Automne 1980 : cela paraît donc à peu près en même temps que Dragon n°42, White Dwarf n°21 et en France Casus Belli (vol. 1) n°2
48 pages
La couverture est par Rick Becker (qui avait déjà fait celle du n°6).
Il y a beaucoup de publicité pour The Compleat Strategist, la boutique de New York (qui existe toujours au même endroit 40 ans après, au 11 de la 33e Rue, juste à côté de l'Empire State Building). Ils n'ont plus leur branche du New Jersey et de Floride mais ils en ont d'autres (à Boston par exemple). Ce doit être une des plus vieilles boutiques de jeu de rôle d'Amérique, j'imagine ? J'y suis allé quelques fois tout à la fin du XXe siècle et c'était une boutique très attachante, assez mal rangée et pas si énorme (pas plus grande que notre Jeux Descartes, mais avec des gammes extrêmement hétéroclites, comprenant parfois des vieilleries au prix original...).
Les autres publicités comprennent (en dehors de beaucoup de jeux par courrier) les figurines Ral Partha, une autre compagnie, DragonTooth, Judge Guild, GDW et le jeu de rôle Adventures in Fantasy de Dave Anderson et R. Snider.
"Better Gamemastering: You Gotta Be Fiendish" by Larry DiTillio
Le célèbre futur auteur des Masques de Nyarlatothep (1984), mort l'an dernier, donne 6 règles qu'il applique à son style de Maître de Jeu, mais elles sont parfois marquées par le style antagoniste des Donjons des années 70 où il s'agirait de trouver des stratégies pour faire perdre les joueurs :
(1) Pensez à la totalité du scénario avant de construire des rencontres additionnées, ce qui permettra de varier aussi ces rencontres (il dit être parti d'une aventure en convention parce que ce n'était qu'une succession de combats)
(2) Pensez à compliquer les pièges simples ou habituels.
(3) Retardez les effets de certaines rencontres pour plus tard.
(4) Le MJ doit toujours avoir ses propres copies des fiches de PJ pour pouvoir faire les jets sans le demander aux joueurs.
(5) Ne pas trop bavarder et donner trop d'indices que les PJ ne pourraient pas avoir immédiatement
(6) Toujours limiter les pouvoirs qu'on peut donner aux PJ ou ils en abuseront.
On le voit, les règles vont de l'assez évident au trop général. Je retiens quand même l'exemple de la 3e règle : par exemple, lors d'un empoisonnement, ne pas le dire sur le coup et laisser les joueurs interpréter d'où a pu venir l'empoisonnement beaucoup plus tard quand les effets commencent à se faire sentir.
"Traveller Variant: Traveller Mutations" Iain Delaney
Une table avec 6x6 possibilités qui ne donnent que des mutations positives très inégales, soit de petits bonus aux caractéristiques, soit des pouvoirs Psi, soit des effets semblables aux Drogues de Traveller. Bof, sans doute trop comic book à la Gamma World pour l'atmosphère de Traveller (mais on peut aussi dire cela pour les règles de Psi en général).
"Beginning Scenario: Dungeon of Pelius Mright - An Adventure for Novices" Ken Rolston
Ken Rolston peut être un excellent auteur (il co-écrira plus tard notamment de nombreux scénarios pour RuneQuest) mais ici il s'agit d'un petit Donjon très linéaire de six salles pour joueurs débutants avec les règles d'AD&D. Une qualité est que cela semble plus fait pour attirer les joueurs vers le jeu de rôle que comme un scénario standard.
Les 4 PJ (Felindor le Mage elfe, Hrawngred le Nain Puant, Maius Morefriend le Clerc, Marigold Bleuss la Voleuse), qui ont tous accès à un objet magique d'emblée, ce qui peut les personnaliser un peu, doivent rapporter les Heaumes de Cristal Rouge (Heaumes de Perception extrasensorielle, nombre non précisé ??) gardés par le sorcier Peleus Mright (niveau non précisé, il a dix sortilèges) et non seulement le Donjon n'a pas de bifurcation mais ils ont le Plan dès le début. Il donne des conseils de bon sens (donner des fiches où tout est explicite pour les débutants sans devoir recourir aux règles). C'est assez frappant à quel point les contributeurs de Different Worlds considèrent tous D&D comme la Lingua Franca par défaut des jeux de rôle. Je connais très mal AD&D mais les caractéristiques des pré-tirés (Niveau 2) me semblent avoir beaucoup de points de vie - mais Rolston a raison, les PJ de D&D n'ont pas assez de points de vie. On remarquera qu'en un sens, le scénario contredit déjà quelques conseils donnés par Larry DiTillio juste avant : toutes les salles n'ont que du combat ou des pièges sans aucune possibilité de négocier.
Il réécrira dans Different Worlds 15, 16, 18, 25, 27, 29, 30, 31, 32, 33.
"Miniatures: Fantasy Gaming and Scale" John McEwan
L'histoire des échelles de figurines. Les wargames historiques utilisaient plutôt du 15 mm mais les wargames fantastiques semblent plus aller vers le 25 mm pour avoir plus de détails. Le 28 mm et le 30 mm ont disparu.
"Analysis: The Usefulness of FRP Games" Steven Horst (p. 20-22)
Un retour aux articles de Théorie sur le jeu de rôle après l'article de Pulsipher dans le n°8. Celui-ci est moins connu que celui de Blacow dans le même numéro par la suite alors je vais le développer davantage.
Selon l'auteur, le fait qu'on puisse vouloir continuer à jouer au jeu de rôle fantastique à l'âge adulte vient du fait que cela exerce aussi (parfois) notre entendement et pas seulement le divertissement de l'imagination.
Il traitera deux thèmes qui peuvent être "stimulants" pour l'esprit : le personnage (du côté du joueur) ou le monde (du côté du maître de jeu).
Sur le premier point, il commence par distinguer deux théories sur le jeu du personnage :
simple projection de la personnalité du joueur (le personnage n'est qu'une émanation du joueur)
ou bien prise en charge d'un rôle (role-assumption, où le joueur tente de suivre fidèlement des traits psychologiques de son personnage qui ont été préalablement établis), mais ce dernier ne présuppose pas que ces traits ne peuvent pas changer : cela peut se faire soit de manière non-dirigée (à cause de circonstances ou événements que le joueur ne contrôle pas) ou de manière dirigée (parce que le joueur veut jouer l'évolution de la personnalité de son personnage).
Dans les caractéristiques du monde, il distingue quatre types selon le degré d'irréalisme :
(1) mondes "terre à terre" (mundane, il cite C&S, ce qui peut se discuter),
(2) mondes "fantastiques" (mais cohérents, il cite Middle-Earth)
(3) grands mélanges hétéroclites qui ne sont pas faits pour être cohérents, à la D&D
(4) mondes intentionnellement absurdistes (Lewis Carroll).
Il dit que tous ces styles ont leurs avantages et défauts mais qu'il vaut mieux ne pas dériver d'un type à l'autre. Mais il devient plus normatif en disant qu'il faut que les cultures ne soient pas trop dérivées des cultures humaines reconnaissables (pourquoi ?) et ne pas trop violer les lois de la nature (dans un jeu fantastique avec de la magie ?). Il ne semble pas se rendre compte de ses présupposés de goût pour la Hard Fantasy. Il dit qu'il faudra avoir un point de vue unificateur sur la religion (ce qu'il appelle un "holisme sur le surnaturel") et il n'a pas dû apprécier la manière dont Glorantha par exemple a toujours défendu ce Pluralisme qui semble contradictoire.
La fin résume assez clairement que sa préférence va vers la théorie du jeu de "prise en charge d'un rôle" mélangée avec des prémisses d'un "monde fantastique-mais-cohérent", qui lui semble offrir le plus d'explorations d'autres possibilités, tout comme dans la littérature spéculative. Il cite comme exemples de variations la géographie d'ensemble du monde ou des lois physiques.
