mardi 27 juin 2023

Légende d'Okuninushi

Susanowo, le dieu des tempêtes, avait été exilé du Ciel sur Terre par Amaterasu; la Déesse du Soleil. Il avait sauvé Dame de la Rizière (Kushinada) du Dragon à Huit Têtes dans la région d'Izumo, sur la côte au nord-ouest d'Honshu. Il y trouva la grande épée céleste qu'il offrit à Amaterasu pour se réconcilier avec sa soeur. 

Avec la Dame de la Rizière, Susanowo engendra les Maîtres de la Terre. 

6 générations plus tard, les 80 Dieux de la Terre, fils de la Déesse des Palourdes, décidèrent d'aller demander la main de la Dame Yakami dans le pays d'Inaba, juste à l'est d'Izumo. Les Dieux de la Terre opprimaient leur plus jeune frère Onamushi qui devait porter leur équipement. 


Ils rencontrèrent un Lièvre blanc en Inaba, qui avait la peau arrachée et qui leur demanda de le guérir. Ils leur dirent cruellement de se mettre de l'eau salée, ce qui augmenta sa douleur. 

Quand le plus jeune frère vit le Lièvre blanc, il lui dit de prendre de l'eau douce pour se purifier et se soigner. Le Lièvre blanc lui expliqua qu'il était venu de l'île d'Oki (en face d'Izumo) au pays d'Inaba en montant sur un pont de monstres marins (il les avait convaincus de s'aligner pour compter s'ils étaient vraiment plus nombreux que les Lapins) mais que ceux-ci s'étaient vengés de sa ruse en lui arrachant la peau. Le Lièvre lui dit que ce serait lui, le plus jeune frère, qui serait le Grand Maître de la Terre (Okuninushi) et que c'est lui qui obtiendrait la main de Dame Yakami. Certains disent que ce Lapin blanc n'était autre que le petit nain Sukuna, qui devint le Dieu des sources chaudes et qu'on va voir apparaître plus tard. 

La prédiction du Lièvre se réalisa. Quand ses frères apprirent que c'était Okuninushi qui épouserait la Dame Yakami d'Inaba, ils furent furieux et l'assassinèrent. Il revint à la vie grâce à la mère, la Déesse des Palourdes, et il s'enfuit alors, d'abord sur l'autre côte au sud de Yamato, au pays de Kii, puis au Pays des Racines (les Enfers) pour échapper à ses frères. C'est là que régnait son grand-aïeul, Susanowo, dieu des Tempêtes. 

Là, au Pays du Dessous, le Grand Maître de la Terre tomba amoureux de la fille de Susanowo, Dame Suseri. Il alla demander sa main mais Susanowo lui imposa des épreuves terribles qu'il réussit avec l'aide de l'impétueuse Dame Suseri. Il s'enfuit des Enfers en emmenant Dame Suseri et Susanowo reconnut qu'il avait gagné et lui donna des armes pour vaincre ses frères et faire vraiment de lui le Grand Maître de la Terre

Mais son épouse précédente, Dame Yakami partit en voyant que la nouvelle reine serait Dame Suseri. Le Grand Maître de la Terre alla demander la main d'une nouvelle épouse, Dame Nunakawa, du Pays de Koshi (plus au nord, province d'Echizen). Dame Suseri fut furieuse mais finit par se réconcilier avec Okuninushi en lui offrant une tasse de sake. 

Un Nain apparut dans une cosse de haricot sur les flots d'Izumo et Okuninushi apprit du vieux dieu épouvantail Kuebiko (le Prince en lambeaux des rizières) qu'il s'agissait de Sukuna, fils du Dieu créateur, qui l'aida à modeler les Terres et qui est associé aux sources d'eaux chaudes. 

Amaterasu, déesse du Ciel, décida que les Maîtres de la Terre devaient céder devant l'Empire Céleste et elle envoya des dieux pour conquérir la Terre. Le premier dieu préféra rester au Ciel, le second s'allia à Okuninushi, le troisième épousa même une de ses filles et refusa de répondre aux lettres portées par les oiseaux célestes. 

Mais le Ciel n'était pas encore vaincu. Le Dieu guerrier Takemikazushi et son père, une épée parlante longue de dix paumes, vint affronter les enfants d'Okuninushi. C'est au cours d'un combat à mains nues avec un de ces Princes, Takeminakata de Suwa (Province de Nagano, au centre de Honshu) que fut créé le Sumo

Les Maîtres de la Terre durent alors s'incliner. (Le dieu rebelle Mikaboshi, associé à l'étoile polaire, serait l'un des seuls à n'avoir jamais cédé à Takemikasushi). 

Okuninushi dut alors se retirer du Monde matériel et devint un Dieu invisible, associé à l'agriculture et aux richesses terrestres. 

La Déesse Amaterasu avait fait avec Susano 5 enfants, dont l'aîné était Amenooshihomini, qui eut pour fils Ninigi. C'est Ninigi qui descendit du Ciel avec les Trois Trésors, l'épée céleste, le miroir et le bijou et c'est de Ninigi qu'est issue la famille du Premier Empereur mortel qui remplaça la lignée du Maître de la Terre (même si certains membres de sa famille se marièrent avec d'autres branches). D'autres dieux accompagnaient Ninigi et furent les ancêtres d'autres grands Clans nobles à l'époque archaïque de l'Empire de Yamato. 

samedi 24 juin 2023

La théorie de l''Asabiyyah d'Ibn Khaldūn

On dit souvent qu'Ibn Khaldūn (1332-1406) fut le créateur de la première théorie d'explication cyclique en histoire dans ses Prolégomènes (Muqaddimah) au Livre des Leçons de l'Histoire du Monde (Kitāb al-ʿIbar). C'est peut-être même la première philosophie de l'histoire tout court et l'explication est originale dans son "matérialisme" si on laisse de côté quelques passages sur la Providence. 

Les Grecs comme Platon croient déjà à des sortes de cycles éternels dans les essors et les chutes des cités (les cités reposant sur le désir de gloire au début ou sur les désirs de plaisirs physiques ensuite doivent dégénérer en tyrannies). 

Polybe, qui croyait être le premier à être témoin (au IIe siècle avant JC) d'un passage d'une histoire seulement régionale à une histoire mondiale avec l'Empire romain (l'histoire mondiale naît précisément en l'an -220 quand les Empires hellénistiques en déclin rencontrent l'Empire romain) disait au début de son Histoire, I, 2

Les Perses, durant quelque temps, disposèrent d'États immenses et d'une vaste puissance, mais toutes les fois qu'ils osèrent franchir les bornes de l'Asie, leur domination, leur existence même fut fortement compromise. Les Lacédémoniens, après avoir lutté avec persévérance pour obtenir la suprématie en Grèce, et la voir enfin conquise, purent à peine la conserver douze ans sans contestations. Les Macédoniens, qui commencèrent par régner sur les pays situés entre l'Adriatique et le Danube, c'est-à-dire, sur une portion assez faible de l'Europe, joignirent plus tard, il est vrai, à leur empire l'Asie, que leur laissa la chute des Perses. Mais, ces vainqueurs mêmes qui passèrent pour avoir tenu entre leurs mains plus de villes et de gouvernements que ne fit jamais aucun peuple, laissèrent au pouvoir d'autrui la plus grande partie de l'univers. Jamais ils ne songèrent à soumettre la Sicile, la Sardaigne, l'Afrique; et les peuplades les plus belliqueuses de l'Occident leur furent, à proprement parler, tout à fait inconnues. Mais Rome, ce ne sont pas seulement quelques peuples qu'elle subjugue ! elle conquit tout l'univers, et par là porta sa puissance à une hauteur que notre siècle admire, et que les âges futurs ne dépasseront jamais.

Polybe dit bien que chaque civilisation a eu un essor et un déclin, mais il croit aussi assister à une sorte de Fin de l'Histoire maintenant que les Romains ont unifié les trois mondes connus, l'Europe, l'Afrique et l'Asie. 

Ibn Khaldun, lui, croit que la loi cyclique devrait s'appliquer aussi à tous les empires, y compris ceux de son époque. Non seulement les Empires musulmans avaient été formés par des nomades et avaient confronté de grandes hordes mongoles au siècle précédent mais Ibn Khaldun servait la dynastie mamelouk en Egypte vers 1400 quand Tamerlan arriva avec son empire des steppes eurasiennes jusqu'en Syrie. 

Le mécanisme décrit par Ibn Khaldun est assez simple (et a beaucoup influencé Robert Howard dans de nombreux passages nietzschéens de Conan le Barbare ou toute l'évolutionnisme de Toynbee retranscrit en science fiction dans la Foundation d'Isaac Asimov) : les peuples nomades sont plus forts que les peuples urbains et ensuite la victoire des peuples nomades les amollit et les transforme en peuples urbains (il y a même des passages de déterminisme historique où Ibn Khaldun dit que ceux qu'il appelle ses ancêtres, les nomades arabes ne seraient jamais arrivés à dépasser la razzia et à fonder un empire stable sans une intervention surnaturelle de l'Islam). 

Une tribu a un "esprit de corps" comme dit cette vieille traduction trouvée sur Internet, une "solidarité" interne, un lien ou cohésion sociale (l'Asabiyyah) qui est la condition de sa victoire mais aussi ce qui finit par se dissiper en raison même de son succès. 

