jeudi 15 octobre 2020

The 'mystique' of Socialism is the idea of equality


Longtemps j'ai voulu résister à Orwell. Je trouvais son ton donneur de leçon et toujours un peu hautain. Seul lui était honnête et écrivait clairement. Tous les autres étaient des menteurs et des hypocrites vains. Il a inventé la Novlangue qui détruit le langage en partie parce qu'il était un Critique qui ne supportait plus tous les jargons des semi-éduqués. Mais "certains sont plus égaux que les autres" m'apparaissait alors comme une parabole un peu lourde et didactique et pas comme une satire si radicale. Le concept de "common decency" me paraissait le plus suspect et superficiel des tours de passe-passe des néo-réacs comme Michéa qui appelait Orwell "anarchiste tory" (expression qu'Orwell ne s'est jamais appliqué à lui-même et qu'il n'a utilisé que pour parler de Swift) - alors que Michéa cherche aussi à vendre sous ce terme populiste ses propres obsessions masculinistes contre certains des aspects égalitaires du "libéralisme" politique. 

Et pendant très longtemps, j'avais une arme secrète contre Orwell, une petite anecdote que j'avais plus ou moins bien retenue. C'était vers 2004-2005, je crois et j'ai dû en parler à l'époque sur un ancien blog aujourd'hui effacé. J'avais lu un article ironique qui se moquait de lui et racontait qu'il avait un jour invité un ouvrier ou un syndicaliste pour qui il avait un certain respect mais qu'ensuite il avait été horrifié en voyant que l'ouvrier était venu sans cravate

Je ne sais pas pourquoi cette histoire de cravate m'avait frappé pendant tant d'années. Je me racontais souvent cela comme la preuve ultime que Blair ne pouvait être lui-même qu'un hypocrite vaniteux et aliéné à sa conscience de classe de la moyenne ou haute bourgeoisie en tant qu'ancien élève d'Eton. 

J'ai très souvent passé beaucoup trop d'heures pour retrouver cette anecdote (peut-être parce que la perte de mes anciens blogs me fait toujours craindre de perdre mon identité) et aujourd'hui après 15 ans à re-raconter sans cesse cette anecdote que je croyais être une arme invincible et croustillante, je dois renoncer. 

Soit j'ai mal lu l'anecdote d'origine et m'en souviens mal (ma mémoire confabule beaucoup), soit elle n'était pas racontée très honnêtement dans ma première source. 

Les textes que j'ai lus depuis (S. Wadhams, Remembering Orwell et d'autres) montrent une version très différente. Blair avait été clochard et vraiment "dans la Dèche" (Down & Out in Paris & London, 1933 - il justifiait son pseudonyme pour que la famille Blair ne se sente pas culpabilisée par cette période de quasi-mendicité). Il avait une conscience aiguë des différences sociales dans les vêtements et se moquait du fait que les ouvriers imitent parfois les moeurs de la moyenne bourgeoisie même quand ils voulaient la critiquer. Il portait au contraire une tenue excentrique qui affichait une sorte de reconstitution d'un fonctionnalisme ouvrier qui choquait beaucoup dans les années 30, au grand plaisir d'Orwell, qui avait un petit côté enfant provocateur. 

Mais pour une raison mystérieuse, toute cette rebellion punk s'estompait pour le rituel du dîner du soir où il redevenait soudain très formaliste (chemise blanche et cravate noire obligatoires). 

La source probable de l'anecdote est cet ouvrier, Jock Branthwaite (qu'on nomme dans certaines sources Jack Braithwaite), qui était un ami d'Orwell en Catalogne. C'est lui qui raconte qu'il ne comprenait pas pourquoi Orwell exigeait de lui d'avoir aussi un tel accoutrement alors qu'il ne possédait rien de tel. Mais il ajoute aussi qu'il n'avait jamais vu de snobisme chez Orwell. Et je pense que quels que soient ses défauts, j'avais complètement tort de vouloir à tout prix le réduire à cela. 

L'ancien élève d'Eton a dit à quel point il avait dû s'arracher au snobisme de son éducation. Il a aussi critiqué le kitsch de l'ouvriérisme abstrait et naïf, de la gauche bourgeoise qui idéalise d'autant plus l'ouvrier qu'ils ne le fréquentent pas. Orwell n'est pas resté très longtemps dans la mine de charbon du Lancashire et n'est pas toujours enthousiasmé par ses rencontres autour de Manchester mais il a pu connaître plusieurs classes sociales. Certes, il a un côté autoritaire insupportable (il pratiquait des châtiments corporels violents aussi bien comme policier à Rangoon que comme instituteur à Londres) et la fin de son oeuvre si brève n'évite pas un sentimentalisme patriotique d'éloge de tout ce qui serait authentiquement britannique. Le chemin de crête est difficile à tenir entre les réacs et le ressentiment d'une "gauche" ou d'un "progressisme" qui tiennent d'un réflexe mais Orwell ne mérite assurément pas toute cette récupération que continuent de faire les réacs. 

Aucun commentaire: