette place du récit privé, depuis la Fille secrète de Mitterrand ou les infidélités en série de Sarkozy et Hollande (Dorandeu étant une Ségolène Royal qui aurait pu s'affranchir complètement de Hollande pour convoler avec Bayrou comme elle avait espéré le faire en 2007).

Le risque permanent est que le récit sur la politique consiste à dire que les individus ne s'inventent des méta-récits (La Gauche pour Rickwaert, La Modernisation pour Dorandeu & Thorigny) que pour dissimuler leurs histoires personnelles (par exemple ici, le ressentiment social de Philippe Rickwaert en fils d'ouvrier mineur). Il n'y aurait que des individus avec leur petit tas de secret : la série télé pousse donc à réduire le collectif à de l'adhésion au désir dominant de l'Autorité charismatique. Il n'y a plus que séduction privée, trahisons et coups, Richard III sans aucune possibilité d'un Henri V, les corps privés qui se drapent dans une pourpre illusoire, un faux corps du Roi.

L'histoire personnelle de Macron, le Père-Fils sans enfant, le Gendre Idéal à la tête de Jean-Jacques Servan-Schreiber et à l'inconscient de François Fillon, lui servait en partie à tenter de calmer ces inquiétudes sur les drames privés, à se donner ce côté lisse où la seule révolte aurait été celle d'un jeune Julien Sorel. Mais ce déni de la Vie Privée ne marche pas puisqu'on finira bien par reparler des questions de sources de financement et qu'on parle même parfois (peut-être de manière très démesurée) de sa belle-fille, T. Auzière comme un conflit d'intérêt potentiel avec la CFDT.

La Politique macronienne est un bon Miroir inversé de cette série du Baron noir (de même que West Wing rêvait un Président de gauche sous George W. Bush, le propre de la série TV est de devoir fonctionner à contre-temps). On ne sort plus de la dramatisation de l'Intime, on ne fait donc que le scénariser selon les "séquences", à le rendre plus ou moins spectaculaire selon les épisodes. Et c'est aussi vrai du Baron noir.

2 commentaires:

P/Z a dit…

Connaissez vous cette excellente série ?
https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-le-feuilleton/57-rue-de-varenne-de-francois-perache-saison-1

Phersv a dit…

Merci !
Non, je ne connaissais pas et je n'ai pas l'habitude des feuilletons radio mais en effet, c'est pas mal du tout dans le genre de politique fiction.