Une tribu qui s’est acquis une certaine puissance par son esprit de corps parvient toujours à un degré d’aisance qui correspond au progrès de son autorité. S’étant placée au niveau des peuples qui vivent dans l’aisance, elle jouit comme eux des commodités de la vie ; elle entre au service de l’empire, et, plus elle devient puissante, plus elle se procure de jouissances matérielles. Si la dynastie régnante est assez forte pour ôter à ces gens l’espoir de lui arracher le pouvoir où d’y participer, ils se résignent à en subir l’autorité, se contentant des faveurs que le gouvernement leur accorde et d’une certaine portion des impôts qu’il veut bien leur concéder. Dès lors ils ne conservent plus la moindre pensée de lutter contre la dynastie ou de chercher des moyens pour la renverser. Leur seule préoccupation est de se maintenir dans l’aisance, de gagner de l’argent et de mener une vie agréable et tranquille à l’ombre de la dynastie. Ils affectent alors les allures de la grandeur, se bâtissant des palais et s’habillant des étoffes les plus riches, dont ils font une grande provision. A mesure qu’ils voient augmenter leurs richesses et leur bien-être, ils recherchent le luxe avec plus d’ardeur et se livrent plus volontiers aux jouissances que la fortune amène à sa suite. De cette manière ils perdent les habitudes austères de la vie nomade ; ils ne conservent plus ni l’esprit de tribu, ni la bravoure qui les distinguait autrefois ; ils ne pensent qu’à jouir des biens dont Dieu les a comblés. Leurs enfants et leurs petits-enfants grandissent au sein de l’opulence. Trop fiers pour se servir eux-mêmes et pour s’occuper de leurs propres affaires, ils dédaignent tout travail qui pourrait entretenir chez eux l’esprit de tribu. Cet état de nonchalance devient pour eux une seconde nature, qui se transmet à la nouvelle génération, et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’esprit de corps s’éteigne chez eux et annonce ainsi leur ruine. Plus ils s’abandonnent aux habitudes du luxe, plus ils se voient éloignés de la puissance souveraine et plus ils se rapprochent de leur perte. En effet, le luxe et ses jouissances amortissent complètement cet esprit de corps qui conduit à la souveraineté ; la tribu qui l’a perdu n’a plus la force d’attaquer ses voisins ; elle ne sait pas même se défendre ni protéger ses amis ; aussi devient-elle la proie de quelque autre peuple. Tout cela démontre que le luxe, s’étant introduit dans une tribu, l’empêchera de fonder un empire. "Dieu accorde la souveraineté à qui il veut." (Coran, sour. II, vers. 248.)

mardi 20 juin 2023

Les Etats dans Galaxy Prime (2011)


Galaxy Prime par James Shade est un jeu de rôle de space opera très inspiré de Star Wars et Star Frontiers mais je ne vais pas parler du système (qui me paraît à la lecture être une sorte de Star Frontiers simplifié) mais seulement de l'univers. 

Un artiste Reeyar, un sage Sovaari & un agent Runarien


On est dans une version de la Galaxie de SW sans lien avec notre espace connu, et il y a même un ordre de "chevaliers-psi" (les Kinéticiens) qui a aussi son "Côté obscur" (les Neuroth). Mais la multiplicité des Empires ferait plus penser à Star Trek. James Shade reconnaît que le jeu vient de sa campagne qui mélangeait des espèces de toutes les oeuvres de space opera qu'il appréciait. 

Galaxy Prime a peut-être la plus longue liste d'espèces d'Aliens que je connaisse (36 espèces jouables et 34 PNJ). Voir la liste des races ET dans Star Frontiers, Star*Drive et Starfinder 

Le défaut de la quantité est hélas que ces espèces sont trop peu détaillées. Chacune n'a au plus qu'une page, parfois sans aucune illustration ou description autre que des caractéristiques et un vague adjectif sur leur civilisation ou leur gouvernement. Ce sont souvent juste des animaux terrestres anthropomorphes et ils sont donc très caricaturaux. De plus elles évoquent parfois trop directement des espèces connues dans les deux références citées ci-dessus (avec aussi du Babylon 5).

Mais c'est une manière synthétique de survoler toutes ces références en les combinant et le but du jeu est clairement de ne pas jouer des Humains mais un équipage multi-specifique. La qualité est que chaque espèce a droit à ses propres vaisseaux et que les tables de rencontre spécifient par exemple la nationalité (avec surtout des chances de rencontrer les espèces les plus "commerçantes") et pas seulement le type de vaisseau. Et certaines des Organisations ne font pas penser à SW mais à d'autres sources de SF (comme cet Institut de Généticiens des Gluggans qui cherche des solutions pour faire évoluer certaines des xénobiologies).  

J'ai une faiblesse coupable pour les ET aux yeux pédonculés et les limaces hexapodes Gluggans à 4 yeux me donneraient envie d'y jouer. 


 

Voici la carte de la Galaxie "Prime" avec 11 "Secteurs" (les étoiles y sont mises en 3D) qui comptent officiellement 7 Entités interstellaires. Les mondes sont assez espacés (pas plus qu'une demi-douzaine de mondes par secteur) mais les vaisseaux vont à environ 5-8 "petits hexagones" par jour (je n'ai pas trouvé l'échelle). 


Les Colonies Libres n'ont pas d'unité politique mais sont de facto sous la coupe de la pègre des Tuth, des blobs (Hutt ?) - leur cartel est décrit p. 182 dans les organisations. Les Drollo (Dralasites ?), un autre peuple de blobs amorphes de cette région, appellent à l'aide contre la domination des Tuth

La Ligue Sulvenne est plus démocratique : on y trouve les Sulvens (Vulcains), les Gluggans (des gastéropodes leaders en biotech) et les L'kri (des Aviens qui peuvent ressembler à toutes les espèces différentes d'oiseaux terrestres, des perruches aux cigognes). Très respectueux des lois, les L'kri deviennent souvent des pilotes et policiers interstellaires. 

La Souveraineté Arn : les Arn (version très modifiée des Narns de Babylon 5 ?) ressemblent à des tortues et sont des mystiques paisibles, prosélytes mais tolérants. De nombreux autres peuples suivent leur religion, comme les Vorhusks insectoïdes (Vrusks) et les Ziryans singes volants (Yazirians mais en plus petits). Les Arn (qui ont un Trou de Ver vers les prétendues "Colonies libres") sont en conflit avec les Tuth pour des raisons de liberté de passage en pèlerinage. 

La Monarchie runarienne est une puissance impérialiste la plus redoutée de la Galaxie. Les Runariens sont des manipulateurs qui portent des masques et tentent de corrompre et d'infiltrer les autres sociétés, ce qui ne les a pas empêchés de perdre la guerre contre les Drakasiens. Ils oppriment les Buthari (des Wookies / Talvarids qui peuvent se régénérer). 

L'Annexe Drakasienne a réussi à faire sécession des Runariens. Les Drakasiens ressemblent à de grands sauriens (Gorns ?). Depuis qu'ils se sont libérés de la Monarchie runarienne, les Drakasiens se comportent avec tout autant de tyrannie envers les espèces de leur secteur comme les Kywokki (encore des Wookies) ou les Vosskiens (des amphibiens). Parmi leurs sujets, les indigènes de Muot sont une espèce génétiquement instable où chaque individu est toujours un Mutant différent, ce qui ouvre la voie à à peu près n'importe quelle créature. Les Biotechniciens Gluggans cherchent un moyen de soigner cette étrange instabilité, mais à l'inverse certains Vosskiens ont créé une organisation (Mort aux Monstres) appelant à un génocide de tous les Mutants (et des Kineticiciens).  

L'Autocratie Thasienne est le plus vaste empire avec deux secteurs au centre de la Galaxie (empire qu'ils ont formé sur l'ancien Empire décadent des Taurici, les Centauri de Babylon 5) et c'est une ploutocratie obsédée par le pouvoir économique. Les Thasiens ressemblent à de grands chilopodes industrieux. Ils ont l'air plus austères et froids que des cupides Ferengi (un équivalent des Ferengi, les Grengi, existe aussi mais ils sont uniquement PNJ). Ils dirigent une organisation de police galactique qui rivalise avec celle des L'kri (mais leur but est plus d'aider au commerce que de faire régner la justice). 

Le Régime Kor a une version qui ressemblent aux Klingons. Parmi leurs sujets, les Unchas, de super-ingénieurs qui leur fabriquent leurs armes et ne se révoltent pas contre les seigneurs de guerre Kor. Les Uluthus sont un peuple de céphalopodes au corps recouvert de tentacules qui font peur aux Kor. Les Kor ont un Trou de Ver vers l'Annexe Drakasienne et ils préparent donc une invasion, ce qui déclencherait donc une guerre sur trois fronts entre Runariens, Kor et Drakasiens.  

Le Triumvirat a été formé par trois espèces alliées : les Sovaari (le peuple le plus ancien de la Galaxie, qui évoque les Minbari mais aussi les Vorlons), les Gilgari (un peuple aquatique extrêmement moral et juste, qui doit être inspiré des Calamari) et enfin les Zhani (un peuple de félins plus impétueux, qui doit être les Kzinti). Les Sovaari sont des sages avec le plus haut niveau scientifique de toute la Galaxie, les Gilgari des justiciers et les Zhani le bras armé. 

