vendredi 22 décembre 2023

Calendrier de l'Avent des Arguments philosophiques XII : L'Homme dans le Vide

20 Bichat, jour de Berzelius (1778-1849). Il devait juste venir de mourir quand Auguste Comte a créé ce calendrier. 

Vers l'an 1020 (410 après l'Hégire), le plus grand philosophe de toute la civilisation musulmane, Ibn Sīnā avait quitté sa région de Bukhara (Sogdiane et Transoxiane) pour venir au centre de la Perse, du côté de l'Emirat de Ray (partie de l'actuelle Téhéran, les Buyides avaient fondé trois émirats, Baghdad, Ray et Shiraz). Ibn Sīnā, qui était alors connu surtout comme médecin, avait soigné l'Emir Majd Al-Dawla de sa mélancolie et avait rejoint l'entourage du frère de Majd Al-Dawla, Shams. Le fils de Shams al-Dawla, Sama, voulait forcer le grand savant universel Ibn Sīnā à devenir son Vizir et celui-ci tenta de s'enfuir et de se cacher pour échapper à ce sort politique. Mais Ibn Sīnā fut retrouvé et accusé de comploter contre Sama avec son grand-oncle Ala Al-Dawla, Emir d'Isfahan. Ibn Sīnā fut donc jeté en prison près de Hamadan et on dit que c'est dans cette geôle où il passa quatre mois qu'il écrivit son traité sur l'Âme où apparaît l'Argument dit de "l'Homme Flottant" ou "Argument de l'Homme Volant". Il fut libéré quand Ala Al-Dawla renversa son neveu Sama (toute la dynastie des Buyides s'écroula peu de temps après). 


L'Homme Flottant

Imaginons qu'un être rationnel soit créé d'un coup, sans passé, sans expérience mais avec des capacités intellectuelles. 

Imaginons qu'il est dans un vide absolu où il flotte sans qu'il y ait ni haut ni bas. Il peut vivre par supposition mais n'aurait ni besoin de respirer ni besoin de manger ou boire. Dans ce vide, il n'a strictement rien à voir. Il ne subit aucune pression sur son corps, ni vent, ni lumière, ni son. Que pourrait alors concevoir son esprit privé de toute possibilité de sensation ? 

Pour Ibn Sina, cet esprit ne saurait alors qu'une chose, qu'il est en train de penser et qu'il est un être pensant. Il ne pourrait même pas se représenter son corps dans ce vide. 

Mais il pourrait quand même être conscient de soi. Il pourrait alors déduire qu'il doit être un esprit pensant et que la connaissance de cet esprit serait alors plus évidente que celle de son corps. 

L'argument chez Ibn Sina ressemble beaucoup à celui du Cogito de Descartes mais la différence est dans le choix volontaire de douter de tout pour se mettre dans la situation hypothétique de l'Homme Flottant. Chez Ibn Sina, c'est une expérience de pensée hypothétique alors que chez Descartes c'est une expérience que toute pensée peut réellement effectuer sur soi "au moins une fois dans sa vie". Mais Ibn Sina imagine un Dieu créateur "expérimentateur" alors que Descartes part d'un Malin Génie ou d'un Dieu Trompeur. Ibn Sina part plus d'une absence de sensation alors que Descartes va plus loin en supposant que toutes les sensations et croyances seraient fausses par stipulation. Chez Ibn Sina, on a vraiment un solipsisme monadique, alors que le doute méthodique n'exclut pas les autres directement. 

Voilà un résumé par Peter Adamson (qui pense que l'Argument veut plus montrer la concevabilité de l'immatérialité de l'âme que démontrer sa vérité). 

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