jeudi 7 décembre 2023

Calendrier de l'Avent des Arguments philosophiques III : La meilleure vie est la recherche scientifique

5 Bichat, jour d'Edmund Halley (en passant, Bichat devait être génial comme martyr de la science, comme il est mort de ses dissections à 30 ans en 1802, mais il est clair que si Auguste Comte avait vécu un peu plus longtemps, ce dernier mois de l'année se serait appelé Pasteur et pas Bichat - et on mettrait sans doute Darwin à la place de Gall).  

Aristote finit l'Ethique à Nicomaque (Livre X) en se demandant ce qu'est la meilleure de toutes les vies humaines.  

1 Ce n'est bien sûr pas la vie de travail, qui est indigne de l'homme, bonne seulement à chercher de quoi vivre. C'est la vie la plus proche du légume qui ne cherche que de l'eau et de la lumière. C'est la vie des esclaves (qui n'ont pas le choix) et des avides (qui sont vicieux). Aristote ne peut pas du tout imaginer que la modernité inversera toute la hiérarchie en faisant de l'intérêt économique le moteur de toute l'innovation technologique (et vice versa ensuite). 

2 Cela ne peut pas être la vie de plaisirs, qui est certes plaisante mais digne d'une bête qui ne chercherait que survie et plaisirs de divertissements. C'est la vie des tyrans, des sybarites, et elle ne satisfait que des brutes (même si c'est quand même mieux que la vie de travail). J'imagine qu'une grande partie des plaisirs même simples peuvent entrer dans cette vie de fête, même si cela peut finir par confiner à la vie suivante dans les formes sociales de l'amitié. 

On arrive enfin aux vies humaines

La plupart (des Grecs) diraient que c'est donc la vie politique, vie de gloire où l'humain agit pour le bien de sa Cité. C'est Thémistocle ou Périclès ou même la gloire d'Alexandre le Grand. Ce n'est pas nécessairement la Gloire militaire de la conquête, cela peut être aussi la Gloire plus immortelle du Juste, comme Solon, le plus heureux des hommes selon l'opinion grecque. 

Mais Aristote va argumenter qu'il y a mieux que cette forme d'immortalité par les actions. 

Cette vie avec ses vertus pratiques de justice et de courage est certes noble mais elle reste dans la dépendance vis-à-vis de l'opinion dans la Cité. L'homme devrait être heureux dans la Cité, s'épanouir en cherchant ce qui est juste pour sa Cité mais sans rester dans sa dépendance. S'il perd les élections ou si l'opinion volatile du peuple change, il devrait réussir à dépasser ces aléas de la fortune. 

Le problème de la vie politique est qu'elle prend beaucoup de temps qu'on ne peut plus avoir pour soi. On y est vertueux mais cette vertu ne pourra s'épanouir que par les autres. 

La meilleure de toutes les vies est la vie de recherches scientifiques (bios theorétikos), dit Aristote, parce que l'être humain est un vivant défini par sa Raison et que c'est la seule des vies qui puisse épanouir pleinement cette activité. Les humains existent en fait pour faire de l'astronomie, comme disait Anaxagore. L'Humanité est cette partie de l'univers dont la fonction est de pouvoir connaître l'univers, de lui permettre d'arriver à la pensée de lui-même (oui, comme dans le fumeux principe anthropique, qui vient de cette téléologie aristotélicienne). 

Cela ne veut pas dire que le sage doit se désintéresser de sa Cité en s'enfermant dans l'Observatoire ou le Laboratoire. Il doit être citoyen, éduquer le jeune prince macédonien, faire ses devoirs civiques, mais pouvoir garder du temps pour la meilleure des vies, qui est la vie de contemplation de la vérité. 

Seule cette dernière offrira bonheur durable, plaisir qui consiste dans l'acte même de chercher (comme le divertissement dans la forme de vie de plaisir, mais avec un but plus durable). La Science est comme un jeu, mais c'est un jeu sérieux. On pourra certes mieux le réaliser dans un travail d'équipe mais l'individu peut aussi mieux y atteindre ce qu'il y a de plus universel et éternel, la connaissance des théorèmes qui lui survivront. 

Ce qui tombe bien, comme c'est celle qu'Aristote avait choisie en créant son équipe de chercheurs dans les différentes sciences. 

Aristote ne croit pas à l'immortalité de l'âme. La Gloire de la vertu politique (Solon) n'offre qu'une "immortalité" par procuration. Seule la connaissance offre l'éternité. Et c'est mieux que cette prétendue "immortalité" fugace dans la Gloire nationale. 

Certes, l'humain ne peut pas faire que connaître. Il devra travailler pour survivre (vie 1), il devra avoir la chance de disposer de certains plaisirs et d'amis (vie 2). Il ne sera pas dans l'auto-suffisance totale dans sa Cité et cette vie de découverte ne peut durer qu'un temps donné, quelques fragments d'éternité dans la vie des mortels. Mais la meilleure des vies est celle qui doit pouvoir intégrer ainsi cette hiérarchie des besoins humains. 

Si Dieu avait eu la décence d'exister, c'est d'ailleurs celle qu'il mènerait (Métaphysique, Lambda). Donc il convient, dit Aristote, de vivre de la vie la plus divine, qui n'est pas la fête dans un jardin, mais qui serait pour un temps donné l'adéquation parfaite entre la pensée et l'être et la meilleure réalisation du potentiel humain. 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

C'est lumineux. Merci.