Les trois autres secteurs Libre Espace, Frontière et Gamma 4 ne sont pas unifiés (Gamma 4 a été éradiqué complètement par une nouvelle puissance impérialiste, les Mordas, venus d'une autre Galaxie). Malgré tous leurs conflits, les 7 Empires se demandent comment s'unir face aux Mordas et un Conseil galactique s'est formé avec son siège sur Provion (secteur Frontière), sous l'initiative des Sovaari et malgré la méfiance de la plupart des Empires (même la Ligue sulvenne). 

On aura remarqué qu'on a trois entités plus "sympathiques", la Souveraineté Arn (version théocratique modérée de la Fédération de Star Frontiers), la Ligue Sulvenne (la Fédération de Star Trek) et le Triumvirat (l'Alliance terrienne dans Babylon 5 ?). Les Thasiens ne sont probablement pas très faciles à classer moralement. Les Runariens, les Drakasiens et les Kors sont des empires plus dictatoriaux. 

Galaxy Prime a eu au moins 3 suppléments (compilation d'options diverses) en 2013 et certains ont pu mieux détailler ces espèces extraterrestres. Il y a The Gilgari Dossier, The Thasian Files, The Vorhuskan Archives et un recueil de 5 aventures (Sector Treks).  James Shade annonce encore 3 suppléments à venir : The Sulven Documents, ​The Inon Report ​ (les Inon sont des ordinateurs organiques qui contrôlent les télécommunications de la Galaxie) et The Sovaari Revelation

dimanche 18 juin 2023

Des (s) entre parenthèses ?

Serge Audier défend dans Néolibéralisme(s) (2012) qu'on ne peut pas vraiment parler d'une unité réelle dans un mouvement "néolibéral" où les conflits sont trop forts, même à l'intérieur de chaque chapelle. Son interprétation relève donc plus d'un "nominalisme" historique où le concept n'est tout au plus qu'un "air de famille" vague ou un instrument variable à travers le temps. La tendance originelle de ce (néo)libéralisme était une révision du libéralisme pour permettre un certain interventionnisme social (Walter Lippmann) alors que le terme est utilisé plutôt pour le pôle libertarien où le seul absolu est le droit sacré de propriété privée (Mises ou Hayek), sans parler des conservateurs organicistes (l'ordolibéralisme) comme Wilhelm Röpke. Lippman pourrait être plus proche de certains technocrates démocrates ou aujourd'hui Joe Biden alors que Hayek ou Rothbard seraient bien plus proches de Trump, Bolsonaro ou de Ron Paul. Le but d'Audier est en partie de distinguer un certain libéralisme "de gauche" (qu'il défendait à une certaine époque) et le libéralisme de la dérégulation financière ou l'oligarchie ploutocratique. 

Les deux néo-foucaldiens Pierre Dardot et Christian Laval s'opposent à lui, par exemple dans leur dernier livre, Le choix de la guerre civile, en disant qu'Audier négligerait ce qu'ils appellent une "unité stratégique", unité de but avec des moyens différents. 

Tout le monde est d'accord que Lippmann n'est pas Hayek mais ils auraient des désaccords internes dans le calendrier ou la réalisabilité. Oui, Lippmann et Hayek veulent tous lutter contre l'Union soviétique, mais Lippmann semble presque prêt face à la Crise à dire que le New Deal serait un compromis nécessaire pour sauver le libéralisme, Hayek dit que c'est une concession liberticide qui risque de conduire au collectivisme. 

Mais ce mot de "stratégie" est ambigu et fait dire bien des choses sur l'intentionnalité d'un projet, où ces différences de valeurs seraient gommées au nom d'une fonction commune. A chaque fois qu'on constate de vives oppositions dans le néolibéralisme, Dardot et Laval n'y voient qu'une tension dialectique interne et une transformation du même moment. 

Ce terme d'unité d'un mouvement est une question vague en histoire. Tout dépend certes d'une échelle. A une certaine échelle, le fascisme de Trump et la démocratie plus interventionniste de Biden peuvent être vus comme très proches dans la défense maintenue de certains intérêts (je crois que c'est Chomsky qui parlait de l'aile technocratique et de l'aile forcenée d'un parti unique mais il a quand même appelé à faire barrage à Trump). Cela peut aussi paraître un peu grossier de prendre une telle échelle. A une certaine distance, certes, on retombe dans une opacité de l'indistinction où, comme dirait l'autre, alle Kühe schwarz sind

Dardot et Laval n'ont pas répondu à ma connaissance aux attaques assez polémiques d'Audier sur l'interprétation foucaldienne en général (qu'il a continuées dans Penser le néolibéralisme, 2015). Audier semble réduire le foucaldisme de Wendy Brown et d'autres à une "mode". Il explique que les célèbres leçons de Foucault sur Gary Becker (l'homme comme capital humain et comme entrepreneur de soi) n'ont pas tellement de portée historique sur Lippmann et que la vraie cible de Foucault dans sa redéfinition du néo-libéralisme était plutôt dans le champ français contre des auteurs d'extrême gauche comme des situationnistes). Le Foucauld de 1979 veut réagir à VGE et ce qu'il écrit n'a pas tant de précision pour comparer l'histoire mouvementée de l'ordolibéralisme allemand ou le projet européen de Delors. 

Audier est très ironique aussi sur le côté caricatural de l'interprétation de Pente Glissante de Michéa qui refuse de distinguer non seulement entre des néo-libéraux mais même entre des libéraux et des néo-libéraux. La suspicion générale de Michéa est que tout libéral même bien intentionné ne pourra qu'aller jusqu'au bout et finir en libertarien vendu aux oligarchies et à l'exploitation maximale au nom de l'individu. Pour Michéa, il y a certes un libéralisme de gauche mais ce n'est qu'une condamnation de la gauche comme dissoute depuis le siècle des Lumières dans cette Pente glissante (ce qui s'oppose à la gauche socialiste libertaire de Chomsky pour qui il faut défendre une part de l'héritage libéral de Smith contre les oligarchies ploutocratiques qui ne cessent de le trahir). 

Il y a eu des gens pour croire vraiment que Michéa défendait une forme de "socialisme" quand il attaquait ce qu'il appelle la "gauche" (par exemple dans ces naïfs, un moi antérieur, dans cette note très médiocre que j'avais écrite il y a 16 ans, un peu corrigée ou plus tard). Nous n'avions pas tous compris que son "populisme" (tout comme celui de Christopher Lasch, passé de la gauche au néo-conservatisme au nom de l'unité familiale menacée par le "capitalisme") n'était pas compatible avec les réactionnaires que par accident ou récupération. Si on croit Michéa, dès qu'on accepte la défense de libertés de l'individu face à la Communauté organique, on doit glisser vers la privatisation de tout. 

La pensée de Dardot et Laval se veut à la fois fondamentalement anti-néo-libérale mais aussi anti-souverainiste, et ils critiquent la tentation populiste assez clairement. Il se peut que le populisme "de gauche" souverainiste soit une "stratégie" gagnante mais il est plus douteux que cela reste compatible avec le combat pour l'égalité des droits. Dardot et Laval espèrent que c'est ce terme d'égalité qui permettra quand même de surmonter les clivages entres droits sociaux et droits d'identité de groupes discriminés, entre une vieille gauche socialiste des classes et la nouvelle gauche plus "identitaire" des communautés multiples. 

[CR de Partie] [W.A.L.E.] Tournoi d'une mort annoncée

Résumé des épisodes précédents : 

Personnages : Lincarn le Mestre du Temps, Olwein l'ancienne Dragonne métamorphosée, Mekhann le Nain Pyromancien et Siskrissis, chevalier du peuple khryl banni du Duché de Sylvanie (faussement accusé d'avoir fait disparaître l'héritier du Duché son cousin). 

Quelques aventures précédentes : Roue du ChaosEnquête à Shanizad, Expédition marine, Paradoxes temporels

Nos aventuriers servent le Duché de l'île de Mehlen et notamment sa religion tolérante de l'Unité. Ils luttent contre plusieurs Démons qui sont revenus dès que leurs runes sont libérées d'une des Gemmes : Baeciphael (Démon des Rêves), Baïkal (Démonne de la Mort et des Neuf Vies), Boreal (Démone des Amours tardives) et d'autres. Certains de ces Démons sont aussi en conflit. 

Lincarn le Mestre du Temps a créé un paradoxe temporel dans notre dernière boucle. Il était dans une ligne temporelle où Siskrissis avait épousé Polvya, la fille de l'Empereur Hubert de Lorédanie. Ils avaient eu un enfant et Siskrissis était ensuite mort conformément à la malédiction qui dit qu'il mourra quand il aura engendré un héritier. Lincarn est retourné dans le passé là où il avait mis sa "balise" et a donc relancé l'histoire. Olwein la Dragonne a retrouvé ses souvenirs et s'est réconciliée avec ses deux filles, Salina la Vouivre blanche et Laurinas Lauradine la Reine des Glaces. Siskrissis est nommé Lord Protecteur du Royaume nordique de Dagolin et laisse le pouvoir à la Régente obtient au nom de l'Unité la fin de l'esclavage.  Les Nains récupèrent la Gemme des Désirs. 


