mercredi 1 août 2012

Gore Vidal (1925-2012)

2+2 is not possible in the United States of Alzheimer's

Le vieil homme de lettres Gore Vidal était quelqu'un de presque trop familier pour notre horizon français. Il ressemblait plus à nos Intellectuels avec son intervention fréquente et volontiers à contre-temps dans le débat public, dans des Etats-Unis qui préfère que les écrivains demeurent dans une tour académique et dans de verdoyants campus provinciaux.

Il le faisait parfois avec une ironie bienvenue et cruelle, la pointe à la Wilde, mais souvent aussi avec une sorte d'Esprit de Contradiction un peu vaniteux. Gore Vidal était si érudit, si cultivé (autodidacte, il avait refusé l'Université et il en rajoutait dans un lexique précieux) et il était si atterré par le spectacle puritain et cupide autour de lui qu'il en avait tiré un cynisme hautain, considérant qu'il resterait pour les Siècles futurs un observateur persifleur du déclin inévitable et de la corruption de la République américaine. Il avait gardé l'acidité d'un Ambrose Bierce. Il n'avait pas l'humour de Twain mais au moins sa libre-pensée (il se voyait comme "son Avatar"), et il n'était pas aussi réactionnaire que le satiriste Mencken mais partageait son solide mépris pour certaines formes du populisme. Il riait donc aussi de son propre snobisme affiché.

Son grand-père maternel et un de ses héros favoris, Thomas Gore (1870-1949, ci-contre en 1936), était un Sénateur démocrate et misanthrope. Il avait pu faire carrière tout en étant aveugle même si certains de ses collègues avaient essayé de lui faire signer des papiers en profitant de sa cécité. Gore Vidal avait tiré de son aïeul une défiance du système politique américain, même s'il tenta aussi de se présenter dans l'Etat de New York comme Démocrate en 1960 et à nouveau en Californie en 1982 (mais il présenta sa candidature comme un acte de vanité). Né dans un cénacle qu'il jugeait aristocratique, d'un grand aviateur et d'une actrice de Broadway, cousin indirect de Jacqueline Kennedy et même du Président Jimmy Carter ou d'Al Gore (non, c'est simplement un homonyme), il se comportait avec une sorte de morgue distante et patricienne, affichant son homosexualité avec une audace gidienne à une époque où même la sexualité tout court devait être refoulée (il fut l'amant de Jack Kerouac ou d'Allen Ginsberg). Il aurait voulu être un Alcibiade, dans toutes ses ambiguïtés sur sa Cité, l'Enfant-Terrible et le Traître Glorieux, mais il voulait aussi être le Tacite amer qui raconterait la perte de la Liberté.

Affectant un ton pompeux, il a dit que son regret était de n'avoir été engendré que par une mortelle (qu'il haïssait) et que si Zeus l'avait enfanté, qu'il n'ait laissé aucun registre officiel.

Une de ses grandes spécialités était les biographies. Ma favorite est Julian (1964), écrit à la première personne par l'Empereur néo-païen et néo-Platonicien, Julien l'Apostat (331-363). Comme dans son modèle probable, les Mémoires d'Hadrien (1951) de Yourcenar, et comme dans toute notre modernité post-nietzschéenne, Vidal s'en servait pour régler son compte avec le Christianisme. Le combat perdu de l'Empereur, disciple des philosophes, contre la Croix servait déjà de contrepoint au moment où Gore Vidal écrivait ses libelles et pamphlets contre l'alliance du Goupillon et de l'Impérialisme.

Son esprit de Cassandre l'emportait vers l'outrance et il prophétisait tant la Chute fatale de l'Empire qu'il en venait dans les années soixante à faire l'éloge des Viêtcongs contre l'Armée américaine, ou bien de tous les Palestiniens contre l'alliance américaines pro-Israël. Vers les dernières années depuis la sinistre comédie de la Junte de Dick Cheney, cela va finir par le conduire à des caricatures où il partagera certaines des théories du Complot qui nous affligent dans notre crise actuelle de la représentation démocratique. Ses nombreux essais finissaient par devenir des exercices en Diatribes plus que des recherches de la vérité, comme des Jérémiades définitives sur les périls menaçant la vertu civique. "Une République ne se restaure pas."

Les autres romans biographiques plus américains comme Burr (1973, anti-Jefferson) ou son Lincoln (1984) illustraient plus directement son but trop visible d'être "iconoclaste" et "provocateur". Vidal construisit une sorte de petite Comédie humaine appelée The Narrative of Empire sur des dynasties politiques américaines. Membre lointain du Clan Kennedy, il s'était battu à la suite d'une beuverie contre Robert Kennedy et fut un des premiers Démocrates à dénoncer le mythe de ce qu'il appelait "la Sainte Famille".

Il avait travaillé à Hollywood comme scénariste et comme acteur et il voyait la religiosité américaine avant tout comme une forme hystérique de la domination du Spectacle : la République devait se corrompre en une ploutocratie hypocrite qui se célébrerait dans un cinéma mystificateur. Autrement dit, le Reaganisme, comme dégénérescence de l'Empire.

La folle en Christ du Minnesota qui dirige le McCarthysme teahadiste actuel, Michelle Bachmann, a déclaré qu'elle avait changé de Parti et qu'elle était devenue une Républicaine en réaction à cause de l'engagement démocrate de Gore Vidal mais c'est un bel hommage de la maniaque au vice de l'écriture, et cela conforterait sa vision du monde.

Vidal n'était d'ailleurs pas non plus ce qu'on qualifierait "de gauche" en Europe, malgré toute sa loyauté aux factions démocrates des Clintons. Il ne reconnaissait pas toujours qu'il rejetait plus la vulgarité philistine des Nouveaux Riches que certaines inégalités. Si réforme il y avait, elle relevait tout au plus d'un paternalisme ou d'un Noblesse Oblige de la classe dominante. Il aurait sans doute réduit la plupart des causes généreuses de redistribution à du simple clientélisme ou à de la démagogie (même s'il fut aussi un ami du si charitable Paul Newman). Sa détestation de l'Impérialisme le menait même dans ces dernières décennies tragiques à des engagements de plus en plus idiots, comme par exemple à devenir un ami par correspondance du terroriste d'extrême-droite Timothy McVeigh parce qu'il avait du moins le mérite de faire sauter des bâtiments du gouvernement et qu'il estimait donc sa révolte "légitime". Comme si certains intellectuels américains n'arrivaient pas à résister avec courage au lavage de cerveau perpétuel de leur société sans tomber dans un nihilisme délirant. L'éloge constant de la sincérité ou de l'authenticité finissait par perdre un souci de vérité.

6 commentaires:

Anonyme a dit…
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Anonyme a dit…
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Anonyme a dit…

Après moults recherches, le New Yok Times confirme, entre autres, que Vidal n'était pas le cousin de Al Gore, et que (shocking!) il avait bien eu des rapports sexuels avec son compagnon Howard Austen, tout le long de leur vie commune. Merci, New York Times, pour ce bon travail! (voir le bas de la page: "Correction: August 1, 2012": http://tinyurl.com/d854yd5).

Phersv a dit…

Sur le second, Vidal en tout cas prétendait qu'il avait des rapports sexuels avec tout le monde sauf avec son ami Austen.

Phersv a dit…

Mais je corrige sur Al Gore (on disait "maybe" dans de nombreux articles).

Tororo a dit…

Son apport au cinéma a été loin d'être négligeable, si l'on en juge par la liste des films sur lesquels il est intervenu.