Son sourire est tranquille et joyeux. Que fait-elle ?
Sans doute elle repose en un calme sommeil.
Hélas ! Khons a guéri la Beauté du Soleil ;
Le Sauveur l'a rendue à la vie immortelle.
Ne gémis plus, Rhamsès ! Le mal était sans fin,
Qui dévorait ce coeur blessé jusqu'à la tombe
Et la mort, déliant ses ailes de colombe
L'embaumera d'oubli dans le monde divin !
Leconte de Lisle, "Néférou-Ra", 1862
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes
Les Français ont, peut-être depuis Napoléon et Champollion, une égyptomanie encore plus avancée que celle des Britanniques - même si ce sont ces derniers qui furent les plus directement marqués par leur occupation des rives du Nil. Peut-être qu'une nation d'esthètes obsédés par le changement, les modes et les Révolutions est d'autant plus fascinée par l'idée d'une civilisation millénaire enfouie sous les ruines et le sable. Cela explique peut-être également en partie cette mélancolie dépressive des Français qui sont moqués pour leur complexe de supériorité mais craignent en même temps la mortalité de leur propre culture quelle que soit leur soif de Révolutions.
Je suis moi-même affligé de cette douce malédiction historique du Roman de la Momie, même si je feins de préférer les Etrusques aux Egyptiens. Pendant longtemps j'ai dogmatiquement ignoré les jeux de rôle d'Horreur du Monde des Ténèbres en pensant qu'ils étaient réservés à des personnes qui veulent s'habiller en Noir et se maquiller en Pâle, jusqu'à la parution de Mummy: The Resurrection en 2001. L'idée de jouer un superhéros Egyptien millénaire servant Ausar (Osiris), Aset (Isis) et Heru (Horus) dans le monde contemporain était trop belle pour ne pas succomber à la tentation. J'avais même créé un site Web sur une campagne à Alexandrie mais le site sur Geocities puis MultiMania puis Lycos ne fut plus alimenté depuis environ dix ans. Multimania vient de fermer brutalement ses serveurs en août 2013 et j'ai l'impression qu'il n'y a plus qu'une version fragmentaire sur Archive.org avec des liens manquants et pas d'illustrations. Cela m'apprendra à ne jamais penser à "aspirer" et stocker ce site Web comme on me l'avait conseillé en 2009.
Les Vies antérieures
Pour ceux qui ignorent le World of Darkness, c'est une série de jeux de rôle qui inversait la thématique classique. Au lieu de jouer des humains luttant contre des Monstres, on jouait des créatures surnaturelles luttant contre leur propre Monstruosité. La série comprenait dans l'ordre chronologique une dizaines de livres, plusieurs des créatures habituelles des films d'horreur classiques : Vampire: The Masquerade (1991), Werewolf: The Apocalypse (1992), Mage: The Ascension (1993), Wraith: The Oblivion (1994), Changeling: The Dreaming (1995), Hunter: The Reckoning (1999), Mummy: The Resurrection (2001), Demon: The Fallen (2002), Orpheus (2003) mais ce premier Univers des Ténèbres fut détruit en 2004. Le Nouveau Monde des Ténèbres (nWoD) a repris certaines séries et ajouté de nouvelles : Vampire: The Requiem (2004), Werewolf: The Forsaken (2005), Mage: The Awakening (2005), Promethean: The Created (2006), Changeling: The Lost (2007), Hunter: The Vigil (2008), Geist: The Sin-Eaters (2009) et tout récemment Mummy: The Curse (2012), dont le sous-titre après les deux points indique déjà l'évolution par rapport au titre de la version de 2001.
Il y a eu au total quatre "éditions" de Momie, si je compte bien : (1) d'abord dès le début comme un simple supplément pour Vampire (Mummy, 1992, par Stephan Wieck , fondateur de la compagnie White Wolf- où les Momies étaient considérées surtout comme des adversaires surpuissants contre les Vampires) ; (2) puis avec une édition révisée (World of Darkness: Mummy, 1997, par Graeme Davis et James Estes) ; (3) puis le livre séparé en couverture rigide Mummy: The Resurrection (2001), avant (4) Mummy; the Curse. Momie: La Résurrection avait de nombreux auteurs (dont Steve Kenson) et certains de ce groupe sont revenus pour Momie: La Malédiction en 2012 (notamment C.A. Suleiman, qui avait écrit le supplément Cairo by Night et est maintenant designer principal, Michael Goodwin, Khaldoun Khelil ou Ari Marmell).