Retour à Mehlen

Nous retrouvons Shaan (dite maintenant Shaan I depuis que la Déesse Baïkal a dédoublé ses vies, une de ses "doubles" est partie en aventure en Orient). L'Archi-druide Gal-Dynis, qui était pétrifié, aurait été victime d'une attaque "de l'Equilibre" et il ne pourra plus nous protéger. Célia (Porteuse de la Gemme Rose des Rêves) dit qu'elle tentait de nous protéger notamment des attaques oniriques de Lili de Lavenrac, une des servantes du Démon Baeciphael, qui ne cesse de manipuler nos songes. 

Nous venons tous à la Grande Table Ovale du Duc de Mehlen, qui nous explique nos relations avec l'Empire d'Ys, vieil empire en déclin. Le centre en est la Lorédanie mais en théorie l'Empire contrôle aussi le Wastburg, le Truchement (ex-Galatis), l'île de Rork et la Sylvanie (qui possède la riche passe vers l'Orient). 

Le Duc de Mehlen (qui vient de conclure une paix avec Ys) avait fait envoyer une lointaine cousine de sang impérial, la Comtesse Amoz Tiki Sultra comme "otage" auprès de l'Empereur Hubert d'Ys. Elle nous accueillera pour le tournoi qui doit y avoir lieu. 

Hubert n'a pas eu d'héritier mâle et doit marier sa fille Polvya, la Princesse Phalène. C'est Siskrissis, Protecteur du Dagolin et chevalier de Mehlen qui représentera le Mehlen. 

Dans l'autre ligne temporelle, c'est Siskrissis qui avait remporté le Tournoi et épousé la Princesse même si celle-ci avait tenté de le vaincre en devenant le "Chevalier-Crépuscule". Siskrissis et Polvya avait eu un fils, Siskior et Siskrissis avait été tué dans la Forêt noir mais c'est finalement la Dragonne Olwein qui avait fini par être choisie comme Impératrice. Siskior avait les cheveux verts qui prouvaient son ascendance impériale (tout comme le Duc de Mehlen ou la Comtesse Amoz). 

Avant de repartir de leur île de Mehlen, chacun a ses occupations. 

Mekhann va reforger son épée de feu et a récupéré son petit dragonnet noir. 

Siskrisis reçoit de l'elfe Palathas un livre issu de la Bibliothèque des Gnomes qui mentionne ce qui serait arrivé à son cousin Saskarda en un autre univers. Il emporte aussi des documents héraldiques sur les grandes familles de l'Empire pour les identifier pendant le Tournoi. 

Olwein, qui commence à retrouver ses souvenirs de Dragonne, voit un problème de contradiction dans l'histoire officielle de l'Empire et notamment sur les règles de succession. L'ancien roi Herri le Malencontreux avait pris le pouvoir au IXe siècle (il y a 12 siècles) en prenant l'ancien Roi lorédanien comme son ministre. Il a eu 8 filles, dont l'aînée Adélide est devenue l'Archimage de Rork. L'ancien roi lorédanien Guidion reprend le trône après Herri. Mais Olwain, elle, se souvient qu'Adelide a pu régner comme Impératrice et que l'histoire mélange deux rois distincts.  Mais dans l'histoire officielle, on n'a de traces que du fait qu'Adelide a fondé la capitale rorkienne d'Adelidia. 

Olwain voit en divination que Lilia, la servante de Baeciphael est dans le désert près d'Aristar et porte une Gemme Noire. Elle s'est entraînée avec une femme qui porte la Gemme Rouge. Elle a affronté le Nécromancien Melankior dans un temple. Elle a aussi un allié, un autre agent. 

Nous partons vers Ys, capitale de l'Empire lorédanien construite sur la Mer. 

La Cité d'Ys 

* Chez la Comtesse
La Comtesse Amoz Tiki Sultra (envoyée de Mehlen qui réside à Ys auprès de l'Empereur) les attend à Ys. Elle a les cheveux verts qui rappellent qu'elle aussi appartient à la famille impériale et descend de Lorian. 

Elle propose à Siskrissis des fiançailles avec elle pour éviter le Tournoi de mariage. Elle semble au courant de la malédiction sur Siskrissis et connaît la Magie des Miroirs qui lui permet de communiquer à travers les surfaces réfléchissantes. 

Elle explique que le rôle de Siskrissis est devenu plus complexe dans la politique de l'Empire depuis la mission au Dagolin. Les Lorédaniens craindraient sans doute que Siskrissis, en tant que "Protecteur" du Dagolin ait la capacité de créer de nouvelles alliances autour de Mehlen contre l'Empire. 

Mais Siskrissis refuse ce mariage de et insiste pour voir la Princesse Phalène dont il sait qu'elle aurait été son épouse dans l'autre ligne. 

* Au Hall de Réception

La vaste Salle de réception a aussi des symboles khryl (écriture gravée qui répond à l'écholocation) sur les murs, ce qui rappelle que la Sylvanie fait partie de l'Empereur. 

L'Empereur Hubert Saul Dantra a une mauvaise réputation de Roi Fou car il épuise les caisses en projets architecturaux. Malgré cette réputation de caractère fantasque, il semble diplomate et très conciliant avec notre délégation de Mehlen. Il annonce même un édit de tolérance, que l'Unité n'est plus une hérésie aux yeux de l'Empire, même si c'est la Loi et l'Ordre qui demeurent la foi offficielle. 

Hubert dit qu'il y a une crise politique autour de la Ravalonie, province qui peut aussi conduire vers la Sylvanie. La région de vallée enclavée est en proie à des invasions chaotiques mais l'Empire n'a pas d'armée permanente et dépend du soutien de ses vassaux, notamment des troupes des Burgraves du Waastburg. L'Empereur ne finance plus que la Flotte. 

Paradoxalement, les Eglises ne voient pas nécessairement toutes d'un mauvais oeil que Siskrissis participe au Tournoi. Si Polvya épousait un Prince consort qui n'est pas directement de famille impériale, son époux deviendrait chef de l'armée mais il ne pourrait pas être Empereur de l'Ordre, et les Eglises de l'Ordre en tireraient un surcroît d'influence. Les Prêtres de l'Ordre envient ici le rôle qu'ils peuvent avoir dans le Royaume d'Aldor, la théocratie de la Loi est le vrai pouvoir derrière le Roi. 

La délégation reste dans le Hall de réception d'où ils ne peuvent sortir et les personnages se demandent s'ils sont plus surveillés que reçus en hôtes. Olwein remarque qu'il n'y a aucun Miroir dans tous leurs quartiers, sans doute pour éviter toute communication avec la Comtesse Amoz. 

Pendant la nuit, ils font tous des rêves agités. 

Olwein, surtout, fait un cauchemar, où un Cataclysme engloutit la Cité d'Ys, dont on dit que les constructions trop ambitieuses sur la Mer la rendent fragile. 

Siskrissis rêve de Polvya le Chevalier Crépuscule. Mekhann rêve de sa compagne Azildé qu'il n'arrive pas à oublier. Shaan voit son autre moi dans un Temple avec un danger menaçant sa "double". Lincarn rêve que quelqu'un lui grave avec des griffes sur le dos (qui serait la Rune de Nargaoki, la Démone des Trois Queues de Dragon que Lincarn avait croisée dans les limbes temporelles). 

* Le lendemain

On soupçonne une attaque oniromancienne de la servante de Baeciphael comme Dame Celia ne nous protège plus. 

Le lendemain, un grand prêtre de Vasthor (Loi) Tiannos Iroh Zanni sonde nos esprits, découvre la vraie identité draconique d'Olwein. Il nous conseille de quitter ce Hall de réception pour attendre le Tournoi qui doit avoir lieu la semaine suivante. en tant que hôtes de haut rang, nous offre l'accueil au Palais de la Dame Oiselle (Colline Bromandel autour des anciens bosquets sacrés païens). Olwein demande à aller à la bibliothèque du quartier wastburgeois. 

Nous acceptons l'offre car nous ne nous sentons pas très bien dans ce siège de la Loi et de l'Ordre. 

Cette Dame Oiselle est une hamadryade aux cheveux roux, Malela ("Os Paresseux"; son nom d'esclave en langue Nepheril). Elle porte un collier d'esclavage et est censée nous servir. Nous nous disons que nous devrions tenter de la libérer. 



** Lincarn pose une Balise temporelle 
(qui lui permet de revenir à cet instant si quelque chose va mal) **

Olwein part étudier en bibliothèque sur ces contradictions qu'elle a retenues sur la reine Adélide qui partit vivre sur l'île de Rorke il y a des siècles. L'école de magie de Rork avait été détruite et Gal-Dynis s'était déjà étonné de sa disparition. Adélide était Enchanteresse et Impératrice selon Olwein, alors que dans la version officielle elle régnait seulement sur Rorke comme une des filles de l'Empereur. 

La Comtesse Amoz nous recommande Leonard, un coureur des bois mélinois, pour nous aider.  