It is my belief that the value of the fantastic world lies in the creative and thought-provoking differences between it and the real world of the player. (...) The object of the GM, then, is to create a world that is different from the real world in selective manners, the point of which is to give rise to introspection on the point of the players.
Players, on the other hand, can profit from experimenting with different theories of play, especially playing a role-assuming game with characters having personalities and situations very different from their own.
L'auteur a le même nom qu'un philosophe (et théologien épiscopalien), Steven W. Horst (né en 1960, et qui faisait ses études à Boston à ce moment-là). Je crois assez vraisemblable qu'il s'agisse de la même personne tant l'auteur de 1980 semble avoir un lexique de philosophe et comme il apparaît dans le courrier des lecteurs plus bas avec l'adresse à Boston. Horst est l'auteur récemment de Cognitive Pluralism (MIT, 2016). Il y défend la thèse que l'esprit ne fonctionne pas avec des concepts bien définis comme des conditions nécessaires et suffisantes et qui s'organiseraient en des propositions mais plutôt comme différentes capacités associées à des domaines distincts et qui constituer des "modèles mentaux" qui peuvent avoir des modes d'inférence distincts. Il serait fascinant de se demander s'il y a un rapport entre sa critique philosophique des modèles mentaux et sa pratique du jeu de rôle fantastique comme explorations de modèles quand il avait 20 ans.
(En passant, quand Steven Horst ironise sur le peu de valeur intrinsèque d'un petit jeu d'adresse pour enfants tiddlywinks ("jeu de puces"), c'est sans doute une allusion à un texte célèbre de Jeremy Bentham qui avait le sens inverse, de relativisation totale qui écrivait dans The Rationale of Reward (1830) : "Si on écarte le préjugé, le jeu de push-pin a autant de valeur que les arts ou les sciences de la musique et de la poésie".)
"RQ Variant: Another look at RuneQuest movement" Morgan O. Woodward III (1952-2020)
Il veut mieux distinguer la Dextérité (qui détermine le Rang d'Attaque) et la Capacité de Mouvement à chaque tour. Par coïncidence, je viens de voir en googlant que l'auteur (qui avait aussi écrit dans le n°7 sur le calendrier gloranthien) vient de mourir en mars dernier et que sa nécrologie comprenait le fait qu'il avait été un "bon Maître de jeu".
"Gems & Gaming - Part One: Gem Types & Values" Kathryn E. Shapero
Une énorme table de génération (au d1000) sur les différentes sortes de Gemmes avec leur prix par carat. Qui sait, cela pourrait servir dans un univers très particulier où de tels détails pour Geeks minéralogistes ou joailliers pourraient compter ? Mais certains de ces noms scientifiques modernes ne marchent sans doute pas bien pour un jeu fantastique.
Je présume qu'elle était la femme de Niall Shapero, le rédacteur de Lords of Chaos, qui mentionnait sa femme joueuse dans le n°1.
"Metal Marvels" John Sapienza
5 pages sur des figurines Grenadier et DragonTooth, qui ressemblent un peu à un "publi-reportage" comme ce sont aussi des sponsors payants du magazine.
"Role-Playing Style: Aspects of Adventure Gaming" Glenn F. Blacow
Très célèbre article (peut-être le plus célèbre de tout le magazine !) qu'on peut trouver en VO sur le site de JH Kim et en VF sur PTGPTB. J'en ai déjà parlé dans cet article sur les typologies et aussi sur le n°1. Comme l'écrit Kim :
Par ailleurs, trois articles en lien avec celui-ci furent publiés dans des numéros ultérieurs de Different Worlds : The Fourfold Way of FRP [Le modèle à quatre volets du jeu d’aventure] par Jeffrey Johnson (DW n°11, pp. 18-19), Personalities of Role-Playing Gamers [Les personnalités des joueurs de jeu de rôle] par Lewis Pulsipher (DW n°11, p. 42) et Profiles from the Four-Fold Way [Profils issus du modèle à quatre volets] par Greg Costikyan (DW n°37, pp. 22-23).