A noter d'ailleurs que d'autres jeux du New World of Darkness avaient déjà commencé à renouer avec les thèmes égyptiens. Vampire: the Requiem a un clan des Mekhet. Promethean: The Created a parmi ses golems et créatures frankensteiniennes l'Osirien ou Nepri. Geist: The Sin-Eaters permet de jouer des humains liés à des fantômes, ce qui évoque une sorte de mélange de Wraith, de Mummy: the Resurrection et d'Orpheus. Et je ne compte même pas Scion (2007), le jeu où on interprète des enfants de Dieux, y compris le panthéon égyptien, mais qui n'est pas dans la même continuité que le Monde des Ténèbres.
De la Résurrection à la Malédiction
Il y a de nombreuses oppositions entre M:tR et M:tC.
(1) M:tR avait eu l'idée qu'on ne jouait plus la Momie mais une fusion ou une association entre un corps moderne allié à un esprit égyptien incomplet (lui-même dégradé par la grande Tempête des Âmes qui avait été lancée à la fin de la gamme de Wraith: The Oblivion). Par exemple, un humain qui ne prenait pas soin de son corps pouvait revenir avec l'aide d'un esprit protégeant particulièrement cet aspect. Le but était de rendre cela plus facile à jouer grâce à une part d'entité contemporaine (et contrairement à Nephilim, les corps étaient laissés en liberté). Tout le thème de M:tC est que la Momie a vraiment quelque chose comme 5000 ans (même si elle passé une grande partie de ce temps en stase) et qu'elle est incompréhensible au joueur et même à elle-même. Le but voulu est le mystère et non plus l'aisance pour nouveaux joueurs.
(2) M:tR avait des Momies, les Shemsu-Heru et Amenti qui étaient globalement des superhéros servant Maât, l'Equilibre, depuis un rituel d'Isis datant de l'Antiquité. Elles étaient censées rester au Proche-Orient la plupart du temps (même s'il existe aussi des Momies incas ou chinoises). M:tC a des Momies (appelés ici les Arisens, Ceux qui se Relèvent, qui remontent à la Nuit des Temps pré-dynastique, à un Empire oublié qu'on appelle par convention en arabe "Irem la Cité des Piliers". Elles ont donc un lien moins profond avec l'Egypte historique, même si elles y ont passé sans doute quelques siècles de leur "jeunesse". Elles ont eu le temps de se disperser à travers la planète et on peut retrouver leur sépulture n'importe où.
[En passant, la nouvelle édition de Mage: The Awakening a elle aussi rompu les liens avec les traditions historiques de Mage: The Ascension pour créer son propre ésotérisme "atlante", ce que je trouve un peu regrettable.]
(3) Les Momies de M:tR étaient optimistes et même s'il leur manquait certains aspects, elles semblaient bien vivre leur immortalité au service des Dieux. M:tR est un jeu de superhéros plus que d'horreur (ce qui explique qu'il soit mon favori). Les Momies de M:tC sont plus ambiguës et plus sombres. Elles ont une mémoire lacunaire et risquent toujours d'être exploitées par les inflexibles 42 Juges de l'Au-delà (dont certains sont clairement cruels) et même par les mortels du Culte secret qui adore leur enveloppe corporelle. Cela explique que, quelles que soient leurs intentions, les Momies peuvent dériver vers le monstre zombie destructeur d'un film d'horreur, ce qui n'était pas le cas de la version antérieure.
Les auteurs de M:tC se sont amusés à inverser le cliché habituel des jeux du World of Darkness. D'habitude, on commence relativement faible et on tente de progresser sans trop perdre de son Humanité. Ici, la Momie renaît à son maximum de puissance magique, débordant même ou comme possédé de cette énergie qui s'appelle "Sekhem", mais dans un état de quasi-amnésie et elle tente de retrouver son Humanité par sa Mémoire, alors que sa puissance décline de manière inexorable jusqu'à la nouvelle Résurrection.
Cela demanderait plus de temps pour comparer les deux jeux en détails. Je tenterai de revenir sur d'autres aspects une autre fois.
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