Siskrissis se documente sur les autres participants au Tournoi. Il y a aura un champion de la famille des Pairle (blason azur & or, famille de Boulangers wastburgeois). On a reçu une "pâte de fruits" envoyé par la Maison des Romance (blason : étoile sur champ de gueules). Nous attendons de voir si nous pouvons la faire goûter. 

Le Mestre Lincarn est convoqué par un Cygne du Temple de l'Ordre. C'est un Ordre féminin de Vestales avec des représentations des Prophétesses. Dame Sasmarassa. une Khryl, dirige le Temple et elle a entendu parler des personnages par le Grand Prêtre Tiannos. Elle regarde Siskrissis sans aménité. 

Dame Sasmarassa explique qu'elle lutte déjà à Ys contre des hérésies internes à l'Ordre : l'Ordre Noir (des Ravaloniens adorant des Déesses de la Mort) et les Flagellants (des Ysiens convertis à une version particulièrement ascétique). Les Flagellants ont l'air de faire les mêmes cauchemars inspirés de Nargaoki, la Démone de la souffrance infligée envers soi-même qui semble avoir aussi envahir les songes de Lincarn. 

Elle exige de Lincarn (dont elle a bien compris qu'il était un Mestre) une promesse de ne pas faire de prosélytisme pour l'Unité. 

Sasmarassa dit sèchement à Siskrissis qu'elle ne peut lui interdire de participer au Tournoi mais qu'elle n'acceptera pas qu'il prétende être héritier de l'Archiduc de Sylvanie devant l'Empereur (ce qu'il n'avait pas l'intention de faire). 



samedi 17 juin 2023

The Many Deaths of Laila Starr

On peut soupçonner que le scénariste d'origine tamoule Ram V a envie d'écrire sur l'immortalité. 

Une autre de ses mini-séries These savage shores (2019, Vault Comics, dessinée par Sumit Kumar) opposait en 1766 des clans de Vampires européens, des Chasseurs de vampire et un Asura soutenant le Zamorin de Calicut (allié à la Présidence de Madras) contre le futur Tipu Sultan de Mangalore lors de la Première Guerre de Mysore

Mais cela jouait peu sur l'écoulement lent du temps et l'action restait très concentrée sur quelques mois de 1766. C'était plus sur le trope de la prédation que sur l'immortalité, avec les Vampires en métaphore de la Compagnie des Indes. Mais là où cela se brouillait davantage, l'histoire rapprochait en fait les deux types de prédation des Vampires coloniaux et du Rākṣasa indigène, tout aussi dévorant. Malgré la maîtrise des dessins par Sumit Kumar, j'avais été un peu déçu que cela finisse en un simple combat entre monstres devenus assez indiscernables. 

Pour avoir une vraie histoire sur l'immortalité, il faut donc se tourner vers Laila Starr... 


Neil Gaiman avait su renouveler les histoires d'immortel dans Sandman #13 avec son histoire de Hob Gadling qui échappait enfin au récit consolateur. Hob Gadling est globalement (comme dans tant de récits chinois) un immortel heureux, même s'il affronte aussi des chagrins, deuils et déceptions. 

Il y a toujours un côté "Ces Raisins Sont Trop Verts" dans toutes les fictions qui nous disent que l'immortalité enlèverait notre finalité et que nous devons accepter notre finitude. C'est insatisfaisant d'utiliser l'imaginaire pour se persuader que ce qu'on ne peut changer est donc parfait. 



Comme l'indique le titre de The Many Deaths of Laila Starr (2021, BOOM Studios, dessiné par Filipe Andrade), la protagoniste Laila est un avatar de la Mort, Kali, et elle meurt de manière différente à chaque épisode dans la Mumbai contemporaine. Toute la mini-série est donc un dialogue à travers des décennies entre la Mort et un humain (nommé "Darius Shah") qui est destiné à trouver le secret de l'immortalité et délivrer l'humanité de son plus vieil adversaire. 

La Mort craint que l'immortalité la dépossède de toute fonction cosmique et les Dieux sont représentés de manière parodique comme une sorte de méga-corporation occidentale où Brahma doit faire une restructuration si la Mort ne mérite plus son poste. La Mort, déchue et incarnée en Laïla, va s'humaniser à chaque fois que Prana ("Souffle vital") la ressuscite difficilement. Elle n'ose pas donner la Mort à celui qui tuerait la mort, mais surtout Darius, celui qui aurait dû la faire disparaître, ne peut s'y résoudre ou n'ose pas infliger cette vie éternelle aux humains. 

Ritesh Babu fait remarquer que la bd inverse en fait un cliché du cinéma indien, et notamment du cinéma tamoul où le dieu Yama (le Juge des Morts) descend souvent sur Terre mais dans des comédies pour finir par se déjuger et laisser un humain continuer à vivre. Thème de comédie romantique comme dans Alceste d'Euripide ou Death Takes an Holiday / Here comes Mr Jordan / Heaven can wait. Il n'y a pas de tension amoureuse entre la Mort et Darius mais peut-être un roman initiatique où le Destructeur des Mondes observe son destructeur. L'idée même d'avatar est celle où l'éternel s'interrompt et épouse le point de vue fini. 

Une bonne histoire de réconciliation avec l'idée de mortalité reste-t-elle encore à écrire ? Ce but de convertir notre esprit conscient pour qu'il puisse faire face à son opposé, à l'impossible représentation de sa propre inexistence paraît plus facile que profond sur notre condition humaine. La morale de la mortalité est déjà ancienne quand Ulysse refuse le don de Circé ou Calypso, ou quand Pindare dit "Μή, φίλα ψυχά, βίον ἀθάνατον σπεῦδε, τὰν δ’ ἔμπρακτον ἄντλεῖ μαχανάν." (Ne te soucie pas, ma chère âme, de la vie immortelle mais épuise le possible). Il se peut qu'il n'y ait rien de mieux à dire sur la mortalité (et surtout que toute cette propagande transhumaniste actuelle soit simplement infantile). 

Mais hélas, je ne crois pas avoir lu cette jolie bd tirer d'autre chose que ce charme face à la désynchronisation du récit. Des années ou même des décennies s'écoulent parfois entre chaque réapparition de Laila et Darius vieillit. Darius Shah est vu avec plusieurs coupes dans sa vie et il défend l'ardeur du désir de rester en vie. Laila ne semble en revanche qu'animée par le désir de retrouver cette ombre qui aurait dû lui être fatale, mais je ne vois pas quelle leçon la Mort est censée en tirer. Quand on fait un récit initiatique avec une divinité, on ne comprend pas pourquoi ce dieu devrait évoluer s'il reste divin. 

vendredi 16 juin 2023

Ché la diritta via era smarrita.

L'artiste anglo-espagnole Melina Sedó, professeure de danse et rôliste, annonce une campagne de jeu de rôle librement inspirée par la Divine Comédie de Dante, The Straight Way Lost (dont le titre vient de ce 3e vers ci-dessus). On ne joue pas qu'en Enfer mais aussi dans la Florence du XVe siècle sous Savonarole, 170 ans après la mort de Dante, et avec du fantastique (il n'y a pas seulement des démons ou des sorciers mais aussi des fées). Je ne sais pas ce que cela donnera mais en tout cas cela a l'air bien illustré (et notamment avec des douzaines de dessins et plans par Mark Smylie, le créateur de la si regrettée Artesia). 

Et puisqu'on parle de Dante, j'étais très tenté par le wargame Inferno, qui simule une brève campagne (1259-1261) des guerres entre Guelfes et Gibelins juste avant la naissance de Dante. La carte de la Toscane a l'air très belle mais le système est sans doute trop pointu et détaillé pour moi, plein de cauchemars logistiques pour lever quelques troupes. 

jeudi 15 juin 2023

Drakar och Demoner / Dragonbane

Drakar och Demoner fut en 1982 le premier jeu de rôle de langue suédoise et commença comme adaptation de Worlds of Wonder, l'édition générique par Steve Perrin du Basic Role-Playing de Chaosium. Dès les éditions suivantes comme la 3e de 1985, le d% des compétences était abandonné pour un système uniforme au d20



L'édition actuelle de 2022 (la 9e ?), qui est en partie un retour aux bases, est publiée par Fria Ligan. Ils l'ont aussi publiée en anglais sous le titre de Dragonbane à la place de Dragons & Demons qui doit paraître trop risqué face aux "Sorciers de la Côte de Nazebroque" (il y avait aussi eu une traduction anglaise d'une ancienne édition qui s'appelait Ruin Masters). 

Le jeu vise sans doute en partie les Suédois nostalgiques de leur premier jeu et paraît concurrencer directement leur propre jeu Forbidden Lands (qui utilisait pour l'heroic fantasy le système de Year Zero) mais cela peut-il attirer un fan du Basic Role-Play qui ne voudrait pas utiliser simplement OpenQuest ou une autre variante ? 