Glenn Blacow est considéré comme le premier à avoir distingué ces quatre styles de manières de jouer au jeu de rôle, qu'on peut comparer avec notre modèle triple dominant actuellement : Powergaming (une forme du ludiste - je ne suis pas entièrement d'accord avec la traduction française de "Grosbillisme", qui insiste plus sur l'élément péjoratif de tricherie), Roleplaying (simulationniste-narrativiste), Wargaming (simulationniste-ludiste), Story-telling (narrativisme pur).
Pour Blacow, la typologie devait servir aussi à relativiser les attentes. On ne peut pas satisfaire tous les types et il faut donc connaître ses joueurs (Aaron Allston reprendra cela de manière intéressante en l'adaptant au jeu de superhéros pour Champions). C'est un cas où ce n'est pas de la simple théorie pure mais cela peut aussi avoir un intérêt pratique dans l'art du Maître de jeu pour catégoriser les attentes de ses joueurs.
"Scenario Review: Dimension Six' The Temple To Athena" Anders Swenson
Au moins Costikyan ne pourra pas (comme dans d'autres numéros) reprocher à cette review de mâcher ses mots ou d'être trop indulgente. Swenson dit que le scénario est nul. Mais pourquoi lui donner une page alors ? (Dragon 46 a l'air plus positif)
On annonce aussi brièvement la publication de Land of the Rising Sun et de Space Opera. DW n'a pas encore les longues pages de reviews.
Different Views
Steve Horst (de Boston) dit que Different Worlds devrait se concentrer sur la philosophie du jeu de rôle et pas sur des variantes de D&D. Je crois qu'on a confirmation qu'il s'agit bien du philosophe qui enseigne à Wesleyan et publie sur le non-réductionisme et le libre arbitre.
Lewis Pulsipher défend une nouvelle fois l'utilité du système d'Alignement. (à nouveau contre Dunham dans le n°8).
Ken Rolston ajoute à l'article de Pulsipher dans le n°8 l'opposition "High Entropy" / "Low Entropy" qui résumerait selon lui beaucoup des oppositions dans l'article.
Ken St Andre est furieux que Pulsipher ait classé T&T dans les jeux plutôt "rigolos" (silly).
Un correspondant relève des erreurs factuelles dans la review d'Arneson de Hearts of Oak.
"Letter From Gigi: Gossip" Gigi D'Arn
Elle pense que le scandale sur la mort d'Egbert (qui va déclencher la Panique anti-D&D) va disparaître comme on aurait la preuve de sa fragilité.
Elle accuse Divine Right! d'avoir imité la carte de la Terre du Milieu.
Steve Jackson a créé sa compagnie.
SPI espère rester à flot grâce à son jeu de rôle si particulier Dallas.
Greg Costikyan espère toujours publier son jeu High Fantasy sous un nouveau titre chez Avalon Hill. C'est moi ou elle parle de lui à chaque numéro ?
Résumé :
Comme je suis professeur de philosophie, l'article de Steve Horst m'a plu même si cela peut demeurer une projection de préférences esthétiques discutables quand il veut hiérarchiser des styles de jeu (tout comme le faisait aussi Pulsipher dans l'article du n°8) et que l'introduction où il s'agit de "justifier" l'intérêt du jeu de rôle paraît une précaution inutile. L'article de Blacow défend au contraire un éclectisme et un relativisme peut-être plus propice à attirer de nouveaux joueurs.
DW m'étonne toujours parce qu'il ne sait pas très bien quel magazine il voudrait être.
Ce n'est pas le magazine maison de Chaosium et Runequest n'y dévore pas vraiment la place, il y a très peu de matériel gloranthien pour l'instant (cela va venir mais ce ne sera jamais Wyrms Footnotes. Il y a une ambition théorique et en même temps une sorte d'évangélisme du jeu de rôle : il est clairement dit dans l'article de Rolston et de Blacow que le but est de convertir de nouveaux joueurs.
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