mardi 29 décembre 2009

Mardi, Aristote s'accroche



Je ne cherche pas des excuses mais je vais avoir du mal à tenir la résolution d'Aristote pendant ces premières semaines de janvier (encore 50 copies cette semaine, un cours d'agreg, une conférence sur Russell, un chat qui s'endort sur mes genoux que je ne veux pas réveiller et des bibliographies de colles d'hypokhâgne à chercher).

Alors dans notre petite glose sur la Physique, nous en sommes à la fin du livre I. Voilà juste un petit extrait de la fin du livre, I, 9, 192a 13-25.

En effet, la nature qui demeure est cause conjointement avec la figure, des choses qui adviennent, comme une mère.

Mais l'autre partie de la contrariété, celui qui applique sa pensée à son caractère malfaisant pourrait souvent se la représenter comme n'étant pas du tout. En effet, étant donné qu'il existe quelque chose de divin, bon et désirable, nous disons que le contraire de cela existe, et qu'existe aussi ce qui par nature tend par le désir selon sa propre nature vers celui-là.

Mais selon eux [les Platoniciens] il en résulte que le contraire désire sa propre corruption. Pourtant ce n'est pas la forme qui est susceptible de tendre vers elle-même puisqu'elle n'est pas en état de manque, ce n'est pas non plus son contraire parce que les contraires se détruisent mutuellement, mais c'est la matière, comme si la Femelle tendait vers le Mâle et le Laid vers le Beau. À ceci près que ce n'est pas le Laid en soi qui tend vers le Beau mais le laid comme accident et pas la Femelle en soi mais par accident.

Ce qui demeure sous les changements est donc la Matière (ὕλη, littéralement "le bois" ou l'écorce du tronc), comme le bronze qu'on moule sous diverses formes. Aristote en parle déjà comme d'une "cause conjointe" (sunaitia, en référence à Timée, 46c7, 46e6, 68e4–5, dans la traduction Carteron chez Budé "cause coefficiente") avec la forme (μορφή).

Aristote dit que la Matière est la Matrice, la "Mère" en référence au Timée où le Réceptacle des les corps de l'univers est la "Nourrice" de toute chose (πάσης εἰ̂ναι γενέσεως ὑποδοχὴν αὐτὴν οἱ̂ον τιθήνη, 49a). Le Réceptacle (χώρα) du Timée (52a-d) est donc la préfiguration de la matière aristotélicienne plus que du Lieu (qui sera délimité comme un accident de la substance).

Cette Matière n'est pas du Non-être, même si elle est "l'Informe" et donc infigurable.

La Forme a un contraire, qui est la Privation de Forme. La Matière a donc par accident une Privation mais désire passer vers une Forme, qui serait son accomplissement, sa mise en oeuvre. La métaphore biologique se comprend par quelques exemples : la matière de la semence tend vers la forme qui serait l'être développé.

On dit souvent que le modèle central du devenir aristotélicien est technique, avec la Statue de Bronze, mais ici il est avant tout biologique. La dualité fondamentale Forme/Matière épouse aussi la dualité sexuelle où la Femelle ne fournirait que la Matière informe alors que la Forme de l'espèce viendrait de l'élément mâle (la réponse aristotélicienne à la question de l'Oeuf ou la Poule aurait donc été la Forme essentielle du Coq et non les éléments matériels de l'Oeuf, si le monde n'avait pas été éternel pour lui).



Le présupposé sexiste d'Aristote est que le Femelle est vu comme privation ou imperfection, du Mâle raté ou même comme il le dit dans De Generatione Animalium Livre IV, la Femelle n'est pas l'assexué mais une naissance "monstrueuse", au sens d'un écart ou d'une anomalie, le Monstre du Mâle comme défaut de la Matière par rapport à la Forme Mâle - de même que d'autres monstruosités seraient des excès). Aristote cite même pour une fois une "autorité" purement mythique au début de son livre sur la Génération des animaux : la Terre (Gaïa) est femelle alors que la Forme divine désirable est mâle (Ouranos). Il n'a donc fait que retraduire ce sexisme depuis l'imaginaire grec.

La Femelle est aussi le principe du désir puisque le Désir est vécu comme instabilité ou détour pour arriver à l'état désirable. Tous les êtres tendent vers un Désirable absolu, qui sera lui-même défini comme principe de tout mouvement et comme dénué de tout désir. La matière, comme informe, est donc aussi ce qui est désire non pas sa négation ou sa suppression mais son perfectionnement par la mise en oeuvre (ce qu'Aristote appellera l'Acte ou Energie).

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