Création de personnage

On tire avec 4d6 où on en retient 3 ses 6 caractéristiques : Styrka (Force), Fysik (Constitution, ce qui est aussi les Points de vie comme il n'y a plus de caractéristique TAIlle), Smidighet (Agilité), Intelligens (INT), Psyke (Pouvoir, traduit Willpower dans l'édition anglaise) et Karisma

On tire aussi son espèce et en dehors des grands classiques tolkiéniens il y a deux espèces un peu plus originales : les Canards (Anka en suédois, Mallard dans l'édition anglaise) comme dans Glorantha et les Vargrfolk (en anglais Wolfkin). J'ai vu des illustrations avec des félins mais ils doivent être dans une extension à venir ? Chaque espèce a (comme dans Forbidden Lands) un petit pouvoir particulier qui demande de sacrifier 3 points de Volonté (le "Lupin" a par exemple l'utilisation d'un super-odorat pour pister). On tire aussi sur une liste un "point faible" et comme dans beaucoup de jeux OSR, il y a plusieurs propositions d'individualisation par des tables aléatoires. 

Il y a ensuite 10 "professions" d'origine pour déterminer les compétences et en dehors des classes habituelles (Barde, Chevalier, Guerrier, Voleur, Magicien), il y a l'Artisan, le Chasseur, l'Erudit, le Marchand ou le Marin. On a le droit de s'entraîner aussi dans d'autres compétences que ceux de sa profession, tant que la majorité est dans cette liste. 

Les compétences sont notées sur 20. La chance de base dans une compétence est à peu près égale à 1 + la caractéristique associée divisée par trois. On commence avec une douzaine de compétences "entraînées" où ce score double (donc un personnage moyen avec une caractéristique de 12 aura 05 en chance de base mais 10 en compétence entraînée, mais si la caractéristique associée atteint 16-18, on peut atteindre 07 en chance de base et 14 au score maximum). Donc si on compare avec RuneQuest, on a peu de compétences qui vont dépasser les 25% mais elles peuvent tourner autour de 50-70%, ce qui paraît quand même moins incompétent que dans Forbidden Lands, Mutant Year Zero ou Coriolis

L'expérience ressemble à RQ : à la fin d'un scénario, on doit faire des jets d'expériences sur les compétences qu'on a utilisées et si on fait PLUS que le score, on peut augmenter d'un point. 

Les compétences maîtrisées (avec des scores atteignant 18 par exemple) ouvrent aussi la voie à des "capacités héroïques" qui réussissent automatiquement mais demandent de payer des points de Volonté quand on les utilise. 

Système

On doit faire le moins possible sur d20 en dessous de sa compétence ou de sa caractéristique. Un 01 s'appelle un drakslag (un jet de Dragon) et c'est une réussite critique, et un 20 s'appelle un demonslag (un jet de Démon). Une originalité est qu'on peut choisir l'effet du Dragon en combat : doublement des dés de dégâts, ignorer l'armure ou avoir droit à une seconde attaque gratuite. 

Comme dans D&D5, si on a un avantage, on peut jeter un d20 supplémentaire et choisir le meilleur (et réciproquement si on a un désavantage) et on peut accumuler et additionner ces boni et mali

Si on n'a pas tiré un Demonslag, on a droit à une relance ("Push") mais cela entraîne un coût qu'on choisit et qui va occasionner un désavantage temporaire dans une des caractéristiques tant qu'on ne s'est pas reposé (par exemple une "condition" Fatigué pour les jets concernant la Force, ou En colère pour les jets concernant l'Intelligence). 

Comme dans RQ, on peut parer des coups mais c'est assez différent car cela implique de sacrifier son attaque ce tour. Les Monstres ont un système spécial simplifié et ne sont pas censés parer (ce sont les PJ qui doivent tenter de parer leurs coups). Un jet de "Dragon" en attaque ne peut être paré que par un Dragon en parade. Un Dragon en parade donne droit à une contre-attaque immédiate si l'Attaque était normale. Les Armures sont beaucoup plus efficaces que dans le RQ traditionnel puisque toute attaque qui ne passe pas l'armure (même sans parade) risque d'abîmer l'arme. 

Il n'y a pas de localisation des coups mais en cas de blessures sévères on tire sur une table des séquelles (dont des effets psychologiques comme un Stress post-traumatique). 

Le chapitre créature ne décrit que 15 Monstres, dont les Démons dont l'effet est plus de maudire que de blesser. La règle spéciale pour les Monstres peut les rendre plus effrayants qu'un PNJ normal comme ils ont des règles séparées. 

Magie

Chaque Mage choisit une compétence spécialisée dans l'une des trois écoles, en Animisme (le shamanisme traditionnel de RQ), Mentalisme (discipliner son propre esprit et modifier son corps) ou Elémentalisme (invoquer des sylphes, salamandres...) et certains sorts (6 seulement) relèvent de la Magie générale. Un débutant ne peut pas avoir plusieurs collèges à la fois et il y a peu de sorts dans chaque collège (13 sorts en Animisme, 13 en Mentalisme, 16 en Elémentalisme). Le Mage utilise des Grimoires et le nombre de sortilèges qu'on peut retenir préparés est seulement égal à son score de base dérivé de l'INT (donc 5-7). 

Si on tire un "Démon", on a une table de catastrophes magiques et l'une d'elle peut faire apparaître... un Démon. 

Il y a une règle assez chouette sur l'énergie. Si on atteint un score trop faible en Points de Volonté (qui doivent être souvent dépensés puisque ce sont aussi eux qui alimentent les capacités spéciales), on peut les recharger en sacrifiant des Points de Vie. On choisit quel dé (d4, d6, d10...) on lance et le résultat est à la fois les Points de Volonté en plus et les Points de Vie en moins

Dimmornas Dal ("Le Val Brumeux")

Les règles n'ont pas vraiment d'univers explicite et Fria Ligan ne doit pas avoir acheté aussi les droits d'Ereb Altor, la Terre parallèle utilisée dans les premières éditions. Mais la boite a quand même inclus des PJ pré-tirés avec un mini-setting, le Dimmornas Dal, le "Val des Brumes" perdu entre les Monts des Crocs de Dragon au nord et les Monts des Soucis (je suppose que c'est le sens allemand de Kummer) au sud, la Forêt de Fer à l'ouest et le Marais Hanté à l'est. Au milieu se trouve le village d'Utkante ("Bordure", traduit Outskirt en anglais), hameau de 200 colons humains. 



Le cadre a pris le nom de D och D à la lettre. Dans le passé, les Dragons ont aidé les mortels à emprisonner les Démons du Val Brumeux, mais ensuite les Humains ont commencé à rejeter tout autant l'autorité de l'Empereur-Dragon. Les Orcs qui occupaient le Val après la chute de l'Empereur-Dragon ont tenté de réveiller les Démons mais les autres peuples viennent de revenir depuis quelques années dans le Val en guerroyant contre les Orcs. 

La campagne de 15 aventures dans le Val met les PJ face à diverses factions qui veulent retrouver l'ancien secret de l'Empereur-Dragon qui serait caché ici. Or la difficulté va être de savoir quelles sont les vraies intentions de ces diverses factions. Ce n'est pas très original (on n'échappe pas au vieux cliché de la relique divisée en plusieurs fragments) mais je crois que l'originalité n'est pas vraiment le but si Drakar och Demoner est aux Suédois ce que Basic D&D, Mega, l'Ultime Epreuve ou l'Oeil Noir est à beaucoup de joueurs français (si ce n'est que DoD est toujours resté diffusé sous une forme ou une autre). C'est un petit "bac-à-sable" et il n'y a pas nécessairement un ordre linéaire entre ces aventures : les PJ peuvent trouver diverses rumeurs qui les envoie dans plusieurs directions dans le Val Brumeux. L'arrivée a un petit donjon dans le genre des Barrow-Wights du Seigneur des Anneaux, les tertres ou cairns des Chevaliers. 

Conclusion

J'aime beaucoup de choses dans la légèreté et l'accessibilité de DoD mais je suppose qu'on aurait droit ensuite à des extensions. l16 pages, c'est est rapide si on voulait avoir des détails sur la Magie. 

Pour l'instant, la différence importante avec son origine dans le lignage du jeu de Steve Perrin paraît être la rapidité des combats et ces idées comme la relance de dés ou de sacrifier ses Points de Vie en échange de Points de Magie. Les personnages me semblent aussi légèrement moins fragiles que dans Forbidden Lands mais je n'ai pas testé en jeu. 

Voici pour comparer un extrait de l'Occident de la carte de leur ancien monde Ereb Altor, avec les pays médiévaux de Kardien ou Zorakin, les forêts elfiques de Goiana, l'île sacrée de Caddo ou les îles d'Erebos (pleines de Canards), à l'ouest de l'ancien empire de Jorpagna, au bord de la Mer de Cuivre


Voir aussi la discussion sur CasusNO qui m'a aidé à comparer avec Forbidden Lands

Raskal fait un test du scénario d'intro (j'aime bien la traduction de Mallard en "colvert"). 

mercredi 14 juin 2023

John Romita Sr (1930-2023)

 


Les comics Marvel chez Kirby ou Ditko doivent en grande partie leur identité aux comics de Monstres. Leurs super-héros comme la Chose, Hulk ou même Spider-Man furent la suite des histoires de Monstres des années 1950 sur la marginalité et le sentiment d'exclusion. Mais après que Ditko au style si enfiévré et expressionniste eut claqué la porte en août 1966, c'est le style de John Romita Senior (dont on vient d'apprendre le décès à 93 ans) qui allait imprimer une autre influence. 

