Ce blog velléitaire se donne souvent des résolutions qu'il n'arrive ensuite pas à tenir (Projet Œcumène, les jeux de rôle de superhéros, Bernard Williams, le jeu de rôle Bhāratavarṣa, les Contes du Vampire ou l'échec devant la lecture suivie de Infinite Jest cet été.
Je vais donc ajouter un autre projet à toutes ces ébauches inachevées en me mettant à un projet plus élevé encore : la lecture commentée d'Aristote. En un sens, tout commentaire de notre civilisation est toujours une glose à Aristote, alors autant le faire vraiment.
Je veux me concentrer sur la Physique parce que je connais un peu l'oeuvre logique et éthique. Mais comme je suis mauvais en mathématiques, j'ai toujours sauté les parties plus denses (c'est le cas de le dire) sur la divisibilité à l'infini et la critique de Zénon d'Elée, qui est un des legs principaux de ce livre génial.
Heidegger, qui aimait ce genre de paradoxes, disait (dans les Problèmes fondamentaux de la phénoménologie, un cours de 1927 sur Physique IV, résumé dans Être et Temps au §81) que la Physique d'Aristote n'avait rien à voir avec notre Physique puisque c'était un livre de philosophie et d'ontologie antérieur à la scission entre Philosophie et Physique. Mais en un sens, il reprochait aussi implicitement à Aristote d'avoir instauré des choix et des concepts fondamentaux sur le Temps, l'Espace et le Mouvement qui allait conduire la métaphysique à la séparation des sciences de la nature. Le scientifique peut juger qu'Aristote n'est pas assez galiléen ou pas assez newtonien, mais Heidegger lui reprocherait plutôt de l'être déjà trop et d'ouvrir la voie vers une réduction future de tout étant à des mouvements spatiaux (encore que Démocrite serait peut-être plus responsable qu'Aristote).
On peut voir en Aristote le fondateur d'une philosophie de la différence entre physique et philosophie. Son cours de "Physique" va consister à séparer l'étude de la Nature (et des Causes du Changement Naturel) d'une Science désirée de l'être en tant qu'être et d'une Théologie. La tradition pourrait y voir une "Philosophie de la Nature", ou une "ontologie" régionale comme dirait Husserl, une étude des étants physiques ou naturels alors qu'Aristote est capable de penser l'autonomie des disciplines qu'il est en train de créer dans notre tradition. La Physique va avoir ses problèmes propres, ses principes, sa différence avec la Science désirée et la Théologie, sans être une "application" locale. Le génie d'Aristote est de refuser de réduire ainsi la Physique à une Logique ou une ontologie abstraite de l'Être (les Eléates) mais aussi à un Mécanisme géométrique (les Matérialistes), au nom de la Finalité du vivant et du désir universel vers le Bien et le Premier Moteur.
Le thème principal de la Physique est le problème du Changement (ou plus précisément du "Mouvement", κίνησις, au sens aristotélicien, ce qui comprend le mouvement local mais aussi l'altération qualitative et le changement quantitatif). Il faut montrer que le Changement est possible et comprendre ses modalités. La Physique va donc se limiter en théorie à ce domaine, qui est celui des êtres mus, par opposition aux abstractions immobiles (Mathématiques) et à un Bien qui serait Premier Moteur (Théologie).
L'unité de la Physique n'est donc pas par le substrat matériel mais par le devenir. Est physique ce qui change, ou plus précisément ce qui se meut, le mobile et l'auto-mobile. Le projet de cette Physique est de s'insérer entre une Unité éternelle et la diversité indéterminée, dans ce domaine du passage.
En un sens, malgré le nom donné par les éditeurs à la "Métaphysique" (après la Physique), on pourrait se demander si ce livre ne devrait pas être étudié avant puisque les renvois sont continuels entre les deux livres et que la Métaphysique semble plus générale. Mais il semble bien qu'entre les deux, on parte du problème du Changement pour celui de l'Être. Curieusement, le Changement d'un Être (que ce soit d'une Substance ou d'un Accident) n'est pas lui-même analysé comme un accident mais comme une sorte de passage entre les accidents, on le verra (ou comme le diront ensuite les Stoïciens, un "accident d'accident"). Ce choix de la scission entre Changement et Substance (comme condition de possibilité et d'intelligibilité du Changement), entre Physique et Métaphysique est déjà une thèse ontologique, celle du refus d'une ontologie d'événements (ce qui commencera vraiment à être pris au sérieux avec Whitehead et Russell).
La Physique est composée de 8 livres, qui ont beaucoup plus d'unité dans leur progression que les 14 livres un peu chaotiques de la "Métaphysique" qui tournent autour de la Substance et de ses Accidents, qu'il y ait changement ou pas (cf. le synopsis).
On le voit, les deux premiers chapitres portent sur des "principes" et des "causes" généraux qui peuvent rappeler les premiers livres de la Métaphysique. Les deux derniers livres confinent en revanche à la Théologie du Livre XII (Λ) de la Métaphysique. Le Livre XI (K, sans doute apocryphe) de la Métaphysique résume les livres III et V de la Physique.
Le plan est un peu inégal comme le Livre IV sur le Lieu, l'inexistence du Vide et le Temps ou le Livre VIII sur le Mouvement éternel sont plus longs que les autres.
3 commentaires:
Bien que je sois un béotien en matière de philosophie (il y en a que pour les Athéniens), ce projet me parait particulièrement intéressant, étant donné l'aura du personnage et l'influence qu'il exerce encore aujourd'hui sur la pensée occidentale.
Ceci étant, que cela ne t'empêche pas d'avancer sur Bhāratavarṣa, tout de même !
Mal à la tête!
> Arasmo
Cela dit, je ne sais pas encore si je pourrais éclaircir tout le texte (notamment, je crois que je n'ai jamais vraiment compris pourquoi il fallait un Premier moteur si les êtres physiques sont définis comme auto-moteurs).
Promis, je me remets à Bhāratavarṣa aussi.
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