John Romita s'était formé dans les comics de Romance (notamment chez DC), aux formes féminines plus érotisées. Il allait arrondir les formes et intégrer une part de tension et des cauchemars baroques ditkoesques à un nouveau style plus serein ou plus "classique". Son Peter Parker restait certes tourmenté et plein de pathos, mais en ayant fini sa phase d'adolescence. La Romance a aussi du pathos mais ce n'est pas le même pathos, on passe de l'exclusion sociale presque sacrificielle au drame intime et plus inter-personnel. Le Parker de Ditko était un adolescent binoclard, émacié et dégingandé, parfois assez irritable, voire violent, et celui de Romita était un étudiant bien plus souriant et séduisant, plus à l'aise et il avait droit à une vie sentimentale plus attirante. 

Il est vraisemblable que les deux artistes projetaient une part de leur propre identité comme on le voit dans l'autoportrait que fait Romita ci-dessus. Alors que Ditko avait été vite en conflit avec Stan Lee, Romita s'entendit bien mieux avec Lee et fit vivre Spider-Man quasiment tout seul pendant 7 ans, de 1966 (le n°39) à 1973 (le n°119, dernier numéro régulier même s'il revint sporadiquement par la suite). Cette entente entre Romita et Lee est d'ailleurs une objection à l'argument des partisans de Kirby & Ditko qui réduiraient énormément l'importance de ce scénariste : les histoires et surtout les dialogues n'avaient pas tellement évolué après le départ de Ditko. 



Une des marques de l'immense talent de John Romita était que cela semblait si léger et facile, et que c'est son Spider-Man qui est resté la figure emblématique de Marvel quelles que soient les métamorphoses chez d'autres dessinateurs. 

(image prise sur le facebook de Ph. Touboul)

lundi 12 juin 2023

Peut-on sortir d'un cercle vicieux ?

Il peut paraître facile de sortir d'un cercle vicieux quand on en prend conscience mais les forces de ce cercle vicieux peuvent être plus puissantes que n'importe quel choix volontariste. Je ne connais rien en économie mais je crois comprendre que le déclin de l'économie japonaise depuis au moins 30 ans vient du fait qu'ils n'ont jamais réussi à trouver un moyen de sortir de leur "piège à liquidité". L'économie est devenue un exemple de fatalité "tragique" où les individus sont témoins d'un enchaînement sans savoir comment l'action humaine peut faire quoi que ce soit (tout comme le dérèglement climatique comme effet fatal de notre capitalocène où nous ne faisons rien et savons que nous ne ferons rien). Le conspirationnisme est une manière de gérer cette frustration face à ce tragique incompréhensible d'un "système" qui semble devenir si bloqué et irrationnel dans ses effets à moyen terme malgré toute sa prétention à la rationalité. 


Bridget Riley, Blaze 4 (1964)


De même, tous les Etats-Providence sont enfoncés depuis le grand retournement des années 1970 dans une sorte de cercle vicieux. Quand la stagflation des années 70 a mis à mal toute une partie du Keynésianisme, ce qu'il est convenu d'appeler la révolution néo-libérale a commencé à installer à la fois l'idée qu'il fallait des politiques d'austérité baissant les dépenses et que devant les effets négatifs pour les services publics il fallait passer à leur privatisation. Et ensuite plus les services publics déclinent, plus on se dit que mieux vaut passer aux services privés. Et plus on passe aux services privés, plus on se dit qu'on ne voit pas pourquoi on payerait pour les pauvres qui doivent se contenter désormais d'un service minimal universel à la place des services publics efficaces pour tous. 

Les élites peuvent périodiquement être soutenues par une majorité plus ou moins démocratique, soit par simple calcul rationnel d'individus qu'ils auraient plus à gagner à cette privatisation qu'à la redistribution, soit par un ressentiment que la redistribution profiterait plus aux autres qu'à soi. Le pouvoir dit souvent que ce sont les opposants qui manipulent les passions tristes de l'envie mais c'est tout aussi fréquent d'utiliser un ressentiment envers certains des exclus ou des exploités pour les pouvoirs populistes majoritaires. Et quand ils risquent de perdre la majorité, ils peuvent encore détenir d'autres pouvoirs pour limiter leur perte temporaire de pouvoir. 

Autre cercle vicieux : plus ce pouvoir devient "démophobe" au nom de cette rationalité économique, plus les oppositions risquent de remettre en cause les processus légaux et plus cela va renforcer ensuite la méfiance envers ces réactions d'opposition et conforter une répression plus autoritaire. Et plus cela consolide aussi le risque de démagogies qui affirment qu'elles détiennent un monopole de légitimité qui ne reposerait plus sur des respects de procédures formelles. Les deux camps opposés ne se reconnaissent plus dans le système parlementaire : les élites disent qu'elles doivent le manipuler parce qu'il resterait trop dépendant des masses capricieuses et les populistes disent que ce parlement ne peut plus qu'être une forme vaine sans espoir de reconstruction et qu'il faut justifier des recours au modèle de la violence, voire de la "guerre". Chacun accuse l'autre d'avoir commencé ou d'avoir aggravé ce processus d'anomie et de guerre sociale. 

Mais pour revenir à l'éducation, pour prendre l'exemple de la France, la chance que nous avions pendant longtemps dans notre système public d'enseignement était la bonne réputation de certains établissements publics de centre-ville. Les élites (sauf pour des traditions religieuses passéistes) ne voulaient pas aller dans le privé mais dans ces établissements publics d'excellente réputation. Les écoles privées avaient globalement encore à la fin du siècle dernier une mauvaise réputation de boites à bac pour les fils à papa trop médiocres qui partaient du système public parce qu'ils y étaient trop mauvais. Bien sûr, il y avait quelques exceptions (notamment les écoles confessionnelles qui restaient très puissantes dans l'ouest). Cette catégorie simple du fils à papa joue un rôle de résumé assez commode pour cette évolution (même si le terme paraît un peu désuet dans son sexisme). Leurs choix sont décisifs pour l'économie : là où vont les fils à papa, là va la société. 

Mais nous allons vers un système encore plus inégalitaire que les Américains (en dehors du supérieur où le processus commence seulement). Les élites de nos oligarchies ont commencé à fuir vers le privé et commencent même à fuir la France tout court. Dès lors, elles se désintéressent du système public. Les ministres de l'éducation nationale ou de nombreux enseignants mettent leurs enfants dans le privé - et il ne s'agit pas de leur jeter la pierre, c'est assez "systémique". On entre dans une spirale négative de prophétie auto-réalisatrice : plus l'opinion va se persuader que l'école publique est mauvaise, plus les élites retirent leurs enfants, plus les inégalités s'accroissent et plus l'école publique s'effondre. 

Notre chance historique est que les élites d'Europe continentale acceptaient de la redistribution et un bas coefficient de Gini mais qu'elles n'en voient plus l'intérêt depuis qu'elles ont pris un pouvoir plus direct pour baisser la redistribution et faire exploser les inégalités. Pourquoi feraient-elles encore semblant d'accepter ces sacrifices si elles voient que leurs partenaires des autres milliardaires n'ont plus à le faire. Pourquoi payer encore pour l'école des pauvres si elles n'ont plus de raison de la fréquenter ? 

En France, cela s'est fait en deux phases : les Grandes écoles d'abord contre les Universités depuis un siècle et les écoles internationales contre les Grandes écoles ensuite depuis quelques années. La mondialisation d'un marché éducatif va détruire les systèmes d'enseignement pour ne garder que des filtres de validation sociale. 

Nous sommes dans une sécession des élites où elles vont même fuir les universités publiques qui vont être de plus en plus ruinées par leur prétendue "autonomie". Un article du Monde récent disait que les fils à papa préfèrent maintenant des écoles internationales qui ne sélectionnent plus que sur des critères financiers et sociaux car le réseau ploutocratique (le carnet d'adresses) est plus important que les anciennes justifications méritocratiques ou technocratiques. Ils allaient jusqu'à dire que les clubs informel du BDE (le "Bureau des Elèves", mais parfois déguisé en greenwashing ou en "développement responsable") devenaient plus profitables que le diplôme. Bien sûr que les fils à papa les mieux entraînés continueront à préférer justifier leurs positions d'héritiers par l'X (comme nos anciens PDG) mais pour la plupart qui n'arriveront plus à ces critères de sélection par la rapidité en mathématiques un MBA de l'entre-soi peut être assez efficace. 

Emmanuel Macron a vite compris après sa sortie de l'ENA que sa mission dans la commission Attali lui offrait un splendide carnet d'adresses qui allait faire de lui l'agent exemplaire de cette ploutocratie alliée à l'ancienne technocratie pantouflante. Les énarques ne pouvaient plus garder le "sens de l'Etat" depuis 40 ans. Ils ne peuvent plus se prendre pour une élite politique dans un monde où tout ne se valorisait plus que dans l'appartenance à l'oligarchie financiarisée. Il s'agissait de vendre ses services au nom de la rationalité économique où l'individu est un entrepreneur de soi qui doit maximiser ses gains spéculatifs dans un monde où l'économie financiarisée est devenue la science générale formelle de maximisation dé-substantivée. Il est cohérent de tenter de devenir le meilleur des mercenaires dans un tel marché d'optimisation de soi. On ne peut même pas appeler cela du cynisme quand l'économie au sens formel leur enseigne que ces stratégies s'identifie avec la rationalité. 

Récemment, la philosophe Monique Canto-Sperber (qui fut spécialiste de Platon et de philosophie "morale" et qui avait obtenu plusieurs postes prestigieux dans l'université française en dirigeant l'ENS-Ulm puis une fédération (Grand établissement Paris-Sciences-Lettres) a annoncé qu'elle lançait un "liberal arts college" privé à Paris nommé AtoutsPlus. Cela semble être un très dispendieux machin pour des fils à papa assez riches pour payer 12 700 euros mais pas assez doués en anglais pour aller étudier à l'étranger (oui, 40% des élèves sont dispensés des frais d'inscription sur dossier grâce aux 60% autres). 

Le parcours de légitimation de Canto-Sperber dans l'université publique n'était plus q'un tremplin pour s'enrichir dans une école bidon profitant de la pénurie et des frustrations face à l'effondrement de cette université - tout comme les ministres pantouflent ensuite sans craindre des conflits d'intérêt. La spécialiste de Platon se disait "et puis zut, autant rejoindre les Sophistes" et on sait que la philosophie dite morale est souvent le meilleur moyen de chercher des rationalisations pour justifier ses propres turpitudes. Mais en l'occurrence, cela devient plus inquiétant que la simple corruption ou la cupidité. Nos élites sont devenues nihilistes. La vie est en danger et il faut donc s'enrichir plus vite dans une grande explosion finale avant que tout ne brûle. Il n'y a même plus à avoir honte et à se cacher. Il y a "des gens qui ne sont rien" (comme disait E. Macron) et il faut être plus en possédant plus, accroître sa puissance d'agir avant que les causes extérieures ne finissent par vous submerger. 

samedi 10 juin 2023

Земля слушает (1965) de Vladimir Nesterov


 

This is fine

 (photo par V. Dain 23 mars 2023)




lundi 5 juin 2023

Edge of Chaos 1-3 (1983-1984)

Gray Morrow (1934-2001) était un dessinateur avec une carrière variée qui fit aussi bien depuis 1959 des couvertures de romans de SF (il a gagné 3 Hugo comme artiste 3 ans de suite en 66-68), des adaptations de classiques littéraires, des reprises de comic strips (de Tarzan, Flash Gordon ou Buck Rogers à Prince Valiant - il a même fait un strip adaptant Sword of Shannara dès 78 !), des comics mainstream chez DC et Marvel, de l'horreur en N&B, de la bd érotique (chez Playboy ou Penthouse), du dessin animé avec Bakshi, des travaux indépendants pour adultes comme witzend avec Wally Wood ou chez Heavy Metal (1978-1982). 

Il s'est suicidé (comme son ami Wally Wood vingt ans avant), par arme à feu à 67 ans quand les tremblements de ses mains causés par la maladie de Parkinson l'empêchèrent de continuer à dessiner. 

Dans Heavy Metal, Morrow écrivait et dessinait lui-même les aventures d'un héros avec un court bouc noir (un mélange de l'auteur et d'Errol Flynn), nommé Orion (il en avait créé les bases dès une courte histoire dans witzend). C'était une bd de sword & sorcery (avec des influences du Warlord de Mike Grell de 1975, des innombrables John Carter, des comics de blackploitation et de kung fu des années 70). L'heroic fantasy n'a jamais été un genre aussi populaire dans les comics que dans les romans mais c'était assez important dans la bd indépendante. Morrow mit plusieurs années (entre des boulots mieux rémunérés) pour finir sa série en 60 pages sur Orion. Son héros spadassin flamboyant doit affronter plusieurs sorciers qui veulent lui prendre son épée magique nommée Thorbolt, qui est aussi la clef pour ouvrir les 7 portails. 

Après la conclusion difficile d'Orion, Gray Morrow propose en 1983 Edge of Chaos chez Pacific Comics (qui avait le grand avantage de laisser les droits aux créateurs). L'auteur complet y fait tout, le scénario, le dessin, l'encrage, le coloriage. Hélas, le style ne reste pas très consistant en partie pour des raisons techniques (chacun des trois numéros est imprimé sur des papiers distincts) et Morrow semble se désintéresser du 3e numéro. 

L'aventurier Eric Cleese, le héros de Edge of Chaos au nom si curieusement MontyPythonesque, ressemble un peu à cet Orion au point que j'ai d'abord cru à une sorte de suite non-officielle chez un autre éditeur et sous un nouveau nom. Mais son apparence tient cette fois plus de Steve Reeves en Hercule que d'Errol Flynn (Eric-Cleese est censé être l'inspirateur futur du mythe d'Héra-clès). Cleese tombe amoureux de la déesse Diana, comme le personnage mythologique du géant Orion. Peut-être y a-t-il aussi chez Morrow un vague hommage aux jeux mythologiques à la Von Däniken de Jack Kirby dix ans avant. Et comme chez Wally Wood, les femmes ont tendance à perdre vite leurs vêtements. 

Dans Edge of Chaos, les Dieux grecs (mais peut-être aussi d'autres panthéons, on voit passer un Anubis) sont des extraterrestres tombés sur Terre dans la Haute Antiquité (sur "Atlantis"). Ils se sont séparés en plusieurs groupes : le capitaine Zeus veut rétablir le contact avec leur planète d'origine et ceux-ci exigent que les Olympiens mettent fin à leurs interférences nombreuses sur l'Humanité et qu'ils réparent les modifications qu'ils ont causées. Moloch au contraire, qui cherche vainement à ressusciter sa femme Althéa, a formé de nombreux mutants et des disciples sorciers sur cette terre d'Atlantis. Moloch est en guerre ouverte contre Zeus mais aussi contre Orcus, le maître des Morts et amant éconduit d'Althéa qui n'a fourni à Moloch que des androïdes pour remplacer la défunte et qui refuse de la faire revivre. 

Zeus veut lutter contre Moloch sans intervenir directement (en partie parce que tous ses agents ont déjà échoué). Il déclenche un paradoxe temporel en faisant venir un Humain, Eric Cleese, et en lui donnant une superforce et quasi-invulnérabilité. Cleese ne sera aidé au début que de Deona la Chasseresse, qui partage ses sentiments. La mythologie grecque n'est guère qu'une vague toile de fond comme ce monde est une superposition de clichés de fantasy. Atlantis est pleine d'innombrables espèces de mutants et hybrides, bêtes intelligentes, centaures, satyres, dryades, elfes, gnomes. 



Une des meilleures idées est que Cleese a vite deux acolytes d'espèces différentes, Slag un Néanderthalien stoïque et Flan, un Mandrill hyperloquace qui évoquerait plus des picaros de Jack Vance par son style volubile. Ce fripon alcoolique de Flan risque un peu de voler la vedette à Cleese, qui reste assez plat malgré ses tentatives d'humour. 

Cleese les aide contre la Sorcière Circé ("Zersa Hill-Hag"), disciple de Moloch, et celle-ci tente de le tuer avec l'aide d'un Cyclope puis avec une Tunique de Nessus, une sorte de peau-vampire. Ce mélange des mythes d'Ulysse et Héraclès est assez réussi (et Circé semble aussi absorber le personnage d'Athéna comme elle a une chouette robotique, comme dans Clash of Titans).  

Hélas, la fin devient bâclée. Orcus lance ses légions de morts-vivants contre son rival Moloch. Circé se transforme pour faire croire qu'elle est Althéa ressuscitée, pour mieux assassiner son ancien maître Moloch. Celui-ci veut déclencher un cataclysme pour détruire Atlantis et la fin est une reprise directe des théories fumeuses vélikovskyennes : la catastrophe crée à la fois la Lune (Diana) et la planète Vénus (Zeus décide de la nommer ainsi à cause du triangle amoureux entre Orcus, Moloch et Althea). Les Olympiens survivants décident de repartir de la Terre (y compris Deona) et Zeus propose à Cleese de le ramener à son époque, mais Eric Cleese annonce qu'il va rester vivre dans ce monde antédiluvien, ce qui suggère que Morrow n'aurait peut-être pas renoncé à le réutiliser un jour. 

Malgré la fin décevante et les problèmes d'impression des couleurs, ce comic avait le mérite de laisser Morrow se défouler et quelques cases suggèrent ce qu'il aurait pu faire dans un cadre avec plus de temps pour dessiner. 

Caractère empirique

I think that all happiness depends on the energy to assume the mask of some other self; that all joyous or creative life is a rebirth as something not oneself, something which has no memory and is created in a moment and perpetually renewed. We put on a grotesque or solemn pained face to hide us from the terrors of judgement, invent an imaginative Saturnalia where one forgets reality, a game like that of a child, where one loses the infinite pain of self-realisation. 

(...)

If we cannot imagine ourselves as different from what we are, and try to assume that second self, we cannot impose a[Pg 36] discipline upon ourselves though we may accept one from others. Active virtue, as distinguished from the passive acceptance of a code, is therefore theatrical, consciously dramatic, the wearing of a mask. 

William Butler Yeats (1865-1939), Memoirs p. 191 (fragment de son journal cité dans Per Amica Silentia Lunae VI p. 35)